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Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Publié le par Rosalie210

VI

Le vent se lève

L'une des plus belles et aussi des plus terribles images de "Les Ailes du désir": la grâce et la mort peuvent également tomber du ciel.

L'une des plus belles et aussi des plus terribles images de "Les Ailes du désir": la grâce et la mort peuvent également tomber du ciel.

« Un vent d’est se lève néanmoins, Watson, un vent d’est tel qu’il n’en a jamais soufflé encore sur toute l’Angleterre. Il sera froid et mordant, Watson, et bon nombre d’entre nous n’aurons pas le bonheur d’assister à son accalmie. Mais c’est un vent divin, et des contrées plus saines, meilleures, plus fortes scintilleront sous le soleil quand la tempête aura passé. » (Son dernier coup d'archet, Conan Doyle).

Le "vent d'est" dont il est question c'est la première guerre mondiale qui s'annonce en toile de fond de la nouvelle de Conan Doyle. Mais la guerre est également présente par le biais de Watson qui en tant que médecin militaire a participé aux guerres menées par ce qui était alors le plus grand Empire colonial du monde à la fin du XIX° siècle. Dont celle d'Afghanistan qu'il est facile de transposer de nos jours (avec les américains à la place des anglais). Une façon de rappeler à quel prix les pays occidentaux ont construit leur suprématie sur le monde.

Watson blessé à l'épaule en ouverture de l'épisode spécial (en écho à l'épisode 1 dans lesquels il fait des cauchemars).

Watson blessé à l'épaule en ouverture de l'épisode spécial (en écho à l'épisode 1 dans lesquels il fait des cauchemars).

La métaphore du vent pour désigner la guerre se retrouve aussi dans le film de Hayao Miyazaki "Le Vent se lève" (2013) qui se situe dans l'entre-deux-guerres puis pendant la seconde guerre mondiale. Les avions (passion de Miyazaki), vecteurs de rêve se mettent alors à semer la mort et la désolation. Une ambiguïté qui traverse d'ailleurs toute son oeuvre depuis "Le Château dans le ciel" (1986). Celle-ci fait toujours la part belle aux engins volants de toutes sortes sans jamais dissimuler la part de noirceur qu'ils véhiculent lorsqu'ils sont utilisés à des fins destructrices. Néanmoins "Le Vent se lève" est avec "Porco Rosso" (1992), le plus ancré dans l'Histoire.

Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).
Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).

Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).

Un autre film célèbre, Palme d'Or 2006 porte en VF le même titre et traite également de la guerre. En VO, il s'intitule "Le vent qui agite l'orge" ("The Wind That Shakes the Barkey") d'après une complainte irlandaise du XIX° siècle évoquant la capacité de la résistance irlandaise à toujours renaître pour lutter contre l'oppresseur britannique. "Le Vent se lève" de Ken Loach évoque la guerre d'indépendance irlandaise puis la guerre civile qui la suivit lorsque les irlandais se déchirèrent entre ceux qui acceptaient le traité avec les britanniques en pensant obtenir des avancées ultérieurement et ceux qui refusaient tout compromis avec en toile de fond la lutte des classes derrière la guerre de décolonisation religieuse et nationaliste. Comme lors des révolutions (française et russe), il est ainsi désolant de voir des frères (d'armes ou des frères tout court) qui ont combattu pour un noble but commun tellement pris dans l'engrenage de la violence que le moindre désaccord idéologique est aussitôt noyé dans le sang du plus faible (du moment) qui devient le nouveau "traître" à abattre tandis que les plus beaux idéaux dévoilent leur visage hideusement inhumain ("Liberté, que de crimes on commet en ton nom").

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Les pays vaincus à la fin de la seconde guerre mondiale ont été entièrement rasés par les bombardements. C'est le cas du Japon et de l'Allemagne. Billy Wilder qui avait vécu à Berlin entre 1926 et 1933 y était revenu dès l'automne 1945 en tant que colonel de l'armée américaine puis en 1948 pour y tourner "La scandaleuse de Berlin" et avait pu filmer l'ampleur des dégâts:

" Quand l'avion a atteint la ville qui avait autrefois été la mienne, je n'en ai pas cru mes yeux. Elle était en ruine. [...] Le Romanisches Café? Disparu. Le bureau des studios Ufa sur la Friedrichstrasse? Disparu. Partout des ruines, et encore quelques personnes ici et là qui tentaient de survivre, comme des animaux. Il n'y avait pas eu d'été aussi chaud depuis des années et la ville empestait. Elle empestait les gens en train de mourir. Elle empestait les cadavres."

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 217).

L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.

L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.

 "Les Ailes du désir" rappellent par flashs à l'aide d'images d'archives ce passé d'autant plus traumatique qu'en 1987 à cause du mur qui coupait la ville en deux, le centre de Berlin n'avait toujours pas été reconstruit et portait les stigmates de ce passé avec des terrains vagues et de nombreuses ruines laissées en l'état. Vient s'y ajouter le tournage d'un film sur la seconde guerre mondiale qui explique la présence de Peter Falk (qui est d'origine juive). Et surtout le témoignage de Curt Bois, acteur juif allemand ayant dû s'exiler en 1934 dans le rôle de l'historien Homer qui tente de se remémorer le passé détruit par les bombes en se rendant dans ce qui était avant-guerre le centre de Berlin, la Potsdamer Platz où il n'observe que désolation:

" Je ne retrouve pas Potsdamer Platz! Non, je crois, ici... Ca ne peut pas être ça! Potsdamer Platz, c'est là qu'il y avait le café Josti. J'y venais l'après-midi faire la conversation, prendre un café et regarder le public, après avoir fumé mon cigare chez Löhse et Wolff, marchands de tabac réputés, ici, juste en face. Donc ça ne peut pas être Potsdamer Platz, non! Et personne à qui demander. C'était une place animée! Des tramways, des omnibus à chevaux et deux autos, la mienne et celle du chocolatier. Le magasin Wertheim aussi était ici. Et puis, soudain, des drapeaux sont apparus... Toute la place en était couverte. Et les gens n'étaient plus du tout aimables, la police non plus. Mais je n'abandonnerai pas tant que je n'aurai pas retrouvé Potsdamer Platz! Où sont mes héros, où êtes-vous mes enfants? Où sont les miens, les obtus, ceux des origines?"

"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)

"Les Ailes du désir" (1987)

Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)

Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)

En 1945, Billy Wilder a également réalisé un film documentaire sur les camps de concentration, "Death Mills" ("Les Moulins de la mort") au moment de leur découverte. Le visionnage des archives a constitué une terrible épreuve pour lui en ce qu'elles lui ont fait comprendre qu'il ne retrouverait jamais les siens, laissés en arrière lors de son exil en 1933:

"Qu'en était-il du reste de ma famille? C'était ça qui m'empêchait de dormir depuis quelques années - ou me donnait des cauchemars, quand je parvenais à dormir. Et je parle de véritables cauchemars. Le genre qui vous réveille en sursaut, couvert de sueur. [...] Pourquoi n'avais-je aucune nouvelle de ma mère? Etait-elle toujours à Vienne? Elle était censé y être. Mais je n'avais plus de ses nouvelles depuis des années. Rien. Je lui avait écrit, mais personne ne répondait jamais à mes lettres. Je lui avais téléphoné, mais personne ne décrochait jamais. [...]

- Pourquoi tu t'infliges ça? Pourquoi rester assis dans cette salle toute la journée à regarder ses scènes... d'horreur?

[...]

- Je cherche ma mère. [...] Ma mère, ma grand-mère et mon beau-père pour être tout à fait précis.

- Mais... tu regardes ces images tous les jours, ces images de cadavres, de corps décharnés, en espérant les voir, eux?

- "Espérer" n'est pas vraiment le terme que j'emploierais. "

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi pages 185, 203, 204)

Billy Wilder ne risquait pas de les retrouver parmi les cadavres. En raison de la confusion entre les lieux de concentration et d'extermination (tout particulièrement à Auschwitz-Birkenau), il ne savait pas que des siens, il ne restait plus que des cendres.

Death Mills (1945)

Death Mills (1945)

"- Iz m'a raconté une fois que vous vouliez adapter La liste de Schindler au cinéma.

- Exact

- Vous l'avez vu?" Demandai-je. La version de Spielberg était sortie trois ans plus tôt.

Billy opina et retomba dans le silence un long moment. Puis il dit " Oui, oui, je l'ai vu. Je l'ai regardé une fois. Je ne supporterais pas de le revoir. Je pense que c'est un des... des plus grands films  qui soient. Le plus grand de tous. Mieux que tout ce que j'aurais pu réaliser. [...]

- Je me souviens que vous m'avez dit une fois que Spielberg et les autres de son âge ne pourraient jamais vraiment réaliser de films sérieux parce qu'ils n'avaient pas vécu ce que vous, vous avez vécu. Les gens de votre génération. Les deux guerres.

Il leva les yeux

- J'ai dit ça?

J'acquiesçai.

- Et bien, c'étaient des conneries."

Avec ce film, c'est aussi un malentendu générationnel qui se dissipe. Car dix-huit ans plus tôt, Steven Spielberg avait rencontré le succès avec "Les Dents de la mer" ce qui avait conduit Billy Wilder à conclure que celui-ci faisait dans les gros poissons et pas dans l'être humain comme lui.

Lorsque j'ai écrit un avis sur "La Chute" ("Der Untergang" d'Oliver Hirschbiegel, 2004) consacré aux derniers jours de Adolf Hitler dans son bunker, voici les propos que j'ai tenus: "Bruno GANZ aura incarné au cinéma pour le meilleur et non pour le pire le meilleur et le pire de l’homme. Qui veut faire l’ange fait la bête disait Blaise Pascal et dans "La Marquise d O..." (1976) de Éric ROHMER, sommet de romantisme chrétien fondé sur la chute et la rédemption mais aussi sur une véritable ambiguïté morale, Edith CLEVER lui disait (lui prédisait ?) qu’il ne lui aurait pas semblé être le diable si à sa première apparition, elle ne l’avait pris pour un ange. Bruno GANZ en véritable « étoile noire » a donc incarné les deux polarités extrêmes de l’être humain, sa part céleste d’une part et la bête immonde tapie en lui de l’autre avec une profondeur proprement sidérante."

L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")
L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")

L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")

En révélant sa part de ténèbres, le comte déstabilise les conceptions rigides du bien et du mal et oblige la marquise à se confronter à ses propres pulsions.

Dans "Les Ailes du désir", quand Damiel s'incarne en homme, il ne chute pas tout de suite. L'empreinte de ses pas devient juste visible. C'est seulement dans un deuxième temps qu'une chute est suggérée par son armure (de soldat de Dieu) qui lui tombe sur la tête alors qu'il est évanoui au sol. En revanche, dans "Si Loin si proche", lorsque Cassiel s'incarne à son tour, c'est pour sauver une petite fille qui tombe du haut d'un immeuble et la caméra suggère bien qu'il s'agit d'une chute vertigineuse. Dans les deux cas, c'est la force de leur désir de s'impliquer dans l'existence (pour le premier, afin de rejoindre la femme qu'il aime et pour le second, de sauver une petite fille) au coeur d'une ville encore malade de son histoire puis en voie de cicatrisation qui les rend humains.

Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.

Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.

Cassiel s'incarne par accident contrairement à Damiel mais c'est bien sa détermination à agir qui le rend humain. Soit la traduction en images de la volonté de puissance de Nietzsche qui n'est que cela et rien d'autre.

Cassiel s'incarne par accident contrairement à Damiel mais c'est bien sa détermination à agir qui le rend humain. Soit la traduction en images de la volonté de puissance de Nietzsche qui n'est que cela et rien d'autre.

Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.

Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.

1987, année de la sortie de "Les Ailes du désir" est aussi l'année du mythique concert for Berlin au pied du mur durant lequel David Bowie qui avait des liens particuliers avec la ville a chanté "Heroes" composé dix ans auparavant alors qu'il y habitait. Les berlinois de l'est n'en perdent pas une miette car le mur n'arrêtait pas les sons au grand dam des autorités. ""Standing by the wall, And the guns shot above our heads , And we kissed as though nothing could fall, And the shame was on the other side." Deux ans plus tard, le mur tombait.

En 2013, dans son avant-dernier album "The Next Day", David Bowie revient avec nostalgie sur l'époque où il vivait à Berlin alors divisé par le mur (fin des années 70) qu'il confronte avec le Berlin réunifié de 2013.

Pour Sherlock, la chute est littérale puisque l'épisode dans lequel il fait "le saut de l'ange" (3° de la saison 2) s'intitule "La Chute du Reichenbach", adaptation de la nouvelle de Conan Doyle "Le dernier problème" dans laquelle Sherlock et Moriarty trouvent la mort. Mais sous la pression des fans (et des éditeurs avec un gros paquet d'argent à la clé), celui-ci décida 3 ans plus tard de ressusciter son héros en lui inventant une histoire abracadabrantesque pour justifier sa longue absence.

 

L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).

L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).

Dans la série, cette chute en forme de mort et de résurrection (mourir pour renaître d'où la référence à Lazare de Béthanie) marque une césure dans la façon dont est traité le personnage. Sommé par John Watson d'assumer la responsabilité d'être son meilleur ami, bref, sommé de s'impliquer dans la vie réelle ordinaire (il était déjà un homme de terrain dans le domaine extraordinaire), il devient ce que Moriarty avait anticipé en le traitant justement avec mépris "d'homme ordinaire". Ou presque. Durant ce long atterrissage (la métaphore de la chute se poursuit jusqu'au dernier épisode de la quatrième saison), Sherlock va devoir faire face aux relations humaines qu'il fuyait, gérer ses émotions sous-jacentes qui se mettent à jaillir de façon incontrôlable et ravagent tout sur leur passage, lutter contre son addiction à la drogue, se libérer de la tutelle de son frère qui à trop le protéger l'empêche de grandir car sa plus grande peur est de le perdre ("ça m'anéantirait" se permet-il de dire en guise de cadeau de noël, seul moment de l'année où Mycroft s'autorise à émettre un sentiment humain ce qui va ensuite lui revenir dans la figure). 

L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).
L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).

L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).

Le discours de Sherlock dans l'épisode 2 de la saison 3 est un moment important de la série. Pendant que Mycroft soigne ses kilos en trop et sa misanthropie bien au chaud dans sa coquille du club Diogène (qui comme son nom l'indique est un non-club, un club par l'absurde), son frère pourtant inadapté social notoire présentant des troubles du spectre autistique (ça se voit tout de suite pour un oeil averti, bien avant que cela soit mentionné dans l'épisode 2 de la saison 2) affronte un public rassemblé pour ce qui est la quintessence de l'événement social: un mariage. Celui de son meilleur ami en l'occurence dont il est le témoin ("best man" en VO ce qui implique qu'il doit devenir "le meilleur des hommes" après avoir été "le meilleur des détectives") et qui l'oblige à prononcer un long discours. C'est ce qui s'appelle se dépasser et ça peut se faire non seulement à l'occasion d'événements exceptionnels, mais aussi au quotidien, je peux en témoigner. Et la rencontre produit cette petite étincelle qui fait que l'un s'humanise au contact de l'autre. 

Après avoir traversé de multiples épreuves dans laquelle les deux hommes ont de nouveau testé la solidité de leur lien comme rempart au désespoir (en mode "je saute, tu me rattrapes"), ils arrivent enfin à se voir tels qu'ils sont à la fin de la 4° saison.

Watson a beau être rongé par le chagrin d'avoir perdu sa femme, le manque de communication entre eux avait fini par conduire celui-ci à en désirer une autre. Cette révélation a pour effet de briser l'image romantique que Sherlock avait de son ami et donc de le voir de façon plus réaliste.

Il en va de même pour Sherlock qui voit sa croyance en sa toute-puissance s'écrouler lorsque sa propension à enfoncer les gens qu'il méprise entraîne la mort de Mary Watson qu'il s'était pourtant juré de protéger. Cette désacralisation se répercute sur son apparence. Très propre sur lui et très hiératique jusqu'au milieu de la saison 3, on voit ensuite de plus en plus les manifestations de son organicité (sueur, tremblements, saignements, vomi, poils etc.)... au fur et à mesure que la facette obscure du junkie en manque c'est à dire du corps en souffrance prend le dessus sur l'esprit déconnecté du réel du détective génial planant dans les hautes sphères de la science ou de la philosophie. La "descente" prend des allures de descente aux enfers. Ce que Watson qui voit lui aussi son ami de façon plus réaliste résume en une formule lapidaire pleine d'ironie: "Le grand Sherlock Holmes va aller pisser dans un bocal" (épisode 3, saison 3).

Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?

Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?

Dans la réalité ce n'est guère mieux.

Dans la réalité ce n'est guère mieux.

Le crash du major Tom 11 ans après "Space Oddity", titre qui prend un nouveau sens lorsque Bowie évoque l'addiction à la drogue de son personnage. Mais le phénix du rock renaît toujours de ses cendres.

Comme Sherlock Holmes, le Comte de Monte-Cristo va perdre de sa superbe en tant que "juge suprême, maître de la vie et de la mort" lorsque son ancien moi, Edmond Dantès, qu'il avait laissé pour mort au château d'If le rattrape. Ses projets de vengeance sur les enfants de ses ennemis se retournent alors contre lui car il découvre que ceux-ci sont inextricablement liés à ceux qu'il aime.

- Il redécouvre par exemple qu'Albert, le fils de Fernand est aussi celui de Mercédès qui a été le grand amour d'Edmond. Il ne peut pas effacer son passé, ni rester insensible à ses sentiments comme le montre le chapitre 89: 

" J’ai vu celui que j’aimais prêt à devenir le meurtrier de mon fils !

Mercédès prononça ces paroles avec une douleur si puissante, avec un accent si désespéré, qu’à ces paroles et à cet accent un sanglot déchira la gorge du comte.

Le lion était dompté ; le vengeur était vaincu.

— Que demandez-vous ? dit-il ; que votre fils vive ? eh bien ! il vivra !

Mercédès jeta un cri qui fit jaillir deux larmes des paupières de Monte-Cristo, mais ces deux larmes disparurent presque aussitôt, car sans doute Dieu avait envoyé quelque ange pour les recueillir, bien autrement précieuses qu’elles étaient aux yeux du Seigneur que les plus riches perles de Guzarate et d’Ophir.

— Oh ! s’écria-t-elle en saisissant la main du comte et en la portant à ses lèvres, oh ! merci, merci, Edmond ! te voilà bien tel que je t’ai toujours rêvé, tel que je t’ai toujours aimé. Oh ! maintenant je puis le dire. [...]

Insensé, dit-il, le jour où j’avais résolu de me venger, de ne pas m’être arraché le cœur !"

- Il en va de même lorsqu'il découvre que Maximilien Morrel, le fils de celui qui a tenté de le sauver quand il n'était qu'Edmond est amoureux de Valentine de Villefort qui a été empoisonnée par sa belle-mère. A nouveau il se sent "mordu au coeur" car c'est lui qui a donné à Mme de Villefort la recette du poison. Il se sent donc responsable du malheur de Maximilien qu'il aime comme un fils car il pense qu'il est trop tard pour sauver la jeune fille. 

- Et effectivement, son autre grande découverte est qu'il n'est pas tout-puissant. S'il parvient à sauver Valentine, c'est uniquement parce que Noirtier a réussi en dépit de son handicap à la protéger jusqu'à ce qu'il prenne le relai. En retour, Valentine l'aide à renouer avec la vie (voir chapitre précédent). En revanche, il ne peut rien pour le jeune fils de Villefort, Edouard, victime innocente de sa vengeance qui le hantera jusqu'à la fin de ses jours. Il n'y a donc pas de retour en arrière possible, seulement un nouvel équilibre obtenu en réunifiant les différentes parties de sa personnalité: il est à la fois redevenu Edmond Dantès tout en restant à jamais le Comte de Monte-Cristo.

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Comme ses congénères Monte-Cristo et Sherlock, Jack Lucas (Jeff Bridges) dans "Fisher King" de Terry Gilliam (1991) pense occuper un trône au-dessus de l'humanité en tant qu'animateur radio cynique dont le studio occupe le dernier étage d'une haute tour. Le titre de SNAP "I've got the power" (également utilisé sur "Bruce tout-puissant" (Tom Shadyac, 2003) ne laisse planer aucun doute sur la nature mégalomaniaque de Jack Lucas. Mais lorsqu'une remarque inconséquente de sa part entraîne un massacre, il perd pied et dévisse, littéralement. 

La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.

La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.

Comme Sherlock, Jack va devoir "ramer" pour conquérir son humanité. Selon le schéma désormais bien établi, il ne peut y parvenir qu'avec l'aide d'un compañero, Parry (Robin Williams), l'une des victimes du massacre, ancien professeur d'histoire médiévale clochardisé et traumatisé. Parry qui s'imagine vivre en plein Moyen-Age et être sur la quête du Graal fait de Jack son héros. Autrement dit il lui confère la même responsabilité que John vis à vis de Sherlock d'autant que dans les deux cas, les deux hommes se sont sauvés mutuellement la vie. Et si la culpabilité est plus écrasante pour Jack qui a sans le vouloir brisé la vie de Parry, elle existe aussi chez Sherlock qui a fait souffrir tous ses amis et se croit responsable de la mort de Mary.

Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.

Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.

Les deux hommes qui partagent un même enfer ne peuvent donc s'en sortir que l'un par l'autre. Jack Lucas ravale sa fierté et devient le chevalier dont Parry a besoin pour guérir (et au passage sauve la vie du milliardaire à qui il a volé la coupe). De même qu'il ravalera sa fierté pour avouer ses sentiments à la femme qu'il aime et partager les idées excentriques de son ami.

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Et puis bien sûr, on ne peut pas clore un chapitre consacré aux anges tombés du ciel sans parler du plus célèbre d'entre eux:

Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)
Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)

Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)

Certaines scènes du film rappellent la fascination de David Bowie (que je partage tout comme son amour pour Berlin) pour le Japon et annonce son futur rôle dans Furyo ("Merry Christmas Mister Lawrence") de Nagisa Oshima (1983).

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Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Publié le par Rosalie210

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

V

Compañeros

Dans "Les Ailes du désir", c'est une rencontre décisive qui va donner à l'Ange Damiel l'élan nécessaire pour se transformer en être humain: sa rencontre avec l'acteur Peter Falk jouant son propre rôle, venu à Berlin pour tourner une fiction sur la seconde guerre mondiale. Pour une raison qui n'est expliquée qu'à la fin du film (à savoir qu'il est lui-même un ex-Ange ce qui semble couler de source pour quelqu'un dont le rôle le plus célèbre ne se différencie de la colombe que d'une seule lettre ^^), Peter Falk ressent sa présence et lui vante le bonheur de savourer les petits plaisirs de l'existence:

" J'aimerais te dire comme on est bien ici. Rien que de toucher quelque chose! C'est froid! C'est bon! Fumer, boire un café. Et faire les deux à la fois, c'est fantastique. Ou dessiner, on prend un crayon et on fait une ligne épaisse, puis une ligne légère, et les deux font une bonne ligne. Ou quand on a froid aux mains, on les frotte l'une contre l'autre, tu vois, c'est bon, ça fait du bien! Il y a tant de bonnes choses! Mais tu n'es pas là - Moi, je suis là. J'aimerais que tu sois là. Que tu puisses me parler. Parce que je suis un ami: compañero!"

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Un moment qui entre parfaitement en résonance avec celui où John Watson à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 de la série "Sherlock" dit sur la tombe de son ami " Tu m'as dit une fois que tu n'étais pas un héros. J'ai parfois pensé que tu n'étais pas humain, mais tu étais le meilleur des hommes, le plus humain des êtres humains que j'aie connus. Personne ne me convaincra jamais que tu m'as menti, voilà. J'étais tellement seul et je te dois tant. Juste une dernière chose, un dernier miracle pour moi. Ne sois pas mort. Pourrais-tu faire ça pour moi? Arrête. Arrête ça."

Outre le fait que Watson souligne le paradoxe des extrêmes que je connais bien (à savoir que ceux qui sont censés ne rien ressentir sont aussi justement ceux qui lorsqu'ils ressentent, ressentent trop) et que sa prière annonce le miracle de la résurrection de Sherlock (que des fans à la foi chevillée au corps peuvent accomplir tout autant que le christ, la série ayant une dimension méta assumée), il souligne le fait qu'il n'y a pas que le pouvoir qui entraîne des responsabilités. C'est exactement la même chose en ce qui concerne l'amour. Par conséquent le premier épisode de la saison 3 n'est pas un retour à la situation antérieure. Parce qu'il était présent lorsque Watson parlait à sa tombe, Sherlock avoue "l'avoir entendu". Ce qui a la valeur d'un engagement irrévocable. Entre hommes d'honneur qui se sont mutuellement sauvés la vie, on ne revient jamais en arrière.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Le mot "Compañero" employé dans "Les Ailes du désir" et sa suite "Si Loin si proche" (1993) pour qualifier les liens qui unissent les Anges ayant décidé d'embrasser la condition humaine signifie à la fois "compagnon" et "camarade". Il appartient au champ lexical du vocabulaire politique espagnol et désigne littéralement "ceux qui partagent le même pain", ceux qui sont soudés par une fraternité, une identité commune forgée notamment dans la lutte contre le fascisme durant la guerre d'Espagne (1936-1939). Ce ne sont pas seulement des convictions qui soudent ces hommes, ce sont aussi les expériences partagées de l'horreur de la guerre et de la proximité de la mort. Par conséquent les liens qui se créent entre eux, à la fois charnels et spirituels, sont bien plus puissants que ceux d'une amitié ordinaire. 

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Plusieurs films de Wim Wenders sont centrés sur l'amitié quasi fusionnelle entre deux hommes embarqués dans un périple soit historico-géographique, soit policier: le méconnu et pourtant magnifique "Au fil du Temps" (Im Lauf der Zeit, 1976), le jouissif et morbide polar inspiré du "Ripley s'amuse" de Patricia Highsmith "L'Ami Américain" (Der Amerikanische Freund, 1977), et bien entendu "Les Ailes du désir" (Der Himmel über Berlin, 1987), proche de "Au fil du Temps" et sa suite "Si Loin si proche!" (In weiter Ferne, so nah!, 1993) qui lorgne davantage du côté du néo-noir. Olivier Père, le directeur général de Arte France Cinéma a trouvé la formule-choc pour définir le duo formé par Rüdiger Vogler et Hanns Zischler dans "Au fil du Temps". Il en parle en effet comme du premier grand couple "hétéro-gay" de la filmographie de Wim Wenders (et il en va de même des autres bien sûr).

Le périple d'un projectionniste ambulant et de l'homme qu'il a recueilli après son accident à la frontière RFA/RDA au début des années 70. Périple lors duquel les deux hommes en apparence opposés découvrent leur fraternité. Le tout sur fond de règlement de comptes avec le nazisme.

"L'Ami américain": Bruno Ganz et Dennis Hopper son "doppelgänger" qui le propulse dans une vie dangereuse jalonnée de crimes avant une mort programmée qu'il contribue à accélérer. Une relation qui n'est pas sans rappeler celle de Sherlock/Moriarty.

"L'Ami américain": Bruno Ganz et Dennis Hopper son "doppelgänger" qui le propulse dans une vie dangereuse jalonnée de crimes avant une mort programmée qu'il contribue à accélérer. Une relation qui n'est pas sans rappeler celle de Sherlock/Moriarty.

La sortie de route finale de l'apprenti tueur moribond sous le regard de son initiateur.

Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.
Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.

Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.

Quant à Peter Falk, s'il a accepté la proposition d'intégrer "la ligue des Anges" de Wim Wenders c'est parce qu'il y retrouvait ce qu'il aimait chez son ami John Cassavetes tant sur le plan humain que sur celui de la méthode de travail, axée sur l'improvisation. Effectivement le cinéma de John Cassavetes que j'ai découvert en même temps que celui de Wenders et dont je suis une grande fan repose également sur des amitiés masculines très puissantes comme celle qui unissait les trois "compañeros" John Cassavetes, Ben Gazzara et Peter Falk. Tous trois fils d'immigrés européens, nés à New York à la fin des années 20, ils avaient grandi dans les mêmes quartiers, fréquenté les mêmes écoles et connu, enfants, l'Amérique de la Grande Dépression: "Un jour, on s'est parlé et ça a été une sorte d'évidence. Nous venions du même monde, nous avions les mêmes idées, nous étions épris de liberté, nous disions les mêmes bêtises et nous aimions le même New York... On ne s'est plus quittés".

Les trois amis à l'époque du tournage de "Husbands" qui raconte l'errance nocturne et éthylique de trois alter ego en rupture sociale et familiale sans éluder l'aspect homoérotique de leur relation (Ben Gazzara dans le rôle de Harry se surnomme quand il est bourré "Fairy Harry").

Les trois amis à l'époque du tournage de "Husbands" qui raconte l'errance nocturne et éthylique de trois alter ego en rupture sociale et familiale sans éluder l'aspect homoérotique de leur relation (Ben Gazzara dans le rôle de Harry se surnomme quand il est bourré "Fairy Harry").

Il existe par ailleurs un lien amusant entre l'univers de Cassavetes et celui de la série Sherlock de Mark Gatiss et Steven Moffat. Il s'agit en effet de tournages dans lesquels réalité et fiction se confondent et qui de ce fait ont un supplément d'âme. Plusieurs films de Cassavetes se déroulent dans la propriété du couple qu'il formait avec Gena Rowlands, leurs parents y faisaient régulièrement des apparitions, les acteurs étaient leurs amis dans la vie etc. Il en va de même dans Sherlock. Mark Gatiss, le co-créateur de la série joue Mycroft, frère aîné de Sherlock, Steven Moffat fait interpréter à son fils le rôle de Sherlock enfant et sa femme, Sue Vertue est la productrice de la série, les parents de Benedict Cumberbatch interprètent les parents de Sherlock, Amanda Abbington qui joue Mary, l'épouse de Watson était aussi celle de Martin Freeman, Una Stubbs (Mrs Hudson) est une amie de la mère de Benedict Cumberbatch et connaît donc ce dernier depuis l'enfance ce qui confère à leurs rapports une relation mère-fils (qui culmine dans l'épisode 2 de la saison 4) totalement absente des romans de Arthur Conan Doyle etc.

On pourrait ajouter aussi qu'il s'agit dans les deux cas d'univers paradoxaux. Fondés sur des amitiés masculines profondément émotionnelles propres à terrifier les "mâles dominants" par ce qu'elles impliquent en matière d'homoérotisme, ils se doublent de portraits de femmes puissantes... qui les terrifie tout autant. Ce qui est somme toute logique, le principe féminin n'étant pas opprimé comme il l'est habituellement, les genres n'y sont pas stérilement (et stupidement) binarisés. Comme le dit la petite voix de Mary qui parle dans la tête de Watson "Tu en a marre des mecs qui t'expliquent la vie, comme tout le monde." (épisode 2, saison 4). le "mansplaining" étant une forme de domination consistant pour les dominants à parler à la place de tous les autres. 

Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.
Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.
Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.

Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.

Les films de Billy Wilder que je préfère infusent le même état d'esprit. De 1857 à 1981, ils ont tous été scénarisés par I.A.L. Diamond. I.A.L. ne sont pas les initiales de son prénom mais un prix gagné au lycée, l'Interscholastic Algebra League. Son prénom roumain (Itzec Domnici) étant imprononçable, il se faisait surnommer Izzy ou Iz à Hollywood. Wilder et Diamond étaient donc tous deux des immigrés d'Europe centrale et orientale. Ils ont commencé leur collaboration en 1957 avec "Ariane" et ne se sont plus quittés jusqu'à leur dernier film. ils en ont écrit ensemble au total 12, soit la moitié de la filmographie de Billy Wilder. Une écriture à quatre mains puisque Billy Wilder était à l'origine scénariste lui-même, journaliste et écrivain.

Deux d'entre eux, de l'aveu même de la femme d'Izzy Diamond reflétaient la relation des deux hommes. Tous deux font partie de mes films préférés: "Certains l'aiment chaud" évidemment avec le duo Joe/Jerry. Et puis bien sûr "La Vie privée de Sherlock Holmes" avec Holmes/Watson.

" - Il a l'air d'être très heureux de refaire un film [...]

- Il est dans son élément. Il adore tout ça. Le chaos, l'adrénaline.

-Et vous?

- Moi? Je préfère mener une vie tranquille. Mais ce n'est pas moi qui choisis. Il aime m'avoir auprès de lui." (Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p95).

Mais ce ne sont pas les seuls films du duo mettant en scène... un duo d'hommes. "La Grande Combine" ("The Fortune cookie", 1966), "Spéciale Première" ("The Front Page", 1974) et leur dernier film, le raté "Victor la Gaffe" ("Buddy Buddy", 1981 d'après "L'Emmerdeur" d'Edouard Molinaro) sont tous trois interprétés par les mêmes acteurs principaux Jack Lemmon et Walter Matthau. Le plus réussi des trois est "Spéciale Première" et c'est celui qui s'amuse le plus avec les codes de genre puisqu'il s'agit d'une adaptation de la pièce de théâtre de Ben Hecht "The Front Page" qui avait déjà donné lieu à un film de Howard Hawks, "La Dame du Vendredi" (1940). Sauf que la "dame" en question devient ici un homme et que cela entraîne toute une série de quiproquos croustillants. Voici un extrait de ma propre critique du film:

"Déguisement, travestissement, transformisme: la métamorphose du corps et le brouillage des identités est au coeur de l'œuvre de Billy Wilder. C'est donc sans surprise pour le connaisseur que la Hildy de Hawks réapparaît sous les traits de Jack Lemmon qui forme un vieux couple dans le film avec Walter Burns-Walter Matthau. Il s'agit de la 2° prestation des deux acteurs chez Wilder qui forment un véritable "drôle de couple" dans le cinéma US (une dizaine de films en duo à leur actif). Les journalistes (un ramassis d'homophobes machistes sauf Bensinger, premier personnage de Wilder caractérisé par son homosexualité) eux-mêmes disent dans le film qu'Hildy est "marié à Walter Burns" sans parler de dialogues plein de sous-entendus ("someday you're gonna do that and i'm suck you in the shnoze"; " you're beautiful when you're angry.") Et surtout durant tout le film, celui-ci s'emploie à briser le couple Hildy-Peggy comme le faisait Grant chez Hawks mais d'une manière encore plus retorse. La scène la plus extraordinaire de ce point de vue est celle où Peggy, excédée d'attendre Hildy dans le taxi qui doit les mener vers leur destination de mariage monte en salle de presse et le trouve en train de "prendre son pied" à écrire un article sensationnel (d'où l'équivoque "Honey, not now" lorsqu'elle s'approche de lui). Et Burns, triomphant vient alors se coller à Hildy, lui passe le bras autour des épaules, lui glisse une cigarette dans la bouche et défie Peggy (isolée par la mise en scène) du regard "Je lui donne plus de plaisir que tu ne pourras jamais le faire." Celle-ci se décompose sous nos yeux et s'en va, vaincue. Les derniers rebondissements du film ne sont pas aussi réussis mais ils vont dans le même sens. Et tandis que Hildy revient se jeter dans les bras de Burns, Bensinger qui était victime des railleries de ses collègues ("ne te retrouve jamais seul avec lui aux WC") finit par ouvrir un magasin d'antiquités avec le petit jeune à qui cet avertissement était adressé..."

 

Il n'est guère étonnant que dans le livre de Jonathan Coe, la relation entre les deux hommes fasse l'objet de plaisanteries de la part de leurs épouses: 

" Ne sont-ils pas adorables tous les deux? dit Barbara. Ne serait-ce pas magnifique s'ils pouvaient être mariés l'un à l'autre, plutôt qu'à nous? Je ne sais pas toi, Audrey, mais parfois, je me sens tellement coupable de m'immiscer entre eux comme je le fais.

Audrey rit à nouveau. "Oh oui! C'est exactement pareil pour moi. Si je n'avais pas mis le grappin sur Billy quelques années avant qu'il ne rencontre Iz, je sais que je n'aurais pas eu la moindre chance.

- Ecoutez, nous ne sommes pas de la jaquette, dit Billy, avant de me mettre en garde: N'allez pas commencer à répandre ce genre de rumeur!"

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 65)

Billy et Izzy

Billy et Izzy

John Cassavetes et Billy Wilder ont d'ailleurs un autre point commun (que les amitiés masculines fusionnelles): leur intérêt pour les femmes de plus de cinquante ans. Cassavetes a filmé ces femmes mûres, désirantes, en quête d'amour, angoissées par la peur de ne plus être désirées dans presque tous ses films car il considérait qu'il fallait réunir toutes les générations, tous les âges du féminin, que c'était une question de justice et de morale et que dans ses films qu'il qualifiait d'enquête sur la vie, il s'intéressait autant à la masculinité qu'à la féminité ce qui est parfaitement exact, les deux principes fonctionnant en vases communicants. Quant à Billy Wilder, il leur a servi d'escort à Berlin durant les années où il travaillait dans les hôtels Eden et Adlon. Il leur a plus ou moins dédié "Fedora" (1978) et sur ce sujet encore, il y a de très belles pages dans le livre de Jonathan Coe "Il y avait ces femmes qui venaient aux thés dansants l'après-midi, parfois avec leur mari mais plus souvent seules, et il leur fallait un partenaire. Un jeune homme séduisant qui savait danser, soit parce qu'elles n'avaient personne, soit parce que leur mari en était incapable, voire carrément incapable de se lever, ou simplement parce qu'il ne supportait pas de passer les bras autour de la taille de son épouse, tu vois? [...] Mais ce ne sont pas les obèses qui m'ont le plus marqué. Elles avaient souvent l'air plutôt gaies, assez bien dans leur peau. C'étaient surtout les femmes qui avaient gardé la ligne mais perdu leur beauté et qui se retrouvaient toutes seules. Leur mari les avait peut-être quittées, ou peut-être qu'il était mort, et elles n'auraient plus jamais d'homme dans leur vie, même pas en rêve, parce que qu'elles étaient vieilles. C'était ça, l'unique raison. Et quand elles passaient les bras autour de vous [...] on sentait malgré tout cet appétit, ce besoin de simplement toucher un autre être humain [...] rien que la façon dont elles vous touchaient trahissait leur détresse. Mais comment ne pas les plaindre? Dès qu'une femme perd sa beauté, c'est fini. Elle est invisible. [...] Même après tout ce temps; je n'ai jamais oublié ce que ça faisait de sentir les bras de ces femmes autour de moi, de les regarder dans les yeux et... la tristesse qu'on y voyait. La tristesse et le manque." (Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p263-264)

La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").
La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").

La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").

Etre le compañeros de quelqu'un fait naître la solidarité sans laquelle la survie en condition extrême est impossible. C'est aussi un moyen non seulement de le compléter mais aussi de le révéler à lui-même. Ainsi contrairement à Sherlock Holmes dont l'étrangeté se voit au premier coup d'oeil, John Watson est en apparence un "M. tout le monde" dont le démon intérieur ne surgit que par intermittences, le plus souvent quand il est privé de l'adrénaline de ses enquêtes avec le détective: quand il va chez sa psy, lors de sa claudication psychosomatique du premier épisode ou dans ses cauchemars. Il faut attendre l'épisode 3 de la saison 3 pour que celui-ci soit confronté "en pleine conscience" à cette facette obscure de lui-même lorsqu'il découvre que sa femme Mary qu'il pense être "sans histoire" et avec laquelle il souhaite mener une vie conformiste ("le banal, ça a du bon parfois, le banal ça me convient" dit-il dans l'épisode 2 de la saison 1) a un lourd passé de tueuse à gages.

Le double visage de Mary
Le double visage de Mary
Le double visage de Mary
Le double visage de Mary

Le double visage de Mary

Sherlock en profite alors pour dire à Watson ses quatre vérités (un de mes passages préférés par sa portée symbolique car il peut s'adresser à chaque spectateur à qui la série offre une caisse de résonance, encore une dimension méta-réflexive redoutablement intelligente):

" Tout est de ton fait (...) Tu es un médecin parti à la guerre. Tu n'as pas tenu un mois en banlieue sans tabasser un junkie dans un squat. Ton meilleur ami est un sociopathe résolvant des crimes pour décrocher [de la drogue] C'est moi, salut. Ta logeuse dirigeait un cartel* (...) John, tu es accro à un certain mode de vie, anormalement attiré vers les situations et les gens dangereux. Est-il si surprenant que la femme dont tu tombes amoureux soit à l'avenant?"

"Elle n'était pas censée être comme ça! Pourquoi elle est comme ça?"

"Parce que tu l'as choisie". 

* Mrs Hudson le rectifie... en précisant qu'elle était secrétaire (et épouse) d'un narco-trafiquant. Si on ajoute qu'elle a été "danseuse exotique" et eu des problèmes avec l'alcool, cela dresse un portrait d'elle tout aussi peu conventionnel que celui de ses locataires. La raison pour laquelle elle supporte les excentricités de Sherlock sous son propre toit devient alors tout à fait limpide (en plus du fait qu'il a aidée à se débarrasser de son mari). 

Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.

Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.

Le simple fait que dès leur première rencontre, Mary se sente complice avec Sherlock en dit long sur sa véritable personnalité. Parce qu'une personne "sans histoire" aurait pris peur et se serait montré hostile, l'aurait évidemment rejeté et tout fait pour l'éloigner de son mari. Mais Mycroft, Sherlock, Watson, Mary, Irène, Mrs Hudson, Greg Lestrade et Molly bien que de caractères très différents appartiennent à la même "confrérie des ombres" et sont des preuves vivantes que la dernière chose dont un être humain tangent a besoin, c'est d'un jugement moral qui vienne lui donner le coup de grâce. Bien au contraire, il a besoin de s'accepter en totalité, ne rien rejeter de son expérience et de sa personnalité. La "surhumanité" dont parle Nietzsche est paradoxalement aussi une "pleine humanité" dont les personnes étriquées obéissant à une morale conformiste sont dépourvues.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Lorsqu'existe un tel degré de proximité entre des êtres, chacun agit donc sur l'autre comme un miroir révélateur. Dans le pire comme dans le meilleur. Si l'amitié de John Watson est ce qui ramène Sherlock Holmes dans le monde des vivants, l'inverse est tout aussi vrai. Car si John Watson n'avait pas rencontré Sherlock Holmes, il serait sans doute devenu Travis Bickle, le psychopathe de "Taxi Driver" (1976) de Martin Scorsese. Vétéran de la guerre du Vietnam souffrant de stress post-traumatique, Travis Bickle qui est devenu insomniaque et asocial devient de plus en plus haineux au fur et à mesure que son inadaptation apparaît insurmontable jusqu'à finir par se prendre pour un justicier et aller nettoyer les bas-fonds de la ville en commettant un bain de sang. Travis a récemment été remis sur le devant de la scène parce qu'il a beaucoup inspiré "Joker" (2019) de Todd Phillips avec Joaquin Phoenix.

N'ayant personne à qui parler, Travis Bickle finit par faire comme un autre célèbre psychopathe célèbre de fiction, Voldemort: se parler à lui-même.

Quant à Monte-Cristo, son cas est particulièrement intéressant. Dans le chapitre 71, il refuse de partager "le pain et le sel" c'est à dire de toucher à quoi que ce soit dans la maison de l'ennemi qu'il souhaite abattre au grand désespoir de Mercédès qui a percé à jour ses intentions meurtrières (et suicidaires): 

« Monsieur le comte, reprit enfin Mercédès en regardant Monte-Cristo d'un oeil suppliant, il y a une touchante coutume arabe qui fait amis éternellement ceux qui ont partagé le pain et le sel sous le même toit.
- Je la connais, madame, répondit le comte ; mais nous sommes en France et non en Arabie, et en France, il n'y a pas plus d'amitiés éternelles que de partage du sel et du pain.
- Mais enfin, dit la comtesse palpitante et les yeux attachés sur les yeux de Monte-Cristo, dont elle ressaisit presque convulsivement le bras avec ses deux mains, nous sommes amis, n'est-ce pas ? »
Le sang afflua au coeur du comte, qui devint pâle comme la mort, puis, remontant du coeur à la gorge, il envahit ses joues et ses yeux nagèrent dans le vague pendant quelques secondes, comme ceux d'un homme frappé d'éblouissement.
« Certainement que nous sommes amis, madame, répliqua-t-il ; d'ailleurs, pourquoi ne le serions-nous pas ? » (...)

- Comment pouvez-vous vivre ainsi, sans rien qui vous attache à la vie ?
- Ce n'est pas ma faute, madame. A Malte, j'ai aimé une jeune fille et j'allais l'épouser, quand la guerre est venue et m'a enlevé loin d'elle comme un tourbillon. J'avais cru qu'elle m'aimait assez pour m'attendre, pour demeurer fidèle même à mon tombeau. Quand je suis revenu, elle était mariée. C'est l'histoire de tout homme qui a passé par l'âge de vingt ans. J'avais peut-être-le coeur plus faible que les autres, et j'ai souffert plus qu'ils n'eussent fait à ma place, voilà tout. »
La comtesse s'arrêta un moment, comme si elle eût eu besoin de cette halte pour respirer.
« Oui, dit-elle, et cet amour vous est resté au coeur... On n'aime bien qu'une fois... Et avez-vous jamais revu cette femme ?
- Jamais.
- Jamais !
- Je ne suis point retourné dans le pays où elle était.
- A Malte ?
- Oui, à Malte.
- Elle est à Malte, alors ?
- Je le pense.
- Et lui avez-vous pardonné ce qu'elle vous a fait souffrir ?
- A elle, oui.
- Mais à elle seulement ; vous haïssez toujours ceux qui vous ont séparé d'elle ? »

La comtesse se plaça en face de Monte-Cristo ; elle tenait encore à la main un fragment de la grappe parfumée.
« Prenez, dit-elle.
- Jamais je ne mange de muscat, madame », répondit Monte-Cristo.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Ne pouvant se relier à ses anciens amis qui l'ont tous trahi ni à son ancien amour qui ne l'a pas attendu et a épousé (sans le savoir) l'un de ses bourreaux, Monte-Cristo n'a a priori personne vers qui se tourner. En réalité il y a bien quelqu'un mais longtemps, il ne la voit pas parce qu'il s'agit de la fille de son pire ennemi, Valentine de Villefort qui est mon personnage préféré dans le roman. Elle possède le même don que Peter Falk dans "Les Ailes du désir" ou que John Watson et Molly Hooper (voir chapitre VII) dans "Sherlock": celui de ramener les morts dans le monde des vivants. Ou si l'on veut de les faire passer du non-être à l'être. A commencer par son grand-père, Noirtier de Villefort, atteint du locked-in syndrome (plus d'un siècle avant qu'il ne soit identifié par les neurologues!) et dont elle est une des seules à pouvoir traduire le langage, concentré dans les clignements de sa seule paupière restée valide.

"Rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une colère ou luisait une joie. Trois personnes seulement savaient comprendre ce langage du pauvre paralytique : c'étaient Villefort, Valentine et le vieux domestique dont nous avons déjà parlé. Mais comme Villefort ne voyait que rarement son père, et, pour ainsi dire, quand il ne pouvait faire autrement ; comme, lorsqu'il le voyait, il ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout le bonheur du vieillard reposait en sa petite-fille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et de patience, à comprendre du regard toutes les pensées de Noirtier. A ce langage muet ou inintelligible pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physionomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune fille et cette prétendue argile, à peu près redevenue poussière, et qui cependant était encore un homme d'un savoir immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'âme enfermée dans une matière par laquelle elle a perdu le pouvoir de se faire obéir." (Chapitre 58)

Cet extrait permet de comprendre que Noirtier est un homme de la même trempe que Monte-Cristo (il fait d'ailleurs partie de mes personnages préférés du roman). L'épreuve de la paralysie de son corps et de la privation du langage l'a rendu paradoxalement plus puissant que n'importe qui d'autre dans sa propre famille. Il est le seul à comprendre bien avant tout le monde le drame qui s'y joue et le seul à être donc en capacité d'agir pour contrer la fatalité qui s'y déploie. Il va en effet tout faire pour aider sa petite-fille, considérée comme un pion par son père (qui veut la marier à un noble très riche) et par sa belle-mère (qui veut la tuer pour que ce soit son fils qui touche l'héritage familial) à gagner sa liberté. Et le moment venu, Monte-Cristo sera là pour l'épauler. Car les deux hommes sont liés par un passé et un futur commun. Le passé, c'est l'interception d'une lettre adressée à Noirtier alors bonapartiste, glissée dans les bagages d'Edmond Dantès par ses ennemis, qui vaudra à ce dernier d'être soupçonné de comploter pour le rétablissement de Napoléon au pouvoir, puis incarcéré en 1815. Le futur concerne Valentine, la petite-fille de Noirtier et celui qu'elle aime, Maximilien Morrel, le protégé du comte de Monte-Cristo.

Valentine et son grand-père.

Valentine et son grand-père.

Aussi et logiquement, ce pouvoir qui permet à Noirtier de rester en vie, de communiquer et d'agir, Valentine va ensuite l'exercer sur Monte-Cristo lui-même à la fin du récit en lui ouvrant les yeux sur les sentiments d'Haydée à son égard:

"Haydée ! Haydée ! tu es jeune, tu es belle ; oublie jusqu’à mon nom et sois heureuse.

— C’est bien, dit Haydée, tes ordres seront exécutés, mon seigneur ; j’oublierai jusqu’à ton nom et je serai heureuse.

Et elle fit un pas en arrière pour se retirer.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Valentine, tout en soutenant la tête engourdie de Morrel sur son épaule, ne voyez-vous donc pas comme elle est pâle, ne comprenez-vous pas ce qu’elle souffre ?

Haydée lui dit avec une expression déchirante :

— Pourquoi veux-tu donc qu’il me comprenne, ma sœur ? Il est mon maître et je suis son esclave ; il a le droit de ne rien voir." (chapitre 117).

Récemment, j'ai lu un post en forme d'ode à Valentine et Haydée qui m'a comblée de bonheur. Parce qu'on oublie trop souvent le rôle clé des femmes dans "Le Comte de Monte-Cristo".

Récemment, j'ai lu un post en forme d'ode à Valentine et Haydée qui m'a comblée de bonheur. Parce qu'on oublie trop souvent le rôle clé des femmes dans "Le Comte de Monte-Cristo".

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Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors

Publié le par Rosalie210

II

Là-Haut et En-dehors

Une version révisée (puissante et planante) de Space Oddity de David Bowie, enregistrée par le commandant Chris Hadfield à bord de la Station Spatiale Internationale (2013). Pour mémoire, ce titre de 1969 se réfère justement au film de Kubrick qui était sorti un an avant.

Quand j'étais adolescente, je me voyais comme un ballon d'hélium rattaché à la terre par un simple ruban, une sorte de cordon ombilical qui pouvait se rompre à tout moment. J'étais fascinée par ces ballons auxquels on attachait des cartes postales comme des bouteilles jetées à la mer et qu'on lâchait par grappes colorées dans les airs sans savoir jusqu'où ils pourraient monter, aller ni où ils pourraient bien atterrir. S'ils atterrissaient un jour me disais-je. 

Par ailleurs, mon grand-père me parlait souvent de Diogène de Sinope (c'était un peu son autoportrait), marginal banni de sa patrie d'origine mais libre comme l'air qui passait ses journées à parcourir la cité avec une lampe allumée à la recherche "d'un homme". J'en ai conclu que pour voyager haut et loin, il valait mieux voyager léger.

Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).
Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).

Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).

Les héros du troisième type partagent les caractéristiques suivantes:

- Ce sont des figures romantiques occupant une position surplombante par rapport au reste de l'humanité (soit c'est une condition originelle, soit c'est à la suite d'un séisme traumatique, soit les deux).

- A un moment ou à un autre, ils sont amenés à redescendre sur terre et en assumer les conséquences. (Quand il s'agit d'humains, cette trajectoire aboutit à une réunification des différentes parties de soi)

- Ils tendent un miroir à la société qui les accueillent et disent donc quelque chose de l'état de cette société (ce sont des héros paradoxalement très ancrés dans l'Histoire de leur temps et de leur pays, Histoire tumul-tueuse et une de leurs principales motivations à descendre est de changer le cours de l'Histoire justement).

Je vais en développer plus particulièrement trois tout au long de cette analyse: le premier issu de la littérature française classique et populaire du XIX° siècle, les seconds du cinéma d'auteur allemand des années 80-90, le troisième de la série britannique des années 2010, mais qui rejoint les deux autres par son background littéraire et cinématographique.

Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (Caspar David Friedrich, 1818)

Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (Caspar David Friedrich, 1818)

I- Le Comte de Monte-Cristo, le surhomme du roman populaire

Le premier exemple qui me vient en tête, c'est bien évidemment "Le Comte de Monte-Cristo" de Alexandre Dumas, écrit entre 1844 et 1846, roman que j'ai découvert vers 16-17 ans et que je n'ai cessé de lire et de relire au fil du temps (et comme je l'ai dit en introduction c'est à lui que je me référais quand je pensais au "surhomme qui devenait un homme").

Monte-Cristo est au départ Edmond Dantès, un homme tout à fait ordinaire, marin de son état, qui à la suite d'événements extraordinaires liés aux vicissitudes politiques d'une époque instable (la fin du 1er Empire, la Restauration, les 100 jours, la Re-Restauration) a été exclu de l'humanité en étant condamné à l'incarcération et à l'isolement pour le restant de ses jours. Après s'être évadé au bout de 14 ans, il se dépouille de son ancienne identité pour se réinventer sous la forme d'un justicier vengeur qui souhaite rester délibérément en dehors de la société qui l'a martyrisé. Pour ce faire, il s'élève au-dessus de la condition humaine ("Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'à ce jour, aucun homme ne s'est trouvé dans une position semblable à la mienne"). En témoigne son mode de vie. Bien que devenu fabuleusement riche, Monte-Cristo continue à vivre comme un ascète, voire un mort-vivant, considère la société qui l'entoure avec dégoût et s'évade dans l'exotisme orientaliste qui faisait fureur à l'époque et les paradis artificiels. La seule motivation qui l'amène à se mêler aux élites dirigeantes de la France de Louis-Philippe est son désir de vengeance. Ne pouvant compter sur des institutions corrompues, il prétend se substituer à dieu grâce à des pouvoirs quasi surhumains (fortune, intelligence, science illimitées, capacité à être partout et nulle part, à changer sans cesse d'apparence et à tout connaître de ses ennemis qui ne comprennent pas d'où viennent les coups qui les frappent). 

L'îlot du château d'If, forteresse-prison où a été enfermé ou plutôt enterré vivant Edmond Dantès et dont son âme reste en quelque sorte prisonnière même si son corps s'en est évadé.

L'îlot du château d'If, forteresse-prison où a été enfermé ou plutôt enterré vivant Edmond Dantès et dont son âme reste en quelque sorte prisonnière même si son corps s'en est évadé.

Dans "Le Comte de Monte-Cristo, le surhomme, la justice et la loi" (Les Cahiers de la justice, 2012/1, (N°1) p 159-169), Gérard Gengembre évoque le fait que ce dernier pourrait bien être le premier personnage de surhomme de la littérature populaire à bénéficier d'une aura l'ayant hissé au rang de mythe. Il ajoute même que l'écrivain et philosophe italien marxiste Antonio Gramsci victime de la répression du régime de Mussolini pensait qu'il avait eu une influence décisive sur Nietzsche " Il semble de toute façon qu'on puisse affirmer qu'une grande partie de la soi-disant "surhumanité" nietzschéenne a simplement pour origine et pour modèle doctrinal non pas Zarathoustra mais Le Comte de Monte-Cristo d'A. Dumas. [...] Le type du "surhomme"; est Monte-Cristo, libéré de cette auréole particulière de "fatalisme" qui est propre au bas romantisme et qui est encore plus appuyé chez Athos et chez Joseph Balsamo."

Monte-Cristo partage en effet avec Nietzsche le volontarisme anti-fataliste (il s'est "créé" ou plutôt "recréé" une personnalité et un destin pour changer une histoire qu'il juge injuste plutôt que de continuer à subir les événements) et une forme d'anarcho-individualisme en tant que refus de se soumettre à un quelconque "ordre moral" ou "à la loi du troupeau" (institutions et idéologies qui les sous-tendent) qui débilitent l'homme en le réduisant à un "animal social". Le surhomme nietzschéen qui a été dévoyé par les idéologies d'extrême-droite est au contraire un esprit libre complètement affranchi des masses et des manipulations sont elles peuvent faire l'objet.

L'En-dehors, périodique français anarchiste de l'entre deux guerres dont la couverture est parfaitement parlante.

L'En-dehors, périodique français anarchiste de l'entre deux guerres dont la couverture est parfaitement parlante.

II- Les Anges de Wim Wenders

Le deuxième exemple qui me vient en tête, c'est le film de Wim Wenders, "Les Ailes du désir" (1987) et sa suite "Si Loin si proche" (1993) dont les protagonistes principaux sont des Anges qui contemplent les hommes depuis le ciel berlinois. Leur position surplombante est due à leur nature même et n'a rien de condescendant. Au contraire, ils représentent des figures bienveillantes qui témoignent d'une compassion détachée vis à vis des habitants d'une ville malmenée par l'histoire.

La magistrale introduction de "Si Loi si proche" avec l'Ange Cassiel (Otto Sander) juché au sommet de l'Ange de la victoire.

Le monde vu d'en-haut.

Le monde vu d'en-haut.

Dès le premier visionnage de "Les Ailes du désir" lors de la soirée de démarrage sur le réseau hertzien de la chaîne Arte le 28 septembre 1992, j'ai été fascinée par la poésie du film qui épouse la plupart du temps le point de vue des Anges avec des mouvements de caméra aériens de toute beauté et une photographie noir et blanc d'Henri Alekan absolument magnifique. La couleur n'est présente dans le film (comme dans sa suite) que lorsqu'il adopte le point de vue des humains.

L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.
L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.

L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.

Logiquement le monde vu d'en haut apparaît en plongée avec les seuls enfants qui redressent la tête lorsqu'un ange passe.

Logiquement le monde vu d'en haut apparaît en plongée avec les seuls enfants qui redressent la tête lorsqu'un ange passe.

Néanmoins si les Anges sont omniscients et immatériels (ils peuvent donc traverser le mur qui séparait les deux parties de la ville en 1987), ils sont réduits à une position d'observateurs et de conservateurs de l'histoire humaine en marche depuis la formation du monde dont ils enregistrent particulièrement tous les éclats de beauté mais aussi toutes les horreurs. Comme les soldats de la paix de l'ONU, ils sont dans l'incapacité d'intervenir directement dans le monde sensible. Et la lassitude de sa condition gagne de plus en plus Damiel: "Mais parfois je suis las de mon éternelle existence d'esprit. J'aimerais ne plus éternellement survoler, j'aimerais sentir en moi un poids qui abolisse l'illimité et m'attache à la terre. Pouvoir, à chaque pas, à chaque coup de vent, dire "Maintenant", et "Maintenant" et "Maintenant" et non plus "Depuis toujours" et "A jamais". S'asseoir à la table des joueurs et être salué, ne serait-ce que d'un signe de tête. [...] Non que je veuille tout de suite engendrer un enfant ou planter un arbre, mais ce serait déjà quelque chose, au retour d'une longue journée, de nourrir le chat comme Philip Marlowe. D'avoir la fièvre, les doigts noircis par le journal, de ne plus être exalté par l'esprit seul, mais enfin par un repas, par la courbe d'une nuque, par une oreille. [...] sentir en marchant sa charpente qui avance. Deviner enfin, au lieu de toujours tout savoir."

Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.
Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.
Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.

Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.

La beauté de Marion (Solveig Dommartin), gracieuse et mélancolique trapéziste qui semble s'élever vers le ciel pour aller jusqu'à lui n'est pas pour rien dans la soudaine lassitude de Damiel vis à vis de sa condition d'Ange. Il l'observe, l'écoute, tente de soulager son spleen mais ne peut réellement la rencontrer qu'en rêve ce qui exacerbe sa frustration de ne pouvoir agir.

Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors

III- Sherlock Holmes 2.0: le surhomme déconnecté

Transposition des romans et nouvelles écrites par Arthur Conan Doyle entre 1887 et 1927  constituant le "canon holmésien" dans la société des années 2010 mais aussi réappropriation, extension (incluant des hommages à d'autres apports, voir chapitre IV), réinterprétation de ces oeuvres et enfin proposition de solution (autre que celle à 7% ^^) à la manière d'une (brillante) fanfiction professionnelle, le Sherlock Holmes né des talents conjoints de Mark Gatiss et de Steven Moffat pour la BBC (4 saisons de 3 épisodes réalisés entre 2010 et 2017 + un épisode spécial faisant la transition entre les deux dernières saisons soit au total 13 films de 1h30 chacun) a pas mal de points en commun avec le héros de Alexandre Dumas et par conséquent avec le surhomme de Nietzsche. Si lui-même se voit comme un "sociopathe de haut niveau" (en VO, c'est encore plus parlant, "High functioning sociopath"), Irène Adler (Lara Pulver) en donne une définition plus complète: "un être abîmé qui croit en une puissance supérieure: lui-même". Néanmoins ce qui coupe Sherlock (Benedict Cumberbatch) des autres hommes est au moins autant dû à une amnésie traumatique liée à une histoire familiale (mais également sociétale et civilisationnelle) sur laquelle pèse une lourde chape de plomb qu'au fait d'être né neurologiquement différent. Ses capacités cérébrales exceptionnelles lui permettent d'atteindre l'omniscience à partir d'un sens aigu d'observation des détails et une capacité fulgurante de déduction. Adepte d'un mode de vie extrême fondé sur le danger de mort permanent, il vit par ailleurs une grande partie du temps dans d'autres mondes: celui de son "palais mental" c'est à dire son esprit qui est paradoxal puisque hypermnésique sur les détails et amnésique sur l'essentiel; celui du numérique; celui de l'infiniment petit qu'il observe au microscope ou à la loupe; celui de la mort enfin, sa deuxième maison étant la morgue de l'hôpital St Bartholomew's de Londres.

Avec un sens consommé de l'efficacité visuelle, le spectateur entre dans l'esprit de Sherlock en voyant ses déductions s'afficher à l'écran, parfois à partir de gros plan sur les infimes détails qui lui ont permis de reconstituer le profil d'une personne.

Avec un sens consommé de l'efficacité visuelle, le spectateur entre dans l'esprit de Sherlock en voyant ses déductions s'afficher à l'écran, parfois à partir de gros plan sur les infimes détails qui lui ont permis de reconstituer le profil d'une personne.

Quand il daigne s'intéresser à une enquête, c'est parce qu'il la juge suffisamment excitante pour le faire grimper aux rideaux afin de tromper l'ennui mortel qui le ronge la plupart du temps (ennui qu'il comble par la toxicomanie, autre façon de "planer", être défoncé se disant "to be high"). Sa rapidité de raisonnement (et d'élocution) donne le tournis à un homme ordinaire. Se retrouvant donc forcément désynchronisé de la société qu'il ne comprend pas pas plus qu'elle ne le comprend, il ne se sent pas concerné par ce qui s'y passe en dehors des éléments techniques qu'il peut y prélever comme un chercheur en laboratoire le ferait pour mettre en avant ses découvertes géniales. Dans la première saison, il fonctionne comme une parfaite machine à penser dont les fonctions vitales sont réduites au minimum (aussi ascétique que Monte-Cristo, il est adepte de l'asphyxie lente entre son débit mitraillette et les poisons qu'il s'injecte). Son comportement infantile et infatué de lui-même ("je ne suis pas "les gens"), son asociabilité, son mépris des règles et des lois, et son attirance pour le crime lui valent d'être considéré avec suspicion par la majorité de la police qui pense qu'il n'y a finalement pas grande différence entre le détective consultant obsessionnel et le sérial killer shooté au crime.

Do you miss me? Le leitmotiv lancinant de Jim Moriarty (Andrew Scott, brillant et charismatique comme l'ensemble du casting) la némésis de Sherlock est aussi l'une de ses obsessions et se perpétue ainsi bien après sa mort comme ces fantômes du passé qui continuent à coller aux basques.

Do you miss me? Le leitmotiv lancinant de Jim Moriarty (Andrew Scott, brillant et charismatique comme l'ensemble du casting) la némésis de Sherlock est aussi l'une de ses obsessions et se perpétue ainsi bien après sa mort comme ces fantômes du passé qui continuent à coller aux basques.

Le seul à lui faire confiance et à avoir de l'estime à son égard, c'est l'inspecteur Lestrade (Rupert Graves) qui partage avec lui la même addiction au tabac. Il lui a tendu en amont une perche sous forme de fil invisible dont celui-ci n'a attrapé que l'extrémité. Le regard décalé que la série porte sur Lestrade (par rapport au canon) ne le fait pas paraître comme un faire-valoir mais comme une figure paternelle bienveillante par le simple fait qu'il ouvre une possibilité à Sherlock d'exercer ses dons au service de la société, espérant que cela le fera évoluer ("c'est un grand bonhomme et je crois qu'un de ces jours, si on a beaucoup de chance, il pourrait être quelqu'un de bien" dit-il dans le premier épisode et ce sera à lui d'avoir le mot de la fin dans le dernier pour faire le bilan, évidemment). En effet bien qu'ayant une trentaine d'années dans la série, l'âge réel de Sherlock est bloqué autour de 11-12 ans (on verra l'enfant qui est en lui à partir de la saison 3). Il va falloir tout de même les quatre saisons entières pour qu'il arrive à retenir correctement le prénom de Lestrade, Greg (allusion au fait qu'il n'est désigné que par une lettre dans le canon, "G").

Sherlock Holmes a deux pères. Le premier, Conan Doyle, l'a inventé. le second, Billy Wilder, en a fait un être humain (voir chapitre IV). La série rend hommage aux deux mais prolonge et amplifie la démarche humaniste du deuxième.

Sherlock Holmes a deux pères. Le premier, Conan Doyle, l'a inventé. le second, Billy Wilder, en a fait un être humain (voir chapitre IV). La série rend hommage aux deux mais prolonge et amplifie la démarche humaniste du deuxième.

Tout s'emballe dans le troisième épisode de la deuxième saison (pile au milieu de la série) quand Jim Moriarty, le "jumeau maléfique" de Sherlock l'attend pour un affrontement dont aucun des deux n'est censé réchapper. Les deux hommes sont engagés dans une lutte à mort qui ressemble plutôt à un processus d'autodestruction programmé. Il se retrouvent logiquement sur les toits de Londres, le second murmurant au premier que ce qui le différencie de lui c'est qu'il est ennuyeux parce qu'il a choisi d'être du côté des Anges. Il est vrai que Moriarty trompe son ennui en commettant des crimes là où Sherlock Holmes se passionne pour leur résolution. Mais pour ce qui est de leur indifférence à la vie, celle d'autrui comme la leur, les deux se valent. Ou presque car Sherlock a quelques ancrages terrestres (Lestrade, sa logeuse Mrs Hudson jouée par Una Stubbs et son colocataire, John Watson joué par Martin Freeman) et a commencé à vaciller sous l'effet du désir et de la peur dans les deux premiers épisodes de la saison 2 mais il tient encore tout ce qui pourrait voir s'effondrer l'image qu'il s'est construite de lui-même à bonne distance. D'ailleurs ne dit-il pas à Moriarty qu'il est peut-être "du côté des Anges" mais qu'il n'en fait certainement pas partie, ajoutant: "Je suis vous. Prêt à tout. Prêt à brûler. Prêt à faire ce que les gens ordinaires ne feraient pas. Vous voulez que je vous serre la main en enfer. Je ne vous décevrai pas." Moriarty n'a plus qu'à le prendre au mot en se suicidant et en enjoignant Sherlock à le rejoindre pour sauver ses trois amis qui seront abattus s'il reste en vie ce qui est la parfaite définition du nihilisme.

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Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders

Publié le par Rosalie210

Les parcours de Travis, héros du film "Paris, Texas" de Wim Wenders, et de Kenji Endo, personnage principal du manga de Naoki Urasawa "20th Century Boys" se ressemblent à plus d'un titre. Retour sur deux destins parallèles.

Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders

Le réalisateur Wim Wenders et le mangaka Naoki Urasawa n’ont pas que la ville de Düsseldorf*, l’histoire tourmentée de l’Allemagne ou la passion du rock en commun.

Ils partagent la même fascination pour un certain type de personnage, celui du mythique cow-boy solitaire à la recherche de lui-même.

Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders
Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders

« C’est l’histoire de quelqu’un qui est né dans un paysage beaucoup trop petit pour lui. »

Cette citation de Wim Wenders à propos de lui-même et des héros de tous ses films colle parfaitement à Kenji lorsqu’il est jeune. Des années 1960 aux années 1980, il rêve en effet de gloire et de grandeur mais ses aspirations se fracassent contre la réalité d’un environnement étriqué, codifié, contraignant et conformiste dans lequel il n’a aucune chance de se réaliser en tant qu’individu. Ce décalage entre les rêves de Kenji et la réalité familiale, sociale et culturelle dans laquelle il vit explique tous ses échecs initiaux :

Lorsqu’il fait part à sa mère de son désir de posséder une guitare, il se voit rétorquer que son avenir consiste à reprendre la boutique d’alcool de son père.

La prestation télévisée de son groupe Mad Mouse est coupée en plein direct.

Le groupe se sépare peu après.

Personne n’écoute Kenji lorsqu’il chante dans la rue.

Son ancien professeur lui dit qu’il n’est pas fait pour monter sur une scène.

Privé de la moindre estime pour lui-même, Kenji remise sa guitare au fond du placard et renonce à devenir quelqu’un pour se fondre dans une petite vie obscure et anonyme de gérant d’épicerie.

La culpabilité qu’il ressent devant sa sœur qui a un temps sacrifié ses études pour reprendre la boutique et ainsi lui permettre de tenter sa chance dans la musique achève de le faire rentrer dans le rang.

En ce sens, Kenji est bien mort une première fois à vingt-sept ans. Comme de nombreuses stars du rock**. À ceci près que la cause de son « décès » n’est pas la drogue mais le miroir tendu par la société. Désormais, une image colle à la peau de Kenji, celle du « loser » qui a « raté tout ce qu’il a entrepris ».

Il n’est guère étonnant qu’une société aussi aliénante ait pu donner naissance à un monstre tel qu’Ami. Très critique, Urasawa et Nagasaki nous suggèrent que le Japon n’a fait aucun travail de mémoire depuis les années 1930 et 1940, dates de son alliance avec l’Allemagne nazie, de sa participation à la guerre et de son aventure impérialiste dans le Pacifique. Or, « qui ne se souvient pas de son passé est condamné à le revivre » : les soldats de l’ONU qui occupent le Japon après la chute d’Ami ressemblent comme deux gouttes d’eau aux G.I américains de 1945…

Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders

Une identité trouble

En apparence, le Kenji des années 1990 a « tout oublié » et s’accommode bien de sa nouvelle vie de gérant d’épicerie. Il semble stable et satisfait, comme il le dit lui-même : « J’aimais bien cette vie ». Néanmoins, certains éléments démontrent qu’il s’agit d’une fuite et non d’un vrai choix, comme le fait qu’il préfère éviter par principe de chanter dans les karaokés. Kenji prétend également ne plus savoir ce qu’il a fait de sa guitare. Et il tente plus d’une fois de convaincre Yukiji de se marier, comme si cela pouvait le soulager qu’elle s’éloigne de lui.

Yukiji l’a en effet bien connu enfant et adolescent. Elle en garde l’image du « chevalier blanc » qui s’est porté à son secours alors qu’il n’avait aucune chance de l’emporter contre ses adversaires. Ce courage et cette détermination semblent l’avoir déserté et elle ne lui cache pas qu’elle est déçue par ce qu’il est devenu.

Ce renoncement à être soi-même pour se conformer aux attentes des autres a pour conséquence de faire croître le monstre tapi dans l’ombre. Ainsi, à une case montrant en gros plan les doigts de Kenji devenus raides par l’abandon de la pratique de la guitare répond une case identique montrant les doigts d’Ami en train de prononcer l’un de ses discours au Bûdokan. On s’imagine alors brièvement que Kenji et Ami sont la même personne.

Une impression renforcée lorsqu’Ami révèle qu’il est le père de Kanna, la nièce de Kenji, qu’il élève comme sa fille. Ami se servira d’ailleurs quelques années plus tard de cette proximité forcée pour inverser les rôles et introduire la confusion dans les esprits, y compris dans celui de Kenji.

20th CENTURY BOYS © 2000 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

20th CENTURY BOYS © 2000 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

Dans le film de Wim Wenders, Travis est également un personnage à l’identité problématique. Il ne sait pas bien d’où il vient. Il aurait été conçu à Paris, un trou perdu du Texas mais son père s’amuse à faire croire qu’il s’agit du Paris français. Cette incertitude sur ses origines empêche Travis (dont le nom signifie « travel », voyager) de se sédentariser et d’offrir un vrai foyer à sa famille, qui vit dans une caravane.

Travis est si instable qu’il détruit progressivement son couple. Il imagine que sa femme le trompe dès qu’il a le dos tourné. Il se met à boire et à s’absenter de longues heures afin de la rendre jalouse. Mais elle ne réagit pas comme il l’espère : en conséquence, il multiplie les scènes de cris et de destruction… Dans le même temps, il ne supporte pas de rester longtemps loin d’elle, ce qui l’amène à changer sans arrêt de travail. Enfin, à cette instabilité affective vient s’ajouter une instabilité financière.

Lorsque Travis finit par s’apaiser, après avoir appris que sa femme attendait son enfant, il est trop tard : elle se sent prisonnière et ne pense plus qu’à le fuir à son tour. Leur relation se dégrade tellement qu’il finit par la séquestrer et par la traiter comme un animal en lui fixant une clochette à la cheville. Une mesure dérisoire puisque son épouse parvient malgré tout à s’enfuir définitivement avec leur enfant, en laissant Travis à l’intérieur de la caravane en flammes.

Le terrain acheté à Paris, Texas par Travis pour y faire construire une maison (qui reste à l'état de projet).

Le terrain acheté à Paris, Texas par Travis pour y faire construire une maison (qui reste à l'état de projet).

Errance commune dans le désert

La disparition de sa famille et l’incendie de la caravane entraînent la désagrégation complète de l’identité déjà fragile de Travis. Désorienté, en état de choc, il s’enfuit le plus loin possible du lieu du drame et retourne progressivement à l’état sauvage. « Il s’est étonné de ne plus rien ressentir. Il voulait juste dormir. Et pour la première fois, il a souhaité être très loin. Perdu dans un vaste et profond pays où personne ne le connaîtrait. Un endroit sans langage et sans rues. Il a rêvé de cet endroit sans en savoir le nom. […] Il a couru jusqu’au lever du soleil, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus courir, et quand le soleil s’est couché, il a de nouveau couru. Pendant cinq jours il a couru jusqu’à ce que toute trace de l’homme ait disparu. »

L’assassinat d’un ami d’enfance de Kenji puis l’incendie de son épicerie par les adeptes d’Ami en 1997 n’a pas un effet aussi radical mais suffit à ébranler de nouveau son identité. Sa vie bascule dans la marginalité. Il est obligé de se cacher dans une station de métro désaffectée pour « faits de terrorisme ». Il multiplie les tentatives avortées pour s’opposer à Ami en hésitant entre la violence et la non-violence, preuve qu’il se cherche de nouveau. Il regrette de plus en plus d’avoir laissé tomber la musique et comprend qu’il n’aurait jamais dû arrêter ce qui constitue son « corps et son sang ». Cependant, il n’est pas encore intérieurement dévasté par ce qui lui arrive. Il réussit en effet à se recréer une cellule intime en emportant sa famille avec lui, en obtenant l’aide des sans-abri et en reprenant contact avec ses amis d’enfance.

Kenji, un héros que n'aurait pas renié Wim Wenders

C’est un autre incendie qui va balayer les derniers repères de Kenji et le plonger dans les « ténèbres insondables » : celui de Shinjuku, à l’aube du premier jour du XXIème siècle.

Lorsque le masque d’Ami tombe, Kenji découvre enfin l’ampleur du mal qu’il a involontairement contribué à faire croître et triompher. Ami s’est servi de lui pour monter une vaste mise en scène destinée à lui faire porter le chapeau de ses actes terroristes à Kenji tandis que le gourou endossera le rôle du sauveur.

L’échange d’identité est d’autant plus facile que c’est Kenji qui a provoqué l’incendie en plaçant de la dynamite dans le robot. Ce comportement terroriste est exactement celui qu’Ami affectionne. Un paradoxe d’autant plus ironique que Kenji est fondamentalement un non-violent (« Je ne sais pas frapper les gens »)… Mais il a une fois de plus aliéné sa personnalité pour faire ce qu’on attendait de lui.

La déflagration qui s’ensuit est une déflagration interne : c’est la personnalité de Kenji qui se disloque, qui est dynamitée de l’intérieur. Il « pète littéralement les plombs » et s’enfuit, traumatisé, privé d’identité, en proie à la confusion mentale la plus totale : « À minuit, le premier jour du XXIème siècle, au milieu de l’incendie de Shinjuku, j’ai sauvé ma peau mais j’ai perdu la mémoire et oublié que j’étais Kenji Endô. J’ai erré dans tout le pays, je suis même passé à Tokyo mais j’avais de sales souvenirs qui revenaient alors je suis reparti. J’avais la trouille et je fuyais. J’allais toujours plus loin, toujours plus loin de Kenji. »

Dans un cas comme dans l’autre, la vie des personnages est mise entre parenthèses. Ils sont comme morts, à eux-mêmes, aux autres et au monde. Il s’agit en réalité d’une fuite dans l’amnésie et l’anonymat voire d’une tentative de dissolution de l’être dans les grands espaces, expérience mystique s’il en est.

20th CENTURY BOYS © 2004 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

20th CENTURY BOYS © 2004 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

« On peut toujours devenir ce que l’on veut être, il n’est pas trop tard. »

Le retour est d’abord un retour à la vie. Il passe par la recherche d’une ressource vitale hors du désert : de l’eau. Dans deux scènes très similaires, on voit Travis et Kenji, hagards et dépenaillés s’arrêter devant une habitation avant de s’écrouler au sol, accablés par la soif.

Les personnes qui les recueillent réagissent différemment. Konchi ne cherche pas à percer le mystère de l’identité de son visiteur, qu’il laisse repartir « comme il était venu ». Le docteur trouve sur Travis un numéro de téléphone qui le mène directement à son frère. C’est grâce à lui que le héros de Wenders retourne à la civilisation en se recomposant une identité (« Je cherche le père, un père ça ressemble à quoi ? ») et en recherchant son ex-femme.

20th CENTURY BOYS © 2006 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan
20th CENTURY BOYS © 2006 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

20th CENTURY BOYS © 2006 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

En découvrant, au contact de son frère, que la rage qui l’a poussé à détruire son couple ne l’a jamais quitté, Travis décide de s’effacer pour réunir son ex-femme et son fils, qu’il avait contribué à séparer. Il lègue son histoire à ce dernier afin qu’il ne soit pas victime de la même souffrance que lui. Il poursuit alors son chemin, résolu à percer le mystère de son existence : 

Je me rappelle à peine de ce qui est arrivé. C’est comme un blanc mais cela m’a laissé si seul que je n’en suis pas remis. En cet instant j’ai peur, peur de m’en aller à nouveau. Peur de ce que je pourrais découvrir. Mais j’ai encore plus peur de ne pas affronter cette peur.

Il n’y a pas de retour à la civilisation pour Kenji. Et pour cause : il n’y a plus de civilisation. Celle dans laquelle Kenji a grandi et a vécu a été détruite par Ami en 2015. Le monde est devenu à la fois totalitaire et post-apocalyptique. Le chaos et la terreur règnent partout. Mais ce monde cauchemardesque est aussi un monde de possibles et de promesses que plus aucun cadre ne vient entraver.

C’est dans ce nouvel environnement semblable à celui d’un western que « ressuscite » Kenji, résolu à prendre « un nouveau départ » et à « en finir avec tout ça » dix-huit ans après sa disparition. Une réapparition saisissante qui convoque toute une série d’archétypes : celui du chevalier, celui du cow-boy et celui du hippie au confluent de Don Quichotte et d’Easy Rider. En guise de monture : une Harley. Sans oublier une guitare pour revolver et une chanson pour munitions.

Le charisme et la puissance dégagés par Kenji lui permettent d’entraîner – involontairement – une foule derrière lui, tel un nouveau Messie***. Le lecteur ne peut s’y tromper : cette fois, Kenji s’est trouvé et c’est bien pour ça qu’il va pouvoir sauver le monde de la folie d’Ami.

Cette nouvelle identité correspond en effet à ce qu’il voulait être au plus profond de lui depuis toujours : un justicier et un musicien reconnu, apprécié et écouté dans le monde entier. Ce qui le met hors de portée de toute nouvelle tentative de manipulation ou de « captation » d’identité.

Néanmoins, Kenji ne supporte pas qu’on le considère comme un héros car il est conscient d’avoir passé la plus grande partie de sa vie à fuir. Son objectif est désormais de se réconcilier avec lui-même. Ce qui implique de se réapproprier son nom, de compléter les parties manquantes de son histoire et enfin d’en finir avec la confusion entretenue par Ami entre leurs deux personnalités, entre le bien et le mal. En assumant ses responsabilités et en rachetant ses erreurs passées, Kenji sauve le monde, ceux qu’il aime et lui-même.

Certes, il ne le fait pas tout seul : chacun de ses amis apporte une aide déterminante ****. Mais c’est bien Kenji qui détient la clé du problème et donc la solution. L’humanité qui bégayait se remet à avancer et un avenir se dessine, aussi bien pour Kenji que pour ses proches. Ainsi, l’une des dernières scènes du manga montre Kanna et Chôno, les héritiers de Kenji, en train de creuser un puits dans le désert africain. Tout un symbole.

« On peut toujours devenir ce que l’on veut être ». L’identité, le « je » se forge à partir des choix de l’individu. Elle relève de la responsabilité de chacun. Y renoncer, se fondre dans la communauté, c’est faire le lit d’une violence ultérieure, contre soi-même ou contre les autres. Mais être soi-même demande un immense courage et une énorme persévérance. Et quand l’environnement ou l’histoire familiale étouffe toute velléité d’affirmation personnelle, il est toujours possible de changer d’horizon. Aucun mur n’a jamais réussi à définitivement abattre cette liberté humaine.

20th CENTURY BOYS © 2005 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

20th CENTURY BOYS © 2005 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

* La ville de naissance de Wenders est présente dans la plupart des mangas d’Urasawa : Mon-Chan y habite dans 20th Century Boys et le docteur Tenma y officie dans Monster.

** Le « club des vingt-sept » comprend Jimi Hendrix, Janis Joplin et Robert Johnson, qui sont tous trois cités dans le manga.

*** Il est difficile de ne pas penser, en voyant Kenji chanter devant des fusils braqués sur lui, à la célèbre photographie de Marc Riboud, datée des années 1960, où une jeune fille s’avance, seule, une fleur dans les mains, face aux baïonnettes de la garde nationale du Pentagone.

**** Notamment un personnage absolument fascinant, Yoshitsune, qui, comme Kenji, s’avère capable d’affronter seul et sans arme une forêt de fusils braqués contre lui, illustrant la maxime selon laquelle « ceux qui sont le plus aptes à exercer le pouvoir sont ceux qui ne l’ont jamais recherché ».

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