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Papicha

Publié le par Rosalie210

Mounia Meddour (2019)

Papicha

Un sujet fort et des actrices remarquables, Lyna KHOUDRI en tête (César du meilleur espoir féminin et que j'ai découvert dans "Gagarine" (2020) dans lequel elle est également excellente) mais un scénario maladroit et une réalisation brouillonne font que ce "Papicha" ne parvient pas réellement à décoller, contrairement à "Mustang" (2014) qui traite d'une thématique proche. Si "Papicha" (dont la traduction littérale est "jeune fille coquette" mais celle-ci ne rend guère compte de l'ambiguïté du mot qui peut s'entendre comme "jeune fille facile") s'embourbe, c'est d'abord parce qu'il contient en réalité deux sujets et non un seul: d'une part la condition féminine dans les pays du Maghreb en proie à la montée de l'islamisme intégriste et de l'autre les débuts de la guerre civile algérienne des années 90. Cette dernière n'est qu'une toile de fond d'autant que le choix de faire des plans resserrés sur les personnages étouffe complètement le contexte dans lequel ils vivent. Le vrai sujet de "Papicha", c'est la pression sociale qui s'exerce sur le corps féminin dans l'espace public à travers sa tenue vestimentaire. Il n'y avait pas besoin pour cela de situer l'intrigue dans l'Algérie en guerre, la question est également récurrente en France sous diverses formes: interdiction du foulard islamique à l'école, interdiction du voile intégral dans l'espace public, arrêtés municipaux interdisant le burkini et maintenant débat sur le crop top dans les collèges et les lycées. Et bien entendu, derrière ce débat s'en profile un autre qui est celui de la domination des hommes sur les femmes. Là encore pas besoin de se délocaliser pour traiter du harcèlement de rue ou des tentatives de viol. A cette surcharge thématique vient s'ajouter de grosses maladresses de réalisation et de scénario comme la mort de la soeur qui semble surgir comme un cheveu sur la soupe ou l'attaque finale tout aussi grossièrement amenée et qui est filmée de façon peu lisible. Un montage moins heurté aurait également permis de pouvoir mieux lire les images. Bref, le manque de maîtrise général handicape beaucoup le film et c'est d'autant plus dommage qu'il avait de réels atouts au départ.

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Drôle de drame

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1937)

Drôle de drame

"Drôle de drame", le deuxième long-métrage de Marcel CARNÉ et qui aujourd'hui fait partie des films illustres de sa carrière a pour particularité d'être une désopilante comédie policière perdue au milieu des drames "réalistes poétiques" qui ont fait par la suite sa renommée. Fondée sur des quiproquos de théâtre de boulevard d'une redoutable efficacité, elle est rehaussée par un savoureux humour absurde qui puise ses racines dans le courant surréaliste auquel appartenait Jacques PRÉVERT qui signe le scénario et les dialogues comme ceux de la majorité des chef d'oeuvres de Marcel CARNÉ mais aussi dans l'humour anglais puisqu'il s'agit de l'adaptation du roman britannique "His first offence" de Joseph Storer Clouston. C'est sans doute ce mélange qui a désorienté le public à la sortie du film à qui il a fallu vingt ans pour s'imposer définitivement.

Ce qui rend également savoureux ce "Drôle de drame" est son aspect satirique vis à vis du clergé et de la bourgeoisie dont la duplicité est un des ressorts comiques majeurs de l'histoire. N'oublions pas que la cascade de quiproquos part du fait que Margaret Molyneux (Françoise ROSAY) veut cacher à l'évêque Soper (Louis JOUVET) qui s'est invité chez eux à dîner la brusque démission de leurs domestiques. Pour "tenir son rang", elle prend donc la place de la cuisinière avant de se faire draguer sous le pseudo de "Daisy" par un certain William Kramps (Jean-Louis BARRAULT) tueur de bouchers de son état dans un bouge mal famé avant de se retrouver face à face avec lui en tenue d'Adam (l'actrice n'ayant pas été prévenue, sa réaction choquée est des plus naturelles!). Les laborieuses explications de son mari Irwin (Michel SIMON) pour expliquer son absence ne font qu'accroître les soupçons de l'évêque qui finit par se persuader que ce dernier l'a fait assassiner*. Evêque lui-même pris en flagrant délit de tartufferie lorsque ses prêches contre le sexe et la violence dans la littérature sont démentis par le film qu'il se fait sur les agissements criminels de son cousin et par la brochure de music-hall dédicacée par une girl qui semble le connaître intimement (évidemment cette brochure finit dans des mains compromettantes, sinon ça ne serait pas drôle). Enfin le cousin Molyneux possède lui-même une double identité puisque qu'il écrit des romans policiers sous le nom de plume de Félix Chapel, ceux-là même que l'évêque Soper voue aux gémonies et qui finit par lui coller à la peau.

* La réplique "Bizarre, bizarre" est passé à la postérité mais toute la scène est très drôle entre les airs constipés et soupçonneux de l'évêque et l'embarras de Molyneux qui s'enfonce toujours un peu plus dans ses mensonges. Louis JOUVET et Michel SIMON ne s'appréciaient pas et ont transformé leur échange en combat de coqs (de plus en plus éméchés au fur et à mesure des prises). Parfois l'ambiance en coulisses peut être aussi drôle que la scène elle-même.

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Hôtel du Nord

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1938)

Hôtel du Nord

Ah mais quel bonheur de humer de nouveau l'atmosphère de ce Paris disparu des années 30, un Paris d'époque plus vrai que nature, un Paris des petites gens avec leur gouaille et leur accent inimitable, une vraie vie de quartier qui est en train aujourd'hui d'agoniser, le canal Saint-Martin devenant pour le coup comme nombre d'autres lieux d'intérêts du centre de Paris un décor pour touristes plus fake que celui que le génial Alexandre TRAUNER a construit pour les scènes reconstituées en studio du film. Alors certes, le réalisme poétique de Marcel CARNÉ doit se passer de son dialoguiste et scénariste d'exception, Jacques PRÉVERT mais cela est compensé par une galerie de personnages hauts en couleur qui sont chacun comme autant de poèmes faisant claquer les répliques avec leurs intonations, leur phrasé si particulier. La scène d'ouverture chorale de la première communion dans un hôtel en forme d'auberge espagnole (Cédric KLAPISCH se situe en effet totalement dans cette filiation et le petit Manolo rappelle la guerre d'Espagne alors toute proche) est un savoureux et plantureux repas pour gourmets cinéphiles entre un jeune Bernard BLIER (qui avait encore des cheveux) voué à jouer les compagnons soumis et cocufiés auprès d'une Paulette DUBOST jouant un rôle proche de la Lisette de "La Règle du jeu" (1939) un François PÉRIER féminin tout juste sorti de l'adolescence, un ANDREX baratineur et séducteur préfigurant Pierre BRASSEUR sous le regard bienveillant des aubergistes, Jane MARKEN (abonnée au rôle mais aussi sympathique dans ce film qu'elle est fielleuse et minaudière dans "Les Enfants du paradis") (1943) et André BRUNOT. En dépit du raciste local, le flic joué par Marcel MELRAC, l'accueil se fait à bras ouverts, même vis à vis de quelques personnages moins fréquentables qui ne sont pas invités à table mais vivent dans le même hôtel. Il s'agit du drôle de couple formé par Raymonde ( ARLETTY, révélée par le rôle) une prostituée forte en gueule et en punchlines cultes (tout le passage atmosphérique est en tête de gondole mais il y en a d'autres) et par Monsieur Edmond (Louis JOUVET) son proxénète au visage indéchiffrable qui semble se cacher. Et puis il y a l'autre couple, celui de la chambre 16 dont je me suis toujours demandé s'il n'avait pas inspiré le titre de Édith PIAF, "Les Amants d'un jour". Volontairement ectoplasmique, ce couple n'a d'intérêt que dans la mesure où il sert de révélateur aux autres personnages. Revenue d'entre les morts, Renée ( ANNABELLA) est accueillie à bras ouverts dans la fameuse auberge et se retrouve dans la position de celle devant qui les hommes jettent le masque. C'est ainsi qu'elle et Adrien évoquent de façon parfaitement naturelle l'homosexualité de ce dernier (alors qu'on est en 1938!!) puis que Monsieur Edmond se dévoile à elle dans un tête à tête qui m'a rappelé celui de "L Extravagant Mr. Deeds" (1935) quand, assis sur le banc d'un parc au milieu de la nuit, Babe (Jean ARTHUR) ouvre son coeur à Deeds (Gary COOPER). Que dire alors de la magnificence de la prestation de Louis JOUVET qui passe littéralement de l'ombre à la lumière et dont la retenue dans l'expression des sentiments me fait penser à celle de Anthony HOPKINS. Comme le dit son personnage tragique mais digne, au moins il aura vu plus de pays en trois jours que durant tout le reste de son existence. Même une séquence aussi banale en apparence qu'une déclaration d'amour prend une saveur particulière rien qu'en écoutant les acteurs parler d'un débit si rythmé qu'il en devient presque musical. Donc désolé mais à mes yeux "Hôtel du Nord" (1938) est un joyau et non un film de "seconde zone" dans la carrière de Marcel CARNÉ.

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Imitation Game (The Imitation Game)

Publié le par Rosalie210

Morten Tyldum (2014)

Imitation Game (The Imitation Game)

"Imitation game" est un biopic sur Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique considéré comme l'un des pères fondateurs de l'informatique. Pendant la seconde guerre mondiale, il joua un rôle important dans le décodage des messages de la machine Enigma dont l'armée allemande se servait pour communiquer de façon cryptée. Il est aussi l'un des précurseurs de l'ordinateur, Colossus étant une version perfectionnée de sa propre machine à calculer (dite "machine de Turing" ou "bombe de Turing"), elle-même inspirée d'inventions polonaises. Comme toute innovation majeure, l'ordinateur est donc le fruit d'une chaîne de perfectionnements et non la création d'un seul homme. C'est là l'un des nombreux arrangements avec la réalité du film de Morten TYLDUM qui s'avère aussi académique que peu scrupuleux avec la vérité historique. Certes, tout travail d'adaptation oblige à faire des raccourcis, des simplifications, des choix dans le foisonnement du réel. Mais on peut le faire en restant fidèle à l'essentiel. Or l'objectif affiché étant de fournir un long-métrage calibré pour plaire au plus grand nombre avec un label "film de prestige" en vue des Oscar (on l'a d'ailleurs beaucoup comparé à "Le Discours d un roi") (2010), la vie de Alan Turing est biaisée pour faire rentrer celui-ci dans les bonnes cases. Son homosexualité par exemple est reléguée en toile de fond, devenant presque abstraite afin de gonfler au maximum une romance hétérosexuelle plus bankable avec Keira KNIGHTLEY. Comme si cela ne suffisait pas, pour expliquer son génie (car dans les films de ce type hyper balisés, linéaires, sans zones d'ombre, il faut toujours une explication pour tout), on lui colle une étiquette d'autiste asperger ce qu'il n'était manifestement pas. J'ai eu souvent l'occasion de m'insurger contre la vision stéréotypée que le cinéma donne des autistes asperger, tous géniaux et tous géniaux en mathématiques tout en étant infréquentables par ailleurs. Cliché, cliché, cliché. Enfin, ne reculant devant aucune lourdeur, on a droit a une séquence gênante censée présenter un dilemme moral au cours de laquelle l'un des membres de l'équipe de cryptologues supplie que l'on sauve son frère juste après qu'ils aient découverts que le message qu'ils ont décodé ordonne de couler des bateaux (encore une erreur historique d'ailleurs, les messages s'adressant à l'armée de l'air et non à la marine ce qui est logique, cette dernière étant le maillon faible des nazis). Dans la même recherche d'émotion facile, l'ordinateur s'appelle Christopher du nom du premier amour (platonique sinon ce n'est pas bankable) de Alan Turing. Dans la réalité il s'appelait Victory: un but collectif bien plus juste qu'un attachement sentimental isolé et qui rappelle que les américains participaient au projet ce qui est occulté par un film qui n'entend rien à l'Histoire. La reconstitution des années 50 le prouve: le contexte de persécution des homosexuels dans le cadre de la paranoïa anticommuniste lié à la guerre froide et au maccarthysme est réduit à sa plus simple expression. Seule la performance de Benedict CUMBERBATCH mérite d'être soulignée mais elle offre bien moins de nuances que dans "Sherlock" (2010), l'acteur étant tributaire du film.

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Holy Motors

Publié le par Rosalie210

Leos Carax (2012)

Holy Motors

Votre mission, si vous l'acceptez consiste à interpréter "pour la beauté du geste" une dizaine de personnages au cours d'une même journée qui sera aussi "a journey" à l'allure d'un rêve éveillé. Vous la commencerez en effet à bord d'une luxueuse villa à l'architecture de paquebot en partance pour une destination inconnue (suggérée par une sirène qui a elle seule sonne comme une promesse d'évasion vers quelque forêt touffue, laquelle s'avère ouvrir sur une salle de spectacle). Vous la poursuivrez à bord d'une limousine qui vous servira de loge et de véhicule entre deux "rendez-vous" (entendez par là, entre deux rôles), limousine conduite par Céline alias Edith SCOB, l'inoubliable Christiane éthérée et mystérieuse de "Les Yeux sans visage" (1960) de Georges FRANJU, pionnier du cinéma fantastique français auquel "Holy Motors" rend un hommage appuyé. Vous défendrez un art plus que centenaire dont vous rappellerez les origines et qui est selon vous menacé de disparition par les nouvelles technologies (envers lesquelles vous êtes néanmoins ambivalent puisque vous acceptez par exemple d'effectuer une magnifique prestation de motion capture) et les nouveaux goûts du public qui en découlent (vous ne semblez guère aimer la peopolisation à qui vous réservez un sort aussi trash que l'exercice en lui-même au travers de votre monstrueux rat d'égout, "M. Merde". Même ce qui semble le plus sacré devient en effet un étendard publicitaire comme ces tombes sur lesquelles sont gravées des "visitez mon site.com"). Votre peur de la désintégration artistique et spirituelle finira par vous faire échouer dans un immense temple de la consommation laissé à l'abandon, lui aussi en raison de la virtualisation croissante des lieux publics dédiés à la culture et à la consommation que vous transformerez en gigantesque décor de cinéma avec hauteur de vue sur l'un de vos anciens films les plus célèbres. En vertu de cette déshérence, vous terminerez votre périple dans ce qui s'apparente à une "régression darwinienne", un lotissement pavillonnaire crachant le conformisme à plein nez où l'homme est redescendu au stade de la bête.

Voilà comment on peut résumer ce film inclassable, audacieux, provocateur et outrancier (du Leos CARAX quoi!) qui dépasse son statut de méta-film et de film à sketches pour défendre avec ardeur un feu sacré en train de s'éteindre et pour lequel Leos CARAX qui n'avait plus tourné depuis des années a accepté de sortir de son tombeau (une figure récurrente du film). Qu'on aime ou qu'on aime pas ce réalisateur, force est de constater que sa singularité, sa radicalité et sa sincérité ne laisse personne indifférent. Si tout ne m'a pas convaincu dans le film (j'ai trouvé les prestations de Denis LAVANT même s'il accomplit un tour de force inégales en intérêt, beauté ou intensité: les morceaux de bravoure de M. Merde, de la motion capture ou de la Samaritaine sont entrecoupées de séquences plus faibles comme celles de la mendiante, du mourant ou du tueur), il y a suffisamment de poésie et de personnalité dedans pour intriguer et marquer durablement l'esprit.

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Annette

Publié le par Rosalie210

Leos Carax (2021)

Annette

Spectacle total, plein les yeux et plein les oreilles! On n'aime ou on n'aime pas Leos CARAX mais, déjà intriguée à défaut d'être 100% convaincue par les précédents films de lui que j'ai vu ("Les Amants du Pont-Neuf" (1991) qu'il me faut revoir car je n'en ai plus que des souvenirs flous et "Holy Motors" (2012) que j'avais trouvé inégal), j'ai été séduite par son dernier film tout en contrastes, aussi sombre que flamboyant, aussi osé que virtuose, aussi poignant que grinçant, aussi lyrique que cynique, aussi vulgaire que sublime que j'ai décidé de voir rien qu'en regardant l'affiche: les couleurs (bleu et jaune), la tempête, le trou noir, la petite fille lunaire, la valse sur le pont et Adam Driver, acteur génial dont Carax parvient à extraire ici la substantifique moëlle, sans doute parce qu'il trouve en lui la même "inquiétante étrangeté" que chez Denis LAVANT, étrangeté qui doit faire écho à celle qu'il a en lui-même.

Rien que sur la forme, "Annette" mérite d'être vu: c'est à la fois une comédie musicale dont les airs composés par le groupe Sparks (auteurs également de l'histoire) restent dans la tête ("May we start?", "We love each other so much", l'aria "The Forest"...) et un conte à l'intérieur desquels Leos CARAX se permet toutes les libertés, toutes les fantaisies. En même temps, c'est la terrible histoire de Henry (Adam DRIVER) humoriste de stand up rongé par la frustration et la colère qui de son propre aveu est attiré par les abysses et en y plongeant, va tout perdre: son talent, son public, sa liberté, sa fortune, sa femme et sa fille. Si les allusions à "Metoo" mais aussi à l'exploitation des enfants-stars par leurs parents sont assumées lors de "parenthèses" adoptant avec beaucoup d'ironie le style journalistique people ou déconstruisant des films comme "Titanic" (1997) (la scène de valse sur le pont du bateau), la profondeur du personnage de Henry et la grâce évanescente de la cantatrice Ann Desfranoux (Marion COTILLARD) donnent un caractère franchement opératique au film. Un opéra tragique. Et parallèlement à cette histoire d'adultes, c'est aussi un conte vu à hauteur de la petite fille du couple qu'est Annette. Dans sa vision, son père ("la bête") est un gorille (allusion à son surnom d'humoriste, le "gorille de dieu") atteint de la malédiction* de Ashitaka dans "Princesse Mononoké" (1997), son mal intérieur prenant la forme d'une tache lie-de-vin qui se répand sur son visage, sa mère ("la belle") est une Blanche-Neige qui a croqué la pomme empoisonnée et elle-même, mi-Pinocchio, mi-Harry Potter est un pantin de bois doté d'une cicatrice sur le front. Une marionnette réduite à l'impuissance et privée de parole mais dotée d'un chant sublime qui ne s'exprime qu'à la pleine lune avant de s'éteindre définitivement en même temps que son âme.

* L'influence de l'expressionnisme allemand sur Leos CARAX se fait sentir sur le personnage de Henry au moins à deux reprises: dans un plan (visible dans la bande-annonce) où il tend les mains vers Ann à la manière de "Nosferatu le vampire" (1922) et dans la dernière scène qui me fait de plus en plus penser à celle de "M le Maudit" (1931) (scène bouleversante dans laquelle une petite fille libérée de sa servitude solde les comptes avec son paternel toxique en quête de rédemption).

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Hit and Miss

Publié le par Rosalie210

Paul Abbott (2012)

Hit and Miss

"Hit and Miss" est une mini-série de six épisodes de 45 minutes créée en 2012 par Paul Abbott avec Chloë Sevigny, (une adepte des rôles sulfureux) dans le rôle principal qui a été diffusée sur Canal + en 2013. Elle ne comporte qu'une seule saison bien que la première se termine sur un cliffhanger. C'est bien dommage car la série ne manque pas d'intérêt, notamment par les portraits de marginaux mis en scène.

Qui est Mia? Ce qui est sûr c'est que tout ce qui la concerne est fait de morceaux mal ajustés.

Son corps tout d'abord. Une scène montre le petit ami de Mia (très perturbé dans sa propre identité dès qu'il découvre celle de Mia) assemblant deux magazines, l'un avec un buste de femme et l'autre avec un entrejambe masculin. Quoi de mieux pour résumer la difficulté de vivre avec un corps transsexuel encore en chantier?

Les scènes où Mia se regarde dans un miroir sont révélatrices et toujours extrêmes que se soit pour sublimer son reflet ou pour le flageller ou lui cracher dessus.

Son histoire est à l'image de son corps: duale. Dans sa jeunesse et pour l'état civil, Mia est Ryan, le fils cadet d'une famille de forains qui l'ont rejetée quand Ryan a entamé sa transformation. Pour tous les autres, elle est Mia, personnage qui n'a aucune existence légale. 

Enfin il y a sa double vie ou plutôt sa vie coupée en deux. D'un côté, Mia est une tueuse à gages solitaire, sorte d'oiseau de nuit guettant sa proie avant de l'abattre froidement. Pratiquant cette activité à Manchester, elle navigue entre le café de son patron et son nid, un loft à l'état de hangar où elle dissimule la plus grande partie de son matériel.

De l'autre, Mia est le chef d'une famille recomposée de quatre enfants issus de trois pères différents et dont la mère est morte d'un cancer. Ils vivent dans une ferme isolée dans les environs de Manchester.

Cette famille est elle-même une sorte de patchwork rapiécé. Les deux aînés, Levi et Riley sans doute issus du même lit, sont des adolescents rebelles et un peu paumés. Ryan qui a 11 ans n'est autre que le fils biologique de Mia comme le souligne son prénom. Plusieurs scènes montrent qu'il est très perturbé par la mort de sa mère et par l'identité de son père. La plus jeune, Léonie s'est réfugiée dans un monde parallèle où sa mère est encore vivante.

En dépit de tous ses efforts, Mia ne parvient pas à cloisonner ses vies de façon étanche ce qui occasionne des drames. Riley tue son agresseur avec l'arme de Mia, Eddie, le patron de Mia, s'immisce dans la famille et prend Levi à son service sans que celui-ci ne se doute de la nature réelle de ses activités. La scène de fin pousse le drame de l'interpénétration des vies de Mia à son paroxysme.

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Minority Report

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2002)

Minority Report

La dernière chose qui reste en possession d'un être humain après qu'on lui ait tout enlevé, c'est son libre-arbitre, c'est à dire sa capacité de décision quelles que soient les circonstances. Mais cela présuppose d'accepter que l'avenir ne soit pas écrit d'avance. Or la prédestination, le déterminisme (ou la fatalité) est une croyance qui a la vie dure tant il s'avère tentant de remettre son destin entre les mains d'une entité autre que soi-même (qu'elle se nomme dieu, hasard, destin ou bien plus prosaïquement chef d'Etat, gourou, mentor ou même ses propres émotions et pulsions non contrôlées par la volonté) ce qui permet de se débarrasser de la responsabilité de sa propre vie et des choix que toute personne est amenée à faire ("j'ai obéi aux ordres", "j'étais en colère", "c'est le destin", "c'était écrit", "c'est la conséquence de mes malheurs" etc. comme autant d'excuses pour refuser d'endosser la responsabilité de ses actes). Sur un plan politique, de telles croyances ont des effets redoutables sur les droits fondamentaux lorsqu'il s'agit de substituer des intentions supposées aux faits avérés. 

Le film de Steven Spielberg, adaptation de la nouvelle de Philip K. Dick écrite en 1956 s'inscrit dans un contexte post-11 septembre 2001 qui est explicitement affirmé par le numéro affecté à John Anderton (Tom Cruise), le 1109 et ce bien que l'action soit censée se dérouler en 2054. En effet le spectre du terrorisme islamiste international a donné corps à une volonté politique de prévenir les attentats en bafouant le droit international et celui des individus. Aux USA cela a donné la guerre "préventive" contre l'Irak en 2003 fondée sur un mensonge d'Etat et dont les effets ont été l'inverse de ceux qui étaient attendus puisqu'elle a instauré un chaos dont le terrorisme a profité pour prospérer ainsi que l'enfermement et les maltraitances sur les "combattants illégaux" sans statut légal, notamment à Guantanamo. Le "Patriot Act" signé dans la foulée des attentats a donné à l'Etat américain le moyen de surveiller la population en perquisitionnant leur domicile ou en obtenant des informations confidentielles. Dans le film, une séquence montre comment la recherche d'un suspect dans un immeuble conduit à violer l'intimité des gens. En France, il a été question dans le débat public d'arrêter les "fichés S" (suspects) à titre préventif là encore et l'Etat d'urgence a conduit à des dérives liberticides, là encore au nom de la sécurité. 

Le film de Steven Spielberg bien que s'inscrivant dans le genre de la science-fiction est donc avant tout un film politique d'anticipation recherchant le plus grand réalisme possible grâce aux pronostics d'experts dans divers domaines. Alors certes, on ne peut pas encore faire changer ses yeux ou enregistrer des films produits directement par le cerveau mais les systèmes de télésurveillance, d'appareils numériques haptiques, tactiles (ou vocaux) ou la reconnaissance faciale, rétinienne ou via les empreintes digitales sont devenus des réalités plus ou moins généralisées. Cette volonté de crédibilité permet donc de démontrer une fois de plus les dégâts de la science sans conscience et le fait qu'aucun système, aussi perfectionné soit-il n'est infaillible puisqu'il reste dirigé par l'humain et que "errare humanum est". De plus, toute cette science s'appuie sur les prémonitions des "précogs", des humains possédant des dons médiumniques ce qui renvoie bien sûr aux bons vieux oracles de l'Antiquité, indissociables du "fatum". Il s'avère que ce n'est pas la vision elle-même qui est déterminante mais son interprétation. Prises au pied de la lettre, elles amènent à emprisonner des innocents puisqu'ils n'ont pas commis de crime au moment où ils sont arrêtés. Or on découvre que ces visions ne disent pas ce qui va arriver mais ce qui pourrait arriver puisque jusqu'au dernier moment le potentiel tueur a le choix de commettre ou non son crime. Et pire encore, ces visions peuvent être manipulées par de véritables tueurs qui s'en servent pour dissimuler leurs crimes bien réels. Bref, de quoi alimenter un abîme de réflexion.

La très grande richesse et la profondeur de ce film ne doit pas pour autant faire oublier les autres qualités de Steven Spielberg, notamment son travail d'orfèvre en ce qui concerne les scènes d'action. La séquence de combat entre Tom Cruise et ses anciens collègues dans une usine automatisée de fabrication d'automobiles à la chaîne est d'une précision virtuose étourdissante qui fait penser à "Le Mécano de la Générale" de Buster Keaton d'autant que la chute de cette séquence est hautement comique "de la mécanique plaquée sur du vivant". L'influence de Stanley Kubrick est également très présente. Ainsi l'homme qui opère les yeux de Tom Cruise utilise le même appareil que l'écarteur de "Orange mécanique", autre grand film sur la criminalité et le libre-arbitre. Les références ne sont pas saupoudrées, elles sont au coeur du film et font sens.

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Le Silence de la mer

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1949)

Le Silence de la mer

"Le Silence de la mer" d'après la nouvelle éponyme de Vercors est le premier film de Jean-Pierre MELVILLE. Tourné dans l'après-guerre, dans des conditions très difficiles et dans la clandestinité (car Melville n'avait pas les droits d'adaptation du livre), il révéla le cinéaste qui devint l'un des inspirateurs de la nouvelle vague (comme on peut le constater par exemple dans "À bout de souffle" (1959) dans lequel Jean-Pierre MELVILLE fait une apparition dans son propre rôle).

"Le Silence de la mer" est une oeuvre magnifique sur les ravages que la guerre cause à l'humanité, d'autant plus magnifique qu'elle fonctionne à un niveau métaphorique extrêmement dépouillé qui en fait toute sa force. Vercors et Melville (pseudo de Jean Bruller et de Jean-Pierre Grumbach) ont été Résistants et de cette expérience, ils ont su immédiatement tirer la substantifique moëlle puisque le livre a été écrit en 1941 et le film, réalisé entre 1947 et 1949. Pour mémoire, il s'agit d'un quasi huis-clos entre trois personnages: un homme d'une soixantaine d'années, sa nièce et un officier allemand que ces derniers se voient obligés d'héberger chez eux. Pour manifester leur opposition, l'oncle et la nièce décident de faire comme si l'officier n'existait pas. Chaque fois que celui-ci tente d'entrer en contact avec ses logeurs, il se heurte donc à un mur de silence buté. Pourtant il ne se décourage pas et c'est avec une grande habileté que Jean-Pierre MELVILLE parvient grâce aux cadrages, à la lumière et à la composition des plans à faire comprendre comment évolue leur relation, la voix off de l'oncle ne servant que de point d'appui. Ainsi la première apparition de l'officier dans l'encadrement de la porte ne met en avant que ce qu'il représente: l'ennemi nazi en uniforme. Mais les deux personnes apparemment impassibles qui semblent ignorer son existence lorsqu'il monologue auprès d'eux sont aussi en représentation. Des plans plus détaillés ou agencés autrement révèlent à certains mouvements du corps (les mains notamment) qu'il n'en est rien et que chacun souffre en réalité du rôle dans lequel il est enfermé. Car le cadre intimiste du salon le soir et la personnalité de l'officier, idéaliste, sensible, amoureux de la France et qui ouvre son coeur et son esprit à ceux qui l'hébergent pousse au rapprochement. Car c'est un mouvement naturellement humain alors que la guerre elle, est inhumaine. D'ailleurs lorsque l'oncle se rend à la Kommandantur et qu'il croise l'officier, tous deux sont sous le choc. Ils sont filmés à travers des cadres (en représentation donc) qui leur rappellent le rôle de chacun alors qu'ils l'avaient presque oublié. Pour renforcer cette impression, l'officier qui est en uniforme (alors que pour mettre à l'aise l'oncle et la nièce, il ne se montre chez eux qu'en civil) est placé sous un portrait d'Hitler. Et voilà comment Vercors et Melville parviennent à montrer le gâchis humain de la guerre. Dans une autre vie, Werner (Howard VERNON qui est magnifique de sensibilité dans le rôle de cet homme d'honneur qui découvre avec horreur le véritable visage du nazisme) aurait épousé la nièce (Nicole STÉPHANE) et l'oncle (Jean-Marie ROBAIN qui a un petit air de Georges BRASSENS) serait devenu son beau-père.

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Looper

Publié le par Rosalie210

Rian Johnson (2012)

Looper

"Looper", troisième film de Rian JOHNSON a finalement la même qualité que son film le plus connu, le huitième épisode de la saga Star Wars: il se démarque dans un genre très balisé en offrant une proposition réellement originale (voire dans le cas de Star Wars, iconoclaste ce qui a fait grincer quelques dents). Même si ce n'est jamais avoué explicitement, il est évident que le choix de Bruce WILLIS pour jouer le rôle d'un voyageur temporel qui se rencontre lui-même plus jeune (d'où le titre, en référence à l'idée de boucle temporelle) est un hommage à "L Armée des douze singes" (1995) de Terry GILLIAM, lui-même inspiré par "La Jetée" (1963) de Chris MARKER lui-même inspiré par " Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. Il s'inscrit donc dans une filiation. Et en même temps, il s'en démarque de par la confrontation qui s'ensuit entre les deux versions du même individu qui n'ont pas du tout les mêmes motivations et donc, pas la même influence sur le futur, y compris le leur.

Le point de départ de toute l'histoire se situe en 2044. Joe, âgé d'une trentaine d'années (et joué par Joseph GORDON-LEVITT dont le visage a subi quelques modifications hasardeuses pour tenter de le faire ressembler à Bruce WILLIS) est un tueur à gages dont les seules motivations semblent être la drogue et le fric qu'il souhaite accumuler pour refaire sa vie en France. L'herbe y semble plus verte que la société dystopique de 2044 dans laquelle il vit où la violence est endémique et dans laquelle la mafia a remplacé l'Etat voire les parents (et qui ressemble à s'y méprendre à celle de "Les Fils de l homme") (2006). Sa particularité est d'être un looper c'est à dire qu'il est chargé d'éliminer aussitôt arrivées en 2044 des personnes envoyées depuis 2074 (trente ans dans le futur) dans une machine à voyager dans le temps. Celle-ci n'existe pas en 2044 alors qu'en 2074, la mafia s'est emparée de cette technologie (déclarée illégale) pour nettoyer son linge sale car il est devenu impossible de tuer sans être repéré. Elle en particulier décidé sous la direction d'un mystérieux tyran de faire éliminer tous ses loopers par la version jeune d'eux-mêmes.

Sauf que d'être confronté à sa propre mort grippe évidemment toute la machine et fait ressurgir les sentiments humains, à l'origine par essence de comportements imprévisibles. L'introduction avec le terrible sort réservé à Seth (Paul DANO), le collègue de Joe qui parvient à se reconnaître malgré les précautions prises par la mafia pour camoufler l'identité de la victime à tuer le démontre d'emblée. Le film devient alors l'illustration de la maxime selon laquelle son pire ennemi, c'est soi-même. Alors que le Joe sexagénaire, aveuglé par sa soif de vengeance ne se rend pas compte qu'en voulant massacrer les innocents de 2044 pour empêcher son funeste futur d'advenir il va contribuer à le réaliser, le Joe trentenaire lui se penche sur les raisons qui l'ont transformé en tueur et décide de protéger la mère et l'enfant qui dans le futur est censé devenir le tyran (et dont on sait qu'il a vu sa mère mourir sous ses yeux) car il s'identifie à lui. Son objectif: arrêter l'infernale spirale de violence pour changer l'avenir. On voit donc comment un même individu avec le même objectif (empêcher les drames humains du futur) obtient des résultats diamétralement opposés selon les choix qu'il fait. Le fait qu'un même personnage puisse se rencontrer (ou bien être évoqué pour le spectateur) à différents âges de sa vie permet aussi de comprendre qu'un bourreau peut aussi être ou avoir été une victime et vice-versa. De quoi amplement nourrir la réflexion et ce n'est pas la moindre des qualités de ce film que l'on a souvent comparé à "Inception" (2009).

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