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Le Fils préféré

Publié le par Rosalie210

Nicole Garcia (1994)

Le Fils préféré

Je ne suis pas très fan des films de Nicole GARCIA. Si je devais résumer en quelques mots ce que j'en pense, je dirais que c'est une vision du monde étriquée de "bourgeois coincé". Tels des mannequins de papier glacé, les hommes évoluent en costard-cravate et les femmes en chignon et tailleur dans les halls et chambres de superbes hôtels ou dans le salon de belles maisons d'architecte. Ils semblent plus poser que jouer, rien ne parvenant à les émouvoir vraiment. En dépit des efforts de la réalisatrice pour varier un peu dans son deuxième film, "Le Fils préféré" le panel géographique, sociologique et même sexuel de ses protagonistes, cette impression persiste. Il faut dire que ces variations n'ont lieu qu'à la marge. Il faut attendre la fin du film pour que l'identité du père (petit immigré italien inculte) s'incarne enfin à l'image avec le combat de boxe (enfin de la sueur, du sang, des larmes!) alors que le frère aîné homosexuel, Francis, joué par un Bernard GIRAUDEAU excellent comme d'habitude est totalement sous-exploité. Il ne semble là que pour offrir une touche gay-friendly dans un monde hétéro-macho dominant. Le frère cadet, Philippe est transparent (les Inrocks vont jusqu'à comparer la prestation de Jean-Marc BARR à celle d'un topinambour cuit à l'eau). Reste le troisième frère et protagoniste principal, Jean-Paul. Si je n'apprécie pas particulièrement les mines renfrognées de Gérard LANVIN (complice par ailleurs de Bernard GIRAUDEAU depuis "Les Spécialistes") (1985), Nicole GARCIA lui offre une belle partition qui lui permet de nuancer son jeu d'autant qu'il est souvent filmé en gros plan ce qui permet de saisir l'évolution de son personnage face à ce qui s'avère être au final une enquête sur l'énigme de sa naissance, énigme qui fait de lui un être bien plus instable et tourmenté que ses frères, paisibles et rangés.

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A l'est d'Eden (East of Eden)

Publié le par Rosalie210

Elia Kazan (1955)

A l'est d'Eden (East of Eden)

« Caïn se retira de devant l'Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l'est d'Éden. » Genèse (4;16). Cette citation de la Bible donne son titre au film, adapté d'une partie du livre éponyme de John Steinbeck. L'histoire se focalise sur une famille de propriétaires terriens dysfonctionnelle et plus précisément sur les deux fils jumeaux, privés de mère et élevés sans amour par un père rigoriste, Aaron et Caleb (allusion transparente à Abel et Caïn). Alors qu'en atteignant l'âge adulte, Aaron est devenu en tous points la copie conforme de son père qui de ce fait éprouve de la fierté pour lui, Caleb est au contraire rejeté parce qu'il ne parvient pas à entrer dans les cases, à s'adapter. Il n'y parvient tellement pas d'ailleurs que les cadrages adoptent son point de vue et se font obliques, soulignant qu'il y a quelque chose qui va de travers dans cette famille. Caleb comme n'importe quel enfant à la fois endoctriné par le manichéisme de la morale religieuse et carencé affectivement rejette la faute sur lui et se croit mauvais. Sauf que plus le film avance et plus on découvre que ce qui va de travers, ce n'est pas lui mais bien ceux qui l'entourent, à commencer par son père. L'évolution psychologique de la petite amie de Aaron, Abra (Julie HARRIS) qui au contact de Caleb libère sa propre souffrance en est un des marqueurs les plus évidents. Aaron l'idéalise en tant que future mère alors qu'ils ne savent ni l'un ni l'autre de quoi il s'agit, ayant été tous deux eu la même carence de base. Mais il est impossible de discuter avec Aaron qui est aussi rigide que son père. C'est un sursaut de vitalité qui la fait se rapprocher de Caleb (qui pourtant lui fait peur) avec qui elle peut parler. Un autre élément important qui permet à Caleb de sortir de son isolement est la rencontre avec sa mère, une femme indépendante et "indigne" (au sens où elle a abandonné mari et enfants pour devenir la tenancière d'une maison close) en tous points opposée au père et à ce qu'il représente (le patriarcat). Néanmoins il est frappant de constater que le seul mode d'échange possible avec elle comme avec le père est de l'ordre de la transaction financière. La différence étant qu'elle accepte franchement (et cyniquement) d'exploiter son semblable pour s'enrichir alors que le père réagit hypocritement lorsque Caleb veut lui prouver son amour par l'argent qu'il a gagné en faisant du profit sur la guerre (l'histoire se déroule en 1917). Il le rejette alors que lui-même vit pourtant également des rouages mortifères du conflit.

Evidemment, la puissance de ce récit aux accents lyriques* n'aurait pas été la même sans ce qui a projeté le jeune prodige de l'Actors studio, James DEAN à qui le film reste à jamais associé. C'était son premier grand rôle au cinéma et il bouffe d'emblée l'écran. A l'image de son personnage, il se démarque complètement des autres acteurs par sa manière de se tenir, d'occuper l'espace, d'exprimer les émotions. Caleb et lui ne font qu'un, pas seulement parce que c'était l'esprit de la méthode co-fondée par le réalisateur Elia KAZAN mais tout simplement parce que James DEAN avait connu la même configuration familiale et souffrait donc des mêmes tourments que Caleb. Cela lui était naturel. C'est ce qui fait entrer James DEAN dans l'éternité comme toute personne qui parvient à projeter son âme dans une oeuvre d'art. John Steinbeck et Elia KAZAN ont également projeté leur propre relation conflictuelle vis à vis de leur père dans leur oeuvre, renforçant son aspect autobiographique (on reconnaît aussi la marque de Kazan à travers les allusions aux persécutions subies par l'émigré allemand, Kazan étant lui-même un émigré).

* L'usage de la couleur et du Cinémascope magnifient particulièrement les paysages champêtres dans lesquels évoluent les personnages, exaltant ainsi leurs sentiments.

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Pale Rider-Le Cavalier solitaire (Pale Rider)

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (1985)

Pale Rider-Le Cavalier solitaire (Pale Rider)

Le générique de "Pale Rider", le troisième des quatre westerns réalisés par Clint EASTWOOD* alors que le genre était moribond est un modèle d'épure cinématographique en plus d'être un film sur les origines de l'Amérique. Dès le générique, alors qu'aucun mot n'a encore été prononcé, le spectateur a déjà saisi l'enjeu principal du film à savoir celui de la lutte entre deux conceptions opposées du monde grâce au principe du montage alterné. D'un côté, une communauté de petits prospecteurs qui vit en harmonie avec la nature ce que souligne une bande son paisible. De l'autre, le bruit et la fureur des mercenaires envoyés par le magnat Coy LaHood (Richard DYSART) pour terroriser les villageois et les faire partir afin que ce dernier puisse faire main-basse sur leurs terres. C'est l'histoire de la lutte entre les petits entrepreneurs indépendants et les trusts qui en dépit des lois votées par les gouvernements dans la deuxième moitié du XIX° pour tenter de les dissoudre ont largement façonné le capitalisme américain. Une lutte sociale bien sûr mais aussi une lutte écologique. L'entreprise de Coy LaHood est montrée comme prédatrice aussi bien sur les hommes (les raids sur le village, la tentative de viol sur Megan par le fils LaHood joué par Chris PENN) que sur la nature: paysages défoncés, eaux détournées, pollutions etc.

Pour arbitrer cette lutte entre deux directions possibles pour une Amérique alors en construction propre à la mythologie du western, Clint EASTWOOD choisit non pas une dimension civique comme l'aurait fait John FORD mais une dimension mystique. Son personnage énigmatique est un fantôme revenu d'entre les morts à la suite de la prière de Megan (Sydney PENNY) dans la forêt qui demande qu'un miracle vienne la sauver, elle et l'ensemble des villageois. Le caractère biblique du personnage ne fait pas de doute, il apparaît aux yeux de Megan et de sa mère alors que la première récite un extrait de l'Apocalypse: " Et voici que parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait "la Mort", et l'enfer l'accompagnait." Cette figure d'ange de la mort provient également des légendes païennes convoquées par la prière de Megan dans la forêt tout comme le "prêcheur" (nouvel avatar de "l'homme sans nom") s'avère être un impitoyable justicier qui règle des comptes personnels tout en insufflant aux villageois la force qui leur manque pour tenir tête à leurs adversaires corrompus. Sur un plan plus intime, il travaille de même à souder Hull Barrett (Michael MORIARTY), Sarah (Carrie SNODGRESS) et Megan en se servant du désir qu'il suscite auprès de ces deux dernières. J'aime beaucoup cette ambivalence du sauveur, son aspect très masculin mais son apparition due à la magie féminine, son comportement individualiste et en même temps le fait qu'il prend la défense des plus faibles et de la nature, son détachement vis à vis des passions terrestres et en même temps la caractère impitoyable de ses actes. L'économie de gestes, l'économie de mots, le hiératisme de la haute figure du prêcheur lui confèrent un charisme directement héritée des films de Sergio LEONE qui renforce sa dimension surnaturelle.

* Que beaucoup considèrent comme se situant dans la continuité des précédents voire de toute sa carrière dans le western et comme une relecture moderne de "L'Homme des vallées perdues" (1953) à qui il emprunte la plupart de ses thèmes et motifs mais auxquels il donne une direction différente.

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Je préfère qu'on reste amis...

Publié le par Rosalie210

Eric Toledano et Olivier Nakache (2005)

Je préfère qu'on reste amis...

"Je préfère qu'on reste amis..." est le premier long-métrage du duo formé par Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE. Il m'a paru manifeste que les deux hommes se cherchent, tant sur le plan thématique que sur le plan formel. Par conséquent le résultat est assez impersonnel et inabouti, sans rapport avec ce qu'ils feront par la suite. L'histoire n'a rien d'original et le tandem de contraires formé par le petit gris incapable de s'affirmer joué par Jean-Paul ROUVE et le séducteur combinard sur le retour joué par Gérard DEPARDIEU non plus. Outre que ce dernier commençait déjà à être trop vieux pour le rôle (on est loin de son abattage chez Bertrand BLIER ou chez Francis VEBER), son personnage est mal défini, les différentes pièces du puzzle qui le composent n'allant pas ensemble. Il en va de même avec l'intrigue, maladroitement menée et qui se disperse dans de nombreuses directions sans en approfondir une seule. On voit passer de très nombreux personnages, notamment féminins qui ne restent que quelques minutes à l'écran alors qu'il y aurait de quoi faire dix films avec! Si bien que celui-ci finit par ressembler à une juxtaposition de scénettes avortées sur les différents moyens modernes de rencontrer l'âme-soeur: agence matrimoniale, speed dating, écumage des bars et des cérémonies de mariage. La fin est la pire puisqu'alors qu'on croit que le film va enfin décoller pour aller quelque part, il se termine sur une voie sans issue encore plus frustrante que le reste. De plus à l'heure du numérique (et du Covid), tout cela paraît maintenant d'autant plus daté.

Le seul véritable intérêt que j'ai trouvé à ce film réside dans le fait qu'on y voit deux actrices de talent qui ont disparu depuis: Annie GIRARDOT qui est assez confuse (elle était déjà atteinte de la maladie d'Alzheimer ce qui est aussi le cas de son personnage mais elle n'est plus vraiment en état de jouer et cela fait de la peine de la voir ainsi) et Valérie BENGUIGUI qui s'est ensuite fait un nom avec "Le Prénom" (2011) peu de temps avant d'être emportée par un cancer. Toutes deux n'apparaissent cependant que le temps de quelques scènes, à l'image des autres personnages féminins du film.

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Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1955)

Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende)

Alors que Ingmar BERGMAN est perçu comme un cinéaste austère réalisant des films ésotériques, c'est paradoxalement avec une comédie légère située à la Belle Epoque qu'il a rencontré le succès international au milieu des années cinquante. Pourtant c'est pour échapper à des idées suicidaires qu'il a réalisé "Sourires d'une nuit d'été" (d'ailleurs si on est attentif, des traces de cet esprit suicidaire demeurent dans la comédie: le père et son rival qui "jouent" à la roulette russe, le fils qui tente de se pendre) comme le faisait également Billy WILDER*. De fait le film qui est virevoltant et plein d'esprit avec des dialogues particulièrement percutants se place sous un double héritage. D'une part celui du théâtre, première passion de Ingmar BERGMAN (Shakespeare évidemment, c'est d'ailleurs limpide dans le choix du titre qui adapte la nuit d'été au jour permanent qui règne la nuit de la Saint-Jean dans le grand nord scandinave mais aussi Marivaux et Beaumarchais), d'autre part la screwball comédie du remariage américaine dans lesquelles les femmes mènent les hommes par le bout du nez. De fait le pauvre avocat Fredrick Egerman (Gunnar BJÖRNSTRAND) dont les agissements sont dictés par un souci permanent de respectabilité ne cesse de se faire ridiculiser: par sa jeune épouse, Anne (Ulla JACOBSSON), qui se refuse à lui avant de s'enfuir avec son fils Henrik (Björn BJELVENSTAM) et par sa maîtresse, Désirée (Eva DAHLBECK) qui le met en présence d'un rival, le comte Malcolm (Jarl KULLE) le contraignant à fuir dans la chemise de nuit dudit rival après qu'il soit tombé à l'eau devant elle. Mais Désirée avec la complicité de Charlotte (Margit CARLQVIST), l'épouse du comte Malcolm qui désire se venger des infidélités de son mari se joue également de l'officier pour mieux ferrer son poisson d'avocat. A ces chassé-croisé libertins entre aristocrates et bourgeois, il faut ajouter l'inévitable soubrette peu farouche, Petra (Harriet ANDERSSON) qui a pour mission de déniaiser Henrik avant qu'il n'effectue le grand saut de la conjugalité. Car cette comédie friponne qui débride les désirs par le biais d'un vin aphrodisiaque et d'un système de lit pivotant et de cloison coulissante qui permet de passer d'une chambre à l'autre accouche au final d'une remise en ordre très conservatrice, chacun finissant dans les bras de la chacune qui lui correspond le mieux en terme d'âge et de classe sociale.

* " Quand je suis très heureux je réalise des tragédies, quand je suis déprimé je fais des comédies. Pour "Certains l'aiment chaud" (1959) j'étais très déprimé, suicidaire."

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Les Doors (The Doors)

Publié le par Rosalie210

Oliver Stone (1991)

Les Doors (The Doors)

Bien que plus délicat à manier que d'autres genres, celui du biopic peut accoucher de grands films. Cependant il faut pour cela au minimum que l'artiste évoqué soit incandescent (au sens d'un artiste qui "brûle encore" en nous), que celui qui l'interprète le soit également et que le réalisateur soit particulièrement inspiré. Le film de Oliver STONE réunit ces conditions. Il s'agit d'ailleurs d'un projet très personnel noué lors de la guerre du Vietnam quand les jeunes recrues se droguaient et écoutaient les Doors pour oublier leur peur de la mort comme dans la magistrale ouverture de "Apocalypse Now" (1979) sur "The End". Oliver STONE était l'un d'eux et idolâtrait celui qui s'était construit (ou déconstruit?) dans le rejet d'être le fils d'un amiral de la marine américaine. Pourtant, s'il est incontestable que "les Doors" est centré sur la figure messianique de Jim MORRISON qui offre à ses proches des cachets de LSD comme s'il s'agissait d'hosties, il ne l'idéalise pas pour autant. L'une des grandes réussites du film est de faire ressentir au spectateur la profonde ambivalence du génie au visage d'ange mais au corps habité par la diable. La figure éminemment rimbaldienne qu'est Jim MORRISON qui va jusqu'à citer littéralement l'une des phrases les plus connues du célèbre poète français "Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens" a tout du poète maudit. Ses trips psychédéliques remplis de références littéraires et de mysticisme virent au cauchemar sataniste et à l'autodestruction programmée, ravageant tout ce (et tous ceux) qui se trouvent sur son passage: sa petite amie (pauvre Pamela-Meg RYAN écrasée par le narcissisme monstrueux de celui qui proclame en toute modestie être le nouveau Dionysos), les membres du groupe, les managers etc. Le film retranscrit avec beaucoup de puissance ces transes chamaniques, individuelles et collectives, Jim MORRISON (et son interprète complètement habité, Val KILMER) entraînant dans son sillage des foules déchaînées dans ce qui s'apparente à des grands-messes païennes (du type sabbat de sorcières). Autre aspect fondamentalement réussi du film, sa façon de retranscrire l'esprit d'une époque, celle de l'affrontement entre la jeunesse contestataire et les institutions conservatrices de l'Amérique prêtes à dégainer le big stick face aux débordements subversifs du power flower, notamment en matière de liberté sexuelle. Les provocations du "Roi-lézard" (autre titre dont s'était affublé Jim MORRISON) qui refuse de censurer ses textes dans les émissions coincées du style "The Ed Sullivan Show" sont jouissives, ses démêlés avec la police et la justice eux sont glaçants, notamment le gaz lacrymogène reçu dans les yeux pour attentat à la pudeur. Le film lui se permet un corps à corps avec l'artiste. Au détriment certes des autres membres du groupe qui sont renvoyés dans l'ombre. Mais il ne s'agit pas d'un documentaire non plus, plutôt d'une évocation, voire d'une invocation. Et c'est réussi.

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Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Tong nien wang shi)

Publié le par Rosalie210

Hou Hsiao-hsien (1985)

Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Tong nien wang shi)

Avec un titre occidental qui fait penser au roman de Erich Maria Remarque "Le temps de vivre et le temps de mourir" adapté par Douglas SIRK sous le titre "Le temps d'aimer et le temps de mourir", le film de HOU Hsiao-Hsien intrigue. Il intrigue aussi par ce qu'il nous montre: Taïwan comme lieu d'un déracinement symbolisé par la maison de style japonais* dans laquelle vit la famille de Ah-hsiao, réfugiée sur l'île depuis 1948. L'ambivalence de l'exil y est bien montrée. Dans les premières années, les parents refusent véritablement de s'installer et la grand-mère, de plus en plus rongée par la maladie d'Alzheimer ne pense qu'à rentrer au pays, ne parvenant pas à se configurer Taïwan comme une île. Parallèlement, les échos des ravages du Grand Bond en avant leur font regretter de ne pas avoir pris davantage de membres de leur famille avec eux alors qu'ils sont déjà très nombreux et très pauvres. Et la mise en scène, faisant écho à un besoin d'ancrage ne cesse de revenir sur les mêmes lieux, les mêmes plans déclinés cependant en une infinité de variations selon qu'il fait jour ou nuit, soleil ou pluvieux, ou encore selon l'époque racontée.

Adoptant le style d'une chronique de souvenirs d'enfance (le titre du film en VO est "l'histoire de mon enfance") sans véritables enjeux dramatiques (du moins apparents), le film de HOU Hsiao-Hsien fait partie d'une série largement autobiographique. Il se divise en deux parties, chacune se concluant sur la mort d'un membre de la famille: d'abord le père quand Ah-hsiao a une dizaine d'années, puis celle de la mère quand il est adolescent suivie de sa grand-mère. Ce qui frappe le spectateur, c'est la volonté manifeste de distanciation vis à vis de ce que le cinéaste raconte et qui lui est pourtant très proche. Il y a dans cette démarche un travail de deuil manifeste, vu l'instance à nous montrer les corps privés de vie de ceux qui furent ses géniteurs et qui constituent autant de moments traumatiques retravaillés par la mémoire (le regard lourd de reproches d'un employé des pompes funèbres devant le corps laissé trop longtemps à l'abandon de la grand-mère, le cri déchirant de la mère lors de la veillée funèbre du père etc.). Il y a aussi la volonté d'éclairer cette enfance avec un regard adulte. L'espace extrêmement compartimenté de la maison mais aussi le découpage fait ressortir à quel point chaque personnage est isolé des autres, à quel point la circulation (des paroles, de l'affection) est entravée, à quel point chacun est finalement très seul. La froideur et la lenteur qui se dégage d'un film elliptique et contemplatif peuvent d'ailleurs rebuter. L'ouverture et l'épilogue du film se répondent: l'indifférence de Ah-hsiao aux appels de sa grand-mère qui le cherche fait écho au fait que sa famille ne s'apercevra de sa mort que lorsque le travail de décomposition aura commencé à faire son oeuvre. L'asthme du père s'avère être en fait la tuberculose qui comme pour la mère et la grand-mère, imprime sa marque sur les surfaces de la maison. La soeur aînée a dû sacrifier ses études et la cadette est morte de négligence au profit d'un fils adoptif appelé (ironiquement?) King. Bref alors que dans la première partie, Ah-Hsiao semble être un enfant tout ce qu'il y a de plus espiègle, adepte des antisèches et des 400 coups, il se mue en petit chef de bande sauvage et taciturne, la privation de repères s'accentuant au fil des décès**.

* Comme nombre d'îles (je pense par exemple à la Sicile), Taïwan a subi plusieurs occupations étrangères et en a gardé les stigmates culturels.

** De ce point de vue, le film offre un démenti cinglant à tous ceux qui pensent que la solution à la crise que nous vivons actuellement est l'immunisation collective (sous-entendu le sacrifice des aînés inutiles au profit des jeunes productifs). Le résultat ne serait qu'un immense traumatisme qui priverait les êtres humains à la fois de passé et d'avenir. 

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Sonate d'automne (Höstsonaten)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1978)

Sonate d'automne (Höstsonaten)

"Sonate d'automne" fait partie des affrontements à huis-clos particulièrement éprouvants qu'affectionnait Ingmar BERGMAN. Il y interroge (magistralement) la relation mère-fille(s) dans ce qu'elle peut avoir de plus sombre, de plus aliénant, tant d'un côté que de l'autre. Et ce au final sans jugement. On est plutôt dans la philosophie de Jean RENOIR "Chacun a ses raisons". Je ne sais si c'était une volonté délibérée de Ingmar BERGMAN ou si c'est le jeu de sa compatriote qu'il fait tourner pour la première (et dernière) fois, Ingrid BERGMAN plus connue pour les rôles hollywoodiens de ses jeunes années que pour celui de la femme vieillissante à qui sa fille, Eva (Liv ULLMANN) demande de rendre des comptes "sur le tard". Plus l'affrontement entre ces deux femmes gagne en intensité jusqu'à l'étouffement, plus on constate leur incapacité fondamentale à communiquer et à ressentir, chacune restant enfermée dans sa prison intérieure qui les condamne à une solitude absolue. Ce que le spectateur constate également en effet, c'est la reproduction de la même stratégie d'évitement (de la vie) de génération en génération. Charlotte, la mère s'est réfugiée dans sa carrière de pianiste et dans son jeu d'actrice consommée du lien social pour masquer son incapacité à donner de l'amour à ses enfants. Incapacité liée au fait qu'elle n'a elle-même pas reçu d'amour et qu'elle en est donc restée sur ce plan à un stade infantile, espérant même renverser les rôles en réclamant que sa fille lui en donne. Ses carences se remarquent également dans le fait qu'elle a oscillé toute sa vie entre une conduite d'évitement (qui se reproduit à la fin du film) et des exigences de perfection aliénantes que l'on retrouve même dans son jeu au piano tout en contrôle et en retenue. Besoin de contrôle qui se paye par des maux psychosomatiques. Eva, la fille qui est filmée au début et à la fin de la même façon (observée de loin par son mari, seule au piano dans un surcadrage accentuant sa solitude et son enfermement) semble ne jamais avoir accédé au statut d'adulte. Ses propos, son maintien, ses tenues, ses tresses font d'elle une éternelle petite fille "pleurnicheuse" (selon sa mère) c'est à dire perpétuellement en demande. Et lorsque toutes ses rancoeurs finissent par sortir de sa bouche, cela ressemble à une régurgitation assez vaine puisqu'elle reste scotchée à une mère qui est un arbre mort (comme le suggère la séquence de fin). A cause de cette fixation maladive sur le ressentiment qu'elle éprouve envers sa mère, Eva ne peut ni donner d'amour, ni donner la vie puisqu'elle a avorté d'une première relation puis perdu le fils qu'elle avait eu avec son mari qui par son âge avancé et son regard rempli de compassion ressemble davantage à un père (il est pasteur). Eva s'est d'ailleurs réfugié dans un mysticisme qui ressemble à un refus de faire le deuil de ce fils et qui contribue à l'impression de temps figé que véhicule le film. Pour le remplacer, Eva a accueilli chez elle sa soeur handicapée, Héléna qui symbolise en mode "brut" les dégâts de l'abandonisme de leur mère puisque ne pouvant ni parler ni marcher, elle en est réduite à hurler son besoin que sa mère s'occupe enfin d'elle (il y a aussi un peu du complexe d'Electre là-dedans -au sens de séduire le père pour se substituer à la mère- comme on le découvre par la suite). La présence d'Héléna est une façon de matérialiser le mal qui ronge Eva et de maximiser la culpabilité de leur mère, laquelle comprend lorsque Eva l'évoque pour la première fois qu'elle a été "piégée" rendant tout réconciliation impossible.

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Joker

Publié le par Rosalie210

Todd Phillips (2019)

Joker

"Joker" est l'archétype du film roublard. Il s'agit d'un film mainstream (couronné d'ailleurs par un immense succès critique et public) de 2019 qui se fait passer pour un film anti système en recyclant habilement les films américains contestataires des années 70, "Taxi Driver" (1976) en tête*. Sauf qu'on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Certes, "Joker" épouse le point de vue du psychopathe comme le faisait Martin SCORSESE avec Travis Bickle. Mais celui-ci s'avérait être un pur produit des pires travers de la société dont il était issu ce qui tempérait largement son potentiel statut de victime de cette même société et c'est non sans ironie que celle-ci en faisait son héros après qu'il ait "nettoyé" la ville dans le sang. Arthur nous est presque présenté comme un "innocent", extérieur à la société dans laquelle il vit. A force de subir les pires avanies (de sa mère, des Wayne et de leurs employés, du présentateur qu'il admire, des institutions qui coupent les crédits des soins dont il a besoin, de ses collègues et de son patron) il "pète les plombs" et se transforme en justicier vengeur mais ce n'est pas de sa faute, c'est les autres (le film reste bien flou d'ailleurs sur les responsabilités politiques des coupes sociales qui ont commencé dès qu'il a fallu financer la guerre du Vietnam). Il finit donc à l'asile au lieu d'être intégré ce qui aurait été autrement plus subversif. La mécanique binaire de son comportement est outrancièrement surlignée (toi tu es gentil avec moi je t'épargne mais toi tu es méchant, je te massacre avec une complaisance pour la violence qui me déplaît profondément) ne laissant aucune place à une quelconque profondeur. Quant au genre adopté par le film, celui du "drame social", il sonne faux parce que là encore il est outrageusement simplifié: d'un côté les Wayne dans leur manoir, de l'autre le futur Joker dans son taudis. Quand la seule "solution" proposée est que les pauvres tuent les riches, on est dans la même logique que dans "Batman - The Dark Knight Rises" (2012): ne montrer que l'aspect néfaste des révolutions socialistes pour terroriser et ainsi conforter le conservatisme ambiant. Le one man show de Joaquin PHOENIX est suffisamment fascinant pour dissimuler cette béance de véritables enjeux. Quant à le comparer à la performance de Heath LEDGER cela relève de la malhonnêteté tant les films diffèrent: ce dernier était intégré à un vaste ensemble architectural à la Christopher NOLAN et n'apparaissait que sporadiquement alors que "Joker" repose tout entier sur les épaules de son interprète qui est de tous les plans.

Je continue à penser que la magie du cinéma repose au moins en partie sur une bonne dose de mystère. Des angles morts, des creux, du hors-champ qui laisse du champ au spectateur pour combler s'il le souhaite ces non-dits, ces non-filmés avec sa propre interprétation, sa propre imagination. Or le système des franchises est en train de tuer cette partie vitale du cinéma et ce n'est pas "Joker" qui me fera changer d'avis. L'aspect commercial est certes central dans cette démarche mais elle n'explique pas tout. Il y a une frénésie de contrôle qui n'a plus de limites comme le montre l'exemple de la saga des "Animaux fantastiques" qui s'avère être un prétexte pour éclairer le spectateur (qui n'a rien demandé) sur les moindres détails de la jeunesse de Dumbledore, son duel avec Grindelwald etc. Même chose avec "Star Wars" dont on nous annonce une énième trilogie qui décortiquera la jeunesse de Yoda et ce en dépit du ratage de "Solo: A Star Wars Story" (2018) qui tentait d'en faire de même avec Han Solo. "Joker" se situe dans cette continuité, il est d'ailleurs question d'en faire une trilogie.

* Même si la présence de Robert De NIRO dans le rôle du présentateur est une allusion à un autre film de Martin SCORSESE, "La Valse des pantins" (1983) .

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Mystery Train

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (1989)

Mystery Train

"Mystery Train", tout comme le film suivant de Jim JARMUSCH, "Night on earth" (1991) se compose de sketches. Pas ma forme préférée mais l'élégance de la mise en scène qui tourne en rond autour des mêmes lieux et utilise des leitmotivs visuels permet de se laisser embarquer dans ce voyage immobile insolite dans lequel divers personnages se croisent. Voyage de par le cosmopolitisme des acteurs (japonais, italien, américains) et les moyens de transport utilisés pour arriver ou repartir de la ville (le motif du train, tiré d'une chanson de Elvis PRESLEY dont l'ombre plane sur le film est dominant mais il y a aussi la voiture et l'avion). Immobile car les personnages convergent tous vers le même hôtel minable et se retrouvent enfermés dans des chambres mitoyennes. Insolite car auparavant, on les voit déambuler dans des rues désertes et bordées de maison décrépites comme si Memphis était une ville abandonnée, une ville fantôme (ce n'est pas faux d'ailleurs car j'y suis allée et j'en garde un souvenir glauque). "Mystery Train" est un film sur le vertige du vide. Le couple de jeunes touristes japonais venu en pèlerinage sur les traces du "King" Elvis découvre qu'il se réduit à quelques "signes" dérisoires (un studio impersonnel, un portrait dans les chambres d'hôtel, une chanson à la radio) que l'on pourrait retrouver dans n'importe quelle ville. L'italienne qui vient de perdre son mari et attend le départ de l'avion qui doit rapatrier sa dépouille rencontre le fantôme du King au passage (un moment que j'ai trouvé un peu faible). Elle partage sa chambre avec une jeune femme qui vient de se séparer de son ami. Lequel apparaît dans le troisième sketch comme un loser qui vient de perdre son travail et s'embarque avec son beau-frère et un ami à eux dans une virée calamiteuse. Le seul élément de stabilité du film qui est aussi un moment sympa d'humour pince-sans-rire se trouve dans la réception de l'hôtel tenue par Screamin Jay HAWKINS et Cinqué LEE (frère cadet de Spike LEE) qui restent imperturbables face au défilé de leurs improbables clients. Jim JARMUSCH est fidèle aux mêmes acteurs, sa troupe allant en s'élargissant au fur et à mesure de l'avancée de sa filmographie. On remarque également l'omniprésence des musiciens rock et blues dans le casting de ses premiers films, ce qui est d'autant plus pertinent avec un film consacré à Elvis même si c'est sur le mode "I'm not there". Outre Screamin Jay HAWKINS ("I'll put a spell on you" était le titre récurrent de "Stranger than paradise") (1984), on retrouve Tom WAITS (on ne le voit pas mais on entend sa voix à la radio), Joe STRUMMER le chanteur des Clash, Masatoshi NAGASE (qui revient à la fin de "Paterson") (2016). Bien que n'appartenant pas à ce cercle, on retrouve aussi Nicoletta BRASCHI, la femme de Roberto BENIGNI déjà vue dans "Down by Law" (1986).

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