Les Héros du troisième type (1) Introduction
"L'art - n'importe quelle oeuvre d'art - c'est plutôt comme... tendre un miroir, et regarder ce qu'il reflète. Donc un film, c'est comme un miroir, d'accord, un miroir présenté au monde?"
(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p102)
Ainsi parlait Zarathoustra, (Richard Strauss, 1896), générique d'ouverture de "2001, l'Odyssée de l'espace" ("2001, Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968)
A mon grand-père, Francisco Casa (1913-1995).
I
Introduction
Qu'est ce qu'un héros du troisième type?
Il s'agit d'une expression que j'ai inventée en référence au film de Steven Spielberg, "Rencontres du troisième type (Close encounters of the third kind)" (1977) pour qualifier le type de héros qui me correspond depuis l'adolescence.
J'en ai pris conscience justement à cette époque-là. Je venais de lire ou plutôt de dévorer "Le Comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas et je me souviens parfaitement de la phrase que j'ai alors employée pour le définir:
"C'est l'histoire de quelqu'un qui se prend pour un surhomme mais qui va finir par devenir un homme".
François Truffaut dans le rôle du docteur Itard qui humanise Victor "L'Enfant sauvage"(1970) devient également chez Steven Spielberg un passeur, le scientifique Claude Lacombe qui invente le langage musical permettant de communiquer avec les aliens.
Un héros traditionnel du "premier type" mène au départ une vie conformiste, fondu dans la masse. Mais il aspire en secret à autre chose et répond à l'appel de l'aventure, souvent encouragé par un mentor, voire adoubé par dieu lui-même ("l'Elu"). Après avoir subi des épreuves initiatiques qui prouvent sa valeur, il revient de son voyage couvert de gloire et transformé pour le bien de l'humanité. Il est sorti des sentiers battus pour se forger un destin exceptionnel et admirable.
Le roi Arthur est l'archétype du héros traditionnel. Aujourd'hui il en est de même pour nombre de héros de la pop-culture comme Luke Skywalker et Rey dans "Star Wars"
A ce type édifiant de héros, il faut ajouter le héros tragique ("deuxième type") d'origine antique. Il se distingue du héros traditionnel en ce qu'il est le jouet d'une fatalité qui le dépasse (qu'elle soit externe ou interne à lui) contre laquelle il ne peut rien (ou plutôt à laquelle il choisit de se soumettre si on raisonne à l'intérieur d'un paradigme sans transcendance) et qui l'entraîne vers une mort inéluctable. Celle-ci peut être pathétique ou au contraire se transformer en apothéose, le héros se consumant dans un moment ultime de gloire. Dans les deux cas, il ne laisse que de la terre brûlée derrière lui tant sa vengeance ou son moment de gloire n'a relevé que d'un palliatif à son vide existentiel.
Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.
Le héros du troisième type ou "extra-terrien" accomplit le chemin diamétralement opposé à ceux des types 1 et 2. En effet, ce héros occupe au départ une position détachée de l'humanité, soit au sens propre (il n'appartient pas à l'espèce humaine) soit au sens figuré (il est coupé de ses émotions et sentiments). La plupart du temps il flotte quelque part au-dessus d'elle comme un astre solitaire et quelque peu désaxé. Mais un événement soudain et violent ou bien un cheminement progressif l'amène à quitter son perchoir. Sa trajectoire prend alors la forme d'une chute. On dit selon les cas qu'il "tombe du nid", "tombe du ciel" ou "tombe de son piédestal". Il doit alors apprendre ou réapprendre à partager le sort des "simples" mortels. Au bout du chemin la plupart du temps parsemé d'embûches plus ou moins âpres, il parvient soit à devenir humain soit à retrouver son humanité perdue.
Bien entendu ce type de héros peut tout à fait se panacher avec les autres ce qui est par exemple le cas dans les films chevaleresques de Terry Gilliam, "Brazil" (1985) qui le combine avec le type 2 et "Fisher King"(1991) avec le type 1.
"2001, l'Odyssée de l'Espace" qui fait référence musicalement et philosophiquement à "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) tend vers un dépassement de l'humain par lui-même qui débouche sur un enfant astral, détaché de la terre dans le film de Kubrick. Mais nul besoin de la quitter pour s'accomplir en tant qu'humain, pleinement humain (et non "Humain, trop humain") (1878).
Ainsi "Fisher King" (1991) convoque à la fois le surhomme de Nietzsche (assimilé à la grandeur du destin d'exception, en bien ou en mal) et Pinocchio, le pantin de bois qui doit gagner le simple droit d'intégrer l'humanité:
"Nietzsche dit qu'il y a deux races de gens dans le monde. Ceux destinés à être grands comme Walt Disney et Hitler. Et puis... nous autres. Il nous a appelés les sabotés et les salopés. Bon pour le miroir aux alouettes. Parfois, on approche la grandeur mais sans toucher au but. On est jetable à merci. Poussés sous des trains, empoisonnés à l'aspirine... flingués dans des ice-cream Palaces! Tu veux savoir le nouveau titre de ma biographie, mon petit pote italien? "C'était pas de la tarte, la vie de Jack Lucas".
Jack Lucas, animateur radio mégalomane passe sans transition ou presque du "sommet des dieux" à la clochardisation au ras du bitume avec sa marionnette pour miroir qu'il a pour mission d'animer. Comment? Là est tout son problème.
Sommaire:
1- Introduction
2- Là-Haut et en dehors
3- Sur les cimes du désespoir
4- Nobody's Perfect
5- Compañeros
6- Le Vent se lève
7- Le dernier problème
8- Le Zéro et l'Infini