Documentaire critique différent de ceux auxquels on est habitués, "John Wayne, l'Amérique à tout prix" aurait pu s'appeler "Comment Marion Morrison est devenu John Wayne, l'incarnation de l'Amérique réac?" La thèse sur laquelle repose toute la démonstration du documentaire est la suivante: il ne s'est jamais remis de la seconde guerre mondiale. Non pas celle qu'il a faite mais celle qu'il n'a pas faite. En effet après avoir galéré des années dans le cinéma de série B, la carrière de John WAYNE décolle avec "La Chevauchee fantastique" (1939). Mais voilà que l'attaque de Pearl Harbour obligent les USA à entrer en guerre. Les stars confirmées s'engagent. John WAYNE tergiverse et choisit finalement de rester à Hollywood. Un choix payant au niveau de sa carrière mais qui le plonge ensuite dans un profond sentiment de culpabilité. John FORD qu'il appelle "Pappy" parce qu'il considère qu'il lui doit tout le couvre en effet de honte. Alors John WAYNE se spécialise dans les rôles de cow-boy ou de soldat conservateurs et ultra-patriotiques, parfois pour le meilleur dans "La Prisonniere du desert" (1956) mais souvent pour le pire comme dans "Les Berets verts" (1968). Parallèlement, il tente de réparer sa "faute" en s'engageant dans la guerre froide. Mais c'est pour assister le maccarthysme en dénonçant les communistes d'Hollywood: pas très glorieux. Dans les années 60, sa croisade réac en pleine guerre du Vietnam devient carrément pathétique tant il apparaît comme un dinosaure complètement déconnecté de son époque. Il devient la parfaite caricature du beauf sexiste, raciste, homophobe, multipliant les déclarations à l'emporte pièce jusqu'à ce que la maladie ne l'emporte. Jusqu'au bout, John WAYNE apparaît comme un costume XXL cachant un type déphasé, incertain, jouant les patrons tout en étant sous la coupe sévère de l'éternel paternel de substitution John FORD, se faisant appeler "le Duke" pour mieux cacher le fait de porter un prénom féminin et mort d'un cancer provoqué au moins en partie par les retombées radioactives mal contrôlées d'une armée américaine qu'il vénérait tant.
Arte a eu bien raison de programmer le dernier film de Howard HAWKS pour les fêtes de fin d'année. "Rio Lobo" est le mal-aimé de la trilogie de westerns en couleur que le réalisateur a tourné avec John WAYNE et a souffert de la comparaison avec "El Dorado" (1965) et surtout "Rio Bravo" (1959), sommet du western et de la filmographie de Howard HAWKS. Pourtant, le plaisir est là. Celui de se lover dans un univers familier et chaleureux dont "Rio Lobo" offre une déclinaison peut-être en mode mineur mais savoureuse en compagnie du Duke, certes vieillissant et bedonnant mais qui fait office comme le dit l'un des personnages féminins du film (il y en a trois!) d'excellente "bouillotte". Ce n'est pas le seul trait d'auto-dérision qui nous régale, outre le qualificatif de "bébé baleine" relatif à son embonpoint il doit subir également un charcutage chez le dentiste parce qu'il serait un "trop mauvais acteur" (une façon intelligente de répondre à ses détracteurs). A ses côtés, l'ami fidèle et ancien adversaire (Jorge RIVERO), son jeune adjoint (joué par le fils de Robert MITCHUM) et un vieux briscard pittoresque râleur et amateur d'alcool. Non plus Walter BRENNAN mais Jack ELAM dont la gueule mal rasée et l'oeil à moitié fermé est resté célèbre pour l'ouverture de "Il était une fois dans l'Ouest" (1968). A ce "men's club" hétéroclite et retranché devant se défendre contre des ennemis plus nombreux et plus forts, il faut ajouter les trois jeunes femmes du film, au physique trop mannequin pour s'intégrer harmonieusement dans le western mais qui sont partie prenante du récit, maniant la gâchette et prenant les coups au lieu de regarder passer les trains. Il y a quelques longueurs mais aussi d'excellents morceaux de bravoure comme l'attaque du train par les sudistes au début du film. "Rio Lobo" a beau restituer toute la saveur de l'univers hawksien, le magnifique générique mélancolique à la guitare sèche nous rappelle que c'est son film-testament, son chant du cygne.
J'avais pris un faux départ avec "Mammuth" (2010) que je n'avais pas aimé à l'époque (mais il me faut le revoir). "Louise-Michel" est l'une de ces comédies sociales vachardes et vengeresses trempée à l'humour belge et à l'esprit canal d'antan. Mais qui va au-delà de la fable potache. D'abord en s'inscrivant dans une filiation historique explicite: celle de l'institutrice anarchiste de la Commune qui, comme la Louise/Jean-Pierre de Gustave KERVERN et Benoit DELEPINE portait tout aussi bien le flingue. Mieux en tout cas que son comparse avec lequel elle forme un couple à la "Family Compo", Michel/Cathy, la "lopette mythomane" jouée par Bouli LANNERS. Mais aussi dans le sillage d'une filmographie implicite que j'ai perçue en écho: celle de "Les Temps modernes" (1936) avec le tapis de course qui s'enraye et les paroles mécaniques prononcées par le financier qui s'escrime dessus mais aussi celle de "Les Raisins de la colere" (1940). L'odyssée jusqu'au-boutiste et absurde de "Louise-Michel" résonne avec les propos échangés entre fermiers expulsés et bons petits soldats du capitalisme du film de John FORD adapté du roman de John Steinbeck se défaussant de leurs responsabilités sur une entité abstraite et lointaine: " Qui tuer ? Le conducteur reçoit ses ordres d’un type qui les reçoit de banque qui reçoit ses consignes de l’Est. Peut-être qu’il n’y a personne à tuer. Il ne s’agit peut-être pas d’hommes. Comme vous dites, c’est peut-être la propriété qui est en cause." Dans "Louise-Michel" où le politiquement correct est mis de côté puisque ce sont des malades en phase terminale qui sont chargés d'exécuter les "contrats", chaque nouveau mort, loin de constituer une catharsis s'avère n'être qu'un leurre menant le duo dans un périple à la Victor Hugo, de leur Picardie originelle à Bruxelles et de Bruxelles à Jersey devenu un paradis fiscal. Sur leur chemin, des rencontres loufoques avec des acteurs-réalisateurs bien connus pour leur regard critique sur le système tels que Mathieu KASSOVITZ en propriétaire d'une ferme estampillée "développement durable" et Albert DUPONTEL en tueur à gages serbe muet et frappadingue.
Le premier film de Louise COURVOISIER est une comédie de terroir vivifiante qui met un peu de temps à démarrer mais déborde par la suite de charme et pose des questions plus profondes qu'il n'y paraît. Le héros, Totone est irrésistible avec sa bouille à la poil de carotte et son attitude de grand dadais (notamment face aux filles) alors que sa petite soeur Claire, choupinette comme tout est bien plus mature que lui. Si Totone apparaît au début du film comme un gamin rebelle et un peu nigaud, les épreuves initiatiques du film (que beaucoup comparent à un western rural ou à "Les Quatre cents coups" (1959) dans le Jura) vont lui mettre du plomb dans la cervelle. Les coups du sort obligent en effet Totone à grandir plus vite que prévu. Il doit renoncer à sa bande de potes vivant dans une éternelle adolescence insouciante à coup de bals, alcool, glande, courses de stock-cars... mais rencontre en échange des femmes, bosseuses bien plantées sur leurs jambes qui jouent un rôle déterminant dans son apprentissage de la vie et du métier de fromager. Marie-Lise, la fille du fermier chez qui travaille un temps Totone le trouve à son goût et le lui fait savoir. Totone espère lui chiper du lait pour fabriquer une meule de comté qui lui permettra de remporter un prix et sortir un peu la tête de l'eau. Mais il découvre bien davantage que les secrets de fabrication d'une recette ancestrale, un moyen de partage, un savoir-faire qui lui permette de redresser la tête, une identité le rattachant à ses racines. Les deux jeunes acteurs, tous deux agriculteurs et jurassiens sont d'un naturel épatant tout comme le reste du casting. "Vingt Dieux" est un film bien ancré dans le sol et qui fait du bien offrant un regard positif sur une jeunesse déclassée dans un territoire dit "périphérique".
Intéressant décryptage de la filmographie de Blake EDWARDS par des spécialistes du septième art qui soulignent son mélange de sophistication et de trivialité, de même que son talent pour marier le vaudeville et le slapstick. Le "gag à combustion lente" dont il s'est fait une spécialité est analysé notamment à travers "La Party" (1968), bijou de satire sociale et burlesque et sommet de sa collaboration avec Peter SELLERS (sa principale "muse" avec Julie ANDREWS). Mais on parle aussi beaucoup de "Diamants sur canape" (1961), la musique de Henry MANCINI, son compositeur attitré et l'art de camoufler une histoire de prostitution sous des airs de comédie romantique. Car les intervenants évoquent la parenté évidente du cinéaste avec Billy WILDER (alcoolisme, grivoiserie, travestissement, satire du monde hollywoodien et jusqu'à un plan d'ascenseur quasi-identique) mais aussi avec Robert ZEMECKIS notamment dans "La Mort vous va si bien" (1992). Blake EDWARDS a inventé des personnages devenus en effet des stars du cartoon, à commencer par la panthère rose dont une peluche se promène dans les décors du documentaire, mais aussi les "Les Fous du volant" (1968) dérivés de "La Grande course autour du monde" (1965). Mais Blake EDWARDS n'était pas qu'un prince de la comédie et l'un des meilleurs réalisateurs burlesque du parlant, il s'est également essayé à d'autres genres, du western ("Deux hommes dans l'Ouest") (1971) au thriller ("Experiment in Terror" (1962) qui a influencé David LYNCH pour "Twin Peaks") et au drame avec "Le Jour du vin et des roses" (1962) qui évoque l'addiction à l'alcool dont il a souffert. Un autre de ses tourments majeurs concerne l'identité sexuelle. Le mâle alpha y est particulièrement malmené, ses pulsions le menant dans une incertitude proprement vertigineuse comme dans "Victor Victoria" (1982) ("un homme amoureux d'une femme se faisant passer pour un homme qui interprète des rôles de femme") quand il n'est pas obligé de se réincarner "Dans la peau d'une blonde" (1991).
J'ai bien aimé la délicatesse irisée de ce film, le second du jeune cinéaste (28 ans) Hiroshi Okuyama. L'histoire fait un peu penser à celle de "Billy Elliot" au pays du soleil levant. A ceci près que la cruauté feutrée de la société japonaise produit des effets tout à fait différents du milieu des prolétaires anglais dépeints dans le film de Stephen Daldry. L'histoire tourne autour de Takuya, un adolescent bègue qui préfère contempler la neige que lancer la balle ou le palet. Fasciné par Sakura, une patineuse de son âge, il tente maladroitement de reproduire les figures gracieuses qu'elle exécute sur la glace et attire l'oeil d'Arakawa, l'entraîneur de Sakura qui le prend sous son aile et tente de les réunir pour les faire concourir. Le réalisateur créé un film aérien et cotonneux avec une belle photographie, des paysages, des couleurs et des éclairages qui reflètent les états d'âme des personnages, trois solitudes qui déploient leurs ailes le temps de quelques moments suspendus avant l'inévitable crash. Il est difficile de démêler dans la décision de Sakura de se retirer du trio ce qui relève de préjugés quant à l'orientation (homo)sexuelle de Arakawa (très mal vue au Japon et encore peu abordée au cinéma, hormis dans le récent "L'Innocence" de Hirokazu Kore-Eda) et ce qui est lié à la jalousie de se sentir exclue de la relation privilégiée qu'il entretient avec Takuya alors qu'il est manifeste qu'il ne lui a jamais accordé la même attention. Dommage que le réalisateur ne sache pas comment finir son film qui après une première partie plutôt séduisante finit par s'épuiser complètement. La faute à un scénario sans doute trop évanescent.
Le bouc-émissaire de Francis VEBER (auteur du scénario) + la causticité satirique d'un Bertrand BLIER portée par son acteur fétiche de l'époque, Patrick DEWAERE = "Coup de tête", deux ans avant qu'un "Coup de torchon" (1981) ne vienne balayer les restes d'une notabilité locale corrompue (dont l'un des gardes-chiourme est interprété également par Gerard HERNANDEZ) et quelques années encore avant qu'elle ne reçoive le KO subversif de "Quelques jours avec moi" (1988), Daniel AUTEUIL étant par ailleurs l'un des interprètes de François Pignon dans les films de Francis VEBER. "Coup de tête" présente un petit monde consanguin d'"Affreux, sales et mechants" (1976) (la référence à la comédie italienne est revendiquée par Jean-Jacques ANNAUD lui-même) qui tiennent une petite ville de province, Trincamp (le film a été en réalité tourné à Auxerre) sous leur coupe réglée avec le football pour ciment. Cela va du président du club de foot et de l'usine qui va avec, Sivardière (Jean BOUISE) aux marchands de meubles et d'automobiles (Paul LE PERSON et Michel AUMONT) en passant par le bistrot "Le Penalty" tenu par Maurice BARRIER. Bref toute une petite économie prospérant sur la religion du foot comme moyen de contrôle des masses. C'est là qu'il faut peut-être chercher la raison de la présence de Jean-Jacques ANNAUD que l'on associe d'habitude à des films historiques certes mais dépeignant souvent une communauté (voire une communauté religieuse comme dans l'enquête de "Le Nom de la Rose") (1986) en tension entre repli et ouverture. Perrin, qualifié de "primate" (et pourtant, on n'est pas dans "La Guerre du feu") (1981) parce que trop fort en gueule pour entrer dans les cases se retrouve brutalement exclu des rouages de cette communauté au fonctionnement très féodal et même s'il reste confiné à l'intérieur d'un espace restreint, il fait l'expérience de l'exclusion liée à l'altérité, voyageant avec les éboueurs africains sans sortir de chez lui. Cela ne rend que plus délectable le coup de théâtre footballistique qui le transforme brutalement de paria en héros local, lui donnant les moyens de mettre ses persécuteurs au tapis mais pas de la manière dont on l'imagine. Perrin, incarné avec ce mélange d'attitude bravache, de fureur et de fragilité extrême qui rendait Patrick DEWAERE si unique ne cesse jusqu'à la fin de déjouer les attentes de ses adversaires et s'avère parfaitement insaisissable.
Avec un tel titre, je le sentais bien ce documentaire et je n'ai pas été déçue! Léo Favier a fait un travail remarquable d'approfondissement qui met en lumière les contradictions du maître japonais de l'animation, jamais aussi bien retranscrites que dans "Princesse Mononoke". Le film qui lui a ouvert les portes de l'Occident et qu'il considère lui-même comme un tournant dans sa carrière (c'est après ce film qu'il envisage pour la première fois de prendre sa retraite, mainte fois repoussée depuis) est le premier où il ne cherche pas à résoudre le conflit entre nature et culture, montrant tour à tour les facettes lumineuses et sombres de chacune et laissant ensuite chacun, y compris lui-même face à ses propres questionnements. Hayao Miyazaki mêle en effet dans chacun de ses films son expérience hantée de la guerre (il est né en 1941 et ses premiers souvenirs sont liés aux bombardements) et sa fascination pour les engins volants militaires aux connexions ancestrales entre humains et esprits de la nature issus du shintoïsme rural. Le documentaire met en relief le fait que tous ses films ont été réalisé dans un contexte de catastrophe naturelle et/ou humaine, passée, présente ou même à venir. Par exemple, "Porco Rosso" durant la guerre de Yougoslavie et le bombardement de Dubrovnik situé au bord de l'Adriatique, sur les lieux-même de son film. "Princesse Mononoke" dans la foulée du tremblement de terre de Kobé ainsi que l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Ou "Ponyo sur la falaise", trois ans avant le tsunami ayant provoqué la catastrophe de Fukushima. Hayao Miyakazi se place ainsi à la fois dans le passé, le présent et le futur de nos sociétés, quand nos descendants (des enfants en qui il place son espoir) devront composer avec le monde post-apocalyptique issu de la guerre des "sept jours de feu" (Nausicaa) ou des grands bouleversements climatiques (Ponyo) ou encore du consumérisme effréné (Chihiro). L'intervention de Toshio Suzuki (producteur du studio Ghibli) et de l'anthropologue Philippe Descola (spécialiste des relations entre humains et non-humains qui a contribué à changer le mot "nature" pour le mot "vivant") soulignent comment la vision shintoïste du monde dans laquelle l'homme est un écosystème comme un autre, animé du même souffle que tout ce qui l'environne s'oppose à la vision occidentale d'un homme se plaçant en dehors et au-dessus de la nature pour chercher à la dominer et à l'exploiter jusqu'à ce qu'à force de regarder ailleurs, il ne tombe avec la branche qu'il a scié. Une porte ouverte à la remise en cause des fondements de notre propre civilisation, que ce soit le cartésianisme ou le capitalisme qui semblent aujourd'hui plus que jamais nous mener vers une impasse.
Un monument du cinéma mondial qui me poursuit depuis mon adolescence, depuis que lors des fêtes du bicentenaire de la Révolution, j'avais acheté un livre répertoriant les films incontournables de cette période dans lequel "Napoléon" occupait une bonne place. Mais je ne l'avais jamais vu jusqu'ici. La dernière restauration en date effectuée par la Cinémathèque française a fait passer cette oeuvre monumentale ayant dès l'origine existé en plusieurs versions (on en compterait 22 au total!) de 5h30 à 7h18. Je n'ai cependant pu voir que la première partie dans ce nouveau format, la deuxième ayant déjà disparu du replay de France télévision. Je me suis donc rabattue sur l'avant-dernière version, celle du British film institute par Kevin Brownlow en 2000. De toutes façons, il faudra y revenir, la Cinémathèque préparant la restauration de la version présentée au cinéma Apollo en 1927 d'une durée de 9h40 (la plus longue de toutes donc à ce jour) mais sans les triptyques de la dernière demi-heure ayant participé à construire la légende du film. J'imagine qu'à terme, on aura une version de 10h la plus complète possible!
S'il ne fallait qu'un mot pour caractériser ce film-fleuve, ce serait le souffle qui s'en dégage. Tout y apparaît vivant et dynamique, de la caméra ultra-mobile aux tableaux hiératiques animés par les éléments déchaînés (vent, feu, vagues, grêle, musique!) Les morceaux de bravoure s'enchaînent, plus inspirés les uns que les autres et dressent une fresque plus révolutionnaire que proprement napoléonienne. Fresque opératique dans laquelle la naissance des hymnes (de la "Marseillaise" et on pense beaucoup à Rude et Delacroix au "Chant du départ") tiennent une grande place, traversant le corps social d'un élan collectif quasi-mystique qui semble rendre invincible l'armée la plus dépenaillée! En effet le titre du film est impropre, il aurait dû s'appeler: "L'ascension de Bonaparte" ou "Bonaparte et la Révolution". En effet Abel GANCE avait le projet encore plus fou de réaliser plusieurs films sur le personnage mais l'arrivée du parlant a fait prendre au cinéma une autre direction (où l'on se rend compte qu'on a beaucoup perdu en terme d'inventivité dans la narration par l'image) qui a coupé court à son entreprise. "Napoléon" raconte donc les jeunes années de Bonaparte, de ses 11 ans à Brienne (où il est déjà montré comme un stratège hors pair en bataille de boule de neige et une icone flanqué d'un chapeau et d'un aigle qui le caractériseront toute sa vie) aux débuts de la campagne d'Italie en 1796 où après avoir été adoubé à la Convention par les fantômes des trois "dieux" (Robespierre, Marat, Danton) il va porter les idéaux de la Révolution hors des frontières. L'accent est mis sur le génie visionnaire (systématiquement incompris d'où la solitude inhérente au héros), le patriotisme du Corse ombrageux et son refus des compromissions qui lui ont valu quelques sérieux déboires. Mais c'est pour mieux revenir à chaque fois, plus triomphal que jamais. Une narration à la D.W. GRIFFITH, une expressivité à la Sergei EISENSTEIN pour donner à l'Europe l'épopée de sa propre naissance en tant que nation-civilisation contemporaine, celle de la démocratie héritée des Lumières avec toute l'imagerie qui l'accompagne. Abel GANCE a vu très grand et son film fourmille d'idées plus dingues les unes que les autres. Le triptyque final fait encore aujourd'hui un effet "waouh", qu'il soit utilisé pour élargir le champ de vision façon Cinémascope ou fragmenté pour créer un écho entre des images réalistes et symboliques. Mais avant cela, il y a déjà dans la conclusion de certaines séquences des découpages d'écran qui semblent jouer le rôle d'accélérateur d'histoire. Et cette caméra mobile qui semble tantôt plonger dans la foule, tantôt voler en rase-motte par-dessus, tantôt tanguer comme un bateau en prise avec des flots déchaînés et qui électrise par exemple la séquence en montage alterné dans laquelle Bonaparte affronte une tempête pendant que la Convention s'apprête à condamner à mort les girondins. Gare à l'effet de houle!
Documentaire retraçant la vie et la carrière de Jacques DEMY, le film de Florence PLATARETS et de son scénariste Frederic BONNAUD a pour principal atout la richesse de ses images d'archives dont certaines paraît-il sont inédites. Il faut dire que le film est produit par les enfants de Jacques DEMY et Agnes VARDA qui sont les dépositaires de l'héritage du couple de cinéastes. Beaucoup d'interviews d'époque du principal intéressé et de quelques uns de ses acteurs et actrices, Catherine DENEUVE, Jean MARAIS ou Marie-France PISIER. Mais une restitution chronologique, scolaire, qui ne propose pas de point de vue et se contente de jouer les chambres d'enregistrement. Il aurait été tellement plus intéressant d'avoir un plan thématique faisant ressortir les obsessions de Jacques DEMY mais aussi analysant les raisons de ses succès puis de ses échecs. Car le rose et le noir, ce n'est pas seulement l'amertume et la noirceur logées au coeur de ses films les plus féériques et joyeux, c'est une carrière dont on connaît les grands classiques des années 60 mais qui s'étiole après "Peau d'ane" (1970) faute de parvenir à se renouveler. Jacques DEMY est montré comme un homme intègre mais idéaliste, intransigeant et hors-sol ce qui le conduit à des impasses comme ses films produit à l'étranger et longtemps non distribués en France ou sa rupture avec le public français qui ne comprend plus ses films. Il n'est pas mentionné par exemple que le four de "Model shop" (1968) qui ne correspondait pas aux attentes des producteurs américains lui a fermé définitivement la possibilité d'une carrière aux USA en dépit d'une nouvelle tentative dix ans plus tard. Une catastrophe car c'était le seul pays qui aurait eu les moyens de lui permettre de réaliser ses rêves de grandeur. Ou le fait que des projets comme "Une chambre en ville" (1982) ou "Trois places pour le 26" (1988) sont restés dans les placards plusieurs dizaines d'années et n'ont pu se faire que grâce à la victoire de Mitterrand (pour le premier) et à Claude BERRI (pour le second). Mais ils n'ont pas évolué d'un iota ce qui en fait d'étranges objets un peu démodés avec par exemple un Yves MONTAND devenu trop âgé pour le rôle. Au moins a-t-on droit au cassage en règle de Francis HUSTER qu'il ne put empêcher de chanter dans "Parking" (1985) ce qui aboutit à un massacre! Notons enfin, contrairement à ce qui est annoncé des impasses, notamment sur la plupart de ses courts-métrages, son travail d'assistant auprès de Paul GRIMAULT ou son téléfilm, "La naissance du jour" (1980) consacré à Colette.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.