"El", le seul film de Luis BUÑUEL que j'ai vu dans ma jeunesse relie la maladie mentale d'un individu à la pathologie de la société qui l'a forgé. Une société patriarcale et misogyne dont l'héritage se fait toujours sentir dans notre société moderne et sécularisée. "El" qui appartient à la période mexicaine de son auteur étudie de façon clinique la progression inexorable de la folie de son personnage principal, Francisco Galvan de Montemayor (Arturo de CÓRDOVA), un bourgeois catholique fervent qui s'éprend des pieds d'une femme belle et pieuse, Gloria (Delia GARCÉS), un fétichisme qui souligne d'entrée qu'elle ne sera pour lui qu'un obscur objet de désir. Obscur objet car morcelé comme le célèbre tableau de Georgette Magritte et donc réduit à un désir de possession impossible à assouvir, le corps formant un tout vivant et insaisissable. C'est à ce moment-là que l'obsession de Francisco à conquérir et posséder sa future femme rejoint son obsession tout aussi vaine à reprendre possession du domaine de ses ancêtres, patrimoine et patriarcat ne faisant ainsi plus qu'un dans la pathologie que développe le personnage vis à vis du réel. Pathologie qui se manifeste d'abord dans le refus de toute intrusion allant dans le sens contraire à ses désirs: les avocats qui tentent de lui faire comprendre qu'il n'a aucune chance de gagner son procès contre les propriétaires des biens ayant appartenu à sa famille sont aussitôt congédiés, les "fâcheux" qui s'interposent entre sa femme et lui sont esquivés puis repoussés de façon musclée. Mais cet aspect plutôt comique du comportement délirant du personnage se transforme rapidement en enfer pour son épouse, soumise à une emprise tyrannique dont les manifestations s'avèrent hélas toujours d'actualité: jalousie, paranoïa, séquestration, maltraitances physiques et psychologiques ayant pour but de briser la personnalité et de placer l'individu sous le contrôle total du tyran qui peut ainsi y déverser ses fantasmes pervers les plus refoulés. Un comportement de "meurtrier impuissant" qui rejoint de manière frappante les pulsions morbides de Scottie dans "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK, lui qui ne peut aimer qu'une morte. La scène du clocher établit une parenté frappante entre les deux films alors que la relation entre Francisco et Gloria évoque outre Alfred Hitchcock, "Gaslight" (1943) de George CUKOR. Enfin la folie de Francisco ne peut être séparée de son contexte, celui d'un puritanisme religieux misogyne (comme l'ensemble de la société) mais contre lequel il finit par se retourner lors d'une scène d'hallucination paranoïaque saisissante.
Entre "The African Queen" (1951) (un récit d'aventure et d'amour entre deux contraires contraints de survivre en huis-clos dans la jungle tropicale et dans un contexte de guerre mondiale) et "La Nuit de l'iguane" (1964) (reptile qui comme la tortue dans "Dieu seul le sait" symbolise les désirs sexuels refoulés de personnages eux aussi très polarisés ou écartelés et dans lequel joue aussi Deborah KERR dans un rôle assez proche de soeur Angela), "Dieu seul le sait" est un film magnifique, une sorte de huis-clos insulaire d'une très grande intensité entre un Marine de la guerre du Pacifique sauvé des eaux comme Moïse et une bonne soeur, seule rescapée de sa congrégation qui sans lui, n'aurait pas survécu. L'affection immédiate qu'éprouvent l'un pour l'autre le caporal Allison et la soeur Angela (et qui reflétait l'amitié réelle qui unissait Robert MITCHUM et Deborah KERR) et qui a quelque chose d'ingénu et de profondément émouvant se transforme peu à peu en quelque chose de plus trouble lorsqu'ils sont forcés de se cacher dans une grotte lors de l'invasion de l'île par les japonais. Et la grotte n'est pas le seul élément (avec la tortue) symbolique du film. L'évolution des vêtements des deux protagonistes en est un autre. Sorte d'armure qui les enferme dans leurs sacerdoces respectifs, ils sont amenés à les quitter une première fois lorsque les japonais relâchent la pression en quittant temporairement l'île. Si cela n'a aucun effet sur Angela qui depuis les premières images baigne dans une blancheur immaculée complètement irréelle après des jours et des nuits passées dans la jungle et dans la grotte, le bain transforme le caporal hirsute et aux abois depuis les premières images en homme séduisant et détendu qui pour la première fois exprime ses sentiments à Angela qui lui oppose ses fiançailles avec Dieu. Arrive alors le deuxième moment de basculement lorsqu'après avoir tenté de noyer sa frustration dans l'alcool, le caporal qui a laissé échapper de nouveau son amour et son amertume provoque la fuite d'Angela sous la pluie dont l'apparence connaît alors une métamorphose spectaculaire: ses vêtements se mouillent et s'encrassent presque immédiatement et ne reviendront jamais à leur état initial ce qui est un indice qui se passe de mot sur l'évolution que connaît le personnage, en proie subitement à une forte fièvre et qui se retrouve comme Madeleine dans "Vertigo" (1958) nue sous des couvertures, sa chevelure flamboyante jusque là dissimulée apparaissant au moment même où le caporal lui donne sa veste, laissant alors apparaître toute son animalité. Ne reste plus à Angela, une fois rétablie à prendre soin à son tour du caporal lors d'une fin (qui est aussi celle de la délivrance américaine de l'île) ouverte à tous les possibles.
"Just Pals" ("Juste des potes") est le premier film de John FORD réalisé pour les studios Fox après avoir travaillé plusieurs années durant pour Universal. Par sa durée mais surtout par sa thématique, il fait penser à "Le Gosse" (1921) réalisé un an plus tard par Charlie CHAPLIN. Une version champêtre du kid reposant sur l'amitié qui se noue entre Bim (Buck JONES), le "bon à rien" du village et Bill (Georgie STONE), un jeune vagabond orphelin qu'il adopte par hasard. John FORD créé deux personnages attachants dont il met en avant les qualités morales face à une communauté villageoise remplie de préjugés et dont certains individus à l'apparence respectable dissimulent une âme de crapule, essentiellement par l'argent. C'est le cas des "Thénardier locaux" qui veulent arracher Bill des mains de Bim parce qu'ils le confondent avec un enfant kidnappé et recherché contre une grosse récompense par son père fortuné. C'est aussi le cas du soupirant de la jolie institutrice du village (Helen FERGUSON) dont Bim est également amoureux mais qui n'hésite pas à la compromettre en la persuadant de lui remettre la caisse de l'école. Après la découverte du forfait et du corps de l'institutrice qui a tenté de se noyer, tous les soupçons se portent sur Bim qui est également surpris au beau milieu du hold-up de la banque et compromis par les malfaiteurs. La promptitude avec laquelle les villageois lui mettent la corde au cou révèle à quel point cet intrus les dérange. Mais Bill qui a retrouvé à l'école les enfants des lyncheurs de Bim n'a pas l'intention de les laisser faire. Toutes ces intrigues qui relèvent de la chronique villageoise, du western, du mélo, du film d'action et d'aventures et de la comédie sont traitées de façon aussi limpides que trépidantes et en plus, on ressent beaucoup de tendresse pour ces déclassés inassimilables mais à l'âme intacte. Un petit régal.
J'ai préféré "Memoria" à "Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)" (2010) même s'il possède le même ADN à savoir celui d'une oeuvre ésotérique, contemplative, abstraite, expérimentale et remplie de plans fixes d'une durée interminable qui m'ont rappelé ma désagréable expérience du visionnage du bien nommé "L'Eternité et un jour" (1998) de Theo ANGELOPOULOS, Palme d'or à Cannes au détriment du film tellement plus accessible de Pedro ALMODÓVAR, "Tout sur ma mère" (1999). C'est un choix et la radicalité des uns nourrit la (relative) "démocratisation" des autres, cette dialectique est sans doute nécessaire. En tout cas, si "Memoria" n'est pas un film que j'ai apprécié dans son architecture d'ensemble que j'ai trouvé vraiment trop décousue, j'en ai aimé certains moments, plus précisément ceux reliant les Hernan qui sans doute forment une boucle temporelle. Pour tenter de percer le mystère de l'étrange bruit qui surgit de façon imprévisible dans sa tête, Jessica (Tilda SWINTON qui est idéale pour le rôle avec son apparence extra-terrestre et son allure somnambulique) entreprend une sorte de voyage dont on ne sait pas vraiment s'il appartient au domaine du réel ou à celui du songe. Au cours de son périple, elle rencontre Hernan, un ingénieur du son qui tente de recréer celui qui assaille son cerveau et l'empêche de trouver le repos. Il lui fait don de sa trouvaille avant de disparaître d'un monde auquel il n'appartient visiblement pas. Plus tardivement dans le film, Jessica quitte Bogota (l'histoire se déroule en Colombie) c'est à dire le monde civilisé pour s'enfoncer dans la jungle amazonienne. La métaphore est limpide d'autant qu'elle est appuyée (trop selon moi) par une amie à elle jouée par Jeanne BALIBAR qui est archéologue et lui montre les ossements d'une jeune fille dont le crâne a été percé d'un trou et qui a été retrouvé lors de fouilles au coeur d'un chantier creusant un tunnel sous la cordillère des Andes. C'est dans la jungle qu'elle rencontre (retrouve?) Hernan sous une apparence plus âgée qui est "le disque dur" dont elle est "l'antenne" ce qui permet au spectateur non de voir mais d'écouter leurs esprits qui fonctionnent en vases communicants: lui se souvient et elle relaie ces échos sortis de différents lieux et de différentes époques. Lui dort mais ne rêve pas, elle rêve mais ne dort pas. Au vu de la façon dont il fait le mort en dormant, on comprend pourquoi elle ne peut pas s'abandonner au sommeil, de peur de ne pas revenir? Le seul plan de science-fiction du film semble le suggérer avec ce qui ressemble à un trou de ver et un bruit qui pourrait être finalement le franchissement du mur du son. Tout cela dessine un arc spatio-temporel reliant le visible au surnaturel intéressant voire même une sorte de cosmologie mais de façon si languissante et éthérée, si froide et peu incarnée (oui il y a de la sensorialité mais l'humanité y occupe la place du monolithe de Stanley KUBRICK) qu'il ne peut que perdre la majeure partie du public en chemin, dommage.
Voilà un film à redécouvrir et à réévaluer. En ayant été catalogué comme un film commercial et comme une commande, on a oublié ce qui pourtant, saute aux yeux et fait si cruellement défaut au "Dunkerque" (2017) de Christopher NOLAN: l'expérience intime. Car de la première à la dernière image, on sent le vécu, celui de l'auteur du livre, Robert MERLE qui a scénarisé son adaptation au cinéma. Pas étonnant que "Week-end à Zuydcoote" soit particulièrement sombre, en décalage avec un cinéma de guerre vantant alors largement l'héroïsme de la Résistance. Rien de tel dans "Week-end à Zuydcoote" qui se situe à hauteur d'hommes ordinaires confrontés à une situation désespérée (la poche de Dunkerque qui se referme comme un piège, les conditions dantesques de l'évacuation). Si la camaraderie et l'amour sont présentés comme des refuges, ils ne tiennent pas bien longtemps face à la sauvagerie de la guerre. La mort du personnage incarné par François PÉRIER parti chercher l'eau pour le café en est un symbole tout comme la destruction du bateau à bord duquel tentait de fuir un couple binational. Par contraste, le personnage de combinard joué par Pierre MONDY qui annonce la collaboration, celui d'enragé qui tire dans le tas à la manière de "Full Metal Jacket" (1987), provoquant l'exécution d'un parachutiste allemand tombé sur la plage ainsi que les détrousseurs de cadavres et les deux violeurs français incarnent l'anomie de la guerre. Le personnage central de Maillat joué remarquablement par Jean-Paul BELMONDO erre ainsi sans succès durant tout le film en plein cauchemar, à la recherche d'une issue introuvable, éprouvant l'absurdité de nombre de situations, l'horreur de nombre d'autres échouant à ramener l'un des deux violeurs à son humanité en essayant de lui parler comme il échoue à fuir en Angleterre. Seul gros bémol du film: le personnage d'écervelée capricieuse (mal) joué par Catherine SPAAK qui semble en décalage total avec le reste du film et dont le comportement hors-sol n'est pas crédible. Elle ne pense qu'à sauver sa maison dont on se demande bien comment elle peut tenir encore debout et ne semble presque jamais éprouver la moindre crainte. Ou alors c'est une manière subliminale de nous dire qu'elle n'est pas humaine ce qui explique qu'elle puisse regarder à la jumelle les avions de combat depuis la fenêtre de sa maison ou se promener tranquillement sur la plage de Dunkerque avec deux valises et une robe rouge vif alors que les avions allemands ne cessent de l'arroser de leurs bombes. Mais il y a mieux que le coup de l'ange pour terminer un film qui se veut réaliste.
"Media Crash - qui a tué le débat public ?" (2022) s'inscrit dans la lignée de "Les Nouveaux chiens de garde" (2011) qui interrogeait l'indépendance des médias et révélait que la pensée unique distillée par la plupart d'entre d'eux, dans la lignée de la célèbre phrase de Margaret Thatcher "There is no alternative" s'expliquait par leur relation incestueuse avec les hommes d'affaires et les hommes politiques, symbolisée par les réunions du Cercle. Un cénacle des élites dirigeantes devenu aujourd'hui célèbre en raison du scandale touchant son président, Olivier Duhamel qui avait dû démissionner en 2021 suite aux révélations d'inceste (familial celui-là) de sa belle-fille Camille Kouchner dans "La Familia Grande".
"Média Crash" est le fruit du travail de deux journalistes d'investigation, travaillant pour les rares médias indépendants de l'hexagone: Valentine Oberti de Mediapart qui a révélé de nombreuses affaires (dont celle touchant Jérôme Cahuzac qui est évoquée dans le film) et Luc Hermann de Premières Lignes, une société de production et agence de presse qui est notamment à l'origine de l'émission "Cash investigation" diffusée sur France 2. Leurs enquêtes sont éclairantes, démontrant que la plupart des médias français ne peuvent pas ou ne peuvent plus jouer leur rôle de contre-pouvoir parce qu'ils ont été acheté ou rachetés par les patrons des plus grands groupes français qui les musèlent et les orientent. Cas d'école, le rachat du groupe Canal + par Vincent Bolloré (dont la proximité avec les présidents n'est plus à démontrer depuis l'affaire du Yacht) a non seulement détruit "l'esprit canal" impertinent et critique (disparition des Guignols, du zapping, déprogrammation de documentaires d'investigation etc.) mais en a fait une tribune (notamment via I-Télé rebaptisé Cnews) pour Eric Zemmour et ses idées d'extrême-droite, le mettant en orbite pour la présidentielle face à Le Pen. Le tout avec la complicité du (faux) "idiot utile" Cyril Hanouna et son TPMP sur C8. Rebelote avec Bernard Arnault, le patron de LVMH et accessoirement (^^) de "Les Echos" et "Le Parisien" qui a fait infiltrer le journal Fakir du député LFI François Ruffin par Bernard Squarcini, un ancien haut fonctionnaire du renseignement qui a une longue expérience en matière d'espionnage de journalistes. Ce passage est par ailleurs le plus drôle du documentaire qui nous rejoue "Les Barbouzes" (1964). Mais au-delà de ces exemples précis, ce sont aussi les méthodes utilisées par ces patrons envers les médias qui ne leur appartiennent pas qui sont montrées du doigt: pressions, intimidations, diffamations etc. Eclairant et salutaire.
Alexandre Dumas est sans doute l'auteur dont les oeuvres ont été les plus adaptées pour le cinéma et la télévision et "Les Trois mousquetaires", la plus populaire d'entre elles est celle qui a connu le plus grand nombre d'adaptations, tous formats confondus. Plusieurs articles essayent d'ailleurs d'en dresser une rétrospective qui n'est absolument pas exhaustive (la version décalée de Max LINDER au temps du muet passe souvent à la trappe, en animation, le version canine a fait oublier la libre mais heureuse adaptation nippone en 52 épisodes "Sous le signe des mousquetaires" etc.) Chaque époque a sa version et sa vision du roman de Alexandre Dumas, flamboyante et "capoeriste" comme chez George SIDNEY ou libertaire et burlesque comme chez Richard LESTER pour celles que j'ai vu récemment. La version de Martin BOURBOULON que j'ai trouvée très réussie (en tout cas cette première partie, j'attends de voir la suite pour juger de l'ensemble) tire quant à elle davantage du côté du western (comme les affiches le laisse deviner) et du film politique. Avec trois qualités principales:
- Une mise en scène tendue à l'extrême, combinant plusieurs arcs narratifs tournant autour de la lutte de pouvoir entre catholiques et protestants et pas seulement l'intrigue des ferrets de la reine que tout le monde connaît par coeur étant donné qu'elle est centrale dans le roman de Dumas.
- Des qualités d'écriture avec des dialogues incisifs, par exemple "il essaye de noyer ses démons dans l'alcool mais ceux-ci ont finir par apprendre à nager" (pour Athos) ou "Le matin il pense à l'armée, le soir à l'évêché mais dans les deux cas les femmes mariées restent possibles" (pour Aramis). Normal, les scénaristes sont Mathieu DELAPORTE et Alexandre de la PATELLIÈRE co-auteurs de "Le Prénom" (2011) et qui préparent une nouvelle adaptation de "Le Comte de Monte-Cristo", l'autre oeuvre-phare de Alexandre Dumas (on verra si elle sera à la hauteur, je n'ai jamais été pleinement satisfaite jusque-là).
- Une interprétation plutôt vivifiante des personnages par des acteurs dont je ne suis pourtant pas fan à la base. La relation entre d'Artagnan (François CIVIL) et Constance (Lyna KHOUDRI) est par exemple joyeuse et spontanée et plus largement, le courant passe assez bien entre les acteurs principaux. Athos (Vincent CASSEL) est beaucoup plus mis en valeur que ses comparses en ayant droit à un arc narratif à lui tout seul mais il est aussi le mousquetaire qui offre le personnage le plus profond. En revanche le cardinal de Richelieu (Éric RUF) est trop en retrait et se fait voler la vedette par le roi Louis XIII (Louis GARREL) qui semble pourtant gouverner sous l'emprise de ses émotions plus que de sa raison.
Tout cela compense des aspects plus faibles comme la photographie, le découpage, les chorégraphies ou la musique. Prometteur en attendant la suite qui on s'en doute va raconter la vengeance de Milady (Eva GREEN fidèle à elle-même).
"Lemming" a beaucoup de points communs avec "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000), le film qui révéla Dominik MOLL qui est l'un des rares cinéastes français à s'aventurer avec bonheur dans le genre du thriller psychologique aux frontières du fantastique. Outre la présence de Laurent LUCAS dans le rôle principal d'Alain Getty, un "mari modèle" subissant le violent retour du refoulé de son inconscient, il brasse en effet quasiment les mêmes références: une grosse pincée de Alfred HITCHCOCK (une attaque de lemmings qui fait penser à celle de "Les Oiseaux" (1962) , un oeil-caméra voyeur qui fait un clin d'oeil à Harry et à Norman Bates), un nuage de David LYNCH (l'extérieur de la maison* de "Lost Highway" (1996), le conduit de "Blue Velvet" (1986) reliant la surface et les profondeurs), un soupçon de Stanley KUBRICK (l'odyssée de Alain Getty en eaux troubles s'apparente à celle du personnage de Tom CRUISE dans "Eyes wide shut" (1999), les toilettes et la salle de bains nid de fantasmes à "Shining") (1980)). Et pour remplacer la "bête de sexe" semeuse de mort Sergi LÓPEZ, Dominik MOLL nous sert une Charlotte RAMPLING grandiose dans le rôle de la croqueuse d'hommes à face de spectre venant jeter le trouble dans la vie bien rangée du couple formé par Alain et Bénédicte. Un prénom qui sent la religiosité confite à plein nez alors que leur libido refoulée s'appelle comme par hasard Alice qui commence par envoyer à la figure de son mari (André DUSSOLLIER) un verre de "Saint-Joseph" (^^) à la figure lors d'un dîner d'anthologie à la Claude CHABROL avant de s'offrir à Alain en lui susurrant qu'il peut "tout lui faire". La métaphore du petit rongeur venu du froid bouchant la tuyauterie prend tout son sens.
Hélas, "Lemming" contrairement à "Harry un ami qui vous veut du bien" (2000) ne parvient pas à remplir toutes ses promesses. Après un début en fanfare, le film s'avère moins convaincant dans sa deuxième partie. En effet Alice disparaît trop tôt physiquement et Charlotte GAINSBOURG qui incarne Bénédicte ne parvient pas tout à fait à nous faire croire qu'elle est "possédée" par son fantôme, même s'il s'agit vraisemblablement des hallucinations et fantasmes de son mari. Il en va de même pour André DUSSOLLIER dont le personnage est dépourvu de ce grain de folie qui donne tout son sel à celui de son épouse. On ressent alors un flottement allant croissant, la scène de fin parachevant cette déception en donnant une explication rationnelle à tout ce que l'on vient de voir alors que le mot d'ordre est "retour à la normale".
* Etant originaire de Toulouse, j'ai deviné que la maison se situe dans un quartier de la ville et non en banlieue, plus précisément sur les hauteurs de la colline de Pech David qui offre une vue imprenable sur le reste de la ville et que l'on peut survoler aujourd'hui en Téléo (téléphérique faisant partie de l'offre de transport en commun de Toulouse).
Je n'ai pas aimé "Ave, César" qui m'a rappelé le film qui m'avais temporairement fâchée avec les frères Coen, "Le Grand saut" (1994). "Ave, César" a en commun avec ce dernier de rendre hommage au septième art. La forme en est toutefois différente. Au lieu de construire un film bourré de clins d'oeil à d'autres films, "Ave, César" qui adopte un ton plutôt satirique nous plonge au coeur des studios hollywoodiens des années cinquante. Alors certes, les reconstitutions de scènes de tournage des différents genre en vogue à l'époque sont belles (comédie musicale, western, péplum et chorégraphie aquatique à la Busby BERKELEY avec une Scarlett JOHANSSON dans le rôle d'une nouvelle Esther WILLIAMS) mais cela ne fait pas un film, tout au plus une suite de tableaux mal reliés entre eux. Le problème se situe au niveau des personnages, mal écrits à l'exception de Eddie Mannix (Josh BROLIN) qui est le fixeur des studios Capitole c'est à dire qu'il a pour mission d'étouffer dans l'oeuf tout potentiel scandale relatif aux stars employées par le studio avant qu'ils n'éclatent dans la presse spécialisée. Celle-ci est incarnée par deux soeurs jumelles concurrentes jouées par Tilda SWINTON, une habituée du dédoublement mais cette variante du "bonnet blanc et blanc bonnet" fait ici chou blanc tant les soeurs sont peu différenciées (le spectateur peu attentif peut croire que c'est la même personne). La narration se disperse en autant de sous-intrigues que de cas à régler par Mannix (lui-même étant sous exploité, puisque son rôle se résume à passer les plats) dont le manque d'intérêt est flagrant. Le pire est le personnage joué par George CLOONEY, un crétin (pour changer) qui est kidnappé par des communistes aux propos interminables et nébuleux: ennuyeux au possible! Quand on compare ce film à "Babylon" (2021) qui sur le fond en est assez proche, on mesure le gouffre qui les sépare.
"Caprice", le film de fin d'études de Joanna HOGG réalisé en 1986 est aussi (et logiquement) le tout premier rôle de son amie d'enfance, Tilda SWINTON qui n'avait alors que 26 ans et que l'on est pas habituée à voir aussi jeune sur un écran bien qu'elle le crève déjà, au sens propre comme au sens figuré. Le film raconte en effet une histoire toute simple mais très ingénieuse, celle d'une jeune fille gauche et ingénue qui se retrouve aspirée à l'intérieur de son magazine de mode favori à la manière de Alice au pays des merveilles ou bien de Dorothy au pays d'Oz. Découvrant l'envers d'un décor changeant à la manière des pages que l'on feuillette, elle perd peu à peu ses illusions au contact de personnages lui promettant monts et merveilles mais se détournant d'elle dès qu'elle leur annonce qu'elle n'a pas d'argent pour payer leur poudre de perlimpinpin. Ou variante, elle se fait snober par les stars blasées par leurs fans énamourés. Joanna HOGG profite du concept pour changer de style et de genre à chaque nouvelle scène, faisant passer son héroïne d'un univers aux couleurs pop acidulées à un tunnel en noir et blanc inquiétant rappelant l'expressionnisme allemand (ou "Répulsion" (1965) de Roman POLANSKI), d'un clip à l'esthétique et aux sonorités très années 80 à une séquence parodiant "Aladin et la lampe merveilleuse" avec son génie en bouteille (de parfum). Le récit initiatique permet à l'héroïne de s'affirmer face aux diverses tentations factices auxquelles elle est soumise, l'imagination de Joanna HOGG faisant merveille. J'aime particulièrement le séducteur "Douglas Furbanks" joué par Anthony HIGGINS qui répète en boucle le même slogan publicitaire autour de la confiance en soi qui s'acquiert comme chacun le sait par la possession de quelques manteaux de fourrure (pas sûr que Brigitte BARDOT aurait apprécié ^^).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.