Je me suis laissé prendre par ce film qui m'a rappelé "Candide" pour son caractère de conte philosophique faussement naïf. Sauf qu'à la sortie, il a été largement descendu en flammes par la critique, a connu un succès en demi-teinte en salles et n'a été redécouvert et réhabilité que bien plus tard. Sans doute était-il trop en avance sur son temps. Qu'une réalisatrice de comédies se permette de tailler en pièces la civilisation occidentale considérée comme le modèle à suivre, le nec plus ultra du développement, la Rolls Royce du monde a dû être perçu à l'époque comme un insupportable blasphème par ses têtes pensantes. Mais près de trente ans plus tard, ce monde soi-disant si enviable a perdu de sa superbe avec les effets néfastes du productivisme en terme de santé publique et d'environnement, l'explosion des inégalités sociales, la malbouffe ou encore le mouvement Metoo qui a révélé l'ampleur de l'écrasement des femmes par les hommes à tous les échelons de la société. Le monde "extra-terrestre" inventé par Coline SERREAU ressemble en fait beaucoup à celui des indiens précolombiens que Terrence MALICK a reconstitué dans "Le Nouveau monde" (2006): un monde dans lequel les hommes vivent simplement, sans technologie, sans urbanisme, sans hiérarchie, sans argent, ne produisant que la nourriture (végétarienne) nécessaire pour vivre et consacrant leur temps au développement de leur corps et de leur esprit. Une espèce complètement adaptée et connectée à son environnement naturel comme le montre les "concerts de silence" qui ressemblent beaucoup à de la méditation (chez Terrence Malick, ils pratiquaient une sorte de Qi-Gong). Tout cela évidemment dans un cadre magnifique qu'ils ne cherchent pas à transformer. Sauf que ce monde extra-terrestre est en fait présentée comme une humanité évoluée, donc un futur peut-être possible. On comprend en effet qu'aucun de ses habitants n'aie la moindre envie de se rendre sur la terre, qualifiée "d'arriérée". Et quand Mila (Coline SERREAU) se dévoue, c'est pour mieux faire ressortir l'absurdité de notre monde. Vu par ses yeux, il apparaît toxique à tous les niveaux: nourriture transformée immangeable, eau traitée chimiquement imbuvable, air irrespirable à cause du CO2 et de la nicotine (c'était avant l'interdiction du tabac dans les bars et restaurants), bruit, stress, artificialisation des sols, fascination pour le métal. Mais à la manière d'un François Terrasson, géographe auteur de "La civilisation anti-nature", Coline SERREAU établit le lien avec les émotions et relations humaines, détruites par le stress, le mensonge, le mépris, la cupidité, le goût du pouvoir etc. Les scènes les plus drôles sont celles dans lesquelles Mila utilise ses pouvoirs psychiques pour "déconnecter" les gens de leur société mortifère. Vincent LINDON qui joue (comme d'habitude chez la réalisatrice) le rôle d'une tête à claques devient le principal allié de Mila et dans une tirade bien sentie recadre sévèrement un automobiliste énervé (Francis PERRIN). Les institutions en prennent plein la figure, de même que les loisirs de masse. Même un concert de musique guindé prend une allure beaucoup plus fantaisiste après le passage de la "fée Mila".