J'avais sept ou huit ans quand j'ai vu "les Aventuriers de l'Arche perdue" (1980) pour la première fois dont la fin m'avait terrifiée à l'époque! Mais cette touche d'horreur ne doit pas occulter que Indy est l'héritier de toute une série d'oeuvres l'ayant précédé et d'un genre qu'il a contribué à relancer. Principalement des BD et des films de série B mais aussi l'aventure avec un grand A incarnée par le film de John HUSTON "Le Trésor de la Sierra Madre" (1947), le look de Harrison FORD s'inspirant de celui de Humphrey BOGART. Ou encore la comédie de Philippe de BROCA, "L'Homme de Rio" (1964) qui s'inspire des aventures de Tintin ce qui explique la parenté entre le célèbre reporter belge (que ne connaissait pas à l'époque Steven SPIELBERG, il s'est rattrapé depuis) et l'archéologue intrépide. Mais des références ne font pas un film, encore moins un film culte à l'origine d'une saga mythique. Alors forcément, "Les Aventuriers de l'arche perdue" innove aussi. Avec d'abord un héros d'un nouveau genre, certes très physique mais également intellectuel, même si ce n'est pas son érudition qui semble fasciner ses étudiantes. Surtout Indy est cool et attachant, vulnérable et plein d'autodérision en harmonie avec ce que dégage Harrison FORD (et dont on sent qu'il a fait école avec "À la poursuite du Diamant vert" (1984), "Allan Quatermain et les mines du roi Salomon" (1985), Bruce WILLIS pour la saga "Die Hard" ou encore bien sûr les OSS 117 de Michel HAZANAVICIUS entre Le Caire et Rio et ses nazis d'opérette). Et le film est à l'unisson. Un rythme haletant, ponctué de morceaux de bravoure qui préfigurent "Ford Boyard", ses mygales et ses serpents, ses coffres et "La Boule" ^^ mais laissant des espaces pour la comédie comme le célèbre gag improvisé du pistolet tueur de sabre dicté par un épisode de dysenterie qui obligeait Harrison FORD à boucler la prise entre deux passages au toilettes. Enfin on ne peut pas faire l'impasse sur la partition mythique de John WILLIAMS qui est à l'aventure ce que celle de "Star Wars" est à la science-fiction.
Le documentaire "Wim Wenders, Desperado" réalisé à l'occasion de son 75eme anniversaire est à la hauteur du cinéaste: éclairant, brillant et passionnant. On frise vraiment la perfection. On le voit jouer dans les scènes les plus emblématiques de ses films reconstituées à l'identique à la place de Harry Dean STANTON et de Bruno GANZ ou simplement se promener dans leurs décors quand un savant montage ne met pas le Wim WENDERS d'aujourd'hui avec un journal faisant allusion au décès de l'ange Damiel face au Benjamin Zimmermann de "L'Ami américain" (1977). Cet aspect ludique et nostalgique qui fait penser à la recréation de "Shining" (1980) dans "Ready Player One" (2018) vient aérer une analyse de fond qui nous apprend beaucoup sur la manière de travailler du cinéaste. Wim WENDERS fonctionne à l'intuition et créé son film au fur et à mesure de son tournage ce qui en dépit de sa fascination pour le cinéma hollywoodien le rend incompatible avec lui. Un constat fait par lui et Francis Ford COPPOLA au travers de "Hammett" (1982) et de "L'État des choses" (1982), le deuxième faisant presque figure de "making of" du premier. C'est également ce besoin de liberté dans la création, sans canevas préalablement établi qui explique le choix de Wim WENDERS de se tourner vers le documentaire au détriment de la fiction à partir surtout des années 2000*. Autre aspect bien mis en valeur par le film, la polyvalence artistique de Wim WENDERS qui a choisi le cinéma comme synthèse de tous les autres arts. Et c'est bien ainsi qu'apparaissent ses meilleurs films: des oeuvres d'art totales. Les nombreux témoignages d'archives ou contemporains du film font ressortir l'aspect cosmopolite de ses collaborateurs et amis, qu'ils soient allemand comme Rüdiger VOGLER et Werner HERZOG, suisse comme Bruno GANZ, néerlandais comme Robby MÜLLER, belge comme Patrick BAUCHAU, américain comme Harry Dean STANTON ou français comme Agnès GODARD et Claire DENIS. Un film qui ouvre en grand l'appétit de voir et de créer des films.
* Une démarche assez semblable à un autre de mes cinéastes préférés, John CASSAVETES ce qui explique la présence de Peter FALK dans "Les Ailes du désir" (1987) et sa suite.
"Aucun ours" s'appelle ainsi en référence à une phrase prononcée par un habitant du village où réside Jafar PANAHI dans le film. Mais c'est aussi symboliquement une allusion au danger et au mensonge, plus exactement au fait qu'un faux danger peut en cacher un autre qui lui est vrai. On ne va pas tourner autour du pot, le dernier film de Jafar PANAHI est indissociable de ses conditions de production clandestines, comme ses quatre réalisations précédentes et indissociable également de son contexte, celui de l'insurrection impitoyablement réprimée par les autorités iraniennes dans lequel les femmes et les artistes ont payé le prix fort. Jafar PANAHI a fait sept mois de prison peu de temps après avoir achevé son film et une fois libéré, a pu se rendre en France alors qu'il n'avait plus le droit de sortir d'Iran depuis 14 ans. Cet aspect carcéral et sans perspectives pèse de tout son poids dans "Aucun ours". Jafar PANAHI s'y met en scène dans son propre rôle, celui d'un cinéaste obligé de se cacher dans un village reculé proche de la frontière turque pour pouvoir tourner à distance. Mais les aléas de la connexion internet entravent son projet. Surtout, il se retrouve au coeur d'un imbroglio avec les villageois persuadés qu'il a pris une photo prouvant qu'une jeune fille promise depuis sa naissance à un des hommes du village est amoureuse d'un autre. Evidemment Jafar PANAHI refuse de laisser son art se faire instrumentaliser par ces mentalités patriarcales d'un autre âge. Le parallèle entre sa situation et celle du couple clandestin est donc souligné à travers les mises en abyme que Jafar PANAHI aime mettre en scène et ce jusqu'à l'exil impossible qui trace une voie sans issue ce qui n'empêche pas les traits d'humour comme "politesse du désespoir".
"La nuit du verre d'eau" est le premier film de Carlos CHAHINE qui revient sur l'histoire de son pays natal, le Liban, qu'il a dû quitter en 1975 au début de la guerre civile qui déchira le pays pendant quinze ans et dont les plaies aujourd'hui ont bien du mal à se refermer. Il en ausculte donc les prémices en situant son film en 1958, soit à mi-chemin entre l'indépendance du Liban et le début de la guerre. En effet il s'agit d'une année charnière durant laquelle la montée des tensions politiques et religieuses entraîna l'intervention des américains pour défendre dans un contexte de guerre froide les chrétiens pro-occidentaux face à une insurrection venue d'une partie de la communauté musulmane qui voulait que le Liban fusionne dans une République arabe unie avec la Syrie et l'Egypte panarabiste de Nasser. Finalement un compromis fut trouvé entre les deux parties et les américains purent quitter le pays au bout de quelques mois. Mais les graines de la discorde étaient semées d'autant qu'à la suite de la première guerre israélo-arabe, de nombreux palestiniens avaient trouvé refuge au Liban, bien avant l'exode massif de la guerre des 6 jours en 1967 qui allait contribuer à déstabiliser le pays.
Ce contexte est évoqué dans le film mais de loin car il se situe dans une vallée reculée qui ne perçoit que les échos lointains des événements qui se déroulent à Beyrouth. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Un avantage car le cadre montagneux fournit des images somptueuses de l'arrière-pays. Un inconvénient car la grande histoire n'interfère pas significativement avec celle du film. Tout au plus voit-on quelques "signaux faibles": des hommes qui s'entraînent au tir en vue de former une milice pour protéger le village, une dispute à table entre un musulman et la famille chrétienne qui l'a invité à dîner, quelques paroles à la radio ou dans les journaux. "La Nuit du verre d'eau" est plutôt une chronique de moeurs intimiste qui n'est pas sans rappeler sur le fond "Mustang" (2014) bien que la forme soit complètement différente (échevelée et nerveuse dans "Mustang", posée et glamour dans "La nuit du verre d'eau"). L'histoire se concentre en effet sur le destin de trois soeurs issues d'une famille chrétienne aisée de ce village qui sont soumises au pouvoir patriarcal. L'aînée étouffe dans son mariage et ne trouve d'échappatoire que dans un adultère avec un français de passage accompagné de sa mère (Pierre ROCHEFORT et Nathalie BAYE). La seconde est promise à un mariage arrangée selon une procédure identique à celle que l'on voit dans "Mustang". Et la plus jeune a une relation clandestine avec un jeune du village dont le père ne veut pas. S'y ajoute l'enfant de la soeur aînée qui par son statut est en position d'observateur. L'interprétation est en tous points remarquables et le style roman-photo, élégant et bien choisi car correspondant aux magazines féminins de l'époque (d'autres films traitant de l'émancipation féminine dans les années 50 ont adopté ce style comme "Loin du paradis" (2002) ou "Carol") (2015). Néanmoins le film se disperse un peu à force d'embrasser trop d'éléments à la fois et doit une fière chandelle à son actrice principale, Maryline Naaman qui est magnétique.
"Une partie de cartes" ressemble à une vue des frères Lumière comme il en existe des centaines d'autres dans les premières années d'existence du cinéma. Sauf qu'il s'agit en réalité du premier film de Georges MÉLIÈS qui choisit de copier un film des frères Lumière, "Une partie d'Ecarté". Pas encore de trucages, pas de studio, pas de monde imaginaire ni de scène de théâtre et pourtant on est déjà dans l'illusion. L'autre intérêt de ce premier "remake" de l'histoire du cinéma est son ton légèrement décalé par rapport à l'original. Alors que dans le film des Lumière, seul le serveur était exubérant, les joueurs de cartes ne se différenciant guère du reste du décor, Georges MÉLIÈS a veillé à donner vie à tous les personnages en les rendant aussi expressifs que possible compte tenu des contraintes de l'époque. L'aspect exagéré de leurs réactions (au jeu, à la boisson, aux nouvelles du journal) a pu d'ailleurs faire parler de "parodie" mais il s'agissait surtout d'amplifier et de multiplier au maximum les mouvements, y compris ceux des volutes de fumée s'échappant des cigarettes de ces messieurs qui fument comme des pompiers!
Après avoir vu et cordialement détesté le premier film de Justine TRIET, "La Bataille de Solférino" (2013) je m'étais dit que je ne remettrais plus les pieds dans son cinéma. Mais c'était il y a 10 ans et la récente Palme d'Or qu'elle a reçu m'a donné envie de voir son évolution. "Victoria" est encore bien trop hystérique pour moi (c'était ce que je reprochais à "La Bataille de Solférino") (2013) avec un personnage très proche de celui joué par Laetitia DOSCH. A savoir une jeune mère au bord de la crise de nerf à force d'être tiraillée entre un métier exigeant et des tâches domestiques trop lourdes à porter que les hommes et en particulier un ex toxique refusent de partager tout en essayant de saboter la vie professionnelle de leur ancienne compagne. S'y ajoute l'injonction inconsciente mais intégrée par Victoria (Virginie EFIRA) à avoir une sexualité épanouie qui se transforme en suite de rendez-vous stéréotypés et sordides par petites annonces dignes de "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975), l'aspect tarifé en moins. On peut y ajouter une autre injonction, celle consistant à aller bien et à avoir le contrôle de sa vie qui ne fait que faire courir davantage Victoria de son cabinet de psy à sa diseuse de bonne aventure sans qu'elle n'y voit plus clair pour autant dans sa vie. Conséquence, elle vit dans un tourbillon permanent comme le montrait déjà le générique de "La Bataille de Solférino" (2013) qui l'enfonce toujours davantage dans son aliénation.
La différence avec "La Bataille de Solférino" (2013) qui en restait au niveau des tripes avec une suite de scènes chaotiques remplies de disputes incessantes (et indigestes) jusqu'à l'épuisement c'est qu'il y a un début d'introspection dans "Victoria". Grâce principalement au personnage de marginal joué par Vincent LACOSTE qui parvient à instaurer un échange avec celui de Virginie EFIRA. Le spectateur voit tout de suite la différence alors que pour elle, il n'est qu'un élément du décor parmi d'autres et qu'elle n'a pas "deux secondes de calme intérieur" pour y réfléchir. Du moins jusqu'au dérapage de trop qui lui offre l'espace mental dont elle a besoin. La fin de "Victoria" se détache alors du reste du film, prend de la hauteur et offre à Virginie EFIRA l'occasion de libérer une palette d'émotions apaisantes et apaisées qui font du bien. Je l'ai tellement aimée que je l'ai regardée deux fois.
J'avais oublié que je connaissais déjà "Divorce à l'italienne", le film le plus célèbre de Pietro GERMI puisque m'est revenu en mémoire la fin pendant que je le regardais. Une fin qui constitue le clou d'un film parfaitement maîtrisé de la première à la dernière image. Une comédie de moeurs satirique et cynique jouant avec un délicieux humour noir afin d'épingler l'hypocrisie d'une société rigide et arriérée (d'où la comparaison qui a été établie avec les comédies anglaises de la même époque qui s'en donnaient à coeur joie avec leur propre société corsetée). Peu de choses semblent avoir évolué en effet depuis que Roberto ROSSELLINI a montré dans "Stromboli" (1949) que l'obsession du mâle sicilien était d'être traité de "cornuto" (cocu) par ses congénères pour le simple fait de ne pas avoir réussi à cloîtrer sa femme étrangère. Pietro GERMI enfonce le clou au début des années 60 en montrant que le mariage est une prison dans laquelle s'engouffre la population parce que c'est la seule forme de sexualité autorisée par la religion catholique, les coutumes et les traditions qui parviennent encore à verrouiller la société. Une prison à perpétuité puisqu'au début des années 60 le divorce est interdit en Italie. En ce sens, on peut penser que le film de Pietro GERMI a contribué à faire évoluer la loi comme à la même époque dans un genre différent "La Victime" (1961) en Angleterre pour la dépénalisation de l'homosexualité.
Le film de Pietro GERMI se place du point de vue de son personnage principal, Ferdinando Cefalù (Marcello MASTROIANNI) issu de la vieille aristocratie italienne (autre signe de l'arriération de cette société) qui ne cesse d'échafauder des stratagèmes pour se débarrasser de son épouse, Rosalia qu'il ne peut plus souffrir. Non seulement on le comprend tant Rosalia est disgracieuse et insupportable mais on entre en connivence avec lui ce qui souligne à quel point le puritanisme religieux est pervers puisque loin de rendre les gens meilleurs, il donne des envies de meurtre en les privant de leur libre-arbitre. Les différents "scénarios" totalement amoraux imaginés par Ferdinando pour en finir avec son mariage sont juste désopilants en plus de lui redonner un pouvoir sur sa vie. Tel un cinéaste, il choisit parmi plusieurs candidats celui qui pourra faire "fauter" Rosalia et créé les conditions de leur rapprochement afin de pouvoir agir au moment propice avec le maximum de circonstances atténuantes. En effet, si l'Eglise diabolise la sexualité, elle ferme les yeux sur les crimes d'honneur, surtout s'ils sont commis par un homme envers sa femme adultère en raison de sa misogynie foncière mais aussi de celle des communautés qu'elle contrôle et pour qui l'honneur se lave dans le sang. La présence de la jeune, belle et innocente cousine (Stefania SANDRELLI dont la carrière a été lancée par le film) dont Ferdinando tombe amoureux sert de catalyseur. Mais on sent dès le départ qu'il s'agit d'un mirage ce que la fin vient confirmer. Marcello MASTROIANNI est drôlissime dans le rôle avec son impayable tic inspiré de Pietro GERMI lui-même. Enfin, on assiste avec une délectation particulière aux anathèmes de l'Eglise envers "La Dolce vita / La Douceur de vivre" (1960) sorti un an auparavant et qui est projeté dans le village où tout le monde feint de s'offusquer mais se rince l'oeil devant Anita EKBERG appelant un certain Marcello qui reste invisible à l'écran et pour cause... une mise en abyme réjouissante de plus.
Lorsque j'ai rendu hommage à Jean-Marc VALLÉE, j'ai écrit à l'époque que je souhaitais revoir "C.R.A.Z.Y." dont je n'avais presque plus aucun souvenir. J'ignorais alors que le film était invisible depuis six ans en raison de problèmes de droits sur sa bande musicale très riche qui est absolument essentielle au film, tant pour marquer le passage du temps que pour exprimer les doutes de Zach sur son identité. Heureusement, ces droits (qui n'avaient été accordés que pour dix ans, Jean-Marc VALLÉE ayant même rogné son salaire pour gonfler celui de la musique) ont été renouvelés sans limite de durée ce qui signifie que le film est désormais sauvé dans son intégrité ce qui a permis sa restauration et sa ressortie, en DVD et VOD notamment.
"C.R.A.Z.Y." est le film qui a propulsé Jean-Marc VALLÉE sur le devant de la scène en raison de son énorme succès au Québec mais aussi parce qu'il s'agit du premier teen-movie mainstream qui aborde la question de l'homosexualité, quelques années avant l'éclosion de Xavier DOLAN. "C.R.A.Z.Y." est une chronique familiale s'étalant sur une vingtaine d'années, son titre faisant référence à la chanson de Patsy Cline dont est fan Gervais, le père de famille (Michel CÔTÉ) au point que ses cinq garçons ont un prénom dont l'initiale se compose d'une de ses lettres, d'où découle le titre du film (Christian, Raymond, Antoine, Zac et Yvan). Si trois d'entre eux se réduisent à un seul trait de caractère qui en font juste des éléments du décor (encore un problème de budget apparemment), les deux autres, Raymond et Zach sont les "déviants" qui se détestent d'autant plus que chacun est le miroir de l'autre. En témoigne leurs goûts musicaux, leur look rebelle et leur difficulté pour trouver leur place. Zac, le personnage principal qui est symboliquement né le jour de noël (coïncidence, Jean-Marc VALLÉE est également décédé ce même jour) et qui est interprété enfant par le fils de Jean-Marc Vallée doit refouler très tôt ses inclinations en raison du regard désapprobateur de son père qui essaie de le remodeler en fonction des normes viriles qu'il incarne. Il faudra donc beaucoup de temps à Zac pour s'affirmer et se faire accepter par lui contrairement à sa mère qui le traite avec bienveillance depuis son plus jeune âge. Quant à Raymond qui incarne jusqu'à la caricature la virilité mal dégrossie, son parcours tragique symbolise l'échec des tentatives de normalisation de Zac qui ne peut se libérer que lorsque "l'ennemi intime" s'efface de la scène. "C.R.A.Z.Y." est un film attachant même s'il comporte un certain nombre de maladresses et de longueurs.
En attendant une éventuelle sortie en salles en France, il est possible de voir "Les colons", le premier long-métrage de Felipe GÁLVEZ HABERLE qui faisait partie de la sélection du festival de Cannes "Un certain regard" en VOD depuis le 2 mai ou bien en avant-première dans quelques salles. Le film raconte la naissance de la nation chilienne en deux parties. La première qui fait penser à un western évoque les conditions dans lesquelles les colons espagnols ont pris possession des terres de la Patagonie. C'est à dire en faisant "pacifier" la zone, terme occultant la réalité de l'extermination des autochtones. Trois de leurs sbires sont envoyés pour "nettoyer le terrain" des indiens qui dérangent l'ordre que les colons veulent établir en détruisant les clôtures (symbole de propriété privée) et en mangeant le cheptel (symbole de l'économie capitaliste). Contrairement à ce que j'ai pu lire lors des retours critiques après la projection du film, il n'est inexact d'affirmer que l'on voit tout du seul point de vue des blancs. Car le troisième homme, l'employé métis tant par son statut d'inférieur perpétuellement rabaissé et humilié que par sa nature hybride observe et consigne dans sa mémoire les horreurs dont il est le témoin et auxquelles parfois ses supérieurs l'obligent à participer. Supérieurs qui sont montrés sous leur jour le plus barbare ce qui a été également critiqué. Cependant d'une part, le témoignage précieux d'un Bartolomé de La Casas a fait état des atrocités commises par les espagnols en Amérique. D'autre part, il s'agit pour Felipe GÁLVEZ HABERLE de déconstruire leur prétendue oeuvre civilisatrice en montrant la véritable nature de ces missions de "pacification" qui ont précédé la naissance des nations modernes du Chili et de l'Argentine. Ainsi le (pseudo) lieutenant écossais qui joue le rôle de contremaître du propriétaire terrien espagnol, le mercenaire texan que celui-ci lui impose comme compagnon de voyage et le colonel Martin qu'ils croisent sur leur chemin rivalisent de sauvagerie et de cruauté, chacun cherchant par ailleurs à dominer l'autre de la plus brutale des manières. Tout au plus peut-on reprocher au réalisateur de ne montrer les indiens que comme des victimes, même si leur résistance est évoquée quand Segundo (le métis) n'a pas des visions où lui apparaît un guerrier indien. On remarquera également que les violences sont plus suggérées que montrées, elles sont soient racontées, soit cachées derrière un épais brouillard. La deuxième partie du film, non moins intéressante se concentre sur la façon dont les représentants des autorités officielles tentent de maquiller les faits historiques afin de construire un "roman national" autour de la naissance de la nation chilienne pour souder ses divers éléments autour d'un consensus forcément mensonger. Pour parvenir à leurs fins, ces représentants vont à la rencontre de Segundo et de son épouse, une indienne rescapée des massacres qui elle aussi a été témoin et victime. La façon dont elle décide de résister à la mise en scène façon "film dans le film" qui doit nourrir le récit des autorités de la pseudo véracité des images conclue en beauté un film aussi riche que puissant cinématographiquement.
"Médecin de nuit" concentre tout ce qui fait l'efficacité d'un récit: la règle des trois unités (le lieu, le temps et l'action) permettant de dénouer une crise ou bien de faire basculer un destin. S'y ajoute une ambiance à la Bruno NUYTTEN et des acteurs à contre-emploi comme dans le Paris nocturne cafardeux qu'il avait éclairé dans "Tchao Pantin" (1983). Le résultat oscille entre un aspect vériste assez âpre qu'on aurait aimé voir plus développé (un homme seul face à une humanité en souffrance) et un enjeu dramatique plus artificiel. En effet en une seule nuit, Mikaël doit résoudre le chaos qui règne dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle et pour cela, trancher le lien toxique qui le relie à son cousin, Dimitri (Pio MARMAÏ). Belle idée en soi de relier l'aspect documentaire et l'aspect romanesque par le biais de la toxicomanie mais le réalisateur a du mal à doser, finissant par transformer son humble médecin en "vigilante" armé d'un flingue à la manière de Travis Bickle dans "Taxi Driver" (1976). Impossible de ne pas penser au film de Martin SCORSESE, à l'ambiance nocturne et poisseuse, à son anti-héros solitaire, à la rencontre avec une jeune prostituée qu'il souhaite aider, au pétage de plombs final. Mais bien évidemment la comparaison s'arrête là, le film de Elie WAJEMAN s'en tient à une trajectoire individualiste au lieu d'interroger la société dans son ensemble et les "monstres" qu'elle fabrique et transforme en héros ce qui en limite la portée. Mais l'aspect que j'ai trouvé le plus maladroit, ce sont les dialogues sentimentaux ultra clichés que Mikaël débite à sa femme et à sa maîtresse. Je ne pensais pas entendre dans un film français d'auteur du XXI° siècle des "paroles paroles" telles que "tout va s'arranger tu vas voir, je vais revenir et être là pour toi" ou bien "je n'ai jamais arrêté de t'aimer" ou bien "on va partir ensemble". Il y a donc du bon voire du très bon dans le film mais également des choses à sérieusement affiner.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.