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La Belle Equipe

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1936)

La Belle Equipe

"La Belle Equipe", quel film pétri de contradictions! On a dit qu'il était emblématique d'une époque ce qui est vrai mais cette époque n'est pas simplement celle du Front Populaire, c'est celle du Paris des années 30. Un Paris populaire disparu où comme dans "Hôtel du Nord" (1938) on peut entendre "jacter" l'argot des années 30 prononcé par des acteurs à la gouaille inimitable. En tête de liste, Jean GABIN qui accédait alors au statut de star grâce à Julien DUVIVIER irradie le film de son charisme. Le film est donc aussi intéressant sur un plan historique que sur un plan ethnologique. Il met en scène des ouvriers au chômage dans le contexte de la crise des années 30 qui par un heureux hasard touchent un pactole qui va leur permettre d'oeuvrer à améliorer le sort de la collectivité. Les dimanches à prendre le vert dans les guinguettes de banlieue au son de l'accordéon prennent un caractère euphorique qui annonce les congés payés, symbolisés par l'irrésistible chanson "Quand on se promène au bord de l'eau" chanté par un Jean GABIN dansant et irrésistible en-enchanteur. La mise en scène très fluide de Julien DUVIVIER accompagne le mouvement.

Pourtant d'un bout à l'autre du film, celui-ci contient sa propre négation. Le premier réflexe des amis de Jean face à leur gain est individualiste et c'est ce dernier qui leur propose un projet collectif. Projet qui en dépit de belles scènes de solidarité est sans cesse mis à mal par des causes extérieures mais encore plus par l'attitude autodestructrice des ouvriers. Les causes extérieures ne sont d'ailleurs pas les plus graves: les dégâts de l'orage sont surmontés et l'expulsion de Mario (Rafael MEDINA) qui rappelle la politique migratoire restrictive de la France en crise l'est aussi, la bonhommie du gendarme (Fernand CHARPIN) venant combler le vide. En revanche, on découvre peu à peu comment Mario, Raymond et Jacques en s'endettant ont hypothéqué l'entreprise tenue à bout de bras par Jean et Charles (Charles VANEL). Leur disparition est donc somme toute, logique d'autant que Jacques convoitait la fiancée de Mario, Huguette (Micheline CHEIREL). Mais c'est une autre femme qui menace l'édifice, Gina (Viviane ROMANCE) qui sème la discorde entre Jean et Charles (qui a d'ailleurs piqué dans la caisse pour elle). Par-delà le prisme d'un cinéma d'époque riche en garces manipulant de pauvres types incapables de leur résister*, on peut réunir toutes ces passions égoïstes dans un même sac, celui qui condamne l'esprit d'équipe à rester "une belle idée". Si la fin pessimiste voulue par Julien DUVIVIER n'est pas crédible (elle est même grotesque), le message qu'elle véhicule est bien plus lucide que celui de la fin optimiste voulue par les studios embrassant une utopie.

* On peut analyser cette misogynie chronique comme une peur de l'émancipation féminine qui avait progressé dans l'entre-deux-guerres. Ou bien comme une conséquence du patriarcat, les dominants ayant toujours tendance à renverser les rôles de façon paranoïaque (on retrouve le même réflexe concernant l'antisémitisme et aussi les enfants, longtemps considérés comme des petits monstres à éduquer plutôt que comme de potentielles victimes).

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Casablanca

Publié le par Rosalie210

Michael Curtiz (1942)

Casablanca

Comme "Monnaie de singe" (1931) ou "Huit et demi" (1963), j'ai découvert "Casablanca" à travers "Brazil" (1985) (qui allait à son tour devenir un film culte, cité par les frères Coen dans "Le Grand saut" (1994) ou par Albert DUPONTEL plus récemment dans "Adieu les cons") (2019). Chez Terry GILLIAM, "Casablanca" n'est pas seulement le film que regardent les employés de M. Kurtzmann quand celui-ci a le dos tourné, le personnage principal s'appelle Sam, comme le pianiste emblématique du film de Michael CURTIZ. Comme lui, il est indissociable d'un air entêtant célébrant la nostalgie d'un paradis perdu (dans un Paris ou un Brésil d'opérette) qu'il ne joue pas mais fredonne. Et comme Rick (Humphrey BOGART dont il adopte au cours du film la défroque du privé) le Sam de Gilliam est appelé à sortir de sa neutralité/indifférence par amour en s'engageant au côté de la résistance à l'oppression. Bref il y a belle lurette que "Casablanca" est sorti du temps de l'histoire (celle de l'évolution du positionnement des USA dans la seconde guerre mondiale dont Rick est l'incarnation) et a dépassé les genres auxquels il a appartenu (le film de propagande et le mélodrame) pour devenir un mythe c'est à dire un récit d'explication du monde intemporel et universel. Les personnages y transcendent d'ailleurs leur petit "moi" au profit d'une cause qui les dépassent ce qui en fait d'authentiques héros de la première ou de la dernière heure (la palme au "vichysto-résistant" joué par Claude RAINS qui s'appelle Renault, comme l'entreprise automobile qui fut nationalisée après la guerre pour avoir collaboré). "Casablanca" est d'ailleurs un film-monde avec son café marocain recréé en studio à Hollywood dans lequel se pressent des réfugiés venus de l'Europe entière espérant décrocher le graal pour partir aux USA. La fiction rejoignant la réalité, nombre d'acteurs du film étaient des allemands ou des français ayant fui le nazisme et le régime de Vichy: Peter LORRE dans le rôle du trafiquant Ugarte, Marcel DALIO en croupier ou encore Curt BOIS dans le rôle d'un irrésistible pickpocket. On ne peut que saluer l'interprétation au diapason, la superbe photographie de Arthur EDESON et la mise en scène très fluide qui parvient à brasser tous ces personnages sans jamais nous perdre.

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Chantage (Blackmail)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1929)

Chantage (Blackmail)

"Chantage" est un tournant dans la filmographie de Alfred HITCHCOCK. D'abord parce que c'est son premier film parlant et le premier film parlant du cinéma britannique. La transition est d'ailleurs très marquée dans le film qui fut d'abord tourné en version muette avant que le réalisateur n'obtienne les moyens techniques de le rendre parlant. Il fallut alors retourner certaines scènes tandis que l'actrice principale, Anny ONDRA fut postsynchronisée (ce qui était une nouveauté) à cause de son accent étranger trop prononcé. Les premières scènes du film sont restées muettes (on voit les lèvres bouger mais aucun son n'en sort) sans que la compréhension de l'intrigue n'en soit affectée tant Alfred HITCHCOCK démontre déjà à cette époque sa maîtrise du récit par l'image. D'autres sont sonorisées mais dépourvues de dialogue. Il s'agit de toutes celles qui montrent le trouble et l'errance d'Alice White après son geste fatal. La mise en scène adopte la subjectivité d'une personne qui subit ce qui s'apparente à du stress post-traumatique ce qui est très moderne. L'enseigne lumineuse publicitaire clignotante qui dans l'hallucination d'Alice devient un poignard répétant son geste à l'infini est une image particulièrement éloquente.

Car "Chantage" est aussi la matrice de toute l'oeuvre à venir de Alfred HITCHCOCK. Citons la prédilection pour le genre policier, la blondeur de l'héroïne, une étreinte mortelle faisant penser à une scène d'amour, les ellipses au profit de gros plans sur des détails "clés" (y compris sonores!), un mode opératoire qui annonce celui de "Le Crime était presque parfait" (1954), le thème du faux coupable (subverti ici, la coupable ayant agi en état de légitime défense et l'innocent accusé à tort étant une crapule au casier judiciaire chargé ce qui place le spectateur dans une position morale inconfortable), une scène d'action spectaculaire sur les cimes d'un monument très connu (ici le British Museum) ou encore un dénouement qui si Alfred HITCHCOCK avait pu obtenir le feu vert des producteurs aurait ressemblé à celle de "Vertigo" (1958) c'est à dire une boucle temporelle dans laquelle la jeune femme aurait été obligé de répéter son geste comme enfermée dans une fatalité renvoyant à l'image publicitaire simulant le mouvement d'un coup de poignard répété à l'infini. Du très grand art!

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Haceldama ou le prix du sang

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1919)

Haceldama ou le prix du sang

"Haceldama ou le prix du sang" est le premier film de Julien DUVIVIER (alors âgé de 22 ans et ancien assistant entre autre de Louis FEUILLADE et Marcel L HERBIER) qui en est l'auteur complet (réalisateur, scénariste, producteur et monteur). C'est aussi le premier long-métrage de fiction français tourné dans le Limousin. Catalogué comme un western made in France en raison de nombreux emprunts au genre venu des USA et qui faisait alors fureur dans l'hexagone (cow-boy, cheval, revolver braqué face caméra, plans panoramiques sur de grands espaces naturels magnifiés, bagarres au corps à corps), le film se situe en réalité au carrefour de plusieurs genres. On y décèle l'influence du film d'aventures, du film religieux (Haceldama, "le champ du sang" est le mont où Judas Iscariote se pendit d'après l'Evangile selon Saint-Jean), du film fantastique et surtout du mélodrame familial avec de nombreux gros plans figés très théâtraux dans des intérieurs bourgeois et un jeu outrancier formant un contraste avec les codes du western (plans larges en extérieur, jeu naturel, scènes d'action donnant la possibilité au corps de déployer ses possibilités). Ces hésitations sur le genre du film recoupent un scénario confus mêlant plusieurs intrigues seulement esquissées (une histoire de vengeance, une histoire d'amour, une histoire de rédemption, une histoire de trahison) menant toutes au personnage du patriarche ( SÉVERIN-MARS, extrêmement charismatique). Mais si le scénario est bancal, la mise en scène, le choix de décors extérieurs plus majestueux les uns que les autres (dont beaucoup ont disparu aujourd'hui sous les aménagements, la région étant plus sauvage qu'aujourd'hui) et la photographie sont remarquables. Certains passages (la fin notamment) n'ont rien à envier aux meilleurs westerns américains.

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Dans la brume électrique (In the Electric Mist)

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (2009)

Dans la brume électrique (In the Electric Mist)

Intéressant polar métaphysique d'atmosphère se situant dans la lignée de "Coup de torchon" (1981) mais dans un contexte non plus colonial africain mais américain. Plus exactement la Louisiane, incarnation d'un monde à la fois pourri et chamanique (l'électricité et la brume du titre). Bertrand TAVERNIER tire sur les deux ficelles avec un inégal bonheur. Le polar manque de rythme et est parfois confus, sans doute parce qu'il se marie mal avec les passages métaphysiques qui semblent plaqués de façon assez artificielle dans le but de faire revivre le lourd passé du coin. L'histoire de la Louisiane est en effet convoquée dans ce film qui efface la frontière entre présent et passé, rêve et réalité. Guerre de Sécession du XIX°, violences racistes des années 60 et ouragan Katrina de 2005 forment une continuité temporelle brisée par les choix formels du cinéaste (hallucinations dans le premier cas, flashbacks dans le second et stigmates dans l'image et dans l'intrigue pour le troisième). L'humour grinçant de "Coup de torchon" (1981) est remplacé par une sourde mélancolie charriée par Dave Robicheaux, personnage créé par le romancier James Lee Burke. Tommy Lee JONES avec son allure usée porte le film sur les épaules. Il est secondé par l'excellent John GOODMAN dans le rôle du mafieux symbolisant la gangrène du pays que Robicheaux veut extirper avec des méthodes expéditives qui font également penser à celles d'un "Taxi Driver" (1976) du marécage. Une comparaison pas anodine: Martin SCORSESE et Bertrand TAVERNIER qui s'étaient connus dans les années 70 avaient de nombreuses affinités notamment en matière de goûts cinéphiliques (je pense par exemple à leur passion commune pour Michael POWELL) et le premier a joué pour le second dans "Autour de minuit" (1986). Il y a donc comme un lointain écho de Travis Bickle dans Dave Robicheaux, ces deux vétérans du Vietnam qui s'improvisent justicier et "nettoyeurs des bas-fonds" pour sauver ou venger de jeunes prostituées.

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