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Shakespeare Wallah

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1965)

Shakespeare Wallah

James IVORY est un réalisateur dont je me suis sentie proche dès le premier film que j'ai pu voir de lui quand j'avais une vingtaine d'années. En approfondissant ma connaissance de sa filmographie, les raisons en sont devenues évidentes. Je partage en effet avec lui un certain nombre de caractéristiques. Tout d'abord la distorsion entre une apparence classique et une force subversive cachée. Chez James Ivory, l'académisme est un faux-semblant, de subtiles fissures craquelant les plafonds des institutions les plus vénérables. Autre point commun, lié au premier, le multiculturalisme. Ne me reconnaissant pas dans mes origines, j'ai construit ma vie à cheval sur plusieurs continents, exactement comme il l'a fait en partenariat avec le producteur indien Ismail MERCHANT (avec lequel il était en couple) et la scénariste Ruth PRAWER JHABVALA, allemande mariée à un indien, oeuvre artistique et vie intime ne faisant le plus souvent qu'un. C'est ainsi que dans la plupart de ses films, on suit deux types de personnages: ceux qui échouent à se libérer du carcan dans lequel ils sont emprisonnés et en souffrent (consciemment ou non) et ceux qui y parviennent, au prix du choix d'une certaine marginalité.

"Shakespeare Wallah", son deuxième film réalisé en 1965 raconte l'histoire d'une véritable famille d'acteurs britanniques shakespeariens, les Kendal, renommés pour le film les Buckingham (ils jouent donc leurs propres rôles, dans la vie et sur scène) qui ont choisi de vivre et de se produire dans l'Inde postcoloniale. Coupés de leurs racines mais pas vraiment intégrés à la société dans laquelle ils vivent, ils semblent évoluer dans un monde à part qui est pourtant condamné: leurs contrats se raréfient et le public se détourne d'eux pour des formes de spectacles plus modernes et plus proches d'eux culturellement, principalement le cinéma bollywoodien (même si ironiquement celui-ci s'inspire beaucoup du mode de vie bling-bling de son homologue américain). De façon très symbolique, Lizzie, la fille du couple Buckingham alias du couple Kendal (jouée par Felicity KENDAL qui avait alors l'âge de son rôle, 18 ans) tombe amoureuse d'un jeune indien riche et oisif qui mène en parallèle une liaison avec une star de Bollywood, Manjula (Madhur JAFFREY). Pourtant Sanju (Shashi Kapoor) éprouve des sentiments plus profonds pour Lizzie que pour Manjula qui est de plus dépeinte comme une gamine trop gâtée, jalouse et capricieuse (pour ne pas dire garce). Mais leur relation est entravée par la différence culturelle, Sanju ne pouvant envisager que sa femme soit une actrice en butte aux désirs concupiscents mais également aux humiliations du public. Et les parents de Lizzie se rendent bien compte avec le déclin de leur art que l'avenir de leur fille en Inde est compromis et qu'ils doivent l'envoyer dans leur pays d'origine où elle n'a jamais mis les pieds.

Malgré le manque de moyens, le film est de toute beauté (la scène d'amour dans un brouillard pourtant produit artificiellement est assez extraordinaire d'expressivité et ce alors que de l'aveu même de James Ivory, il la croyait ratée) et très marqué par une autre fructueuse collaboration: celle de James IVORY et de Satyajit RAY qui signe la musique.

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Les Misérables

Publié le par Rosalie210

Ladj Ly (2019)

Les Misérables

La première fois que j'ai entendu parler de Montfermeil, c'était en lisant "Les Misérables" de Victor Hugo. En effet, dans le livre qui se déroule au début du XIX°, Montfermeil est un village qui se trouve sur le chemin de Fantine, partie de Paris pour travailler à Montreuil-sur-mer. Elle y croise l'auberge des Thénardier et a l'idée d'y laisser sa fille Cosette, laquelle est sauvée quelques années plus tard des griffes des deux aubergistes qui la maltraitent par Jean Valjean, lui-même poursuivi par le policier Javert.

En 2019, Montfermeil et sa commune limitrophe, Clichy-sous-bois, toutes deux en Seine-Saint-Denis font partie des villes les plus pauvres de l'Île de France. De grands ensembles aux noms bucoliques trompeurs ("les Bosquets", "Le Chêne pointu") y ont été construits dans les années soixante pour loger une population urbaine en pleine explosion sous le triple effet du baby boom, de l'exode rural et de l'immigration. Avec la crise des années soixante dix, ceux-ci sont devenus des lieux de délinquance et d'exclusion alors que les bâtiments se sont taudifiés et les quartiers, ghettoïsés. En dépit des politiques volontaristes de rénovation urbaine entreprises depuis les années quatre vingt dix, l'environnement urbain y reste délétère. C'est de Clichy-sous-bois qu'est partie l'émeute de 2005 après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique où ils s'étaient réfugiés pour fuir la police. Ainsi à une misère sociale a succédé une autre misère sociale, aux "classes dangereuses" ont succédé les "racailles" et c'est bien sous le signe de Victor Hugo, ardent républicain mais également défenseur des opprimés que Ladj LY qui a grandi à Montfermeil a placé son premier film de fiction. Il avait déjà réalisé un court-métrage du même nom et co-réalisé avec Stéphane de FREITAS le documentaire "A Voix Haute - La Force de la Parole" (2016) que j'avais beaucoup apprécié. D'autre part, il est issu d'une pépinière de talents, le collectif Kourtrajmé dont provient également le photographe JR.. En 2018, Ladj Ly a créé une école gratuite de cinéma du même nom à Clichy-sous-bois et Montfermeil.

"Les Misérables" qui commence par une scène de communion nationale sous l'effet de la victoire de la France lors de la coupe du monde 2018 (qui déjà vingt ans plus tôt avait été l'une des rares occasions de célébrer la France "black-blanc-beur" avant que l'âpre réalité ne reprenne le dessus) se termine sur une scène de guérilla urbaine dans une cage d'escalier pas si éloignée des barricades du XIX° (Victor Hugo, encore et toujours). Entre les deux, le film qui en dehors du prologue et de l'épilogue respecte d'une façon magistrale la règle des trois unités (lieu -la cité-, temps -une journée, "la pire de sa vie" dira un des policiers- et action) suit une brigade de trois policiers aux tempéraments différents confrontés aux difficultés du terrain. Un terrain lui-même complexe avec de multiples interlocuteurs plus ou moins influents (frères musulmans, voyous repentis et réinsérés dans le tissu local, gitans bien remontés etc.) mais qui peinent à canaliser la colère des plus jeunes. Laquelle s'exprime de deux façons bien différentes: par la violence pour le jeune Issa, victime d'une "bavure" policière qui en fait n'en est pas une* puis d'une scène de représailles disproportionnée par rapport à l'acte commis. Un cercle vicieux sans issue. Et par l'arme du témoignage filmé longtemps pratiquée par Ladj LY pour dénoncer les violences policières comme ce fut le cas récemment aux USA pour George Floyd. Arme désormais à la portée de tous avec les smartphones et les réseaux sociaux qui permet au simple citoyen de se transformer en lanceur d'alerte même quand il est très jeune: le bien dénommé "Buzz" n'est pas plus vieux qu'Issa et pas mieux encadré par sa famille. Mais au lieu d'avoir un cocktail molotov dans les mains, il a un drone doté d'une caméra, la meilleure arme qui soit. Cependant le film de Ladj Ly n'est pas manichéen. Policiers et banlieusards sont embarqués dans la même galère faite d'abandon (de l'Etat), de peur, d'impuissance et donc de violence.

* La discussion entre Stéphane, le flic fraîchement muté et Gwada responsable du tir de flashball fait ressortir les mêmes mécanismes que dans les guerres asymétriques de décolonisation ce qui suggère que la guérilla entre police et jeunes des cités se situe dans la continuité de ces conflits non réglés typiques des sociétés postcoloniales.

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Wendy et Lucy (Wendy and Lucy)

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2008)

Wendy et Lucy (Wendy and Lucy)

Joli petit film (je n'ai pas vu le précédent) qui en dit long sur l'état de l'Amérique profonde. Quand on voit les malheurs qui s'abattent sur la pauvre Wendy (Michelle WILLIAMS) pour quelques boîtes de canigou chapardées dans un magasin, on se dit que le pays ne tourne pas rond. D'ailleurs ironiquement le film est un road-movie qui fait du sur-place, l'héroïne, jeune femme un peu marginale, un peu paumée se retrouvant arrêtée près du parking d'un supermarché à la fois par la panne de sa voiture et la perte de son chien. D'elle, on ne sait presque rien. Le film ne s'attarde pas sur son passé, il filme l'instant présent. Tout au plus au détour d'une conversation téléphonique comprend-t-on qu'elle ne peut pas compter sur sa famille pour l'aider et qu'elle doit se débrouiller seule, quitte à faire des centaines de kilomètres pour trouver un boulot. Classique aux USA mais pas quand on a une guimbarde pourrie en guise de véhicule ni les moyens de se loger ou de se nourrir décemment.

Outre les efforts de la jeune femme pour sortir la tête de l'eau, retrouver son animal, faire réparer sa voiture, ce que le film scrute, ce sont les gens avec lesquels elle entre en contact. Ceux qui lui tendent une main bienveillante (la majorité d'ailleurs, le film n'est absolument pas misérabiliste, ni aigri, ni haineux et montre que même au pays de l'individualisme-roi, il existe de la solidarité!) et ceux qui jouent les petits chefs zélés pour se faire bien voir de leur patron. De ce point de vue, le film donne un bon aperçu de la diversité du comportement humain face à quelqu'un qui est dans la détresse: malveillance, indifférence ou au contraire solidarité. Le style très minimaliste et le rythme assez lent peuvent rebuter ainsi que la peinture anti-glamour de cette Amérique de la marginalité mais Michelle WILLIAMS est très touchante sans être larmoyante et suscite naturellement l'empathie. Elle est beaucoup plus humaine par exemple que "Rosetta" (1999) à qui on peut penser étant donné leur situation similaire (deux jeunes filles SDF en recherche d'emploi) et le style assez néoréaliste des films. On pourrait d'ailleurs remonter la généalogie jusqu'à "Le Voleur de bicyclette" (1948) comment l'Amérique a adapté à sa géographie et sa société un genre venu d'Europe.

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Cul-de-sac

Publié le par Rosalie210

Roman Polanski (1966)

Cul-de-sac

Après Catherine DENEUVE dans "Répulsion" (1965), Roman POLANSKI a choisi de tourner son troisième film avec sa soeur Françoise DORLÉAC et une partie de l'équipe de "Répulsion" (1965) (même chef opérateur Gilbert TAYLOR, même scénariste Gérard BRACH, même compositeur Krzysztof KOMEDA). Le résultat est par conséquent tout aussi atypique et fascinant. Le thriller à huis-clos est transposé dans un décor naturel grandiose, un château sur la presqu'île de Lindisfarne en Angleterre qui à marée haute se coupe du monde. Quant à l'ambiance, elle n'est pas horrifique comme dans "Répulsion" (1965) mais elle baigne plutôt dans l'humour noir. Personnages improbables et situations absurdes font furieusement penser au "En attendant Godot" de Samuel Beckett. Une référence qui était explicitement assumée dans le premier titre du film "Si Katelbach arrive". Quant aux jeux de rôles sadomasochistes auxquels se livrent les trois personnages principaux issus de classes sociales différentes, ils font penser à du Harold Pinter, dramaturge mais également scénariste, notamment du film "The Servant" (1962) qui explorait une relation dans laquelle les rapports entre le maître et le serviteur s'inversaient. C'est aussi un peu le cas ici mais en mode grotesque. George (Donald PLEASENCE), le propriétaire du château et époux de la très belle, très jeune (et aussi très dénudée) Térésa (Françoise DORLÉAC) est cocu, beaucoup plus âgé, bigleux, chauve, couard, bête et efféminé. Il ressemble à une poupée de chiffons que Térésa s'amuse d'ailleurs à travestir. Elle-même est une allumeuse qui passe son temps à "pêcher" la crevette ou plutôt les apollons des environs et à se moquer ouvertement de son mari (qu'elle a sûrement épousé pour son fric même si cela n'est pas ouvertement dit). Voilà que débarque au beau milieu de ce couple déjà mal apparié un gangster en cavale rustre et patibulaire (Lionel STANDER qui apparemment se comportait aussi mal avec l'équipe qu'avec les personnages dans le film) qui prend ses aises dans le château comme s'il en était le maître. Très misogyne, il méprise voire humilie Térésa (qu'il a vu en pleine action avec un de ses amants), surtout quand elle essaye de prendre le dessus sur lui. Mais son souffre-douleur préféré est bien entendu George même si devant les invités, chacun fait semblant de reprendre la place sociale qui lui revient. Invités qui d'ailleurs sont plutôt des pique-assiette flanqués d'un petit garçon particulièrement insupportable. C'est avec ce film que j'ai réalisé la disposition à la méchanceté du cinéma de Roman POLANSKI que l'on retrouve par exemple dans l'ultra-théâtral "Carnage" (2011).

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Préparez vos mouchoirs

Publié le par Rosalie210

Bertrand Blier (1978)

Préparez vos mouchoirs

En voyant le film, je n'ai pu m'empêcher d'établir des parallèles avec ses contemporains tels que "Le Jouet" (1976) ou encore "La Meilleure façon de marcher (1975) (avec également Patrick DEWAERE). Chacun à leur façon, ces films expriment une révolte profonde contre une société patriarcale et socialement hiérarchisée dans laquelle les jeunes étouffaient, comme si mai 1968 n'avait fondamentalement rien changé. "Préparez vos mouchoirs" fait également penser à deux autres films de Bertrand BLIER. La première partie renvoie à "Les Valseuses" (1974) avec la reformation du duo Gérard DEPARDIEU-Patrick DEWAERE qui fait des étincelles avec des dialogues ciselés aux petits oignons. Celui sur Mozart est d'ailleurs devenu culte. Comme dans "Les Valseuses" (1974), ils se heurtent à l'impossibilité de satisfaire une femme qui soit affiche une mine blasée, soit fait des malaises. C'était d'ailleurs MIOU-MIOU qui devait initialement jouer Solange mais finalement c'est à Carole LAURE qu'est revenu le rôle et elle ne s'en sort pas mal dans le genre "qu'est ce que je m'emmerde et qu'est ce que je vous emmerde". La deuxième partie opère un changement assez radical de ton, même si elle contient encore de nombreuses scènes assez surréalistes. Depardieu et Dewaere y passent au second plan au profit de l'histoire d'amour sulfureuse entre Solange et Christian, un ado de 13 ans joué par RITON. Evidemment le film auquel on pense alors c'est "Beau-père" (1981) étant donné que Bertrand BLIER s'attaque à des sujets qu'il ne pourrait plus aborder aujourd'hui sans être taxé de pédophilie. Pourtant, il y a une incontestable sincérité et une grande sensibilité dans son approche du sujet. Sans doute aussi de la naïveté mais il est incontestable que le gamin dont il raconte l'histoire est en décalage avec à peu près tout et tout le monde (ses parents, les institutions, les "camarades" etc.) et qu'il ne trouve une place que dans la transgression. Conformément à une époque dans laquelle les bourgeois ressemblaient à des morts-vivants dévitalisés par leur carcan puritain et coercitif, la sexualité est vue comme une libération. Il suffit de voir le gros plan sur les porte-jarretelles de la mère de Christian pour comprendre que lorsque le personnage joué par Michel SERRAULT qui vient la secourir après son accident de voiture s'écrie "elle est vivante", il veut dire "elle est encore désirable/désirante", on peut donc encore la sauver. Alors que le père de Christian lui est condamné à finir sénile et en chaise roulante avec un pull tricoté main par Solange: un enterrement de première classe.

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La Ronde de l'aube (The Tarnished angels)

Publié le par Rosalie210

Douglas Sirk (1957)

La Ronde de l'aube (The Tarnished angels)

Quand on parle de la dizaine de mélodrames flamboyants que Douglas SIRK a réalisé à Hollywood dans les années cinquante, on pense aussitôt à l'incroyable polychromie de ses films. Mais "La ronde de l'aube" tout comme "All I Desire" (1953) prouvent qu'il pouvait tout aussi bien sculpter le noir et blanc, comme durant son époque allemande. Réalisé juste après "Écrit sur du vent" (1956) avec le même trio d'acteurs principaux, Rock HUDSON, Robert STACK et Dorothy MALONE, "La ronde de l'aube" fait bien plus penser à "Les Désaxés" (1960) qu'à "Seuls les anges ont des ailes" (1939). Il s'agit d'une tragédie, au sens premier de ce terme puisque les personnages, autodestructeurs, minés par le mal de vivre semblent porter en eux une malédiction. Roger Shumann (Robert STACK), l'aviateur de guerre reconverti en cascadeur de meetings de fête foraines est un addict de l'extrême qui joue avec la mort et semble se moquer de tout le reste. Sa femme, Laverne (Dorothy MALONE) brûle pour lui d'un amour aussi masochiste qu'impossible. Pour tenter de l'éloigner de lui (et se rapprocher de la mort), il ne cesse en effet de l'humilier, sans la décramponner pour autant. Le mécanicien de Roger, Jiggs (Jack CARSON) rêve d'être Roger et brûle d'un amour désespéré pour Laverne qui rejaillit sur le fils de cette dernière Jack (Christopher OLSEN), accusé d'avoir deux pères (ou d'être sans père). Enfin, Burke (Rock HUDSON) le journaliste est fasciné par ces desperados et noie son chagrin de ne pas être aimé de Laverne dans l'alcool. Il tente cependant de protéger celle-ci et Jack du pire alors que Roger qui s'avère plus déchiré qu'il ne le paraît rompt le cercle infernal dans lequel lui et son fils semblaient condamnés à tournoyer au prix de sa vie. William Faulkner considérait que c'était la meilleure adaptation d'une de ses oeuvres.

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J'accuse

Publié le par Rosalie210

Roman Polanski (2019)

J'accuse

Un homme seul en proie à l'hostilité générale pendant les 3/4 du film. Une ambiance de plus en plus pesante au fur et à mesure que la distorsion entre la vérité des faits et le mensonge d'Etat (ou plus exactement le mensonge de l'armée couvert par l'Etat) devient plus manifeste. Des plans anxiogènes sur des rues ou des places désertes filmées en diagonale où l'on craint ce qui peut surgir depuis le fond du cadre. Des autodafés de livres, des vitres de magasins juifs brisées. L'enfermement, encore et toujours quand les fenêtres refusent obstinément de s'ouvrir et quand des policiers en civil guettent au pied de l'immeuble l'homme traqué qui se terre derrière elles. L'espace qui se réduit, le piège qui se referme. Bref, la signature de Roman POLANSKI est partout dans ce film remarquable qui est moins une reconstitution historique qu'un thriller d'espionnage centré sur un personnage clé mais méconnu de l'affaire Dreyfus: le lieutenant-colonel Picquart (Jean DUJARDIN qui habite à merveille le rôle ce qui ne m'a guère surpris). Le film raconte comment alors qu'il avait été promu chef du service de contre-espionnage son enquête impartiale et minutieuse lui permit de découvrir rapidement l'identité du vrai coupable. Mais elle conduisit fatalement à arracher le masque des cadres de l'armée qui sous une surface honorable se comportaient en mafiosi prêts à tout pour étouffer la vérité. Parce qu'il refusa de jouer leur jeu ou plutôt comme il le dit dans l'un des rares moments où il se laissa aller au rire grinçant, leur énorme farce, il dérangea et devint donc l'homme à abattre. Il finit d'ailleurs par partager le sort d'Alfred Dreyfus (Louis GARREL) lorsqu'il fut arrêté et incarcéré pour avoir fabriqué soi-disant une fausse preuve contre Esterhazy (qui était authentique) alors que le lieutenant-colonel Henry (Grégory GADEBOIS) en fabriquait lui une de toutes pièces pour accabler Dreyfus*. L'ironie suprême de l'histoire, c'est que le lieutenant-colonel Picquart, en homme de son temps croyait aux valeurs de l'armée et partageait donc leur antisémitisme lequel infusait d'ailleurs dans toute la société française et la majorité des médias. En revanche, il ne partageait pas leurs penchants pour les compromissions et c'est ce qui finit par le faire tomber dans le camp des dreyfusards, lesquels n'apparaissent que dans la dernière partie du film avec à leur tête Georges Clémenceau (alors directeur du journal "l'Aurore" dans lequel paraît la tribune "J'accuse") et Emile Zola, écrivain si assoiffé de justice et de vérité qu'il en fera les titres de deux de ses quatre évangiles ("Vérité" raconte d'ailleurs l'affaire Dreyfus de façon à peine voilée). Roman POLANSKI souligne particulièrement l'injustice faite à ces hommes avec les condamnations de Dreyfus, Picquart puis Zola, il montre également le lien entre le mensonge institutionnel et en toile de fond la pression populaire et médiatique même si c'est la solitude de l'homme présumé coupable qui domine le film.

* La distribution convoque pas moins de huit sociétaires de la Comédie française! Par ailleurs l'histoire de la vraie preuve que l'on fait passer pour fausse et des faux documents fabriqués pour être présentés comme de vraies preuves renvoient à la réflexion de George Orwell dans "1984", aux négationnistes, faussaires de l'histoire et aujourd'hui aux fake news et autres "faits alternatifs".

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Mademoiselle (Ah-ga-ssi)

Publié le par Rosalie210

Park Chan-Wook (2016)

Mademoiselle (Ah-ga-ssi)


PARK Chan-wook devrait méditer la phrase de Mme de Merteuil dans "Les Liaisons dangereuses" selon laquelle l'amour et la vanité sont incompatibles. "Mademoiselle" veut en effet jouer sur les deux tableaux ce qui le rend au final étrangement bancal. D'un côté une mise en scène calculée au millimètre près, un scénario manipulateur avec retournements de situation et une complaisance prononcée pour la violence insoutenable et les scènes de sexe lesbien (qui même si elles sont filmées avec plus de sensualité et ont plus de sens que chez Abdellatif KECHICHE proviennent du même fond bassement commercial). De l'autre, les élans spontanés des deux actrices, toutes deux formidables, particulièrement KIM Tae-ri dans le rôle de la fougueuse servante Sook-hee. Toutes les scènes où elle rue dans les brancards sont justes formidables avec en point d'orgue la destruction de la bibliothèque perverse du tyran tortionnaire Kouzuki (CHO Jin-woong) et sa fuite dans les champs avec la "princesse" Hideko libérée de son esclavage sexuel doré (KIM Min-hee). Mais à l'image du tyran Kouzuki, cet élan est presque aussitôt coupé par des scènes sanglantes et sordides totalement gratuites même si quelques touches d'humour bien senties viennent alléger l'ensemble. Visiblement le créateur veut garder le contrôle de sa créature jusqu'au bout et castre ainsi son récit. C'est dommage car le beau récit d'émancipation féminine qu'aurait pu être "Mademoiselle" dont on a à juste titre souligné les nombreuses qualités formelles (la photographie notamment sans parler des décors et des costumes grandioses) est parasité par toute cette perversité, les contradictions des deux femmes tiraillées entre leur calcul initial et la passion qui les anime devenant celles du film lui-même. Je terminerai cette critique avec deux citations issues d'autres avis que je rejoins complètement: "je préfère les cinéastes intègres aux cinéastes escrocs" et "féministe et racoleur mais surtout racoleur". Hélas.

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Les fraises sauvages (Smultronstället)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1957)

Les fraises sauvages (Smultronstället)

Bien que "Les Fraises sauvages" soit tenaillé comme nombre de films de Ingmar BERGMAN par la contradiction entre pulsion de vie et pulsion de mort, c'est sans doute l'un de ses films les plus accessibles, l'un des plus humains et l'un des plus optimistes aussi. Bien que le personnage principal, Isak Borg (dont les initiales renvoient comme un miroir à un autoportrait déguisé du cinéaste) soit décrit comme un fossile fâché avec la vie, tourmenté par de terribles cauchemars et de pénibles souvenirs, c'est le mouvement de la vie qui l'emporte. Plutôt que de prendre l'avion pour rejoindre Lund où doit se tenir la cérémonie de son jubilé, il a l'idée salvatrice de faire le trajet en voiture. Trajet ponctué de rencontres symboliques qui apparentent le film a un road-movie avant la lettre. Isak est accompagné par sa belle-fille Marianne (Ingrid THULIN) qui est elle-même tiraillée entre son amour pour Evald, le fils d'Isak qui s'avère être son double rajeuni et l'horreur que lui inspire les difficultés à vivre et à aimer de la famille Borg qui flirte ouvertement avec les tombeaux. Ils croisent d'abord un joyeux trio d'auto-stoppeurs qui représente la part lumineuse de la vie d'Isak, quand il était jeune et amoureux de sa cousine Sara qui lui a préféré son frère moins guindé, Sigfried. L'auto-stoppeuse s'appelle d'ailleurs elle-même Sara et elle est jouée par la même actrice, Bibi ANDERSSON. Avec eux, c'est la vie et la lumière qui entrent dans la voiture et on pense forcément aux baladins du film "Le Septième sceau" (1957). Mais peu de temps après, ils manquent se faire renverser par un couple en crise, rempli de haine l'un envers l'autre que Marianne a la bonne idée de chasser hors de la voiture avant qu'ils ne les contaminent de leur fiel. Si Isak a raté sa vie sentimentale en perdant les femmes de sa vie à force de les mettre à distance, Marianne espère encore sauver son mariage avec Evald et parvenir à le rattacher à la vie avec l'enfant qu'elle porte. Et Isak d'essayer de sauver ce qui peut l'être pour adoucir le temps qui lui reste à vivre. La magnifique prestation de Victor SJÖSTRÖM, grand réalisateur scandinave au temps du muet dans le rôle de Isak confère au personnage une grande humanité et le rend infiniment attachant en contradiction avec la mauvaise image qu'il véhicule auprès de son entourage. Il faut voir ses traits s'affaisser quand Marianne lui dit que son fils le hait ou au contraire s'éclairer quand Sara l'auto-stoppeuse lui procure spontanément de l'affection.

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