Je n'avais pas revu ce film, le dernier de Romy SCHNEIDER depuis mon enfance. L'actrice y est bouleversante, consumant ses dernières forces dans un double rôle où elle n'en finit pas d'expier les relations troubles de sa mère avec Hitler. Les enfants de bourreaux (et de leurs complices) sont en effet aussi des victimes. Ils sont écrasés par le poids de la culpabilité que leur géniteur ou génitrice n'a jamais assumé et il est alors d'autant plus compliqué pour eux de transmettre la vie. Car quel héritage transmettre quand celui-ci est criminel? Romy SCHNEIDER n'avait pas par hasard eu pour premier mari un ancien déporté juif allemand. Pas par hasard donné des prénoms hébreu à ses enfants. Ce n'était pas par hasard qu'elle s'était donnée au point de se faire mal dans les scènes les plus barbares de "Le Vieux fusil" (1975), autre film où elle joue une victime d'Hitler. Pas par hasard enfin qu'elle a porté "La Passante du Sans-Souci" à bout de bras, contactant le réalisateur Jacques ROUFFIO pour lui demander d'adapter le roman de Joseph Kessel et demandant à ce que son partenaire soit Michel PICCOLI avec lequel elle avait travaillé plusieurs fois pour Claude SAUTET. Mais ses problèmes de santé, le suicide de son premier mari en 1979 et surtout la mort de leur fils peu de temps avant le tournage ont eu sa peau puisqu'elle a été retrouvée morte un mois et demi environ après la sortie du film.
"La Passante du Sans-Souci" est donc un film qui projette les derniers feux d'une actrice exceptionnelle et qui annonce son destin funeste en la faisant doublement mourir. Sans Romy SCHNEIDER, le film aurait sans doute été relégué aux oubliettes. Non seulement la mise en scène est assez conventionnelle mais elle est encore alourdie par une démonstration cherchant à établir mécaniquement un parallèle entre la montée du fascisme des années 30 et une résurgence de l'antisémitisme au début des années 80. Le manque de recul sur la deuxième période explique sans doute cette comparaison forcée et donc erronée. Certes, des attentats ont bien visé au début des années 80 la communauté juive de France (celui de la rue Copernic, celui du restaurant Jo Goldenberg entre autres) mais ils n'émanaient pas des anciens nazis réfugiés en Amérique que l'on retrouve et que l'on juge à cette période (comme Klaus Barbie ou l'enquête ouverte en 1979 par les USA pour repérer, dénaturaliser et expulser ou extrader leurs ressortissants d'origine immigrée ayant violé le droit international) mais des conflits israélo-arabes au Moyen-Orient et plus précisément de la guerre civile qui faisait alors rage au Liban. Par conséquent il faut prendre l'histoire du film dans sa partie contemporaine avec beaucoup de pincettes.
Deuxième film de Mikhaëls Hers, "Primrose Hill" est un moyen-métrage charmant et prometteur. Le futur réalisateur de "Amanda" (2018) affirme déjà son intérêt pour la question du passage à l'âge adulte qu'il traite comme un deuil à l'aide du filtre du souvenir, du rêve... ou de l'au-delà. La narratrice (Mila DEKKER) est le cinquième membre d'un groupe de pop-rock qui s'est volatilisée sans que l'on sache pourquoi et comment. D'une voix off éthérée, elle raconte depuis son balcon le rêve qu'elle a fait au sujet de ses quatre anciens amis, deux garçons et deux filles d'une vingtaine d'années. Elle les voit déambuler dans un parc près de Paris peu de temps avant noël, elle voit leurs idéaux de prime jeunesse (on devine d'après le titre et la musique qu'ils écoutent et dans lequel le film baigne un passé très londonien) s'étioler sous le poids du quotidien. Mais tout cela est plus planant que triste grâce à la beauté de la lumière, une caméra aérienne qui tantôt survole la ville ou tantôt accompagne la déambulation des personnages en travelling arrière ou avant. Une fluidité que l'on retrouve dans la mise en scène faite de conversations entre ces jeunes qui échangent leur place à l'avant et à l'arrière plan d'une façon qui semble très naturelle (rester en arrière pour téléphoner, pour faire une blague, pour allumer une cigarette...). La deuxième partie possède ce même mélange de sentiments. On y voit lors d'un long plan-séquence Sonia et Stéphane, deux des membres du groupe qui se cherchaient déjà dans le parc (et sans doute depuis très longtemps) mais n'étaient jamais passé à l'acte céder à leur attirance mutuelle, le tout d'une façon très naturaliste. Je veux dire par là que leur relation sexuelle est montrée comme un prolongement naturel de leur relation telle qu'on la découvre dans le parc avec Sonia dans le rôle de celle qui prend l'initiative, qui bouscule l'ordre établi et Stéphane, déstabilisé et maladroit qui finit par la suivre. Ce beau moment (comme quoi c'est possible de filmer intelligemment des scènes intimes) illustre la célèbre phrase de Lavoisier "rien ne se perd, tout se transforme", la tristesse de ce qui n'est plus fait le lit de la joie qui va advenir. Après les moments à quatre puis à deux, la conclusion se resserre sur Stéphane qui retrouve ses parents et évoque Sylvia, sa soeur disparue que l'on devine être la voix-off. La boucle est bouclée.
Par curiosité, j'ai eu envie de découvrir une autre version du roman de Léon Tolstoï que celle de Clarence BROWN que je connaissais déjà. Celle de Julien DUVIVIER n'est pas déshonorante mais elle m'a parue moins réussie. Déjà on a une impression de redite au début avec le choix identique de mettre en avant le couple Anna-Vronsky au détriment de celui formé par Kitty et Lévine. Ensuite il y a un abus d'effets mélodramatiques avec les épisodes de maladie nerveuse de Kitty puis d'Anna. Et enfin Greta GARBO était plus proche du personnage que Vivien LEIGH qui m'a semblé trop "petite fille capricieuse" pour être à la hauteur des tourments de la jeune femme tiraillée entre son amant et son fils (dont la relation est sacrifiée par rapport à celle de Brown). A moins que ce ne soit le scénario, très confus qui en soit la cause. Entre son mari qui veut divorcer puis qui ne le veut plus (sans être mauvais, Ralph RICHARDSON hésite entre plusieurs attitudes alors que Basil RATHBONE était droit dans ses bottes), Anna qui veut quitter Vronsky (joué par un acteur encore plus fade que celui de la version de 1935) puis qui ne le veut plus, la bonne société qui oscille entre compassion et médisance, le moins que l'on puisse dire, c'est que la progression de l'histoire n'est pas fluide et que les 2h13 sont le fruit de ce refus de trancher dans le vif. Reste la superbe photographie de Henri ALEKAN et une mise en scène qui offre quelques moments inspirés: celle de fin est tout à fait remarquable et Vivien LEIGH pour une fois dans son élément.
"La Dernière fanfare" est comme "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962) un film crépusculaire et testamentaire de John FORD, une oeuvre méconnue (parce que plus difficile d'accès) mettant en scène la dernière campagne électorale du vieux maire d'une grande ville de Nouvelle-Angleterre d'origine irlandaise Frank Skeffington (Spencer TRACY). John FORD réussit comme dans nombre de ses autres films le croisement de l'intime et du politique et donne un bel éclairage sur la société de son temps alors en mutation. Bien que ses méthodes soient plus que douteuses (chantage, instrumentalisation d'événements de la vie civile à des fins politiques sans parler de certains membres de son entourage qui ont pour lui une dévotion fanatique qui confine au déni de réalité), Skeffington est montré comme un personnage positif qui se soucie du sort des petites gens et aime aller à leur contact. Mais il est usé par ses quatre précédents mandats et dépassé par les nouvelles technologies, notamment l'importance croissante de la télévision. Bien que la scène dans laquelle son jeune adversaire apparaît dans la petite lucarne est volontairement caricaturale, elle annonce l'importance de ce média dans la vie politique: on pense au débat ayant opposé en 1960 Nixon à Kennedy, ce dernier ayant pris l'avantage grâce à sa plus grande maîtrise de l'outil médiatique. Sensibilité politique et appartenances religieuses et culturelles vont également de pair: Skeffington est logiquement catholique (comme John FORD et Spencer TRACY, tous deux d'origine irlandaise, le personnage de Skeffington étant un double d'eux-mêmes) alors que son adversaire bien que présenté également comme irlandais est la marionnette des WASP (white anglo-saxons protestants) qui représentent le groupe dominant, beaucoup plus conservateur*. La fracture est en effet également sociale, la mère de Skeffington (que l'on devine être un "self made man") ayant été humiliée par le père de l'un de ses adversaires acharné, le journaliste Amos Force (John CARRADINE) chez qui elle était domestique. Pour enfoncer le clou, on apprend que ce journaliste a appartenu au KKK. C'est donc en filigrane à une analyse des fractures de l'Amérique (plus que jamais d'actualité) qu'effectue John FORD, doublé du portrait d'un homme vieillissant qui livre le combat de trop. Si la première partie du film est solaire, la deuxième est mélancolique et funèbre. Privé de l'adrénaline de l'arène politique, le personnage tombe dans l'abîme des problèmes de santé (Ford et Tracy étaient eux-mêmes malades) et de la solitude. Sa famille est en effet inexistante. Comme dans "La Charge héroïque" (1949), l'homme est un veuf qui n'a pas fait le deuil de son épouse alors qu'aucune communication n'est possible avec son insupportable fils trop gâté. Enième élément d'identification puisque John Ford ne cachait pas l'amertume que lui inspirait son fils alors que l'avènement de la télévision avait pour conséquence la crainte des cinéastes d'être marginalisés.
* L'analyse de la filmographie de John FORD permet de mesurer à quel point il ne correspondait pas à l'étiquette de "traditionnaliste" qu'on lui a collée à la peau que ce soit dans son regard sur les femmes ou les minorités, lui-même ayant vécu des situations de discrimination. Il n'entrait en réalité dans aucune case.
"Thelma" m'a fait beaucoup penser à "Morse" (2008) qui lui-même n'est pas sans rapport avec les adaptations cinématographiques des romans de Stephen King, "Carrie au bal du diable" (1976) et autres "Shining" (1980). Un enfant persécuté par ses parents et/ou la société développe des pouvoirs paranormaux qu'il peut utiliser pour se défendre, se venger ou bien se libérer. C'est cette dernière variante qui est à l'honneur dans "Thelma", film fantastique certes mais qui colle de près aux tourments psychiques d'une jeune fille sous emprise paternelle qui cherche à s'émanciper. La scène introductive résume parfaitement les enjeux du film: Thelma enfant observe un poisson évoluer sous la glace (son inconscient prisonnier du carcan religieux de ses parents mais bien vivant), métaphore récurrente qui trouve son achèvement dans une scène de chasse où elle est prise pour cible par son propre père qui faute de pouvoir totalement contrôler cet inconscient dangereux (pas seulement par l'endoctrinement mais aussi par la douleur et la terreur) est tenté par sa suppression pure et simple. Après une ellipse de quelques années, on retrouve Thelma étudiante dans un plan en plongée qui souligne combien elle reste en dépit de son autonomie apparente sous l'emprise de ses parents. En effet ceux-ci continuent à la surveiller à distance, contrôlant ses faits et gestes, exigeant de tout savoir et ne lui laissant aucun centimètre carré d'intimité. A moins que ce ne soit l'inconscient de Thelma qui travaille, lui qui a intégré les tabous de son éducation puritaine lorsqu'elle se retrouve confrontée aux interdits, et par-dessus tout celui de la découverte de son (homo)sexualité. Le conflit qui en résulte fait le lit d'une belle névrose, laquelle se traduit par des crises d'hystérie dans la plus pure tradition du XIX° siècle, les conséquences paranormales en plus. Conséquences qui servent de prétexte au retour de Thelma chez ses parents où elle se retrouve séquestrée et droguée par son père plus menaçant que jamais. La lutte mentale qui s'engage alors avec lui acquiert une dimension qui dépasse le simple récit d'émancipation individuelle. Il s'agit d'une lutte plus globale contre le patriarcat et ses valeurs. En reprenant le contrôle de sa propre vie, Thelma découvre l'existence de sa grand-mère paternelle internée à l'asile et apprend aussi à utiliser positivement son pouvoir pour délivrer sa mère de son fauteuil roulant et redonner la vie dans une série de plans la reliant à la nature qui font penser à Lars von TRIER, autre réalisateur nordique fasciné par la figure de la sorcière en lutte contre les fanatiques religieux (est-ce un hasard si le feu est central dans la lutte de pouvoir entre Thelma et son père?).
"Anna Karénine" est moins une adaptation du roman éponyme de Tolstoï qu'une illustration du savoir-faire hollywoodien des années 30 dans toute sa splendeur. Jamais le mot "star" n'aura autant brillé que lors de la première apparition de "La Divine" dans un nuage de vapeur (je pense que c'est une pure coïncidence mais cette scène me fait penser à la première apparition de Marilyn MONROE dans "Certains l'aiment chaud" (1959) également sur un quai de gare, également dans un puissant jet de vapeur mais dont le cadrage n'est plus de l'ordre de la sublimation romantique mais plutôt de l'assouvissement des instincts ^^.) Greta GARBO qui avait déjà interprété le personnage au temps du muet (avec son amant de l'époque John GILBERT) trouve le parfait écrin qui sied à son magnétisme. L'histoire est épurée, laissant dans l'ombre le contexte historique et les intrigues secondaires pour se concentrer sur le trio principal: Anna, son mari psycho rigide obsédé par son travail et sa réputation (impeccablement joué par Basil RATHBONE) et son amant Vronsky (joué par le fade Fredric MARCH). La mise en scène de Clarence BROWN (qui a remplacé George CUKOR qui était pressenti pour réaliser le film) met bien en lumière le dilemme d'Anna, déchirée entre l'espoir chimérique d'effacer les erreurs du passé en cédant à la flamme qu'elle éprouve pour le frivole Vronsky et celui, bien réel que lui porte son fils. En faisant le mauvais choix, elle perd tout dans une société qui ne pardonne aucun écart. En témoigne la scène où son mari, en position de juge suprême coupe définitivement le lien qui la reliait à Serguei, la précipitant vers l'abîme (suggéré par une descente d'escalier chancelante et un travelling arrière). Mais la fatalité suit comme une ombre Anna dès sa première rencontre avec Vronsky, marquée par le coup de foudre mais aussi de son propre aveu un "funeste présage": la mort d'un cheminot écrasé par le train. Lorsque Anna le reprend et que Vronsky la rejoint, un courant d'air glacé les enveloppe, annonçant également la tragédie à venir. Si la photographie éclaire magnifiquement le visage de Garbo, saisissant la moindre de ses expressions (mais elle joue avec tout son corps et les cadrages alternent entre gros plans et plans plus larges, mettant en valeur l'ensemble de son jeu), les scènes de groupe sont également très bien menées, alternant elles aussi entre des plans d'ensemble et des plans plus rapprochés permettant de saisir les enjeux émotionnels qui se nouent autour de Anna, Vronsky, Lévine ou Kitty (le deuxième couple de l'histoire de Tolstoï, volontairement laissé en arrière-plan dans cette adaptation).
"Huit et demi" est un monument du cinéma, un film matriciel (je l'ai découvert à travers "Brazil" (1985) dont le premier titre était "1984 et demi" et les films qui y font référence sont légion, de "Stardust Memories" (1980) à "Youth") (2015) mais il faut le dire aussi, un film assez difficile d'accès. Il épouse en effet le mouvement intérieur chaotique d'un créateur (que l'on devine être le double du réalisateur puisque le titre est une référence à sa filmographie alors constituée de 6 films et 3 "demis-films" soit 7 films 1/2 avant le tournage de celui-ci) en panne d'inspiration qui soigne sa crise existentielle dans une station thermale de luxe. Le problème, c'est qu'il ne parvient pas à y trouver le repos tant il est assailli de demandes diverses et variées de la part de son équipe au sujet de son prochain film sans parler de sa situation personnelle compliquée. La mise en scène plutôt frénétique et les travellings jouant sur l'arrière et l'avant-plan suggèrent particulièrement bien cette pression voire cette surenchère permanente autour d'un cerveau en surchauffe ce qui l'empêche de se poser et d'y voir clair: par exemple l'image de son épouse (Anouk AIMÉE) sur laquelle il tente de se concentrer afin de trouver une issue à sa crise conjugale est rapidement cachée derrière des visages lui aboyant diverses injonctions sur un rythme épuisant. On comprend la fatigue profonde qui habite Guido (Marcello MASTROIANNI qui après "La Dolce vita / La Douceur de vivre (1960) trouve un second rôle majeur dans sa carrière auprès de Federico FELLINI) symbolisée par ses yeux cernés. La musique, très expressive renforce d'une part la frénésie baroque qui habite l'oeuvre (par exemple avec "La danse du sabre" de Khatchatourian ou l'ouverture de l'opéra de Rossini "Le Barbier de Séville") mais a également un caractère ironique salutaire. En effet les passages mondains ou les fantasmes misogynes mis en scène comme des parades sont moqués soit avec une musique grandiloquente décalée ("La Chevauchée des Walkyries" de Wagner) soit implicitement comparés à un grand cirque. Encore que la scène de farandole de fin sur la piste avec tous les personnages de la vie de Guido acquiert un autre sens plus positif, relatif à l'enfance (comme dans le sublime et chaplinesque "La Strada") (1954). Tout au long du film, Guido aspire en effet à l'évasion et à l'élévation hors des contingences terrestres qui l'étouffent (la scène onirique introductive est programmatique du film) mais plutôt que d'opter vers un scénario extra-terrien chimérique à la Elon Musk, il finit par renouer le fil de sa propre vie et redécouvrir la joie qui en émane au travers de l'univers du cirque, art qui joue le même rôle salvateur que le théâtre chez Ingmar BERGMAN. Ces deux artistes ont d'ailleurs en commun d'être tiraillés par des forces contradictoires, d'un côté le plaisir et la bohème et de l'autre l'autorité religieuse castratrice (la scène de le prostituée fellinienne assimilée au diable par les curés). Il est d'ailleurs possible que cette farandole finale soit un hommage au réalisateur du "Le Septième sceau" (1957).
"Huit et demi" est ainsi bien plus qu'un simple méta-film, même si les critiques de cinéma portent aux nues ce type d'oeuvre que l'on peut juger nombriliste. Il s'agit surtout d'un film intimiste à la forme éblouissante, comparable à celle d'un ballet baroque et qui comme toutes les grandes oeuvres joue sur toute la gamme des émotions, du désespoir à la joie en reliant comme jamais enfance et création.
Detained est l'un des 12 films de deux bobines (environ 20 minutes) que Stan LAUREL a tourné pour le producteur Joe ROCK en 1924 et 1925. A cette époque, Stan Laurel ne forme pas encore officiellement de duo comique avec Oliver HARDY bien qu'il ait déjà tourné une fois avec lui. Les courts-métrages tournés pour Joe Rock font donc partie de la partie solo de sa carrière, de loin la moins connue.
Detained est un court-métrage burlesque qui comme son titre l'indique se déroule pour l'essentiel en prison. Laurel y joue un innocent qui subvertit le monde carcéral par son comportement totalement hors-sol. Il tourne particulièrement en dérision les armes et la peine de mort soit deux piliers de l'arsenal répressif des USA. Les gags autour de la chaise électrique et de la corde se rapprochent du cartoon avec notamment des trucages transformant son corps qui devient élastique (et ce près d'un siècle avant "One Piece" ^^). Le début et la fin ont un petit côté absurde et anarchisant avec un honnête citoyen transformé en bagnard par la grâce d'un changement de costume ("L"habit fait le moine") qui devient à la fin délinquant malgré lui mais grâce à la bonne fortune (une trappe bienvenue) il échappe miraculeusement aux poursuites.
Film court (1h05) de Robert BRESSON qui frappe par sa concision mais aussi son extrême précision:
- Précision documentaire: le film est pour l'essentiel basé sur les minutes du procès de 1431 conservées à la BNF.
- Précision de la mise en scène: très épurée, celle-ci est pour l'essentiel une confrontation entre Jeanne d'Arc et l'évêque de Beauvais Pierre Cauchon, allié aux anglais qui veulent la mettre à mort. En dépit de son inculture, de sa peur de la mort et de sa solitude face à un aéropage d'hommes hostiles, Jeanne d'Arc tient tête à l'évêque et la mise en scène fait en sorte qu'ils soient sur un pied d'égalité. Le film acquiert de ce fait une dimension universelle et intemporelle: on y voit une jeune fille résister à toutes les pressions et accusations au nom de convictions profondes et inébranlables. Sa foi en Dieu et dans le roi Charles VII son lieutenant sur terre ébranle le pouvoir d'intermédiaire de l'Eglise et celui des anglais qui ont des prétentions dynastiques sur le trône de France. Autre temps, autres lieux, j'ai pensé à "Sophie Scholl - Les derniers jours" (2005) qui est également un mano à mano entre un représentant du pouvoir oppresseur et une résistante vouée à la mort mais qui triomphe par sa force morale.
- Précision des mots: dans une langue simple et directe, Jeanne déjoue les pièges tendus par Cauchon (principalement lorsqu'il tente de prouver son hérésie ou l'entraîner sur le terrain de la sorcellerie) pressé par les anglais d'en finir (le hors-champ sonore et visuel laisse entrevoir l'ambiance haineuse autour du procès). Cauchon la presse de questions courtes et incisives et elle lui répond du tac au tac sans se démonter et sans se laisser perturber par l'ambiance hostile à son égard.
- Précision des images enfin: comme nombre d'autres héroïnes bressonnienne, Jeanne est habitée par la grâce et celle-ci illumine son visage. Sa posture la fait d'ailleurs souvent ressembler à une icône alors que la scène de fin ressemble à une assomption: Jeanne s'évanouit en fumée plus qu'elle ne brûle et les colombes que l'on voir passer sont comme des témoignages de son salut.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.