Ayant eu des échos flatteurs de "Teddy", le précédent film des frères Boukherma et alléchée par la promesse d'une parodie de "Les Dents de la mer", je suis allée voir le film enthousiaste et en suis sortie pour le moins déçue voire furieuse avec l'impression de m'être fait avoir par certaines critiques flatteuses et le label "art et essai" accolée au film. Il faut être bien chauvin pour ne pas voir que ce film pue l'amateurisme à plein nez. C'est bien simple, la sauce ne prend jamais, la faute à un manque de maîtrise évident des genres abordés. Le film est "vendu" comme une comédie, or comme je l'ai souvent dit, le comique est avant tout une affaire de rythme. "L'année du requin" est tout sauf rythmé, le film est mollasson et de ce fait, les quelques gags et bons mots tombent à plat. De plus, les réalisateurs ont l'ambition de mélanger les genres sauf qu'ils n'en maîtrisent aucun. Lorsqu'ils se décident à tourner des scènes de film-catastrophe à la Spielberg, ils oublient purement et simplement le comique sans que pour autant la tension dramatique ne soit véritablement instaurée. Vient se juxtaposer là-dessus un discours régionaliste (de la voix off horripilante, de la radio etc.) qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe et qui se réduit à des propos de péquenots réacs: le requin, c'est la faute aux parisiens, aux wokistes, aux écolos, au covid, au réchauffement climatique... Certes, les réalisateurs ne pouvaient pas savoir au moment du tournage que le bassin d'Arcachon allait être frappé par des mégafeux mais on ne peut pas dire que le film se montre visionnaire là-dessus. Comme pour tout le reste, il hésite, le cul entre deux chaises et ne parvient pas à se hisser à la hauteur des enjeux (pour ne s'aliéner aucun public?). En témoigne le sort du requin, marqué par une énième volte-face (un titre qui aurait bien mieux convenu au film). L'arnaque se retrouve jusque dans l'affiche. On nous fait croire à une dynamique de trio alors que seule Marina Foïs occupe le devant de la scène, jouant un personnage aux motivations nébuleuses la plupart du temps figé en gros plan selon un grand angle déformant dont on se demande à quoi il sert sinon à faire original à tout prix. Kad Merad et Jean-Pascal Zadi, censés être les plus values comiques du film sont scandaleusement sous-exploités. Bref, rien ne fonctionne dans cette catastrophe de film dont les ambitions se heurtent au manque évident du savoir-faire le plus basique (écrire un scénario qui se tient par exemple).
"Rosetta", Palme d'or 1999 est le film qui a fait connaître au monde entier les frères Dardenne et leur cinéma, mainte fois copié depuis mais qui demande un doigté dont ils ont seuls le secret: des intrigues mêlant drame social et suspense moral, un style plan-séquence et caméra à l'épaule collant aux basques de personnages toujours en mouvement ayant permis de révéler de jeunes (et moins jeunes) acteurs promis à de belles carrières (Emilie DEQUENNE, Jérémie RENIER, Olivier GOURMET), un dépouillement (par exemple dans les décors, l'apparence des personnages, l'absence de musique) tempéré par une caméra particulièrement fébrile. Contrairement au manichéisme d'un Ken LOACH qui divise souvent le monde dominé par le capitalisme libéral occidental entre gentils opprimés et méchants oppresseurs (mais pas toujours comme le montre "It s a Free World !") (2007), les marginaux des frères Dardenne sont tentés pour sortir de leur misère de devenir à leur tour des exploiteurs écrasant plus faible qu'eux (dans la logique elle aussi binaire de ce système fondé sur la compétition darwinienne). "Rosetta" correspond parfaitement à ce schéma. On y voit une jeune fille au comportement de sauvageonne vivant en marge de la société dans des conditions extrêmement difficiles (un camping dans les bois avec une mère immature à charge). Une battante certes mais dont les actes, dictés par les tripes (si contractées qu'elle est en proie régulièrement à des maux de ventre) la rende inapte à la vie sociale. Cercle vicieux qui l'amène dans une impasse puisque pour parvenir à ses fins (trouver un travail stable), elle commet une crasse qui ensuite vient la hanter jusqu'à ce qu'elle craque et tombe au final plus bas encore que là où elle en était auparavant. Pour peut-être enfin commencer à se relever?
L'art d'en dire beaucoup en montrant peu est le propre du cinéma de Kelly REICHARDT. Ce minimalisme quelque peu aride est exacerbé dans "La dernière piste" dans lequel elle s'approprie le genre du western pour mieux en détourner les codes. L'action est remplacée dans "La dernière piste" par l'errance de trois familles de pionniers dans l'Oregon du milieu du XIX° siècle qui pour avoir suivi Meek (Bruce GREENWOOD), un guide vaniteux mais incompétent qui leur a promis un raccourci (le titre du film en VO est "le raccourci de Meek") se retrouve perdue dans le désert. Conséquence de cette erreur fatale, tous les paradigmes de culture occidentale sont renversés. Les pionniers se retrouvent à subir leur environnement au lieu de le dominer, la pénibilité de leur parcours étant particulièrement soulignée par la réalisatrice au travers du format d'image carré qui rétrécit leur horizon à leur seule survie quotidienne et la pénibilité de leurs mouvements qui fait ressentir au spectateur combien ils sont écrasés par la fatigue, la chaleur, la faim et surtout la soif. Après une introduction où les chariots arrivent au bord d'une rivière et où l'eau irrigue chaque plan, apportant un soulagement temporaire, celle-ci disparaît durant le reste du film, hormis un cruel passage où elle réapparaît mais s'avère non potable. Cette terrible épreuve existentielle a pour conséquence de bousculer l'ordre établi. Meek est démonétisé et finit ravalé en queue de peloton malgré ses démonstrations d'agressivité au profit de deux êtres culturellement dominés: une femme et un indien. Seul espoir de trouver de l'eau, l'indien capturé durant leur parcours est néanmoins indéchiffrable et incontrôlable: il représente la nature. D'où la tentation de détruire ce qui ne peut être asservi. Mais Emily (Michelle WILLIAMS, actrice récurrente du cinéma de Kelly REICHARDT), la pionnière la plus forte du trio de femmes (la deuxième, jouée par Shirley HENDERSON la "Mimi Geignarde" des films Harry Potter est enceinte et la troisième, jouée par Zoe KAZAN, compagne à la ville et dans le film de Paul DANO sombre dans la folie hystérique) décide de s'allier à l'indien et de le protéger de la violence impuissante de Meek. Elle m'a fait penser à une incarnation du discours visionnaire de Michel SIMON qui prédisait en 1965 la disparition du vivant alors même que les 30 Glorieuses triomphaient: " Ce qui aurait pu sauver l'humanité c'est la femme car elle est encore en contact direct avec la nature mais elle n'a pas voix au chapitre". La place de plus en plus importante prise par Emily dans le film qui va de pair avec l'effacement de Meek sonne comme une uchronie: si l'histoire avait été différente, en serions-nous arrivés là aujourd'hui?
Découvrir les films de Maurice PIALAT dans l'ordre (je n'avais vu avant la rétrospective que Arte lui consacre que "À nos amours" (1983) et "Police") (1985) s'avère éclairant. En effet de "L Enfance nue" (1968) jusqu'à "À nos amours" (1983), l'inspiration autobiographique saute aux yeux et offre une fresque humaine d'un naturalisme saisissant d'âpreté allant de l'enfance à la mort en passant par l'adolescence et la vie de couple. A partir de "Police" (1985) si le style et certaines obsessions restent parfaitement reconnaissables, les sources d'inspirations deviennent exogènes, puisant dans le genre du polar, dans le roman et ici dans la biographie d'un peintre célèbre. Cependant on peut se demander dans quelle mesure Maurice Pialat ne se dépeint pas lui-même au travers de sa chronique des derniers jours de Vincent Van Gogh: c'est lui-même qui tient le pinceau dans les rares moments du film où son personnage s'adonne à la peinture et il lui prête par moment des réactions qui étaient les siennes (par exemple un certain agacement face aux contingences de la vie qui l'entravent dans son acte de création). On peut ajouter également l'amertume de l'artiste incompris et le caractère revêche voire goujat d'un Van Gogh amateur de femmes mais antipathique qui n'est pas sans rappeler le Jean de "Nous ne vieillirons pas ensemble" (1972) (qui était faut-il le rappeler un cinéaste raté). Bref, on est pas loin de l'autoportrait de Maurice Pialat en Van Gogh d'autant que si la peinture occupe une place très périphérique dans le film, celui-ci est conçu comme une série de tableaux vivants, chaque scène étant d'une grande beauté visuelle rappelant la peinture impressionniste (celle de Auguste Renoir surtout avec les plans de guinguette au bord de l'eau avec en toile de fond des barques à voile blanche ou bien le rouge d'une robe se détachant sur la végétation). On adhère ou non à la vision désacralisée, anti-spectaculaire du peintre ramené à une certaine trivialité du quotidien. Personnellement, j'ai trouvé que la principale limite du film résidait dans la façon dont est retranscrite la relation entre Van Gogh (Jacques DUTRONC très crédible) et Marguerite (Alexandra LONDON), la fille du docteur Gachet (Gérard SÉTY). Montrer une jeune fille bourgeoise avoir une liaison avec un homme pauvre deux fois plus âgé qui l'amène au bordel* et fornique avec elle en public sous les yeux d'un père furieux mais impuissant relève de l'imaginaire (ce qui semble correspondre à la biographie de l'artiste) mais Pialat montre cela comme une réalité ce qui jure grossièrement avec l'époque retranscrite.
* Les filles de la bourgeoisie étaient élevées au XIX° pour être livrées vierges et frigides à leur mari, les prostituées assurant la satisfaction de leur libido. Deux rôles bien distincts que Pialat s'amuse à brouiller. dans une optique qui lui est propre (la romance entre une bourgeoise et un prolo rappelle "Loulou") (1980) mais qui ne fonctionne pas ici.
"Cagliostro" est l'une des dernières production du studio Albatros fondé par Alexandre Kamenka à Montreuil au début des années 20 ou plutôt une coproduction avec le studio berlinois Wengeroff-GMBH dirigé par un autre russe émigré, Vladimir Wengeroff. Le film est d'ailleurs réalisé par un pionnier du cinéma germanique, Richard OSWALD assisté par de futures pointures du cinéma français (Marcel CARNÉ et Jean DRÉVILLE) et n'est que lointainement basé sur le célèbre "Joseph Balsamo" de Alexandre Dumas (première partie d'une saga consacrée à la Révolution et à ses prémices et qui se déroule à la fin du règne de Louis XV soit une quinzaine d'années avant l'Affaire du Collier qui est le titre de la troisième partie de cette même saga). C'est un roman allemand de Johannes von Günther consacré à l'aventurier-magicien-guérisseur-escroc italien à double visage (c'est aussi un mari éperdument amoureux de sa femme) qui a été la principale source d'inspiration pour le film. Film qui par ailleurs nous est parvenu amputé de plus de la moitié de sa durée totale. Ce qui a pu être sauvé (environ une heure) a fait l'objet d'une reconstitution en 1988 qui est centrée sur une version (amputée) destinée aux familles tournant autour de l'affaire du collier, escroquerie montée par Cagliostro et l'aventurière Jeanne de la Motte laquelle n'hésite pas à dévoiler une partie de son anatomie à chacune de ses apparitions (ce qui n'a plus rien de familial mais est issu cette fois des chutes censurées et "recollées" au reste). L'ensemble se tient tout de même à peu près mais on sent bien qu'il s'agit d'un résumé (les passages manquants sont remplacés par des cartons). La mise en scène très élaborée (nombreuses trouvailles techniques) et élégante met en valeur la magnificence des décors et costumes lors des scènes de cour (superproduction oblige) ainsi que les péripéties dignes d'un feuilleton d'aventures. En dépit des mentions "historiques" sur les cartons, on est dans une fiction de divertissement avec par exemple la manière rocambolesque dont Joseph Balsamo parvient à s'évader à la fin avec sa femme.
En dépit de son caractère spectaculaire, ce blockbuster de l'époque n'eut pas le succès escompté en raison de l'arrivée du parlant qui mit fin prématurément à sa carrière et le fit sombrer dans l'oubli.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.