Je ne connaissais pas du tout "Wayne's world" avant que le Blow up de Luc Lagier consacré au groupe Queen ne me le fasse découvrir. En effet une partie de son statut de film culte est liée à sa séquence inaugurale sur "Bohemian Rhapsody" (Bryan SINGER s'en souviendra lorsqu'il réalisera le film-hommage à Freedy Mercury en donnant un rôle à Mike MYERS en forme de clin d'oeil). Mais le reste du film n'est pas mal non plus. Dès les premières secondes, on reconnaît en Wayne et Garth (Mike MYERS et Dana CARVEY) deux bêtes de scène du Saturday Night Live (SNL), cette incroyable fabrique à talents et à idées de films des années 80 puisque "Wayne's world" était à l'origine un simple sketch. L'aspect "boîte à idées" du film ressort dans le confinement propre à l'univers geek des ados attardés joués par le duo qui produisent une émission de télévision dans la cave des parents de l'un d'eux, se déplacent dans une voiture customisée avec leurs comparses, parlent un langage spécifique, bref, vivent dans une bulle. Le propos du film réside dans la rencontre entre cette sous-culture geek et les médias mainstream aux mains de gros capitalistes avides de se faire de l'argent sur leur dos. Mais Myers et Carvey tournent en dérision le sponsoring, le placement de produits, les signatures de contrat, les scènes performatives à Oscar et autres "astuces" lucratives tout en rendant hommage à la pop culture avec des caméos musicaux (une rencontre avec Alice COOPER en ancêtre du groupe Gojira ^^), cinématographiques (l'excellent passage reprenant du point de vue de l'automobiliste une scène de "Terminator 2 : Le Jugement dernier" (1991) avec Robert PATRICK) ou encore télévisuelles (la délicieuse fin alternative à la "Scoubidou") (1969). Bref, même si c'est peut-être moins stylé et engagé que "The Blues Brothers" (1980) c'est tout aussi barré et fun que "Ghostbusters" (1984), autres réussites "made in SNL" passés au rang de films cultes.
Il y a une tendance propre au cinéma italien qui parfois me rebute, c'est la peinture de la décadence d'une famille bourgeoise ou aristocratique. Parfois car j'adore "Les Damnes" (1969) et "Theoreme" (1968). Mais le premier était traversé par l'Histoire, le second par le divin ce qui les élevaient à une sorte de grandeur tragique voire de transcendance. Rien de tel dans le sinistre et étouffant premier long-métrage de Marco BELLOCCHIO "Les Poings dans les poches" (1965) qui dépeint un terrible huis-clos familial. Dans leur villa encombrée par les portraits des aïeux vivent une veuve et ses quatre enfants, la plupart atteints de tares congénitales (cécité, épilepsie, débilité mentale). Repliés sur eux-mêmes et plus ou moins coupés de la société à l'exception de l'aîné, Augusto, ils développent des tendances incestueuses et des troubles morbides, certes très bien mis en scène et illustrés une fois de plus par la musique expressive de Ennio MORRICONE. Alessandro (Lou CASTEL dans son premier rôle) qui est épileptique fomente un plan eugéniste façon programme T4 pour "libérer" son frère jugé "sain" en liquidant le reste de sa famille, y compris lui-même. Néanmoins en étant constamment morbide et implacable, le film ne m'a pas convaincu dans ses allusions explicites aux pulsions de mort d'une certaine jeunesse rebelle, celle de James DEAN et de Arthur Rimbaud voire de Michel Poiccard qui étaient davantage dans l'errance et la flamboyance alors que celle que nous dépeint Marco BELLOCCHIO est juste putride.
Laetitia Colombani aime bien entrelacer des histoires. Je me souviens de "A la folie... pas du tout" qui montrait les mêmes événements en changeant le point de vue et en poussant les curseurs à l'extrême. "La Tresse" (d'après son roman au titre éponyme) alterne trois récits de femmes vivant dans les parties éloignées du monde mais reliées par leur combattivité face à l'adversité et... par leurs cheveux. A l'image de ses arguments publicitaires tapageurs ("le best-seller aux cinq millions de lecteurs", "préparez-vous à être émus aux larmes"), le film ne recule devant aucune grosse ficelle pour émouvoir tout en cherchant à dépayser par des images touristiques léchées. Surtout, les trois femmes sont mises sur le même plan alors qu'elles représentent les différents maillons de la chaîne de valeur d'une économie mondialisée et hiérarchisée. La fin, présentée comme un happy end m'a donné une sensation de malaise avec cette riche avocate canadienne aux dents longues dont la maladie est réduite à un problème de carrière et d'image. Mais la pire des trois histoires est celle de l'entreprise de perruques italienne, renflouée grâce à l'importation des cheveux indiens donnés en offrande aux dieux. Rien ne tient la route dans cette histoire qui serait juste ridicule si elle n'abordait pas sous couvert de success story la réalité de l'exploitation de la crédulité des indiens et indiennes les plus pauvres. Mais rien ne semble réfléchi dans ce dépliant touristique soit très naïf, soit très bête qui ne flatte que le cerveau reptilien en essayant d'endormir le reste (à commencer par la conscience sociale) sous les nappes de violons.
Pour expérimenter l'invention du cinématographe, puis mettre en valeur ses possibilités à des fins commerciales, Louis LUMIERE tourne au cours de l’été 1895 de brefs reportages dont différentes scènes familiales comme ici avec son frère Auguste et sa femme, qui préfigurent en quelque sorte les films amateurs. "Le repas de bébé" ou "goûter de bébé" fait partie des dix films montrés au salon indien du Grand Café de Paris en décembre 1895. Il a été tourné durant le printemps 1895 à la maison Montplaisir, propriété de la famille Lumière. Si l’on en croit certains témoignages, les premiers spectateurs furent frappés par les mouvements des protagonistes, mais aussi par ceux des feuillages situés à l’arrière plan. Le vent soufflait en effet assez fort ce jour-là créant une attraction visuelle supplémentaire pour le spectateur en renforçant l'effet de réel de l'image "prise sur le vif", prolongeant le mouvement impressionniste pictural par celui de l'image. Cependant, comme souvent dans les films Lumière, on voit bien qu’il y a une intentionnalité et donc une mise en scène du réel. Les sujets sont soigneusement choisis, ici, en l’occurrence, cette vue familiale heureuse et confortable renvoie à la réussite sociale des Lumière qui vivent bourgeoisement, la caméra est placée de façon précise et l’organisation du cadrage est remarquable.
"Alice n'est plus ici" est le quatrième long-métrage de Martin SCORSESE, atypique dans sa filmographie puisqu'il s'inscrit dans le genre du road-movie au féminin, popularisé par "Thelma et Louise" (1991) mais qui avait déjà fleuri dans les marges du nouvel Hollywood contestataire des années 70. On pense à "Wanda" (1970) de Barbara LODEN mais aussi aux films de John CASSAVETES avec Gena ROWLANDS tels que "Une femme sous influence" (1974). Ce dernier n'est pas un road-movie mais décrit très bien le profond malaise de la femme au foyer qui est aussi le lot d'Alice (Ellen BURSTYN). Martin SCORSESE utilise ce prénom à dessein avec une séquence d'introduction flamboyante en studio reconstituant l'âge d'or hollywoodien. On pense plus précisément à un improbable croisement entre "Autant en emporte le vent" (1938) et "Le Magicien d'Oz" (1938). L'artificialité du dispositif de comédie musicale ressort à la manière d'un David LYNCH non pour tracer une frontière entre le conscient et l'inconscient mais entre le "wonderland disneylandisé" où évolue Alice enfant et la réalité nettement moins glamour qui est son quotidien adulte de femme au foyer de l'Amérique profonde aliénée par un mari indifférent et désagréable et un gamin insupportable. La mort subite du mari est vécue une fois le choc passé comme un nouveau départ autant que comme une nécessité de survie. Le film bascule alors dans le road-movie mais ne revient pas pour autant dans le monde de l'enfance. Il cherche sa voie comme Alice cherche la sienne, brièvement retrouvée dans la séquence où elle chante pour un public mais qui tourne court à la faveur d'une mauvaise rencontre (Harvey KEITEL, glaçant). Finalement c'est comme serveuse qu'elle découvre les joies de la sororité avec une sorte d'Arletty de comptoir et un homme relativement plus ouvert et positif que ce qu'elle a connu jusque là. Son fils pré-adolescent fragile et hyperactif a droit également à une véritable attention de la part du cinéaste, que ce soit dans la relation à sa mère ou à son pendant féminin rebelle, jouée déjà par la toute jeune et déjà dotée d'un caractère bien trempé Jodie FOSTER. Le résultat n'est pas tout à fait abouti, en tout cas pas toujours pleinement convaincant mais il ne manque pas d'intérêt.
C'est un documentaire qui accuse son âge, plus de 20 ans. Car depuis, d'autres ont vu le jour avec plus de recul sur l'oeuvre de Claude SAUTET, cinéaste connu pour être particulièrement secret. Sa raison d'être était de rendre publics des enregistrements audio réalisés peu de temps avant son décès en 2000 dans lesquels il commentait son oeuvre. Structuré de façon chronologique, le documentaire passe donc en revue presque chacun des 13 films de sa filmographie (il manque "Bonjour sourire!" sans doute considéré comme un faux départ) (1955) et donne aussi la parole à quelques proches et collaborateurs comme son épouse, Graziella SAUTET, Philippe SARDE, Jean-Paul RAPPENEAU, Jose GIOVANNI etc. Etrangement, presque aucun acteur alors que certains étaient encore en vie, même parmi l'ancienne génération (Sami FREY, Michel PICCOLI, Bruno CREMER, Serge REGGIANI etc.) Pourtant le rapport aux acteurs est longuement évoqué, certains jouant le rôle du double du réalisateur comme Yves MONTAND et surtout Michel PICCOLI dont la crise de colère dans "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) s'avère être le miroir de celles du réalisateur. A propos de double, le film suggère également la part féminine de Claude SAUTET révélée à l'écran par Romy SCHNEIDER et prolongée ensuite par Emmanuelle BEART qui pique elle aussi une grosse colère dans "Un coeur en hiver" (1992). Cette dualité indépassable explique peut-être la tonalité mélancolique de nombre de ses films, notamment dans le rapport entre les hommes et les femmes en dépeignant (et dénonçant subtilement) les masques sociaux et la misogynie les empêchant de communiquer. Le troisième acteur à savoir la musique, omniprésente chez Sautet n'est en revanche pas assez analysé et c'est dommage. Les extraits de "Un coeur en hiver" (1992) montrant Stéphane "tuant le père" suggèrent assez bien d'où vient cet empêchement. Il en va de même de la solitude qui semble être le lot de presque tous les personnages de Sautet pourtant dépeint comme le cinéaste du groupe. Lui-même explique que "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) ne forment pas un groupe mais une bande comme autant de variantes du même personnage de loser, arrêté en pleine course, empêché de vivre.
« La place d’un homme, dans un pays puissant, est d’être avec les plus faibles, avec ceux d’en face »
(René Vautier dans un entretien avec Antoine de Baecque, 2001)
Cette citation en forme de manifeste définit bien qui était Rene VAUTIER. Un cinéaste engagé contre toutes les formes de domination occidentales, auteur du premier film anticolonialiste, "Afrique 50" et dont l'oeuvre majeure "Avoir 20 ans dans les Aurès", tourné 10 ans après la fin de la guerre d'Algérie est tout comme celle de son compatriote italien Gillo PONTECORVO, communiste lui aussi un jalon majeur de la représentation de cette guerre de décolonisation au cinéma. Et ce alors que sa véritable nature était niée par l'Etat français qui a maintenu jusqu'en 1999 la fiction d'une Algérie comme morceau du territoire français où auraient eu lieu des opérations de maintien de l'ordre. Remettre en question cette version, c'était s'exposer à des mesures de rétorsion donnant une tout autre image de la France que celle des pays des droits de l'homme Rene VAUTIER a donc subi une violence d'Etat (censure, prison) doublée de celle des extrémistes d'extrême-droite (il a notamment contribué à révéler le rôle joué par Jean-Marie Le Pen pendant la guerre).
"Avoir 20 ans dans les Aurès" est une fiction qui se base sur des centaines de témoignages d'anciens appelés, une méthode qui a été par la suite reprise, par exemple par l'excellent "Warriors : L'impossible mission" (1999) sur la guerre de Bosnie. L'histoire a quant à elle sans doute inspiré celle de "L'Ennemi intime" (2007): des soldats innocents (ou variante, insoumis) transformés en bourreaux après avoir été plongés dans la réalité de la guerre. Leur endoctrinement par le lieutenant Perrin (Philippe LEOTARD), la perte des repères moraux lié à l'état de guerre et le phénomène grégaire ont pour effet d'effacer les individualités et les responsabilités, permettant le passage à l'acte violent (meurtres, tortures, viols, pillages). Cette partie du film pour intéressante qu'elle soit est cependant trop intellectualisée, les discours l'emportant sur le langage cinématographique. L'unité de lieu et d'action a également tendance à brouiller la frontière entre les flashbacks et le présent du film, rendant la progression dramatique confuse. La deuxième partie, basée sur le récit d'un déserteur est plus percutante cinématographiquement parlant. On y voit le seul membre du groupe n'ayant pas renoncé à ses convictions pacifistes, Noël (Alexandre ARCADY le futur réalisateur) s'enfuir dans le désert avec le condamné qu'il était chargé de surveiller dans le but de gagner la Tunisie (pays où le film a été tourné et qui a également été impliqué dans la guerre comme le rappelle d'atroces archives de massacres). Une errance bouleversante à la fin terrible qui frappe l'esprit.
Le documentaire que Christophe CHAMPCLAUX a consacré à Anthony PERKINS a tout d'abord été diffusé sur OCS sous le titre, "L'homme derrière la porte" en référence à "Quelqu'un derriere la porte"(1971) dans lequel il a joué. Il faut croire que cela ne parlait pas à beaucoup de gens puisque sur Arte, le titre est devenu "L'acteur dans l'ombre de Psychose" ce qui a le mérite d'être clair! En effet, Anthony PERKINS est passé à la postérité pour avoir magistralement incarné Norman Bates dans le chef-d'oeuvre de Alfred HITCHCOCK au point de ne faire qu'un avec le rôle. Le reste de sa carrière est largement tombé dans l'oubli (en dépit d'un prix d'interprétation à Cannes pour "Aimez-vous Brahms" (1961) ou de son rôle dans "Le Proces" (1962) de Orson WELLES) de même que sa vie privée reste largement méconnue. Le documentaire tente donc de proposer un portrait plus complet de l'acteur, insistant sur ses rôles de jeune premier à Hollywood avant "Psychose" (1960) puis sur sa carrière européenne après "Psychose" (1960), le cinéma hollywoodien ne lui proposant que des succédanés de Norman. Mais preuve de l'échec à se défaire de ce rôle, il finit par le réincarner à plusieurs reprises dans des suites qui n'ont pas laissé beaucoup de traces dans les mémoires. On découvre les autres talents de l'acteur, sa voix de crooner et sa bonne maîtrise du français (il avait d'ailleurs un pied-à-terre à Paris). Sa vie privée est évoquée de la même manière que sa vie professionnelle, c'est à dire de façon factuelle. Assez bizarrement, le rapport à la mère (tyrannique et incestueuse donc très proche de Mme Bates mais ce dernier point n'est même pas abordé) est aussi survolé que sa prestation dans le film de Alfred HITCHCOCK alors que tout laisse à penser qu'il y avait une démarche thérapeutique dans le parcours d'acteur de Anthony PERKINS. Le documentaire préfère s'attarder sur l'aspect people c'est à dire ses relations homosexuelles "in the closet" dans les années 50 et 60 (dont celle avec Jean-Claude BRIALY), puis sur le bon mari et père de famille à l'américaine dans les années 70 avant de finalement mourir du sida en 1992. Un parcours en réalité très cohérent pour une personnalité de cette époque (et pas qu'aux USA, celui de Jacques DEMY a des points communs par exemple) mais qui n'est jamais interrogé. Les témoignages, dithyrambiques ont beau dépeindre Anthony Perkins comme souriant, drôle, cultivé, intelligent etc. l'image qui lui colle à la peau est celle du névrosé et ce documentaire trop superficiel n'y changera rien.
Le générique de début de "Pour une femme" convoque avec nostalgie les précédents films de Diane Kurys à résonance autobiographique ("Diabolo Menthe", "La Baule Les Pins", "Coup de foudre") à l'aide d'un pêle-mêle de photographies épinglées sur un tableau en liège au beau milieu des informations relatives au film. La chanson que Yves Simon avait composé pour "Diabolo Menthe" accompagne les images, les reliant au film que nous allons découvrir, lui aussi présent à l'aide de photos: celles de la fiction mais également celles des véritables parents de Diane Kurys dont elle raconte librement l'histoire afin d'interroger la sienne. Le film navigue en effet entre deux périodes: l'après-guerre et les années 80. C'est Sylvie Testud qui interprète Diane Kurys à l'écran dans la seconde période qui s'ouvre sur la mort de la mère et se termine sur celle de son père, Michel (Benoît Magimel). Classiquement, c'est en rangeant des papiers qu'elle tombe sur une mystérieuse photo représentant sa mère (Mélanie Thierry), sa grande soeur (qui n'avait alors que trois ans) et le frère de son père, Jean qui vivait alors avec eux à Lyon (Nicolas Duvauchelle). Elle décide alors d'enquêter sur son histoire familiale ce qui lance un flashback dans lequel elle évoque la rencontre de ses parents dans un camp d'internement pendant la guerre, son père ayant pu le quitter à temps grâce à une relation en sauvant au passage sa mère qu'il ne connaissait pourtant pas en la faisant passer pour sa fiancée. Une situation inextricable par la suite, Léna n'ayant pas d'atomes crochus avec Michel mais se sentant redevable envers lui. Le passé les poursuit pourtant alors que bien intégrés et naturalisés, Michel voit ressurgir son frère Jean qu'il n'a pas vu depuis neuf ans et qui a réussi à fuir l'URSS. Tout les oppose, lui, petit commerçant sans histoire qui pense combler sa femme avec les biens matériels des 30 Glorieuses et Jean, mystérieux et dangereux, rongé par sa soif de venger leurs parents et toutes les victimes de la Shoah.
A partir de ce canevas qui aurait pu être passionnant, Diane Kurys réalise un film hélas décevant, trop lisse, trop convenu, aux airs de déjà (mille fois) vu autour du triangle amoureux et de l'adultère. Le résultat est illustratif, déroulant un programme parfaitement prévisible, jusqu'au final. Dommage.
Comme tant d'autres films muets, "La Divine Croisière" fut considéré comme perdu durant des décennies et amputé quasiment de moitié après une première jugée désastreuse. Cependant une copie quasi-complète du film parvint jusqu'à nous. Puissant et déconcertant à la fois, "La Divine Croisière" est un film inclassable qui évoque le cinéma de Fritz LANG, Frank BORZAGE, Sergei EISENSTEIN, Abel GANCE ou encore Ingmar BERGMAN bien plus que celui de son réalisateur, Julien DUVIVIER. C'est peut-être l'envie d'expérimenter qui l'a poussé sur cette voie inhabituelle et hybride tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, l'aspect documentaire, celui de la vie et des rites d'un petit village breton côtoie des fulgurances quasi fantastiques et des emballements (celui des éléments et des foules) alternant rapidement plans d'ensembles et gros plans, comme dans "Le Cuirasse Potemkine" (1925). Sur le fond, on est au croisement du réalisme social avec au centre du récit un conflit entre un armateur et ses employés, du film de mutinerie, de la robinsonnade et enfin du surnaturel à connotation religieuse. Cette hybridité se retrouve jusque dans l'attelage hétéroclite parti à la rescousse de l'équipage de la Cordillière porté disparu. A bord du "Maris Stella" ("L'Etoile des mers"), on retrouve outre les marins, un curé, un petit garçon embarqué clandestinement et une femme, Simone Ferjac, guidé comme Jeanne d'Arc par une apparition divine. A l'opposé de cette équipée mystique, l'équipage de la Cordillière a perdu le nord en se laissant entraîner par une crapule, Mareuil qui a neutralisé le capitaine, Jacques de Saint-Ermont, lequel n'est autre que celui que Simone aime: amour et foi se mêlent comme chez Frank BORZAGE pour faire des miracles! L'ambiance fiévreuse du film tient en haleine et procure son lot de moments forts tels que le meurtre commis par Mareuil, l'assaut de la demeure de l'armateur par les gens du village, la fiesta alcoolisée sur le pont qui aboutit au naufrage, l'incendie sur l'île déserte ou encore l'enlisement de Mareuil dans les sables mouvants. Un film aussi puissant et habité qu'une toile du Caravage.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.