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Lost in translation

Publié le par Rosalie210

Sofia Coppola (2003)

Lost in translation

" Pourquoi ce mystère/ Malgré la chaleur des foules/ Dans les yeux divers/ C'est l'ultra moderne solitude." Cet extrait de la chanson d'Alain Souchon pourrait tout à fait illustrer la teneur du film de Sofia Coppola. L'ultra moderne solitude de deux américains paumés dans leurs baskets et dans leur vie, errant sans but la plupart du temps dans leur hôtel de luxe tokyoïte aux proportions démesurées.

Film lent, contemplatif, mélancolique voire dépressif, "Lost in translation" n'a pas un style spécialement séduisant. De plus comme dans d'autres films de la réalisatrice, l'histoire de ces gens riches déracinés, tournant en rond dans leur bocal doré et se regardant le nombril peut sembler creuse voire parfaitement ridicule.

Mais en fait on accroche quand même et ici plutôt deux fois qu'une. La caméra de Sofia Coppola est élégante, les personnages, bien décalés, surtout dans un pays dont ils ne maîtrisent ni la langue, ni les codes. Bill Murray trouve avec Bob Harris un de ses meilleurs rôles. Tantôt absolument désopilant (les scènes de tournage de la pub pour le whisky Suntory sont des moments d'anthologie), tantôt neurasthétique façon Droopy, tantôt profondément ému, il fait une prestation mémorable qui vaut 4 étoiles à elle seule. Et Scarlett Johansson dans le rôle de Charlotte apporte de la sensualité, une bienvenue fraîcheur et un regard plus observateur et plus ouvert sur le monde extérieur. Leur belle relation en miroir fait gagner de l'épaisseur au film car elle contraste avec le monde de superficialité (mode/pub) dans lequel ils évoluent. On peut déplorer tout de même l'enfilade de clichés sur la culture japonaise traditionnelle (le mont Fuji, l'ikebana, les kimono, le temple, la scène du mariage) et pop (la trash TV, les manga lus dans le métro, les jeux de pachinko, le karaoké, la débauche technologique)... Coppola capte une atmosphère mais reste extérieure. Pouvait-il en être autrement avec ce qui est une autobiographie déguisée?  

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Un roi à New-York (A King in New-York)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1957)

Un roi à New-York (A King in New-York)

Je suis presque plus attachée aux Chaplin tardifs qu'aux chefs-d'oeuvre muets de sa carrière. Un roi à New-York, son avant-dernier film est sous-estimé dans sa filmographie et c'est bien dommage. Certes, il est imparfait. Les conditions de sa réalisation en exil n'ont pas permis à ce perfectionniste d'en contrôler toutes les finitions. Cela se sent au niveau du scénario et son trop-plein de satire bavarde au détriment de la poésie et de la grâce de ses précédents films, au niveau des éclairages, bâclés, et des scènes d'extérieur tournées à Londres alors que le film est censé se dérouler à New-York.

Mais voilà, on s'en fiche. Là n'est pas l'essentiel. L'essentiel, le cinéaste Roberto Rossellini le résume parfaitement. Un roi à New-York est "le film d'un homme libre". Et "Un film libre et fruste sera toujours préférable à un film élégamment enchaîné." (Kenneth Tynan) Et oui!

On retrouve dans ce film le Chaplin profondément révolté contre l'injustice, l'intolérance et la tyrannie. Comme celles-ci se déchaînent sur un enfant (l'innocence victime d'une société malade), on l'a comparé au Kid. Personnellement il me fait davantage penser au Dictateur car en dépit des dénégations de Chaplin, il s'agit d'un film engagé, politique qui ose se dresser contre les travers de son pays d'adoption (jusqu'en 1952) avec pour cœur de cible les dégâts du Maccarthysme. La séquence burlesque où Chaplin asperge le comité des activités antiaméricaines avec une lance à incendie façon arroseur arrosé est particulièrement jouissive. Les USA interdirent d'ailleurs le film durant une bonne quinzaine d'années, preuve qu'il dérangeait.

Chaplin était un esprit particulièrement clairvoyant. Si les éléments de satire sont trop nombreux dans le film, certains font tellement mouche qu'ils sont passés à la postérité et ont été repris dans des films plus récents. Un homme filmé à son insu, manipulé par une femme qui interrompt leur conversation toutes les 3 secondes pour débiter d'ineptes publicités? C'est peu ou prou le scénario de "The Truman Show" de Peter Weir. Un individu transplanté d'un ancien monde dans un monde nouveau dont il ne maîtrise pas les codes, en perpétuel transit dans une chambre d'hôtel, contraint à cause de ses déboires financiers de tourner un ridicule spot publicitaire pour une mauvaise marque de whisky? On reconnaît bien entendu la trame de "Lost in translation" de Sofia Coppola. Ajoutons une hilarante séquence autour de la chirurgie esthétique et du jeunisme et on mesure à quel point Chaplin était en avance sur son temps.

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Le voyage dans la lune

Publié le par Rosalie210

Georges Méliès (1902)

Le voyage dans la lune

Le voyage dans la lune c'est d'abord une image définie ainsi par Marc Caro " Le visage de la lune avec la fusée dans l'oeil est un peu la Joconde de l'art cinématographique ". Un symbole du septième art tout entier. Car Méliès n'est pas qu'un magicien. Il est aussi un conteur, un illustrateur, un explorateur, un inventeur et un acteur (le professeur Barbenfouillis, chef de l'expédition lunaire n'est autre que lui-même).

Le voyage dans la lune c'est aussi un jalon clé de l'histoire du cinéma. Pour l'époque, il fait figure de superproduction avec ses 14 minutes et ses 30 tableaux. Il condense tous les trucages expérimentés dans les films précédents. Il ose même un mouvement de travelling avant sur sa star lunaire qui anticipe de plusieurs années l'invention du langage cinématographique. Il pose les bases du cinéma de science-fiction en transposant au cinéma les œuvres des deux plus grands fondateurs du genre en littérature: Jules Verne (De la terre à la lune, 1865, Autour de la lune, 1870) et H.G Wells (Les premiers hommes dans la lune, 1901). Un film sur le mythe de la frontière, qui repousse les limites de son art et qui est par la suite devenu lui-même un mythe du cinéma.

Le voyage dans la lune c'est enfin une popularité et une postérité qui ne s'est jamais démentie, des cinéastes les plus accros aux effets spéciaux sophistiqués (comme Cameron ou Lucas) à ceux privilégiant une approche plus artisanale et surréaliste (comme Terry Gilliam et ses monarques sélénites à la tête dévissée dans le Baron de Münchausen en 1988). Scorsese réunit par conséquent les deux descendances dans son hommage à Méliès (Hugo Cabret, 2011). Machineries à rouages d'un côté, effets numériques de l'autre.

Mais le plus bel hommage, c'est une simple image, elle aussi devenue mythique "ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre". Celle d'un enfant et d'un extraterrestre passant devant la lune à bord d'une bicyclette volante (E.T. l'Extra-terrestre de Spielberg en 1982). Bouclant ainsi la boucle.

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Le chant du styrène

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1958)

Le chant du styrène

A partir d'une commande des usines Pechiney, Resnais réalise une enquête poétique sur les origines du plastique. Il part de l'objet fini pour remonter jusqu'à la matière première en passant par toutes les étapes de sa fabrication.

Dès le titre, on sait que l'on va avoir affaire à un alchimiste capable de transformer le plomb (le pétrole et ses dérivés industriels) en or c'est à dire en œuvre d'art. Le Chant du (poly)styrène convoque le mythe grec, celui de Syrinx, nymphe d'Acadie aimée de Pan. Poursuivie par le dieu, elle se transforma en roseau. Pan, écoutant le vent siffler dans les roseaux eut l'idée d'unir des tiges de longueur inégale et créa ainsi la flûte qui porte son nom. La flûte avatar de l'art lyrique, la poésie unie au plastique dès le titre et cet alliage, alliance contre-nature se poursuit avec la citation de Victor Hugo tirée des Voix intérieures puis du célèbre vers détourné du Lac de Lamartine "Ô temps, suspend ton bol". Le commentaire se poursuit en alexandrins aux rimes suivies, comme dans la tragédie classique dont il épouse les effets et la rhétorique avec quelques relâchements stylistiques et l'introduction d'un vocabulaire technique soulignant qu'il s'agit bien d'une œuvre hybride. Et si "on lave et on distille et on redistille/Ce ne sont pas là exercices de style" puisque c'est Raymond Queneau, l'auteur de ce poème qui l'affirme!

Néanmoins le documentaire n'est pas qu'un jeu. Il nous entraîne dans une drôle de jungle, celle de la chimiosynthèse (avec une accumulation de formes plastiques végétales mutantes) le tout sous un fantôme de soleil levant qui en 1958 ne pouvait évoquer autre chose que les ruines fumantes du cataclysme nucléaire japonais ravivées par la guerre froide. Et plus le film avance, plus les couleurs s'éteignent, celui-ci s'achevant dans la grisaille des bâtiments et des fumées d'usine où l'élément humain semble réduit à l'état spectral. Ce qui n'est pas sans évoquer les cendres de Nuit et Brouillard. "Mais parmi ces progrès dont notre âge se vante/Dans tout ce grand éclat d'un siècle éblouissant/Une chose, ô Jésus, en secret m'épouvante,/C'est l'écho de ta voix qui va s'affaiblissant."

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Ici on noie les algériens

Publié le par Rosalie210

Yasmina Adi (2011)

Ici on noie les algériens

En 2008, Yasmina Adi avait réalisé un documentaire qui s'intitulait "L'autre 8 mai 1945 - Aux origines de la guerre d'Algérie". Il était consacré à la répression sanglante qui avait touché les algériens célébrant la victoire contre l'Allemagne nazie à Sétif, Guelma et Kherrata. Un défilé qui s'était transformé en manifestation pour l'indépendance. La répression avait fait entre 1100 et 45 mille morts et encore aujourd'hui suscite la guerre des mémoires comme l'a montré la sortie du film Hors la Loi de Rachid Bouchareb en 2010.

C'est à un autre tabou/angle mort de l'histoire franco-algérienne que s'attaque Yasmina Adi dans ce documentaire réalisé en 2011 pour les 50 ans du massacre du 17 octobre 1961. La France est alors plongée depuis 7 ans dans la guerre d'Algérie et ses ravages ont des répercussions sur les algériens musulmans vivant en métropole. A l'appel du F.L.N., ceux-ci décident de manifester pacifiquement à Paris pour le rétablissement de leurs droits bafoués et notamment la levée du couvre-feu qui de 20h30 à 5h du matin les empêchaient de sortir, comme s'ils étaient des "ennemis de l'intérieur". Officiellement la répression fait 2 morts et une centaine de blessés mais dans les jours et semaines qui suivent on repêche une soixantaine de cadavres dans la Seine.

Ce sont ces cadavres que Yasmina Adi fait parler. Pas directement bien sûr mais elle interroge de nombreux témoins de la répression: des veuves de manifestants tués, des manifestants en ayant réchappé par miracle et aussi des médecins français qui ont essayé de soigner les blessés ou sont intervenus dans les centres d'internement pour les aider. On découvre avec effroi non seulement les similitudes entre cet événement et celui de 1945 mais aussi avec les rafles de la seconde guerre mondiale, un trait d'union étant le haut fonctionnaire Maurice Papon qui était secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 42 et 44 et préfet de la police de Paris en 1961. Une facette obscure de la France que certains cherchent de nouveau à enfouir sous "les aspects positifs de la colonisation".

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Death Mills

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1945)

Death Mills

Death Mills ("Les moulins de la mort" en VF) est le premier documentaire montrant ce que les alliés découvrirent lorsqu'ils libérèrent des camps de concentration et d'extermination en 1945. Il s'inscrit dans le cadre de la politique de dénazification menée par les USA dans l'Allemagne occupée. Il était destiné à être projeté aux allemands et aux autrichiens dans le but de leur ouvrir les yeux sur les crimes de leurs dirigeants. C'est pourquoi il fut tourné à l'origine avec une bande-son allemande et c'est pourquoi il insiste tant sur la notion de responsabilité collective. Il montre notamment comment les américains ont obligé les habitants des villes qui se trouvaient à proximité des camps à venir voir de leurs propres yeux les horreurs qui s'y trouvaient et à enterrer les cadavres de leurs propres mains.

Le manque de recul du documentaire (que l'on peut qualifier d'exemple "d'histoire immédiate") explique la large confusion qui y règne dans la qualification des crimes commis par les nazis. Les américains et leurs alliés ont principalement libéré des camps de concentration allemands (Dachau, Buchenwald, Bergen-Belsen etc.) Par conséquent la litanie des crimes égrenée par la voix off dans le documentaire témoigne de l'horreur concentrationnaire (privations de toutes sortes, exécutions, expériences médicales et autres tortures diverses) et non de la spécificité de la Shoah qui fut connue bien plus tard. En effet la Shoah se concentra dans 6 centres de mise à mort en Pologne dont 4 furent totalement rasés par les nazis en 1943. Les deux autres (Maidanek et Auschwitz) étaient mixtes c'est à dire qu'ils combinaient la concentration et l'extermination et ne furent que partiellement détruits. Ces deux camps furent libérés par les russes alors alliés des USA. Dans le documentaire, on voit surtout des images du camp de concentration d'Auschwitz I (les camps de concentration portaient l'inscription ironique "Arbeit macht frei") néanmoins et sans en mesurer le caractère spécifique, le documentaire évoque l'extermination des juifs à Birkenau (le pillage des biens des juifs, l'exploitation des corps, le gazage au Zyklon B qui contrairement à ce qu'il affirme n'était utilisé qu'à Birkenau, les fours crématoires).

Billy Wilder qui avait fui le nazisme et perdu une partie de sa famille à Auschwitz a réalisé ce film coup de poing entre Assurance sur la mort et Le Poison. Deux films aux titres assez évocateurs même si leur intrigue n'a rien à voir avec les crimes nazis. Le meilleur témoignage qu'il apportera sur l'après-guerre dans un film de fiction sera La Scandaleuse de Berlin en 1947.

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Indiscrétions (The Philadelphia Story)

Publié le par Rosalie210

George Cukor (1940)

Indiscrétions (The Philadelphia Story)

Oui, Indiscrétions (The Philadelphia story) est l'une des meilleures comédies réalisée aux USA à cette époque, mélange de screwball (dialogues percutants, comédie du remariage, guerre des sexes) et de comédie sophistiquée à la Lubitsch dans la high society. C'est d'ailleurs peut-être cette pratique de l'entre soi (bourgeois, aristos, parvenus et paparazzi) renforcé par l'origine théâtrale du film qui explique que je n'y adhère pas complètement. Katharine Hepburn avait besoin de redorer son blason au box-office après plusieurs échecs successifs et une réputation de ch...se sur les plateaux, alors Cukor met le paquet sur elle. Certes elle est éblouissante, cassant son image de déesse hautaine pour dévoiler ses fragilités (dans le film et dans son jeu). Mais elle prend tellement de place qu'elle éclipse un peu trop ses partenaires masculins. Cary Grant est génial, dommage que sa présence dans le film soit en pointillés. La séquence muette d'ouverture est un très grand moment, hélas isolé. Quant au talent de James Stewart, il ne peut s'exprimer pleinement, son rôle étant trop étriqué. Grant et lui sont surtout des faire-valoir et c'est bien dommage.

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Les Lumières de la ville (City Lights)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1931)

Les Lumières de la ville (City Lights)

Un des plus beaux films de Chaplin dont le sujet principal pourrait être celui de la dualité humaine.

Depuis ses premiers courts-métrages à la Keystone, Chaplin a joué tantôt le rôle d'un Vagabond et tantôt celui d'un dandy ou celui d'un Vagabond qui voulait se faire passer pour un dandy. C'est sur cette imposture que repose l'intrigue des Lumières de la ville. Pour les beaux yeux aveugles de celle qu'il aime (Virginia Cherrill), un Vagabond (Charles CHAPLIN) se fait passer pour un prince charmant. Car le prince charmant que l'on vend à la jeune fille a toujours un beau cheval blanc (entendez par là une belle voiture) et des millions à foison. Alors le Vagabond devient ce que la jeune fille rêve qu'il soit parce que c'est aussi une partie de lui (ce que son costume et ses manières souligne d'ailleurs: " il faisait de son mieux pour avoir l'air d'un gentleman".)

A l'inverse il y a du Vagabond dans le personnage du dandy tel qu'il est interprété par Chaplin. Ce vagabondage s'exprime par l'ivresse qui fait sortir le personnage de ses rails et lui fait emprunter d'autres chemins. C'est exactement ce qui arrive au personnage schizophrène du millionnaire (Harry Myers) dans Les Lumières de la ville. Lorsqu'il est ivre, il reconnaît dans le Vagabond son frère, son jumeau. Lorsqu'il ne l'est pas, il ne se souvient même pas de son existence.

Enfin la jeune fille elle-même est duale selon qu'elle est aveugle ou non. Lorsqu'elle est aveugle, elle est aussi dans l'aveuglement puisqu'elle ne voit pas du tout la même histoire que nous. Mais sa vulnérabilité, sa naïveté et sa précarité nous touchent. Elle ressemble à un ange auréolé d'innocence. Lorsqu'elle recouvre la vue, la santé et la prospérité, elle reste aveuglée par son rêve chimérique et n'étant plus protégée par son aura d'innocence, son comportement nous apparaît odieux. Ce qui rehausse encore la beauté de la scène finale, l'une des plus belles de toute l'histoire du cinéma. L'une des plus énigmatiques aussi. Car la dualité est présente jusqu'au bout. Ce qui bouleverse tant la jeune fille peut être la déception, la dissipation de ses illusions. Mais cela peut être aussi la révélation d'une autre vision par delà les apparences, "On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."

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La Vague (Die Welle)

Publié le par Rosalie210

Dennis Gansel (2008)

La Vague (Die Welle)

Une expérience totalitaire menée à l'échelle d'une classe dans un lycée allemand d'aujourd'hui. Le film s'inspire de faits réels s'étant déroulés en Californie en 1967 qui ont donné naissance à un livre, La Vague de Todd Strasser. Il est contemporain des expériences de Milgram sur l'incapacité de la majorité des individus à désobéir aux ordres, même les plus iniques ou les plus monstrueux dès qu'ils étaient prononcés par une autorité qui leur semblait légitime.

La Vague a le mérite de démontrer -certes de façon un peu trop lourdement démonstrative mais c'est compensé par l'esthétique clip, graff et rock - par quels mécanismes les jeunes peuvent se faire embrigader et manipuler par un chef charismatique. Enfin, pas tout à fait. Dans le jeu de rôles grandeur nature que propose à ses élèves le professeur Rainer Wenger (Jürgen Vogel), il y a tout le "décorum" de l'appartenance identitaire: emblème, nom, salut, uniforme mais il manque l'essentiel: l'idéologie. Peu importe, ça fonctionne quand même. Les jeunes les plus fragiles, en manque de repères se laissent attraper comme des mouches par l'illusion communautariste de force, de chaleur, de protection et de sens même s'ils sont condamnés à n'être que des Rebels without a cause. Certains deviennent accro, des fanatiques, et l'expérience dérape complètement dans le chaos et la violence contre tous ceux qui n'adhèrent pas au groupe et â ses règles. La fin sombre dans le grotesque hélas (conséquence de portraits individuels trop souvent dessinés à la truelle) mais heureusement, les dernières images plus intéressantes montrent qu'une prise de conscience semble se faire jour dans l'esprit de ce professeur bien trop léger dans ses actes et aux motivations troubles (frustrations, désir de revanche et de gloire).

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Storytime

Publié le par Rosalie210

Terry Gilliam (1968)

Storytime

Storytime fait écho à la série anglaise « Don’t Adjust Your Set » (1967-1969) pour laquelle Gilliam a effectué de nombreuses animations du même genre, et annonce en même temps les sketchs animés qui ponctueront « Monty Python’s Flying Circus », série culte de la première moitié des années 70.

Storytime se compose de trois segments d'animation complètements déjantés qui annoncent l'oeuvre à venir, surréaliste, engagée, poétique, azimutée, sarcastique et iconoclaste. Si tous trois sont remarquables, mon préféré est le troisième, saccage jouissif de l'imagerie empreinte de religiosité naïve des cartes de vœux traditionnelles. On y voit les biches et les anges se faire massacrer, le traîneau du père Noël se faire poursuivre par une horde d'indiens, ce dernier kidnapper les enfants ou leur reprendre leurs jouets, les rois mages perdre le nord etc. Le tout dans un emballage des plus sarcastiques. Outre une virulente satire morale et religieuse, on peut discerner dans ce segment iconoclaste son goût pour le détournement des institutions, des traditions, des légendes et des contes. Les deux autres segments semblent encore plus absurdes mais parlent en réalité d'inégalités voire de lutte des classes. Le premier joue sur deux échelles et deux techniques différentes d'animation (dessin crayonné et collage) pour mettre en relation la vie d'un cafard et celle des êtres humains qui les écrasent. Le deuxième qui mêle également ces deux techniques nous raconte une histoire de mains et de pieds qui s'émancipent de leurs maîtres mais qui reproduisent leurs inégalités sociales, les premières snobant les deuxièmes considérés comme inférieurs. Ajoutons que le passage d'un segment à l'autre se fait sans solution de continuité. On saute du coq à l'âne ce qui renforce le caractère absurde de l'ensemble (cela fait penser au générique de Sacré Graal).

Les influences de Gilliam qui s'expriment ici vont de Harvey Kurtzman (Mad Magazine) aux photomontages dadaïstes de John Heartfield en passant par Stan van der Beek et son film d'animation sarcastique et surréaliste Death Breath. Gilliam deviendra lui-même une influence majeure de la série South Park et il participera lui-même à un épisode. En France, la filiation de Gilliam se situe pour l'aspect poétique plutôt chez Caro et Jeunet et pour l'aspect absurde et satirique chez Dupontel (il appaaît dans plusieurs de ses films). Des films en prise de vue réelle mais qui ont un indéniable aspect cartoonesque.

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