Tout d'abord, il est important de comprendre le contexte de l'entretien-fleuve (deux heures dix-huit) en français de Agnes VARDA avec la chercheuse Manouchka Kelly Labouba au Pickford Center à Los Angeles le 9 novembre 2017. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre du programme d'histoire visuelle de l'Academy Museum of Motion Pictures (AMPAS) qui n'est autre que la dénomination officielle de l'académie des Oscars. Agnès Varda venait d'être couronnée par un Oscar d'honneur pour sa carrière, après son César d'honneur en 2001 et sa Palme d'honneur remise en 2015. Une consécration des deux côtés de l'Atlantique lié notamment au fait que Agnes VARDA a fait plusieurs séjours à Los Angeles où elle a réalisé cinq films, lesquels ont été récemment restaurés par la fondation de Martin SCORSESE. Mais une consécration tardive, même si Agnes VARDA avait au cours de sa carrière glané quelques prix prestigieux comme l'ours d'argent pour "Le Bonheur" et (1965) le Lion d'or pour "Sans toit ni loi" (1985). Ses films à petit budget réalisés en dehors du cinéma mainstream et globalement peu connus du public étaient le prix à payer pour son indépendance mais également la traduction de la marginalité des femmes réalisatrices dans une industrie dominée et façonnée par et pour les hommes. Si aujourd'hui les femmes sont plus présentes aux postes clés de la création d'un film, la parité n'est pas encore atteinte. Et d'autre part, créer ne suffit pas, encore faut-il être visible, reconnu et ensuite passer à la postérité. Agnes VARDA semble avoir réussi à passer toutes ces étapes, sa participation au programme de l'AMPAS s'inscrivant dans une démarche visant à recueillir et conserver via des enregistrements audio et vidéo la parole de professionnels du cinéma: les incontournables mais également ceux qui sont contournés, oubliés minorisés ou absents du canon officiel et ce depuis les origines du cinéma. Soulignons à ce propos le rôle clé joué par les USA dans la redécouverte de l'oeuvre de la pionnière du cinéma Alice GUY qui à l'égal de Agnes VARDA peut aujourd'hui servir de modèle aux jeunes générations de réalisatrices.
Pour qui aime Agnes VARDA, l'entretien s'avère globalement passionnant. Il n'a pas été effectué d'une seule traite puisqu'on voit plusieurs fois des raccords de montage mais donne l'impression d'un récit continu dans lequel la réalisatrice se raconte, de son enfance à ses dernières réalisations. La genèse de plusieurs de ses films est évoquée comme l'influence du roman de Faulkner, "Les palmiers sauvages" pour la structure de "La Pointe courte" (1954) ou les contraintes budgétaires qui ont permis l'émergence de "Cleo de 5 a 7" (1961). Elle insiste également beaucoup sur l'influence que le documentaire a eu dans ses films de fiction (la famille Drouot pour "Le Bonheur" (1965), le tournage dans les rues de Paris pour "Cleo de 5 a 7") (1961). En dépit de quelques trous de mémoire (sur des dates par exemple), on constate que l'esprit de Agnes VARDA était resté clair et sa parole, fluide alors qu'elle avait 89 ans, lui permettant d'offrir un témoignage de grande qualité. Une chance, au vu du temps qu'il a fallu pour qu'elle soit reconnue à sa juste valeur.
Le film de Vanessa FILHO, adapté du livre autobiographique de Vanessa Springora n'est pas l'oeuvre du siècle mais il s'agit d'un travail honnête qui bénéficie d'une très bonne interprétation. Kim HIGELIN dans le rôle d'une adolescente sous emprise, Jean-Paul ROUVE dans celui du prédateur amateur de chair fraîche ou Laetitia CASTA en mère paumée et dépassée sont tous trois parfaits. D'ailleurs c'est après avoir vu un entretien avec Jean-Paul ROUVE, particulièrement doué pour jouer les rôles de psychopathes (je pense au collabo huileux qu'il interprétait dans "Monsieur Batignole" (2001) et qui lui avait valu le César mérité du meilleur espoir masculin) que je me suis décidée à voir le film. Sa progression dramatique colle à la descente aux enfers de Vanessa, jeune fille à peine pubère qui tombe sous l'emprise de l'écrivain pédo-criminel Gabriel Matzneff, lequel tel un vampire va vider sa proie de son énergie vitale pour en faire un objet de fantasmes dans ses livres (monde dont il a le contrôle absolu contrairement à la vie réelle) et continuer à la harceler dans sa vie d'adulte. Mais il n'aurait pu accomplir ses méfaits sans le contexte favorable d'une société elle-même pervertie: la démission des parents de Vanessa et l'adoubement du milieu littéraire parisien (et plus généralement de l'élite dirigeante, l'attitude du président de l'époque, François Mitterrand étant plus qu'ambigüe ce qui n'est guère étonnant) qui protège et valorise l'écrivain, non seulement pour son style mais aussi pour ses moeurs: la transgression, c'est "chic" et s'y opposer c'est être une "mal-baisée" (soit l'injure récurrente faite à Denise Bombardier, la seule personnalité ayant condamné publiquement les agissements de Matzneff, sans doute parce qu'elle n'était pas française et n'avait donc pas été formatée par le milieu). Cet aspect-là qui est pourtant fondamental est beaucoup moins bien rendu dans le film qui se concentre plus sur l'intime que sur le social. La description de la petite mafia ayant permis l'épanouissement du monstre se réduit à deux dîners, deux scènes de brasserie et deux émissions littéraires (dont l'une est constituée d'archives). Si un jour, "La Familia Grande" de Camille Kouchner est adapté au cinéma, j'espère que cet aspect qui est au coeur de son livre sera mieux analysé.
Film-somme, "Le Garçon et le Héron" sort dix ans après "Le vent se leve" (2013) qui était annoncé alors comme le dernier film de Hayao MIYAZAKI. Nul aujourd'hui n'oserait pronostiquer la fin de sa carrière car il est peu probable que le maître de l'animation japonaise aujourd'hui octogénaire s'arrête tant qu'il sera en capacité de réaliser des films. "Le Garçon et le Héron" commence comme un récit de guerre réaliste et traumatique quelque part entre "Le vent se leve" (2013) et "Le Tombeau des lucioles" (1988) avant de bifurquer vers un monde parallèle qui synthétise ceux de ses précédents films, de "Le Chateau dans le ciel" (1986) à "Ponyo sur la falaise" (2008) en passant bien sûr par "Le Voyage de Chihiro" (2001) dont il approfondit les thèmes. Un monde parallèle plus que jamais influencé par le roman de Lewis Caroll "Alice au pays des merveilles" et que beaucoup voient comme une métaphore des studios Ghibli eux-mêmes avec à leur tête un vieil homme incapable de passer la main sans faire s'écrouler le domaine. A cette succession patriarcale impossible répond la quête initiatique du jeune Mahito dans les couloirs de l'espace-temps pour faire le deuil de sa mère disparue et retrouver le goût de vivre. Ses aventures constituent un hommage au film-matrice de Miyazaki, "Le Roi et l'Oiseau" (1979) et ne sont pas sans rappeler également l'oeuvre symboliste de Maurice Maeterlinck, "L'Oiseau bleu". Déjà parce que le monde parallèle à multiples dimensions est marin et peuplé d'oiseaux, principalement des pélicans et des perruches géantes, le tout dominé par le guide de Mahito, un héron cendré au plumage blanc et bleu dissimulant dans son gosier un bizarre petit homme disgracieux. Ensuite parce que Mahito est amené à rencontrer les formes primitives des enfants à naître, les warawara qui rappellent les noiraudes et les kodamas. A l'autre bout de la chronologie, il rencontre l'une des vieilles servantes travaillant au service de sa nouvelle famille, redevenue une jeune femme intrépide au pied marin. Les grands-mères plus que jamais jouent le rôle de figures tutélaires protectrices. Enfin il est amené à rencontrer sa propre mère adolescente sous la forme d'une fille du feu ainsi que sa belle-mère laquelle s'avère n'être autre que la petite soeur de sa mère. Celle-ci est sur le point d'accoucher mais une menace plane sur elle et l'enfant à naître que Miyazaki fait ressortir de plusieurs façons, teintant son long-métrage de sentiments contrastés, entre espoir et désespoir.
Mais raconter le film n'en épuise ni le sens (multiple), ni la beauté. Celle-ci est toujours au sommet. Le style artisanal (de la 2D à l'ancienne qui rend ses films intemporels et quelques touches de 3D judicieusement placées pour faire ressortir tel ou tel élément) et perfectionniste de Hayao MIYAZAKI se reconnaît à sa précision, à sa fluidité, à ses mille et un détails enchanteurs et nous offre en prime un prisme extrêmement coloré ou bien par contraste des images de cauchemar comme l'incendie où tout est rouge et noir où les sons sont assourdis et où les traits deviennent informes.
"Beach Flags" est un court-métrage d'animation de la réalisatrice iranienne Sarah SAIDAN qui s'est installée en France en 2009. "Beach Flags" qui évoque la condition difficile des femmes athlètes en Iran a remporté de nombreux prix et s'avère d'une brûlante actualité. Le film est un récit initiatique dans lequel le sport associé à la compétition et à l'individualisme se transforme en moyen d'émancipation grâce à la solidarité entre les jeunes athlètes. La façon dont les jeunes filles retournent contre la société patriarcale leurs propres moyens d'oppression concerne également le hijab qui devient un procédé de camouflage permettant de mystifier la famille qui veut empêcher leur fille de concourir. Sur la forme, le film fait penser à "Persepolis" (2007) même s'il s'agit d'un court-métrage en couleurs. Le trait est en effet proche de celui de Marjane SATRAPI, autre réalisatrice iranienne ayant utilisé l'animation pour évoquer sa jeunesse rebelle en Iran.
Le "Beach flag" est une course sur la plage qui est la seule épreuve sportive à laquelle les nageuses-sauveteuses iraniennes peuvent participer car elles peuvent concourir habillées et voilées. Toutes les épreuves en maillot de bain leur sont, quant à elles, interdites. Un maigre espace de liberté dans un océan d'oppression que l'on ressent à travers les cauchemars de l'héroïne, Vida.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.