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Mauprat

Publié le par Rosalie210

Jean Epstein (1926)

Mauprat

Premier film indépendant de Jean EPSTEIN, "Mauprat" est-il vraiment dans la "continuité" de ceux qu'il a tourné pour les studios Albatros? A mon avis ce n'est pas le terme exact. "Mauprat" est davantage un film de transition entre ses films "commerciaux" et ses films "expérimentaux". Une catégorisation qui a d'ailleurs ses limites. Deux de ses plus beaux films, "Coeur fidèle" (1923) et "La Chute de la maison Usher" (1928) se basent sur une trame fantastique ou mélodramatique issue d'un matériau populaire (le roman de Poe étant lui-même issu d'un fait divers) tout en étant de magnifiques poèmes visuels. Sans atteindre ce niveau, "Mauprat" ne mérite pas d'être cataloguée comme une oeuvre mineure (d'autant qu'on retrouve un certain Luis BUÑUEL en tant qu'assistant-réalisateur). S'il y a parfois quelques baisses d'inspiration dans la mise en scène, si quelques passages paraissent répétitifs et l'interprétation, inégale cela n'a au final qu'un effet marginal sur l'ensemble. Le montage dynamique tient en haleine, la mise en scène expressionniste fait des merveilles que ce soient les gros plans sur les visages voire les yeux ou bien ceux, animistes, sur des arbres dont les frémissements font écho à la peur croissante de la jeune Edmée ou encore des inserts comme celui d'un chien qui regarde partir son maître avec la gravité d'un visage humain. Le soin apporté à la reconstitution historique et surtout le choix de décors naturels splendides (pour l'anecdote le village de Sainte-Sévère est celui dans lequel Jacques TATI tournera "Jour de fête") (1947) et pertinents par rapport au roman d'origine donnent un véritable cachet au film. Enfin, celui-ci donne envie de lire (ou de relire) le roman de George Sand dont il donne une version simplifiée mais fidèle. Car l'oeuvre d'origine s'avère très intéressante sur plus d'un point. On y trouve d'abord une certaine inversion des genres. L'héroïne, Edmée (Sandra MILOWANOFF), active et décidée joue le rôle du héros, protégeant et sauvant au moins à deux reprises la vie de son cousin Bernard (Nino CONSTANTINI qui avait déjà joué pour Jean Epstein au sein des studios Albatros), la "demoiselle en détresse" pâle, triste et assez passif. Ensuite ce même Bernard qui est orphelin se retrouve tiraillé entre deux modes de vie qui sont présentés de façon non manichéenne et dont Jean Epstein tire un remarquable parti. En effet ses deux oncles (que Jean Epstein a confié au même acteur, Maurice SCHUTZ, soulignant ainsi assez génialement leur gémellité) se disputent son éducation. L'aîné, Tristan qui est à la tête d'une tribu de brigands l'a élevé comme un sauvage alors que le cadet, Hubert veut le civiliser, condition sine qua non pour qu'il soit digne d'obtenir la main de sa fille Edmée. Pourtant la civilisation telle que l'expérimente Bernard s'avère être une sinistre prison de conventions aussi étouffante que son nouveau costume de petit marquis (qui d'ailleurs fait disparaître sa singulière beauté) au point que dans l'une des plus belles séquences du film, tournée en caméra subjective, il prend le large dans son ancienne défroque afin d'éprouver à nouveau la liberté de l'état de nature rousseauiste dont il est privé.

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T'as de beaux escaliers, tu sais

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1986)

T'as de beaux escaliers, tu sais

Court-métrage de trois minutes de Agnès Varda, le concept de "T'as de beaux escaliers, tu sais" est l'ancêtre direct du magazine d'Arte "Blow up" créé en 2010 par Luc Lagier. Même point de départ, issu de l'actualité (le film qui date de 1986 a été conçu pour un anniversaire, celui des cinquante ans de la Cinémathèque française) et même principe, celui du montage d'extraits de films autour d'une thématique commune qui a également pour fonction de réveiller la mémoire cinéphilique du spectateur (ce que Luc Lagier appelle les "petites madeleines" qu'il a été évidemment été chercher "Du côté de chez Swann"). En 1986, la Cinémathèque française était encore domiciliée dans le palais de Chaillot, lieu qu'elle occupait depuis 1963 et l'appui des pouvoirs publics*. Appui à double tranchant puisque son co-fondateur, Henri Langlois avait été limogé en 1968 avant d'être réintégré grâce à la mobilisation du monde du cinéma français (dont la plupart des cinéastes de la nouvelle vague). Le palais de Chaillot étant situé sur une colline, on accédait à la Cinémathèque par des escaliers montants (vers le musée) ou descendants (vers la salle de cinéma) ce qui a donné l'idée à Agnès Varda de la thématique des escaliers, et d'un titre clin d'oeil à "Le Quai des Brumes" de Marcel Carné. Il est amusant de comparer son film au "Blow up" consacré aux escaliers au cinéma car bien évidemment on y retrouve des extraits communs, notamment une séquence développée différemment autour du célébrissime passage des escaliers d'Odessa dans "Le Cuirassé Potemkine". Agnès Varda reconstitue la séquence du landau à la Cinémathèque avec des spectateurs anonymes alors que Luc Lagier passe en revue quelques célèbres reprises dans des films ultérieurs. Autre lien commun, les escaliers comme métaphore de la grandeur et de la déchéance avec le "Citizen Kane" de Orson Welles ou le "Ran" de Kurosawa (qui témoignent de la programmation éclectique et ouverte de la cinémathèque). Ou encore les escaliers comme support chorégraphique des comédies musicales. Là où Varda met plutôt en avant l'utilisation comique voire burlesque de l'escalier ("Cover Girl", "Le Coup du parapluie"), Luc Lagier développe la thématique des scènes de combat en apesanteur. Enfin l'utilisation des escaliers dans les scènes de suspense ou de terreur sont absentes du film de Agnès Varda qui conserve un ton plutôt léger et ludique, même au moment du dernier extrait, consacré à "L'Histoire de Adèle H": c'est que Isabelle Adjani, alors au firmament de sa carrière fait une courte apparition à la fin du film. La musique est signée de Michel Legrand (et reprise partiellement de "Cléo de 5 à 7").

*Ce n'est qu'en 2005 qu'elle a déménagé à son emplacement actuel situé dans le parc de Bercy.

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Aline

Publié le par Rosalie210

Valérie Lemercier (2020)

Aline

Dans le film de Valérie LEMERCIER, Céline Dion s'appelle Aline Dieu. Un nom fictif qui en dit long. L'album "D'Eux" écrit par Jean-Jacques GOLDMAN comporte lui aussi des références religieuses "Les derniers seront les premiers" et "La mémoire d'Abraham". Une façon discrète de souligner le don exceptionnel de la chanteuse. Mais pas seulement pour chanter, également pour aimer, les deux ayant un caractère divin. Jean-Jacques Goldman avait d'ailleurs expliqué qu'il avait été séduit (outre la voix) par le côté nature et généreux de Céline Dion que sa carrière de diva à la Barbra STREISAND (son modèle) n'avait pas altéré*. Le film de Valérie Lemercier conserve ce côté nature et généreux d'un bout à l'autre. La facette showbiz disparaît au profit de la désarmante simplicité du personnage (même à l'intérieur d'un palace ou d'une immense salle de concert elle nous semble proche, "a girl next door"). Car Céline/Aline emporte partout ses racines et sa famille avec elle (le porte-bonheur de son père, sa mère qui veille sur elle et plusieurs de ses nombreux frères et soeurs) qui forment une bulle de protection autour d'elle. Cela aurait pu la maintenir dans un répertoire infantile mais c'était sans compter sur l'expérience décisive de Guy-Claude (alias René Angelil) son manager et futur époux. Les scènes d'explication orageuse entre Sylvain MARCEL et Danielle FICHAUD sont savoureuses (comme d'ailleurs tout le casting québécois), la mère n'appréciant guère d'avoir un "vieux pruneau" divorcé deux fois pour gendre. Comme le reste de la famille et Aline elle-même avec ses imperfections, Guy-Claude est croqué avec drôlerie et tendresse. Même les salles de concert les plus imposantes prennent ainsi un caractère chaleureux et familial et on comprend pourquoi les moqueries dont Céline/Aline fait l'objet (qui sont évoquées à plusieurs reprises dans le film) glissent sur elle sans la toucher, comme tout ce qui a trait à la laideur ou à la corruption du monde dans lequel elle évolue. La performance de Valérie LEMERCIER est bluffante (même si je ne suis pas coinvaincue par les effets spéciaux qui lui donnent l'allure d'une gamine de 8 ans).

*" Mais si tu grattes là
Tout près de l'apparence
Tremble un petit qui nous ressemble
On sait bien qu'il est là
On l'entend parfois
Sa rengaine insolente
Qui s'entête et qui répète
"Oh, ne me quitte pas"

On n'oublie jamais
On a toujours un geste
Qui trahit qui l'on est
Un prince, un valet
Sous la couronne un regard
Une arrogance, un trait
D'un prince ou d'un valet

Je sais tellement ça
J'ai copié des images
Et des rêves que j'avais
Tous ces milliers de rêves
Mais si près de moi
Une petite fille maigre
Marche à Charlemagne, inquiète
Et me parle tout bas." (On ne change pas)

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Still Walking

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2007)

Still Walking

Après avoir vu trois films de Hirokazu KORE-EDA qui m'ont déçu ("Notre petite soeur" (2014), "The Third Murder" (2017) et "La Vérité") (2019), j'ai été beaucoup plus convaincue par ce film antérieur dans sa filmographie qui s'inscrit dans la veine qui lui réussit le plus: la chronique intimiste de la famille japonaise à la manière de Yasujiro OZU ou de Mikio NARUSE. Une réunion annuelle sert de point de ralliement aux enfants devenus adultes qui reviennent passer une ou deux journées chez leurs parents pour commémorer le quinzième anniversaire de la disparition du fils aîné. Le refus des parents d'en faire le deuil s'avère pesant pour les autres membres de la famille, notamment pour le cadet, Ryota qui n'est pas considéré par eux comme un fils modèle. D'une part parce qu'il a quitté la région et donc n'a pas repris le cabinet du père qui était promis à son frère décédé Jungpei. Et de l'autre parce qu'il a épousé une veuve avec un enfant ce qui s'avère plutôt mal vu dans une société aux moeurs conservatrices. Ce n'est donc pas dans les meilleures dispositions qu'il se rend dans ce qui semble relever davantage d'un fardeau que d'un plaisir et c'est cette notion de fardeau à porter qui finalement s'impose au spectateur. Une question à travers laquelle Hirokazu KORE-EDA tape dans le mille et touche à l'universel. La famille est en effet la première des structures sociales mais aussi celle de toutes les aliénations. C'est donc un théâtre de mensonges (Ryota dissimule qu'il est au chômage et s'invente un boulot de restaurateur de tableaux) et une prison (celle du pauvre garçon sauvé de la noyade par Jungpei, devenu un tocard à qui la mère fait payer le sacrifice de son fils en l'invitant chaque année c'est à dire en l'obligeant à se replonger dans un bain de culpabilité et d'humiliation). Quelques notes de fraîcheur viennent aérer ici et là le climat sépulcral de la maison des parents: les jeux des enfants, la bonne humeur de la soeur de Ryota (bien qu'ayant une idée intéressée derrière la tête: s'installer avec sa famille chez les parents) et la douceur de la femme de Ryota qui tout comme son fils doit cependant subir une certaine forme subtile d'ostracisme. Dans les codes de la société japonaise, le diable se niche dans le moindre détail et il faut scruter les visages car l'essentiel reste non-dit. Mais Hirokazu KORE-EDA en adversaire résolu de la famille biologique endogame close sur elle-même prend le parti de montrer que le salut réside justement dans les familles recomposées que l'on se choisit en étant particulièrement attentif au regard du jeune fils adoptif de Ryota, Atsushi.

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L'Amour en fuite

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1978)

L'Amour en fuite

"L'Amour en fuite" est le dernier film que François TRUFFAUT a consacré à son double cinématographique, Antoine Doinel incarné par Jean-Pierre LÉAUD à l'écran. C'est le seul film du cycle (si l'on excepte "Antoine et Colette") que je n'avais pas encore vu. Clairement il s'agit d'un film testamentaire qui est d'ailleurs parsemé de flashbacks obtenus grâce à des extraits des précédents films. En ressort une atmosphère profondément mélancolique qui transpire la fin d'un cycle. Néanmoins le film est inégal. Le passage documentaire sur le divorce par consentement mutuel apparaît aujourd'hui quelque peu naïf. L'aspect le plus réussi est sans nul doute les retrouvailles avec Colette (Marie-France PISIER telle qu'elle est restée dans ma mémoire au faîte de sa beauté) dont le personnage est considérablement approfondi. Son esprit critique et sa distance ironique vis à vis d'Antoine font mouche. Elle souligne à raison ses petits arrangements avec la vérité et son désintérêt pour la vie des autres (autrement dit son égocentrisme). Elle brise également l'image "iconique" qu'il a d'elle (comme de toutes les femmes qu'il croise et qui sont prétexte à ses élucubrations fantasmatiques) jusqu'à ce qu'il prenne la fuite, une fois de plus (le titre du film est programmatique). Par ailleurs Colette s'avère être un personnage ayant vécu des tragédies d'une amplitude bien supérieure aux siennes. En revanche l'histoire avec Sabine qui commence de façon romanesque (et qui fait penser quelque peu à "Le Fabuleux destin d Amélie Poulain" (2001) avec sa photographie reconstituée et l'enquête qui s'ensuit) pour ensuite atterrir dans une dimension plus réaliste a bien du mal à convaincre. Si le but était de montrer que Antoine Doinel avait enfin mûri et dépassé ses traumatismes comme cela semble être le cas avec la visite sur la tombe de sa mère, le fait est que le faire tomber dans les bras de celle qui est devenue depuis l'égérie des enfants n'est pas un choix très heureux (à moins que ce soit un acte manque de François TRUFFAUT? DOROTHÉE a tourné le film en même temps que ses débuts dans Récré A2 et s'il n'était pas mort prématurément, François TRUFFAUT l'aurait fait jouer dans un autre de ses films).

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Domicile conjugal

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1970)

Domicile conjugal

Deux ans ont passé depuis "Baisers volés". Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) a épousé Christine (Claude Jade) et a transposé son ancienne vie de bohème sur des métiers plus incongrus les uns que les autres: (teinturier d'oeillets, conducteur de maquettes) avant de succomber aux sirènes d'un exotisme de pacotille et de retourner à sa vie de jeune célibataire de "Antoine et Colette" (même chambre, même façade de cinéma avec cette fois du John Ford à l'affiche). En effet, fidèle à lui-même, Antoine est resté un éternel adulescent qui avoue benoîtement qu'il tombe amoureux des filles qui ont des parents gentils et qu'il adore les parents des autres (ce dont on s'était rendu compte dès "Antoine et Colette"). Christine, dont le rôle est considérablement développé est moins la femme que de son propre aveu la fille, la soeur, la mère. C'est vers elle qu'il se tourne quand il est en détresse lors d'une belle scène où il dévoile toute sa fragilité. On lui pardonne alors ses écarts de comportement. Le film couvre une période assez longue qui va des premiers pas de la vie de couple à une délicieuse comédie du remariage à la façon Truffaut*. Entre les deux, la naissance d'un enfant dont on se demande quel genre de père il aura. Les modèles américains ne sont pas loin, à commencer par Ernst Lubitsch qui donne le la à la relation entre Antoine et Christine. Mais on y trouve aussi des scènes burlesques à la Jacques Tati (avec même une scène où apparaît M. Hulot), des hommages aux compères de la nouvelle vague (Jean Eustache) et aux maîtres révérés (Jean Renoir) avec le paradoxe de la cour d'immeuble populaire où tout un petit monde pittoresque se croise mais où chacun est irrémédiablement seul. Toutes ces références opèrent un brouillage spatio-temporel qui font de ce film du début des années 70 un film ayant la patine d'une comédie franco-américaine des années 30.

* Et dont Ingmar Bergman s'inspirera pour son film "Scènes de la vie conjugale" (1972).

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Baisers volés

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1968)

Baisers volés

Près de dix ans se sont écoulés depuis "Les quatre cent coups" (1959) et six depuis "Antoine et Colette" (1962). Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) est désormais un jeune adulte qui se caractérise par son instabilité tant professionnelle qu'amoureuse*. "Baisers volés" prend la forme d'un conte initiatique quelque peu chaotique et parfois transgressif. Au début du film, Antoine Doinel n'a pas évolué depuis "Antoine et Colette". Il vit à l'hôtel, courtise une fille Christine (Claude Jade) qui accepte de le fréquenter mais repousse ses avances et est régulièrement invité par les parents de Christine qui semblent l'avoir adopté. Soit exactement le schéma de "Antoine et Colette". La brève rencontre avec Colette (Marie-France Pisier) qui s'est mariée et a eu un bébé avec l'homme qu'elle a choisi dans le volet précédent souligne par contraste le caractère d'éternel adolescent de Antoine Doinel. Le seul changement par rapport à "Antoine et Colette" est outre la couleur le fait qu'on y aborde de front la sexualité (on est en 1968). Une sexualité qui ne semble pas avoir beaucoup évolué non plus depuis le XIX° siècle avec la dichotomie vierge/putain. D'un côté la jeune fille de bonne famille que l'on fréquente depuis des années mais qui, cornaquée par les parents semble inapte au désir. De l'autre, le déchargement des pulsions dans des hôtels miteux auprès de filles qui le sont tout autant.

Mais il est temps que tout cela change (outre le contexte de 1968, François Truffaut était impliqué dans un mouvement de soutien à Henri Langlois qui avait été limogé de la cinémathèque ce qui explique que le film s'ouvre justement sur l'entrée de la cinémathèque en grève). Tel Oedipe, Antoine Doinel en vient à tuer le père (le détective qui lui a fourni un emploi stable et s'appelle justement Henri) et coucher avec la mère (Fabienne Tabard à travers laquelle il trahit la déontologie du cabinet dans lequel l'a fait entrer Henri) pour au final parvenir enfin à susciter le désir de Christine qui profite de l'absence des parents pour le faire venir et coucher avec lui. Conséquence paradoxale, Doinel qui était jusque là inadapté se transforme en être socialisé prêt à se fondre dans la case du mariage bourgeois. Et ce en tuant ce qu'il y a de romanesque, passionné, exalté en lui, caractérisé par la lecture des romans de Balzac, en particulier "Le Lys dans la vallée" lecture projetée ensuite sur "l'apparition" magnétique de Fabienne Tabard, elle-même jouée par la non moins magnétique Delphine Seyrig. C'est d'ailleurs les scènes avec elle qui m'avaient le plus marquées au premier visionnage du film. Les expressions de son visage lorsqu'elle entend que Antoine est fou amoureux d'elle, la considère comme une femme exceptionnelle. Et puis son discours dans la chambre d'Antoine dans laquelle elle vient lui confirmer qu'elle est bien une femme qui "n'est pas au-dessus de ça" et non une "apparition". Cette folie, on la retrouve à la fin dans le discours du personnage mystérieux qui suit Christine comme une ombre et lui fait une déclaration incongrue alors même qu'elle projette de se marier avec Antoine. C'est la part irréductible de romanesque qui ressurgit dès que la triste réalité routinière menace de s'installer...

* En le revoyant, la filiation avec la trilogie de Cédric Klapisch mettant en scène Romain Duris dans le rôle de Xavier à plusieurs étapes de sa vie m'a paru évidente. Et très récemment le premier tome de la BD de Riad Sattouf intitulé "Le jeune Acteur" qui raconte le casting et le tournage de "Les Beaux Gosses" et donc la rencontre avec Vincent Lacoste qui était alors collégien établit un parallèle explicite avec la découverte de Jean-Pierre Léaud par François Truffaut. En effet Riad Sattouf a un projet au long cours impliquant de suivre celui avec lequel il a établi une relation quasi filiale jusqu'à l'âge de 76 ans!

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Antoine et Colette

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1962)

Antoine et Colette

Conçu à l'origine comme le segment parisien du film à sketches "L Amour à vingt ans" (1962), "Antoine et Colette" est aujourd'hui diffusé de façon indépendante comme le chaînon manquant de la saga de Antoine Doinel entre "Les Quatre cents coups" (1959) et "Baisers volés" (1968). En effet, il est la suite directe du premier long-métrage de François TRUFFAUT qui est souvent rappelé que ce soit par une affiche dans la chambre d'Antoine, la musique qui vient de temps en temps à nos oreilles, les façades de cinéma et même un court extrait quand lui et son ami René (Patrick AUFFAY qui reprend également son rôle) fumaient dans la chambre de ce dernier. Trois ans séparent seulement les deux films mais Antoine (et l'acteur qui l'incarne, Jean-Pierre LÉAUD devenu d'un des visages emblématiques de la nouvelle vague) a bien changé, du moins en apparence. Le film est en effet construit sur un paradoxe qui en fait tout son intérêt. Alors que la voix-off ne cesse d'affirmer qu'Antoine est devenu un adulte dont il a la plupart des attributs extérieurs, la rencontre amoureuse avec Colette (Marie-France PISIER, si jeune qu'elle en est à peine reconnaissable) ne se produit pas malgré tous les efforts de ce dernier. Colette le considère juste comme un ami ou un membre de la famille et lui préfère un homme plus aguerri. Car La véritable rencontre a lieu avec les parents de Colette (Rosy VARTE et François DARBON) qui semblent avoir adopté le jeune homme qui il faut le dire donne l'impression d'être à peine tombé du nid. Et c'est ainsi que sans avoir besoin de le souligner, François TRUFFAUT créé le lien le plus fort avec "Les Quatre cents coups" (1959) en faisant ressortir le manque parental qui empêche Antoine Doinel de devenir un homme et le relègue au statut peu enviable de petit garçon.

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Poil de Carotte

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1925)

Poil de Carotte

Comme Alfred HITCHCOCK ou Leo McCAREY, Julien DUVIVIER a fait un remake de l'une de ses propres oeuvres tenant compte des différentes révolutions technologiques du cinéma. C'est pourquoi il existe deux versions de son adaptation du roman de Jules Renard, l'une muette et l'autre parlante datant de 1932. Julien DUVIVIER aurait même souhaité réaliser une troisième version, en couleur cette fois mais cela ne s'est pas concrétisé.

"Poil de Carotte" est en effet une oeuvre qui lui tenait à coeur, dans laquelle il se retrouvait et dont il a réalisé une version muette aussi brillante que sensible. Je ne sais pas si c'est comme cela s'est dit son meilleur film muet (j'aime beaucoup "Au bonheur des dames" (1930) aussi). Ce qui est sûr, c'est qu'il s'est approprié le roman à épisodes de Jules Renard et en a fait quelque chose d'intime. Le fait d'avoir déplacé l'intrigue dans les Alpes fait encore mieux ressortir le caractère étouffant de la vie chez les Lepic. Car le film dépeint avant tout une famille dysfonctionnelle, définie dès le début du film par la phrase lapidaire qu'écrit François surnommé Poil de Carotte "ce sont des personnes qui vivent sous le même toit mais ne peuvent pas se sentir". De fait l'ambiance est lourde chez les Lepic entre un père démissionnaire retranché derrière ses journaux et une mère tyrannique, cancanière et hypocrite qui vénère son fils aîné, menteur, voleur et sournois et persécute le plus jeune qui au contraire est plein de joie de vivre et de sensibilité. Julien DUVIVIER utilise un langage cinématographique saisissant pour montrer la subjectivité de deux êtres en souffrance dans leur propre foyer: le père et son plus jeune fils. Les premières scènes montrent le bavardage incessant de Mme Lepic et des autres commères du village comme un supplice pour M. Lepic à l'aide de gros plans, de surimpressions et de duplications du visage ou seulement de la bouche de Mme Lepic. Ces mêmes procédés permettent de faire ressentir l'emprise qu'elle a sur son fils qui sent son regard sur lui même quand il dort. Progressivement, sous l'effet des brimades sadiques de Mme Lepic et de l'indifférence des autres hormis la servante de la maison, on voit François s'étioler et finir par envisager divers moyens pour se supprimer. Parallèlement, Julien DUVIVIER instaure un suspense autour de la relation père/fils. Parviendront-ils à se rencontrer, à communiquer avant qu'il ne soit trop tard? Question présente dans le roman mais dans laquelle Julien DUVIVIER rejoue sa propre histoire. M. Lepic n'est pas doué pour exprimer ses sentiments et a projeté sa propre indifférence (et sa propre bêtise émotionnelle) sur son fils qu'il pense débile et insensible. Il est donc tenté par l'évasion dans une carrière politique municipale plus prompte à flatter son ego avant que son irresponsabilité en tant que père ne lui revienne en pleine figure telle un boomerang. André Heuze qui joue Poil de Carotte est confondant de naturel et ultra charismatique, on ne peut que s'attacher à son personnage d'enfant meurtri qui paye le seul fait d'être né. Et on mesure combien l'évolution des moeurs (et des outils de maîtrise de la fécondité) ont permis de réduire le douloureux sort des enfants non désirés.

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L'autre côté de l'espoir (Toivon tuolla puolen)

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2016)

L'autre côté de l'espoir (Toivon tuolla puolen)

J'aime bien le cinéma de Aki KAURISMÄKI dont les codes particuliers peuvent constituer un frein à l'adhésion du spectateur mais qui si on y entre a beaucoup à offrir. "L'autre côté de l'espoir" son dernier film en date est le deuxième volet d'une trilogie sur les migrants après "Le Havre" (2011) (on ne sait pas si il y en aura un troisième, Aki KAURISMÄKI ayant exprimé son souhait d'arrêter de faire des films). Fable humaniste comme l'était aussi "Le Havre" (2011), "L'autre côté de l'espoir" raconte la rencontre entre un migrant syrien débouté du droit d'asile et un finlandais quinquagénaire qui a décidé de refaire sa vie en tentant sa chance dans la restauration après avoir gagné au poker. Aki KAURISMÄKI conjugue avec bonheur réalisme social et politique (misère, violences racistes, témoignage frontal des horreurs de la guerre et de l'absurdité de la machine administrative) et décalage poétique créant un effet de distanciation salutaire (aspect rétro des décors dépouillés dont l'ameublement semble sorti de chez Emmaüs, minimalisme de personnages marqués physiquement mais peu bavards et peu expressifs, couleurs froides, mise en scène épurée, interludes musicaux rock et humour burlesque omniprésent désamorçant tout pathos)*. Le résultat est un film d'apparence froide mais généreux en réalité, mettant en avant la bienveillance et la solidarité des individus face à l'absurdité d'un système arbitraire dont Aki KAURISMÄKI se paye la tête (il affirme que la situation syrienne ne justifie pas la délivrance d'un titre de séjour alors que la scène suivante montre évidemment le contraire) et dont de simples citoyens finlandais déjouent les mécanismes à la manière des résistants de la seconde guerre mondiale mais sans avoir l'air d'y toucher (fabrication de faux papiers, aide à l'évasion, emploi au noir etc.) Quant aux tentatives de mutations mondialistes du restaurant vieillot racheté par le finlandais quinquagénaire, elles constituent les passages les plus drôles du film.

On distingue au moins deux grandes influences dans le cinéma de Aki KAURISMÄKI. L'une, américaine, vis à vis des grandes figures du burlesque muet (Charles CHAPLIN, figure du vagabond tutélaire de tous ses films et Buster KEATON pour le caractère impassible des personnages) et l'autre française, vis à vis du courant réaliste poétique à qui Aki KAURISMÄKI a rendu un hommage appuyé dans "Le Havre" (2011) (avec un personnage féminin appelé Arletty!) mais aussi vis à vis des polars minimalistes de Jean-Pierre MELVILLE et des films non moins dépouillés de Robert BRESSON.

 

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