Mais qu'il est beau ce film! Je suis encore enchantée d'avoir pu l'attraper au vol, juste avant qu'il ne disparaisse sur Arte. Parfois (c'est loin d'être toujours le cas), la conjonction de talents aboutit à un résultat harmonieux, cohérent où chacun donne le meilleur de lui-même et converge dans le même sens. C'est l'un des plus beaux rôles de Jean-Paul BELMONDO qui conjugue ici l'action, l'élégance, la sobriété avec une profonde mélancolie qui le rapproche de son fabuleux personnage de "La Sirene du Mississipi" (1969). Les décors, les costumes et la photographie forment un écrin d'une rare justesse, on s'y croirait. Le tout au service d'un puissant récit contestataire de l'ordre social en phase avec le contexte historique retranscrit, la fin du XIX° siècle. L'auteur de l'oeuvre originale, Georges Darien était un libertaire, partisan de l'anarchisme, un mouvement transnational qui avait mené en France au début des années 1890 des attentats sanglants destinés à déstabiliser l'Etat bourgeois (l'assassinat du président Sadi Carnot en 1894 par exemple) avant d'être impitoyablement réprimé. Louis MALLE et Jean-Claude CARRIERE ont ainsi pu à travers son récit régler leurs propres comptes avec la bourgeoisie et faire souffler l'esprit du futur mai 68. Avant de devenir un cambrioleur professionnel (et un obsessionnel compulsif du vol de bijoux), Georges Randal est montré en effet comme une victime de cet ordre social bourgeois, personnifié par son oncle et tuteur, Urbain Randal (Christian LUDE) qui le prive de son héritage et de sa fiancée. Ce faisant, il créé un ennemi de classe au mode opératoire minutieusement retranscrit et symbolique. Il y a un côté hautement jouissif à voir cet homme se venger encore et encore en forçant les portes, fenêtres, coffre-fort et autres secrétaires des maisons patriciennes qu'il ravage systématiquement, ne laissant derrière lui que désordre et désolation. Mais ses interventions subvertissent également les stratégies de ses ennemis en matière matrimoniale comme successorale. Quant il ne se paye tout simplement pas leur tête, ceux-ci rivalisant de bêtise. Les coups de griffe n'épargnent pas le cléricalisme, coupable de sa collusion avec le milieu bourgeois. Ainsi le personnage joué par Julien GUIOMAR s'avère être un abbé escroc alors que offense suprême vis à vis de son oncle, Georges Randal le prive de funérailles religieuses en falsifiant son testament. Les femmes, quel que soit leur statut sont les meilleures alliées de Georges, trouvant à ses côtés le moyen de prendre une revanche vis à vis d'un ordre patriarcal qui les opprime. C'est l'occasion de voir un beau défilé d'actrices: Bernadette LAFONT, Genevieve BUJOLD, Marie DUBOIS, Francoise FABIAN, Marlene JOBERT ou encore Martine SARCEY.
Décidément, la filmographie de Philippe de BROCA réserve bien des surprises. Après "Chere Louise" (1972), un autre film méconnu de lui (parce qu'ayant été un échec à sa sortie) est remis en lumière, "Le roi de coeur". Même si j'ai trouvé que les acteurs surjouaient et que le film comportait des longueurs, l'intrigue me paraissant davantage convenir à un moyen qu'à un long métrage, le pas de côté antimilitariste effectué par le cinéaste ne manque pas de charme. Le film a pour cadre le théâtre d'un village abandonné que les allemands ont décidé de faire sauter à la fin de la première guerre mondiale (Marville en réalité Senlis). Un soldat britannique, francophone et colombophile (manière de souligner son pacifisme foncier, comme dans le très beau "Les Fragments d'Antonin") (2006) est envoyé en mission (suicide) pour désamorcer la bombe. Mais celui-ci réussit à échapper aux allemands en se réfugiant chez les fous et en se faisant passer pour l'un d'entre eux. C'est ainsi que naît le roi de coeur (Alan BATES) aux côtés du duc de trèfle (Jean-Claude BRIALY) et de monseigneur marguerite (Julien GUIOMAR). Ce n'est qu'un petit échantillon de ce qui constitue selon moi la plus belle scène du film, lorsque les aliénés décident d'investir la ville désertée dans un mouvement carnavalesque. Chacun fouille dans les lieux, revêt les habits de son personnage et l'on découvre alors Micheline PRESLE sous les traits d'une tenancière de bordel, Mme Eglantine, Michel SERRAULT sous celui d'un coiffeur maniéré qui préfigure "La Cage aux folles" (1978) ou encore Pierre BRASSEUR dans le rôle du général géranium. Bref, deux ans avant mai 1968, Philippe de BROCA a inventé le flower power des patronymes. L'idée est fort belle, de même que la parade colorée qui illumine les rues grises un peu à la manière d'une comédie musicale (avec la BO de Georges DELERUE et la photographie de Pierre LHOMME). J'ai pensé à "Le Joueur de flute" (1971) de Jacques DEMY qui montrait des saltimbanques comme une bouffée d'oxygène dans un bourg sclérosé par la haine antisémite d'autant qu'en s'enfuyant, les habitants de Marville ont laissé une ménagerie de cirque (celle de Jean RICHARD) qui a également l'occasion de s'échapper de sa cage. Tandis que l'une des filles de Mme Eglantine, Coquelicot (Genevieve BUJOLD dix ans avant "Obsession") (1976) s'essaie au funambulisme sous les yeux de Charles alias le roi de coeur avec lequel elle entame une idylle. Mais comme dans "Le Joueur de flute" (1971), la parenthèse enchantée n'est pas destinée à durer. Charles dont on peut imaginer qu'il est le double de Philippe de BROCA a quant à lui définitivement choisi son camp et la fin repose également sur une belle idée paradoxale de liberté en cage après que chacun se soit dépouillé des insignes qui l'encombrait.
a curiosité de regarder un film de Joseph von STERNBERG sans Marlene DIETRICH m'a poussé à emprunter le DVD de "The Shanghai Gesture". C'est avant tout un film d'atmosphère, d'un exotisme vénéneux dans lequel la ville de Shanghai à l'époque coloniale est décrite comme une nouvelle Babylone cosmopolite. L'origine théâtrale du scénario est sublimée par le décor d'un casino que l'on découvre lors d'un plan en plongée suivi d'un travelling qui lui donne un caractère vertigineux. Parmi la faune étrange et décadente qui vient se perdre dans ce chaudron de strupre dominé par son croupier français (Marcel DALIO), Joseph von STERNBERG isole quelques spécimens lors de gros plans saisissants. Le "docteur" Omar (Victor MATURE), qui en réalité est un gigolo, Dixie Pomeroy (Phyllis BROOKS) une chorus girl en perdition, Poppy Smith (Gene TIERNEY distille un parfum lourd d'érotisme qui va de pair avec l'identité d'emprunt du personnage, Poppy renvoyant à l'opium) riche fille à papa qui devient accro au jeu, à l'alcool et au sexe, le milliardaire anglais Sir Guy Charteris (Walter HUSTON, père de John et grand-père d'Anjelica) qui a racheté tout le quartier incluant le casino dont la propriétaire, Mother Gin Sling (Ona MUNSON dont la ressemblance avec Marlene DIETRICH n'est certainement pas un hasard mais qui hélas n'a pas son mordant ^^) est priée de décamper au plus vite. Mais cette dernière avec sa coiffe qui rappelle Méduse mène le jeu et a plus d'un tour dans son sac. Hélas le scénario n'est pas le point fort du film et la fin avec ses révélations en cascade et ses règlements de compte en famille prend des accents mi mélodramatiques, mi grotesques.
La musique adoucit-elle vraiment les moeurs? Il est permis d'en douter en visionnant le quatrième film de Jacques AUDIARD qui bien avant "Emilia Perez" (2024) s'essayait à alterner les genres. "De battre mon coeur s'est arrêté" est le remake d'un film américain scorsesien, "Melodie pour un tueur" (1978) réalisé par James TOBACK avec Harvey KEITEL dans un rôle lui allant comme un gant (et ce bien avant "La Lecon de piano) (1993). Dans le film français, c'est Romain DURIS qui joue le rôle de Tom, englué dans une vie de combines et de violence qui ne le satisfait pas et dont il s'évade par la musique. Ce faisant, il tente d'échapper à l'emprise de son père qui l'utilise pour recouvrir ses créances par la méthode forte, lui-même n'étant plus en mesure de s'imposer dans le milieu d'escrocs qu'il fréquente. Ce père déchu et condamné fait figure d'anti-modèle pour Tom, mais il est néanmoins pris entre sa loyauté envers lui et le désir de suivre les pas de sa mère décédée qui était pianiste de concert. On se demande bien quel a été le ciment de cet étrange couple si dissemblable. On peut d'ailleurs contester le fait que l'art soit rattaché aux femmes et l'argent (facile) aux hommes (tout comme la beauté et la violence). La réalité est évidemment bien plus complexe. L'art n'échappe pas aux enjeux de pouvoir et d'argent et reste largement dominé par les hommes. Toujours est-il que Tom cristallise son désir d'évasion (et également ses besoins de beauté, de rédemption, d'idéal...) sur le piano et se met à le travailler avec acharnement dans le but de passer une audition en compagnie d'une immigrée chinoise ne parlant pas français, histoire de lui couper la chique autant que les poings. Le problème est qu'il ne rompt pas pour autant avec ses activités de marchand de biens aux méthodes peu scrupuleuses ni avec "l'honneur" familial qui lui commande de venger son père. Tom se prend donc les pieds dans des contradictions insurmontables à force de ne pas vouloir choisir. Un problème d'adolescent attardé qui n'est pas complètement résolu à la fin du film, même si Tom a eu l'intelligence de s'effacer au profit de sa professeure, bien plus prête que lui à intégrer le milieu des concertistes français. Le premier acte mature et autonome de sa vie d'adulte?
Le concept du premier film de Alan PARKER est génial: faire jouer les juniors dans la cour des grands. Enfin presque, car pour revêtir les habits des films de gangsters de l'entre-deux-guerres tels que "Le Petit Cesar" (1930) ou "Scarface" (1931), il a fallu faire quelques adaptations. Les bootleggers et speakeasy trafiquent et servent des sirops "on the rocks", les automobiles sont des voiturettes à pédale impeccablement customisées, les armes sont celles du cinéma burlesque: tartes à la crème pour le gang de Fat Sam et lanceurs de petits suisse maquillés en mitraillettes pour celui de Dan le Dandy. L'acquisition de ces armes plus élaborées est d'ailleurs l'objectif du gang de Fat Sam. Les garçons jouent les truands, les flics ou les artistes de speakeasy et les filles sont danseuses ou chanteuses. Tout ce petit monde est plus vrai que nature dans un univers classieux reconstitué à la perfection, au point que si ce n'étaient les visages juvéniles et les tailles miniature, l'illusion serait parfaite. Le résultat est délicieusement parodique, le sexe et la violence étant ramenés à un jeu d'enfants dans lequel il s'agit d'être le plus fort ou la plus belle. L'aspect burlesque du film nous ramène à l'époque du muet (on voit d'ailleurs le tournage d'un film selon les techniques de cette époque tout à fait comme dans "Babylon") (2021) mais aussi à Billy WILDER et à "Certains l'aiment chaud" (1959) ou encore à Blake EDWARDS (plus particulièrement à la séquence tarte à la crème de "La Grande course autour du monde") (1965). Quant à l'aspect comédie musicale, elle évoque le futur "Cotton Club" (1984). La BO de Paul WILLIAMS ("Phantom of the Paradise") (1974) est somptueuse et addictive. Enfin si la plupart des enfants-acteurs sont ensuite retournés à l'anonymat, Jodie FOSTER âgée de 13 ans brille dans l'un des rôles principaux, l'année même où elle deviendra une star avec "Taxi Driver". (1976)
Par curiosité et suite au décès de Alain DELON, j'ai voulu visionner "Borsalino" dont je ne connaissais que la rixe l'opposant à Jean-Paul BELMONDO et la célèbre musique composée par Claude BOLLING. Une ritournelle qui finit d'ailleurs par agacer à force d'être répétée sur tous les tons pendant 2h. Pour le reste, c'est un film de gangsters "à la papa" avec au menu, une reconstitution soignée du Marseille des années 30, de l'amitié virile à gogo (c'est un film bâti avant tout pour ses deux stars qui tenaient pour la première fois ensemble le haut de l'affiche), de la baston, des seconds rôles savoureux (Julien GUIOMAR, Michel BOUQUET) des femmes réduites à une fonction presque uniquement décorative. Ceci étant, je me coucherai moins idiote ce soir, ayant appris grâce au film d'où Rocco SIFFREDI tenait son pseudo et d'où vient la comparaison entre Chicago et Marseille. Il faut dire que Jacques DERAY a dû s'inspirer des films de gangsters américains des années 30 pour donner un cachet à "Borsalino", la production française du genre étant anémique durant la même période. Mais si le canevas de "Borsalino" ressemble à celui de "Le Parrain" (1972), le ton est beaucoup plus léger, voire "pagnolesque" (la séquence des poissons) et les deux acteurs ont tendance à en rajouter dans leurs styles respectifs, l'impassibilité élégante d'un côté, l'exubérance de l'autre. Jacques DERAY a dû s'effacer face à ses stars qui exigeaient d'avoir le même temps de présence à l'écran, Alain DELON étant en prime le producteur du film. Divertissant mais superficiel et parfois à la limite de la parodie.
J'ai beaucoup tergiversé avant de regarder "Réparer les vivants" car j'ai une certaine phobie des images montrant des opérations chirurgicales et je n'ai donc pas pu regarder le passage très documenté de la transplantation cardiaque (comme il m'a toujours été impossible de regarder l'opération de "Les Yeux sans visage") (1960). Néanmoins, j'ai beaucoup apprécié le caractère poétique du film qui donne une dimension spirituelle au don d'organes. L'introduction est magnifique, on est en lévitation avec Simon qui s'envole par la fenêtre sur son vélo avant de surfer, la caméra au ras des vagues. Cet aspect planant, zen ne disparaît jamais totalement du film. Une autre scène montre l'ascension de Simon, tout aussi aérienne vers la jeune fille qu'il aime. Le docteur Remige, chargé de la délicate mission de convaincre les parents de donner le coeur de leur enfant en état de mort cérébrale se ressource en écoutant sur son ordinateur pépier un chardonneret ce qui participe de cette atmosphère. Tout comme la douceur presque élégiaque émanant du personnage de Claire que ses problèmes cardiaques obligent à vivre à petit régime. Par ailleurs, le film se distingue par son casting et sa direction d'acteurs ce qui est une caractéristique du cinéma de Katell QUILLEVERE (tout comme l'inspiration romanesque). Certes, il y a trop de personnages, notamment dans le domaine médical ce qui ne permet pas de donner à tous le relief nécessaire. C'est un choix justifié par le fait que comme dans "Pupille" (2018), on rencontre les maillons d'une chaîne de solidarité appelés à disparaître dès que leur mission est accomplie. Mais certains tirent leur épingle du jeu mieux que d'autres. On retient particulièrement la détresse des parents de Simon (joués par Emmanuelle SEIGNER et Kool SHEN qui est inattendu et particulièrement remarquable), la douceur du personnage de Tahar RAHIM dans le rôle du docteur Remige à l'inverse de la prestation plus sèche et clinique de Bouli LANNERS et enfin une Anne DORVAL lumineuse aux antipodes des rôles joués pour Xavier DOLAN.
Après le "je est un autre" de Arthur Rimbaud, le "Je suis deux" prononcé par Manitas del Monte en route pour devenir Emilia Perez est à l'image d'un film à cheval sur plusieurs genres, certains considérés comme virils (le thriller, le film de gangsters, le film de procès) et d'autres, plus féminins ou queer (le mélo, la comédie musicale). L'identité ibérique du film coule de source car situer l'intrigue principalement au Mexique avec des actrices hispanophones participe du brouillage des repères du film et permet de jouer sur le clivage entre deux formes de "culture" nationale opposées: l'univers des cartels de la drogue d'un côté et celui des telenovelas de l'autre. L'actrice trans Karla Sofia GASCON en provient et en la choisissant, Jacques AUDIARD a franchi un Rubicon qui n'avait pas été souvent foulé par les cinéastes ayant pignon sur rue. Combien de polémiques sur des personnages trans joués par des acteurs ou des actrices qui ne l'étaient pas, à l'image des blackfaces d'autrefois. A chaque époque ses tabous à transgresser dans les sociétés occidentales productrices de la culture mondialisée. Pedro ALMODOVAR enfant de la Movida avait montré le chemin. En réalité "Emilia Perez" n'est pas le seul film de Jacques AUDIARD traitant d'un personnage déchiré par deux identités contraires. "De battre mon coeur s'est arrete" (2005) en parlait également, sans caractère transgressif mais avec une polarisation tout aussi extrême: d'un côté la sensibilité artistique, de l'autre le gangstérisme, le yang étant perçue comme la voie rédemptrice du yin. Mais si Cannes a primé toutes les actrices du film, c'est sans doute parce que choisir entre Karla Sofia GASCON (qui crève l'écran tant en Manitas qu'en Emilia et s'avère d'une humanité qui fait passer toutes les pilules) et Zoe SALDANA était impossible (les deux autres actrices primées ont leur moment de gloire mais sont tout de même en retrait). Car celle-ci impressionne tout autant dans le rôle de l'avocate, notamment dans les numéros musicaux et dansés. L'introduction montre qu'elle n'a pas de place dans le film de procès classique où les hommes se répartissent tous les rôles. Manitas va lui offrir sur un plateau un chemin de traverse par où elle pourra non seulement s'épanouir dans l'exercice de sa profession mais également dans sa vie personnelle. On peut regretter quand même un final revenant labourer un chemin bien balisé au lieu de s'enfoncer en territoire inconnu. La scène dans laquelle Emilia qui s'est racheté une virginité en fondant une ONG pour les familles de victimes du narcotrafic voit renaître en elle les pulsions sanguinaires de Manitas (qui passe par la transformation de sa voix, brillante idée) quand son ancienne famille est sur le point de lui échapper aurait pu donner lieu à une conclusion moins facile. Quitte à suivre les pas du génial "Annette" (2019) (l'influence opératique est identique, une expérience de cinéma total), autant aller jusqu'au bout! Mais ce qu'a osé Jacques AUDIARD en cassant les codes à la manière d'un Thomas Jolly est déjà suffisamment audacieux pour mériter un grand coup de chapeau!
Librement inspiré de la vie de Lenny Bruce, "Lenny" qui a été réalisé entre "Cabaret" (1972) et "Que le spectacle commence" (1979) n'est pas une comédie musicale. Néanmoins on y retrouve la centralité du monde du spectacle et le caractère jusqu'au-boutiste du personnage principal, véritable tête brûlée contestataire et libertaire dont le malheur est d'avoir émergé 10 ans trop tôt. Pionnier du stand-up moderne, Lenny Bruce a été le modèle avec Andy Kaufman (à qui Milos FORMAN a rendu hommage dans "Man on the Moon") (1999) d'humoristes "poil à gratter" comme Guy BEDOS et Pierre DESPROGES en France et Bob DYLAN lui a consacré une chanson-hommage. Remarquablement construit, le film commence par nous montrer un artiste qui se cherche et n'est pas particulièrement drôle avant de se produire dans des shows où il pulvérise le politiquement correct en abordant des sujets délicats (religion, racisme, sexualité) et en employant les mots qui fâchent pour déconstruire haine, préjugés et hypocrisies. Utilisant un noir et blanc travaillé (dû au chef opérateur de Clint EASTWOOD, Bruce SURTEES) et ponctué par les propos face caméra des acteurs jouant ses proches, le film revêt un aspect kaléidoscopique et morcelé de faux documentaire qui fait penser à du Woody ALLEN ou à "Citizen Kane" (1940). Mais on ne saura pas quel était l'origine de la colère qui poussait l'acteur à cette guerre contre l'Amérique puritaine, jalonné d'arrestations et de procès. Le caractère autodestructeur du personnage à la vie pleine d'excès et qui mourut d'une overdose à 40 ans dans une position de martyr de la liberté d'expression est bien mis en valeur, de même que sa judéité qui a aiguisé son esprit critique. Dustin HOFFMAN met beaucoup d'engagement dans le rôle, de même que Valerie PERRINE dans celui de sa femme.
"La Villa" est un Robert GUEDIGUIAN majeur. Il y a le cadre déjà, cette villa-restaurant construite dans une calanque (celle du grand Méjean) en contrebas d'un viaduc qui ressemble à une scène de théâtre. On est en hiver, le lieu est désert car presque totalement dévolu au tourisme. Mais une maison résiste encore et toujours à l'envahisseur. Elle n'abrite pas seulement une fratrie, celle formée par Angèle, Armand et Joseph réunis autour du patriarche qui à la suite d'une attaque mène une vie végétative. "La Villa" fait le bilan d'une génération vieillissante confrontée à un monde en transformation et à une jeunesse plus cynique (moins toutefois que dans "Gloria Mundi" (2018) qui reprend les mêmes ingrédients). Le film baigne dans la nostalgie avec un flashback puissant qui fait mesurer le travail de longue haleine que Robert GUEDIGUIAN mène sur le temps: on y voit le même trio d'acteurs (Ariane ASCARIDE, Gerard MEYLAN et Jean-Pierre DARROUSSIN) trente ans auparavant chahuter dans "Ki lo sa ?" (1985), l'un de ses films de jeunesse. La jeunesse enfuie, les illusions perdues s'accompagnent d'une atmosphère funèbre de fin d'un monde. C'est l'état léthargique de Maurice (Fred ULYSSE), le couple de vieux voisins et amis (joués par Jacques BOUDET et Genevieve MNICH) qui étranglé par les problèmes financiers décide d'en finir ou encore le fantôme de la petite Blanche, la fille d'Angèle, morte noyée à cause du relâchement de la vigilance de son grand-père. Mais le film possède aussi un côté lumineux qui fait sa force. La vie continue et l'espoir renaît, autrement. C'est le jeune pêcheur joué par Robinson STEVENIN qui courtise Angèle, les retrouvailles entre frères et soeur et surtout, l'accueil d'une fratrie d'enfants migrants fonctionnant en miroir qui symbolisent une descendance adoptive dont la famille est privée.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.