"Mon Crime" est une pièce de théâtre boulevardière des années 30 exhumée et remise au goût du jour "Metoo" par François OZON, un spécialiste du genre ("8 Femmes" (2002), "Potiche") (2010). Le résultat est un exercice de style divertissant dans lequel un aéropage de grands acteurs français se déchaîne: chacun en fait des tonnes en savourant avec gourmandise les bons mots des dialogues. Les héroïnes jouées par deux actrices pleine d'espoir (Rebecca MARDER et Nadia TERESZKIEWICZ) ne sont pas en reste dans l'art du cabotinage. L'argument de départ fait référence à l'affaire Harvey WEINSTEIN, sa victime revendiquant son meurtre pour se faire de la pub et accéder à une carrière d'actrice. Mais elle doit composer avec la véritable meurtrière, une ancienne gloire du muet (Isabelle HUPPERT) qui espère retrouver le haut de l'affiche. Autour d'elles, un défilé de figures masculines plus truculentes les unes que les autres, de l'avocat général joué par Michel FAU au juge d'instruction (Fabrice LUCHINI) ou à l'architecte dandy joué par Dany BOON qui prend un accent marseillais à même de casser son image de "ch'ti". Quant à François OZON, il s'amuse beaucoup avec les références cinématographiques, reconstituant les diverses versions du meurtre à la manière de "Rashômon" (1950), en couleur ou en noir et blanc, en version parlante ou en version muette, triturant une fois de plus l'un des films les plus célèbres de son icône, Rainer Werner FASSBINDER (après "Peter von Kant" (2022), "Les larmes amères de Marie-Antoinette"!), reconstituant un plan de l'usine de "À nous la liberté" (1931) pour le directeur joué par André DUSSOLLIER, citant à qui mieux mieux Danielle DARRIEUX que l'on entend chanter et que l'on voit jouer dans "Mauvaise graine" (1934), le premier film de Billy WILDER tourné en France à l'époque où est censé se dérouler le film. Il va même jusqu'à placer dans la bouche de ses héroïnes un extrait de "Le Mariage de Figaro".
Cette comédie policière menée à un rythme effréné fait donc passer un agréable moment. On s'amuse bien mais une fois le film terminé, il n'en reste pas grand-chose. En effet, comme tout est traité sur le mode de la farce, rien de substantiel ne peut subsister de tout ce théâtre un peu vain.
J'ai vu plusieurs fois "Raging Bull" qui entretient des rapports assez étroits avec mon film préféré de Martin SCORSESE, "Taxi Driver" (1976): un personnage (interprété par un Robert De NIRO hallucinant de jusqu'au-boutisme) disons-le poliment pas très équilibré dans sa tête, ni dans son corps (la goinfrerie en lieu et place de l'insomnie) qui a tendance à parler à son reflet plus qu'à un autrui avec lequel il ne sait pas communiquer en vient à exorciser son mal-être dans une orgie de violence cathartique. Comme Travis Bickle, Jake La Motta est un grand malade dont la jalousie et la paranoïa détruisent tout sur leur passage y compris lui-même. Le film -et c'est une des raisons pour laquelle il est si admirable quand bien même son personnage principal a un comportement détestable- établit un continuum d'une fluidité et d'une limpidité parfaite entre sa vie et "le noble art", le ring de boxe étant un substitut du théâtre dans lequel les instincts primaires du taureau enragé peuvent se déchaîner sans retenue contre des hommes vus comme autant de rivaux à neutraliser ou au contraire pour "expier" par la souffrance tout le mal fait à soi-même et aux autres. Ce continuum est en effet également celui de la chair et de l'âme. La bestialité et la stupidité de Jake La Motta qui fait vivre un enfer à sa femme Vickie (Cathy MORIARTY) et à son frère Joey (Joe PESCI) pour un mot ou pour un geste interprété de travers, qui ne sait pas gérer ses émotions autrement que par la violence et dont le discernement est tellement altéré qu'il finit en prison (comme il aurait pu finir à la manière de Leonardo DiCAPRIO dans "Shutter Island" (2009) dans un asile) est pourtant aussi une âme en peine qui cherche une issue à sa propre tragédie. La dimension religieuse voire mystique de Raging Bull éclate dès le générique avec son noir et blanc somptueux et son ralenti en phase avec la musique inoubliable extraite de "The Cavalleria Rusticana" de Pietro Mascagni. Les italiens ont le sang chaud mais savent manier la corde lyrique mieux que personne et le vrai Jake La Motta comme Martin SCORSESE a grandi à Little Italy. Comme lui, il a connu les sommets de la gloire et les tréfonds de la déchéance avant de s'en sortir par le biais de l'art. Le ring de boxe était déjà une métaphore de la scène mais c'est en tant qu'artiste de stand up dans une boîte de nuit que Jake La Motta a trouvé une forme de rédemption. Nul doute que Leos CARAX s'est souvenu de lui pour créer Henry McHenry, son artiste de stand up jaloux et violent scruté par les flashs des photographes, vêtu comme un boxeur et surnommé "le gorille de dieu" dans "Annette" (2019).
Le documentaire consacré à Sidney Poitier commençait par "Il a été le premier". Celui consacré à Jane Campion aurait pu en faire de même. Car comme l'acteur américain, premier noir a avoir reçu l'Oscar du meilleur acteur, la réalisatrice néo-zélandaise fait figure de pionnière et d'exception. Son statut de première et seule femme (jusqu'en 2021) à avoir reçu la Palme d'Or à Cannes (et encore, elle conserve toujours l'exclusivité d'être la seule à avoir gagné deux Palmes, ayant décroché en 1986 celle du meilleur court-métrage pour "Peel, exercice de discipline") se double du fait qu'elle a été seulement la troisième femme à recevoir un Oscar pour l'une de ses réalisations: "The Power of the dog" en 2022 (après Kathryn Bigelow en 2010 et Chloe Zhao en 2021). Quelques années auparavant, elle avait lors de cette même cérémonie souligné de manière frappante la disparité entre réalisatrices et réalisateurs dans les nominations (5 contre plus de 300) et les victoires (1 contre 70). Depuis on est passé à 7 et 3, les deux dernières nominées ayant gagné mais le chemin est encore très long avant qu'on puisse parler d'équité.
Le film d'ailleurs évoque quelques unes des raisons qui expliquent la rareté des femmes réalisatrices. Un monde dans lequel les hommes se cooptent entre eux et où les équipes de techniciens, elles aussi majoritairement masculines ne tolèrent pas d'être dirigées par une femme. Jane Campion a subi à ses débuts quand elle n'était pas encore reconnue internationalement et manquait d'assurance des humiliations et des tentatives de déstabilisation de la part de certains d'entre eux qui cherchaient à lui imposer leur "mansplaining" c'est à dire lui apprendre à faire son métier alors que la suite a montré qui était la patronne ^^.
Mais le documentaire de Julie Bertuccelli (qui est fascinée par les femmes artistes exceptionnelles) s'intéresse surtout à la filmographie de Jane Campion que l'on voit en tournage ou en entretien à toutes les étapes de sa carrière. Ayant réalisé peu de films en 35 ans (huit longs métrages pour le cinéma, une poignée de courts-métrages, un téléfilm et deux mini-séries dont les deux saisons de son remarquable "Top of the Lake"), il est possible de s'attarder longuement sur eux et de mettre en évidence leurs points communs. Des portraits de femme fortes et marginales, des hommes qui échappent aux canons de la virilité dominante, une connexion particulièrement forte entre les êtres humains et une nature grandiose, une sensualité et un lyrisme puissant, une attention aux détails signifiants et aux plans d'ensemble qui le sont tout autant, une oscillation entre l'épure et le maniérisme sont quelques uns des traits les plus saillants de son oeuvre. La création et la folie sont également des thèmes structurants, notamment dans ses deux plus beaux films, "Un Ange à ma table" et "La leçon de Piano" qualifié de "Hauts de Hurlevents" néo-zélandais.
"Distant Voices, still lives", le premier long-métrage de Terence DAVIES sorti en 1988 était invisible depuis plus de trente ans en France. Il ressort le 22 mars 2023 au cinéma dans une copie restaurée grâce à Splendor Films, spécialisé dans la distribution de films de patrimoine.
Né en 1945 à Liverpool, Terence DAVIES s'est fait connaître avec trois courts-métrages réunis sous le titre "The Terence Davies Trilogy" avant de se lancer dans le long-métrage. Son style a été qualifié de "réalisme de la mémoire". "Distant Voices, still lives" est en effet un film largement autobiographique, une sorte d'album de souvenirs composé de vignettes sépia reliées les unes aux autres par des associations d'idées et non par la chronologie. L'absence de linéarité de la narration n'est pas un problème dans la mesure où la famille de la working-class britannique des années 40-50 que décrit Terence DAVIES (et que l'on devine être la sienne) se caractérise par son immobilité. Si les événements décrits s'étendent sur plus d'une décennie, ils s'apparentent à des rituels (mariages, naissance, enterrement, soirée au pub, noël etc.) autour d'un lieu immuable: la maison familiale qui elle aussi n'est visible que par fragments figés. La séquence introductive avec son plan fixe sur l'escalier de la maison puis au terme d'une rotation de la caméra, sur la porte d'entrée où on entend parler puis chanter le frère et ses soeurs mais sans les voir permet de comprendre que Terence DAVIES établit une dissociation qui se poursuivra tout au long du film entre une image la plus figée et carcérale possible, nombre de plans faisant penser à des tableaux et une bande-son au contraire où s'exprime librement l'âme des personnages, non par la parole (rare) mais par le chant. Il est d'ailleurs significatif de souligner que le seul personnage privé de chant dans le film est le père (Peter POSTLETHWAITE) qui se caractérise par sa violence et son imprévisibilité, faisant régner l'arbitraire et parfois la terreur dans la famille en dépit de quelques moments de tendresse. Même décédé prématurément, l'ombre de ce père se fait sentir sur les enfants devenus adultes qui ne parviennent pas à voler de leurs propres ailes, l'une des filles reproduisant partiellement dans son couple le modèle parental vécu dans son enfance. "Distant Voices, still lives" est un film d'oiseaux en cage avec un titre qui évoque l'écho lointain du souvenir et sa nature morte.
Photo prise le 8 mars 2023 au Champo lors de l'avant-première de la ressortie du film, en présence du réalisateur (à droite).
Il y a une dizaine d'années, une collègue m'avait prêté le coffret DVD Carlotta de quatre mélodrames allemands réalisés par Douglas SIRK à l'époque où il travaillait pour la UFA et se nommait Detlef SIERCK. Sortis entre 1935 et 1937 ces films en noir et blanc préfigurent les mélodrames flamboyants qu'il réalisera à Hollywood. A ceci près qu'il leur manque une profondeur déchirante que l'on peut mettre en relation avec l'histoire personnelle de Douglas Sirk qui en migrant aux USA pour échapper à la mise sous tutelle de la UFA par les nazis avec sa seconde femme juive a dû laisser en Allemagne son fils né d'un premier mariage avec une femme devenue ensuite une nazie fanatique et qui réussit à couper tout contact entre son ex-mari et leur fils devenu lui-même nazi qui fut tué en 1944 sur le front de l'est.
"La Habanera" est donc le dernier des sept films allemands que tourna Sirk avant de quitter l'Allemagne. Ce n'est pas le plus réussi, d'ailleurs je n'en avais gardé aucun souvenir. Il y a une belle photographie, de belles chansons mais l'histoire est assez manichéenne, opposant des suédois technologiquement avancés (notamment en médecine) aux habitants de l'île de Porto-Rico dépeints comme des sauvages arriérés par la tante de Astrée (Zarah LEANDER aux faux airs de Greta GARBO et qui avait déjà joué pour Sirk dans "Paramatta, bagne de femmes") (1937). S'y ajoute le comportement machiste et rétrograde du mari d'Astrée, Don Pedro de Avila (Ferdinand MARIAN) qui règne en maître sur l'île. Heureusement, le personnage d'Astrée apporte une nuance bienvenue parce qu'elle tombe amoureuse de l'île qui lui semble être un paradis. Certes, dix ans après, la tyrannie de Don Pedro lui fait reconsidérer Porto-Rico comme un enfer dont elle rêve de s'échapper pour retourner en Suède avec son fils. Mais lorsqu'elle parvient finalement à partir, elle éprouve des regrets qui renvoient à son choix initial. Il faut dire qu'idéologiquement, la Suède est un avatar de l'Allemagne nazie. Bien que neutre pendant la seconde guerre mondiale, elle s'aligna sur les lois raciales nazies et on sait que le pays pratiqua une politique de stérilisations forcées destinées à préserver la "pureté de la race nordique" des années 30 jusqu'aux années 90. Quant à Porto-Rico (en réalité Ténérife dans les îles Canaries appartenant à l'Espagne alors en guerre civile entre Franco soutenu par les nazis et les Républicains), il s'agit d'une allégorie de la Pologne, envahie deux ans plus tard par l'Allemagne.
"Bienvenue Mister Chance" n'est pas qu'une satire grinçante sur l'inanité du pouvoir et des médias. C'est avant tout une fable philosophique qui fait penser à la conclusion du Candide de Voltaire, "cultivons notre jardin" à ceci près que le Candide de l'histoire est également l'idiot qui depuis des temps immémoriaux remet sur le droit chemin une société qui a perdu le nord. Chance (Peter SELLERS dans son dernier grand rôle) est donc une sorte de "bouffon du roi" moderne. Elevé à l'abri du monde dont il ne connaît que le reflet déformé par les écrans de télévision, il lui oppose un esprit et un corps impénétrables à la manière de Buster KEATON ou de certaines figures du cinéma de Robert BRESSON. Une vraie muraille devant laquelle hommes et femmes viennent se casser les dents. Il est assez jouissif de voir le contraste entre la simplicité de Chance qui n'a aucun mystère pour la gouvernante noire qui l'a élevé et le considère comme un attardé mental et l'incapacité des plus hautes instances soi-disant supérieures à le déchiffrer. Avocats, médias, politiques, médecins et services de renseignements se perdent en conjectures à son sujet, l'homme sorti de nulle part et détaché de tout n'offrant aucune prise à leurs efforts pour le cerner. Par conséquent il devient objet de fascination, voire d'adulation. Tout le monde y projette ses désirs, ses fantasmes. Le moindre de ses (rares) mots devient parole d'évangile ou prophétie. En se contentant d'exister (le titre en VO est "Being There") pour le seul bonheur de voir pousser ses plantes, Chance "Gardener" remet le monde sur des bases qu'il n'aurait jamais dû quitter. Pas étonnant qu'il marche sur l'eau: C'est un ange (comme "Tistou les pouces verts"). On appréciera particulièrement son avènement au son d'un "Ainsi parlait Zarathoustra" étrangement remixé. Car si le dépassement de l'homme par l'homme a 4 ans d'âge mental, c'est que quelque chose cloche quelque part.
Arrivant à a suite d'une série de films sur le cinéma, "Empire of light" est celui que j'ai le moins aimé, en raison de son histoire sans doute trop ténue et de son rythme un peu mou du genou. Contrairement à "Babylon" (2021) et à "The Fabelmans" (2022), le cinéma n'est pas la substance même du film mais seulement un décor, somptueux mais décrépi, celui de l'Empire, un gigantesque paquebot Art Déco qui au début des années 80 (époque où se déroule le film) n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. Une sorte de "The Grand Budapest Hotel" (2013) du septième art dont on sait qu'il était un hommage à "Le Monde d'Hier" de Stefan Zweig. L'Empire aurait mérité d'être un personnage à part entière du film comme peuvent l'être en France Le Louxor et Le Grand Rex qui ont été sauvés de la démolition par Jack Lang qui les a fait classer tous les deux en 1981 à l'inventaire des monuments historiques. Las, Sam MENDES préfère plaquer sur ce décor hors du temps des sujets de société actuels (les abus sexuels, la violence raciste traités sans aucune subtilité) plutôt que de s'y intéresser vraiment. C'est d'ailleurs significatif, les personnages qui travaillent à l'Empire ne vont pas voir les films qui y sont projetés: un comble pour un cinéma art et essai! Et quand finalement, le personnage joué par Olivia COLMAN s'y résout, on peut mesurer le gouffre qui sépare Sam MENDES d'un Woody ALLEN qui dans ces mêmes années 80 a brillamment démontré à travers le merveilleux "La Rose pourpre du Caire" (1985) le pouvoir magique du cinéma, capable même dans "Hannah et ses soeurs" (1986) de sauver la vie. Alors que l'on sait pourquoi Woody Allen va voir "La Soupe au canard" (1933) (il rend hommage à Groucho MARX dans quasiment chacun de ses films, faisant de lui l'une de ses figures tutélaires, à l'égal d'un Ingmar BERGMAN ou d'un Federico FELLINI), on ne comprend pas pourquoi le projectionniste (Toby JONES, lui aussi condamné à débiter des platitudes) diffuse "Bienvenue Mister Chance" (1979) sinon peut-être en raison de sa maxime inscrite sur la tombe de Peter SELLERS "la vie est un état d'esprit". le film de Sam MENDES en manque cruellement.
"Le Dossier 51" s'inscrit dans le genre du thriller d'espionnage paranoïaque typique de la guerre froide, tel que "Conversation secrète" (1974)Le Voyeur" (1960). Mais d'une certaine manière, "Le Dossier 51" est un film d'horreur. Il s'agit d'une enquête menée par un service de renseignements appartenant à un pays étranger pour disséquer la vie d'un diplomate qu'elle souhaite faire chanter. Dès le générique, on est fixé sur le fait que les machines se sont substitué aux hommes et qu'elles ont pour fonction d'enregistrer les moindres faits et gestes de l'individu ainsi que de l'ensemble de son entourage. La caméra subjective est particulièrement appropriée en ce qu'elle donne l'impression que les agents sont de pures caméras enregistreuses ce qui place le spectateur dans une position inconfortable. En dehors de l'appât du gain, on se demande d'ailleurs ce qui peut pousser des hommes et des femmes à s'aliéner au point d'avoir des relations sexuelles sur commande ou bien même, d'envisager de mettre enceinte leur cible pour mieux en prendre le contrôle. On est frappé et de plus en plus mal à l'aise devant le contraste entre la pénétration de plus en plus profonde de l'intimité du sujet et la manière totalement impersonnelle et inhumaine dont cette investigation s'accomplit. On redoute l'effet dévastateur de ces intrusions. Ce que les agents sont incapables d'envisager tant ils se comportent comme de simples rouages d'une procédure dans laquelle le sujet est réduit à une silhouette plus ou moins floue. C'est peut-être ce qui explique l'insuccès du film auprès du public. Contrairement à "La Vie des autres" (2006), le spectateur n'a rien à quoi se raccrocher.
A travers l'adaptation (qui était réputée impossible) du roman de Gilles PERRAULT qui a co-scénarisé le film (scénario justement primé aux César), Michel DEVILLE met à jour une deshumanisation qui touche aussi bien l'homme ciblé par les services secrets que ses membres, eux aussi réduits pour la plupart à des numéros (et interprétés par des inconnus qui pour certains, deviendront célèbres comme Christophe MALAVOY ou Patrick CHESNAIS). "Le Dossier 51" renvoie donc in fine à l'histoire. Non pas celle de la guerre froide mais celle des deux guerres mondiales qui ont effacé l'être humain en industrialisant la mort et d'où provient le secret de famille qui va détruire Dominique Auphat par machines interposées.
Avec "The Fabelmans" (équivalent patronymique de "Spielberg", la fable ayant remplacé la pièce de théâtre), Steven SPIELBERG a réussi la fusion entre le cinéma et l'intime et nous gratifie d'une recréation de ses jeunes années via le prisme du septième art pour lequel le jeune Samuel Fabelman (Gabriel LABELLE) s'avère particulièrement doué. Mais ce don est montré comme ambivalent, son oncle l'a prévenu en ce sens "ça va te déchirer". C'est déjà le cas dans l'introduction où Samuel enfant s'initie au maniement d'une caméra pour filmer le déraillement d'un train électrique et ainsi, conjurer sa peur du premier film qu'il a vu "Sous le plus grand chapiteau du monde" (1953). On peut y voir aussi un clin d'oeil aux origines du cinéma, quand "L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat" (1896) effrayait les spectateurs qui croyaient que le train fonçait réellement sur eux. Perçu comme art de l'illusion, le cinéma s'avère cependant pour Samuel être exactement l'inverse, le médium de la connaissance qui l'expose prématurément à découvrir la vérité sur sa famille. Nul doute que la séquence dans laquelle il effectue le montage d'un film de vacances pour faire plaisir à ses parents restera dans les annales. Il en offre en effet deux versions: l'une, consensuelle, pour son père et l'autre, plus dérangeante, pour sa mère. Car en visionnant les rushes, il découvre à l'arrière-plan, les images d'un secret de famille qu'il n'aurait pas dû voir (le changement de couleur de ses yeux serait dû à cette révélation). Cette scène-clé fait penser à celles de "Blow-up" (1966) et "Blow Out" (1981) à ceci près qu'il ne s'agit pas de découvrir un crime mais la vérité sur sa mère (Michelle WILLIAMS), pianiste douée mais qui a dû se contenter d'en faire un "hobby" pour reprendre l'expression du père (Paul DANO) afin de le suivre avec ses enfants au gré de ses promotions. Une vie de femme au foyer pour laquelle elle n'est guère faite (sa phobie de la vaisselle en témoigne), qui la plonge dans la mélancolie (pour ne pas dire la dépression) et qu'elle ne supporte que grâce à l'adultère, du moins tant que celui-ci est possible. Quand il ne l'est plus, c'est le divorce. Autre traumatisme que Samuel parvient à transcender par son art: l'antisémitisme. En filmant l'athlète aryen qui le persécute à la manière de Leni RIEFENSTAHL dans "Les Dieux du stade" (1937), il parvient à le désarmer. Enfin, la boucle est bouclée quand Samuel fait la rencontre du "plus grand cinéaste de tous les temps" qui en fait est présent en filigrane depuis le début du film, notamment quand Samuel tourne avec ses amis scouts des séquences de westerns: John Ford. Interprété (savoureusement) par David LYNCH, celui-ci dispense une leçon de cinéma au jeune Samuel dont le vieux Spielberg saura se souvenir en recadrant son plan vers de nouveaux horizons ^^.
"La lutte des classes" part d'une excellente idée: faire une comédie satirique sur les contradictions des bobos de gauche écartelés entre la tentation grégaire de mettre leurs enfants à l'école privée et leurs idéaux de justice sociale. Le scénario s'appuie en effet sur une réalité: celle d'une école à deux vitesses, le privé concentrant de plus en plus les élèves de milieu favorisé, particulièrement dans les grandes villes. Une ghettoïsation sociale que Michel LECLERC et Baya KASMI ont vécu et qu'ils nous font ressentir à travers leur couple mixte formé par Paul, un vieux rockeur punk (Edouard BAER) et une brillante avocate d'origine maghrébine, Sofia (Leïla BEKHTI) qui se retrouvent dans une situation de plus en plus intenable au fur et à mesure que leurs amis retirent leurs enfants de Jean Jaurès, l'école primaire publique du quartier de Bagnolet où ils habitent, pour les mettre à Saint-Benoît, l'école privée catholique. Un mal-être qui les met sous pression au point de harceler leur gamin et d'envisager tous les contournements possibles de la carte scolaire, l'option "école privée" étant impossible à cause du sulfureux passé de Paul vis à vis de la religion catholique, symbolisé par un clip compromettant (la scène la plus hilarante du film).
Hélas, Michel LECLERC et Baya KASMI ratent leur cible en sombrant dans la caricature. Chaque personnage est réduit à son origine ethnique, religieuse et sociale si bien qu'on assiste à un affrontement assez consternant entre d'un côté Sofia et Paul et de l'autre, des mères musulmanes forcément voilées et réac alors que du côté des enfants, Corentin, estampillé "seul blanc de la classe" se fait discriminer par tous les autres, comme s'ils ne formaient qu'un seul bloc. En d'autres termes, la satire de la bourgeoisie se transforme, faute de subtilité, en alignement de poncifs dignes de ceux qu'affectionne l'extrême-droite. Même gros sabots en ce qui concerne le comportement de l'institutrice (Baya KASMI) qui parle comme si elle avait avalé le dictionnaire du jargon de l'éducation nationale: celui-ci est destiné au personnel et non aux élèves qui seraient bien étonnés d'être des "apprenants".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.