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Stranger than paradise

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (1984)

Stranger than paradise

Deuxième long-métrage de Jim JARMUSCH, "Stranger than Paradise" narre l'errance de trois jeunes immigrés hongrois à travers une Amérique tout aussi grisâtre et vide de sens que le pays communiste en crise qu'ils ont quitté au milieu des années 80. Leur périple à travers un New-York délabré puis un Cleveland glacé et enfin une Floride réduite pour l'essentiel à une miteuse chambre de motel traduit l'impasse existentielle de ces jeunes gens trop neurasthéniques pour s'arracher véritablement à leur condition de déracinés. Willie (John LURIE) et Eddie (Richard EDSON) sont deux minables qui cherchent l'argent facile alors que la cousine de Willie, Eva (Eszter BALINT) se retrouve cloîtrée entre deux déplacements. Aucun véritable lien ne parvient à éclore entre ces trois paumés fatigués de la vie avant même de l'avoir commencé.

Si techniquement, le film est très beau avec sa photographie noir et blanc travaillée et ses plans-tableaux superbement composés au millimètre, il lui manque le souffle de vie qui animerait ce bel album de photographies tendant vers l'abstraction. C'est trop plat car uniformément gris et sordide (malgré quelques touches d'humour et la récurrence du hit rythm and blues "I put a spell on you" de Screamin' Jay Hawkins). L'absence d'enjeux historiques ou humains (à la différence des errances chez Wim WENDERS auxquelles "Stranger than Paradise" a été souvent comparé) en fait un constat un peu vain, limite poseur (regardez ce spleen esthétisant et essayez de ne pas bailler d'ennui au bout de deux minutes sinon vous aurez perdu) sur la jeunesse immigrée aux USA dans la dernière phase de la guerre froide. Cette grosse lacune essentiellement scénaristique sera corrigée dans le film suivant de Jarmusch, "Down by Law" (1986) avec l'apport décisif de Roberto BENIGNI pour secouer les losers tristounets avec sa jovialité exubérante et son optimisme à toute épreuve. De quoi revivifier et réenchanter un monde qui en avait bien besoin.

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Punch-drunk love: Ivre d'amour (Punch-drunk love)

Publié le par Rosalie210

Paul Thomas Anderson (2003)

Punch-drunk love: Ivre d'amour (Punch-drunk love)

"Punch-Drunk love" (joli titre au passage) est une comédie décalée qui se situe au carrefour d'au moins trois genres: la comédie romantique (histoire d'amour), la comédie musicale (ballet millimétré en cinémascope et technicolor) et la comédie burlesque (corps en folie dans l'espace). Paul Thomas ANDERSON réussit à marier la rigueur géométrique de sa mise en scène avec la flamboyance des couleurs et la douce dinguerie de son personnage principal, Barry (Adam SANDLER, transcendé par la direction d'acteur). Doux et dingue à la fois c'est à dire possédant l'hybridité de nombre de personnages du burlesque muet: l'innocence enfantine mais aussi la violence destructrice dont les décors se souviennent toujours. La mise en scène fait de Barry un petit personnage enfermé dans d'immenses décors qui l'écrasent et dont il tente de s'extraire à coups de crises de rage destructrice. Couloirs d'hôtels et d'immeubles interminables, rayons de supermarchés répliquant les mêmes produits manufacturés à l'infini façon Andy WARHOL, immenses entrepôts, le décor de la vie moderne deshumanise les personnages ce que la bande-son expérimentale assez mécanique renforce. L'influence (revendiquée) de Jacques TATI qui luttait lui aussi contre la déshumanisation du paysage et la réification de l'humain par la société de consommation grâce à la force subversive du corps burlesque se fait sentir. Mais aussi celle de Charles CHAPLIN et de ses "Les Temps modernes" (1936) où le fracas des objets rend inaudible la parole humaine. Barry semble donc fou au premier abord mais tout suggère que c'est l'environnement autour de lui qui l'est et que son attitude consistant à empiler les boîtes de pudding pour gagner des miles en avion (et s'échapper donc...) est plutôt saine. Cela explique sans doute que Léna (Emily WATSON) l'ait élu, elle qui semble passer sa vie entre deux avions. Leur amour est symbolisé par le seul objet qui s'oppose à la logique fordiste (il est unique, il est gratuit puisque ramassé dans la rue): l'harmonium dont la musique mélodieuse vient contrer le brouhaha ambiant.

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Atypical

Publié le par Rosalie210

Robia Rashid (2017)

Atypical

Étant souvent déçue par les séries qui même lorsqu'elles sont bien pensées au départ ont tendance à s'essouffler sur la durée, je n'ai jamais eu particulièrement envie de m'abonner à Netflix. La production ou le rachat de films de cinéastes importants a changé la donne car si le long-métrage demande plus d'effort au spectateur que la série (qui comme tout feuilleton, des sérials aux manga se dévore), il est aussi souvent plus nourrissant à l'arrivée.

Néanmoins en ayant accès à Netflix, j'ai eu la curiosité de voir comment était traité l'autisme dans les séries produites par une plate-forme qui constitue une énorme caisse de résonance pour les jeunes générations (du moins dans les pays développés où l'accès à internet est massif). Et je ne peux que me réjouir du succès de "Atypical" qui constitue une sacrée bonne mise à jour par rapport à la référence du grand public qui reste "Rain Man" (1988).

"Atypical" déroge justement à la loi de la majorité en ce que sur ses trois saisons (à ce jour, une quatrième est prévue en 2021) non seulement elle ne s'essouffle pas mais elle a même tendance à monter en puissance. Elle joue en effet sur plusieurs tableaux et touche plusieurs publics ce qui fait sa force. En effet elle emprunte les codes de la teenage comédie américaine pour emmener le spectateur au pays de Sam (Keir GILCHRIST) c'est à dire en Antarctique. Ce lieu symbolique de l'autisme (comme l'espace ou les fonds marins) car synonyme de solitude va finir par devenir celui de tous les personnages de l'histoire. Tous vont connaître à un moment ou à un autre une traversée du désert et une remise en cause de leur identité. La série n'est pas en effet centrée que sur Sam mais accorde tout autant d'importance aux membres de sa famille et à leurs proches. Tous sont écrits avec une remarquable cohérence et il est signicatif que la personnalité de Sam soit un révélateur de vérité pour ceux qui le côtoient. Quant à la représentation de l'autisme, elle est plus réaliste car si Sam est un asperger (il n'a pas de déficience intellectuelle) il n'est pas un génie pour autant. Qu'on se le dise une fois pour toutes, la majorité des asperger ont une intelligence qui se situe dans la moyenne. Sam est juste un jeune homme en difficulté sensorielle et relationnelle avec des intérêts spécifiques restreints (les manchots) et des bizarreries comportementales (montrées par petites touches et souvent sous un angle humoristique ce qui a un effet dédramatisant) qui aspire à s'insérer dans la société et à avoir une vie amoureuse et sexuelle. Bref, ses aspirations sont celles de tout un chacun ce qui ne va pas de soi quand on est autiste (dès le 1er épisode, un chiffre évoqué par la psy de Sam avance que 90% des autistes restent célibataires et d'autres études avancent que 70% des autistes sans déficience intellectuelle sont au chômage). L'intérêt du scénario de la série est de combiner le récit initiatique classique et la résilience par rapport à un handicap de façon honnête tout en montrant les répercussions sur l'entourage. Elsa la mère (Jennifer JASON LEIGH) surprotectrice a d'autant plus de mal à accepter que son fils grandisse et veuille conquérir son autonomie qu'elle s'est définie comme mère à vie d'un enfant handicapé. Le parcours du combattant de Sam la plonge dans une crise identitaire profonde qui ébranle également son couple, le père Doug (Michael RAPAPORT) plutôt passif et fuyant jusque là étant sommé de prendre ses responsabilités. C'est une configuration familiale très fréquente lorsqu'un enfant est atteint de handicap: la mère envahit tout l'espace et le père ne trouvant plus sa place quitte le foyer. Et s'il est déjà difficile pour des parents d'enfants normaux d'accepter qu'ils deviennent adultes et quittent le nid, c'est encore plus vrai quand ceux-ci ne le sont pas d'autant que la sexualité des handicapés reste par ailleurs largement taboue. La petite sœur de Sam, Casey (Brigette Lundy-Paine) est également un personnage très important de la série, cohérent avec le reste de la famille. Forte personnalité qui pallie la faiblesse du père (elle est plus masculine que lui!) et s'oppose à la toute-puissance de la mère, elle se sent également obligée de protéger son grand frère ce qui la bride dans sa construction personnelle. L'évolution de Sam est donc une libération pour elle aussi au moment où elle est confrontée à des choix épineux pour son avenir.

Bien interprétée, juste, tendre, bienveillante et pleine d'humour, la série fait du bien et offre un regard positif et inclusif sur l'imperfection et la diversité du comportement humain. L'origine américaine de la série est un plus car la connaissance de l'autisme y est bien plus développée qu'en France, handicapée par le prisme psychanalytique avec lequel elle a interprété le problème pendant 50 ans. La psychanalyse dans "Atypical" est délicieusement tournée en dérision, les psy étant renvoyés aux imperfections de leur propre humanité voire animalité (Sam finit par parler... à un lapin).

PS: Cet avis a été écrit avant la quatrième saison qui hélas, s'avère de trop et ternit l'ensemble de la série pour au moins deux raisons. La première, c'est qu'elle radote, n'ayant plus rien de neuf à apporter à l'histoire et la seconde, c'est qu'elle considère désormais Sam comme un objet encombrant dont elle se débarrasse en le mettant à l'arrière-plan et en le normalisant au point qu'il n'a plus rien d'un autiste. L'identité de la série s'en retrouve profondément altérée.

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