Vincent, François, Paul... et les autres
Claude Sautet (1974)
"Garder le calme avant la dissonance". Les épitaphes des tombes de grands cinéastes peuvent parfois en un seul ou en quelques mots définir leur univers. Car les films de Claude Sautet qui était mélomane sont très influencés par la musique. Par exemple, l'un de ses films les plus personnels "Un Cœur en hiver" peut être comparé à un concerto pour deux luthiers et une violoniste. Et "Vincent, François, Paul… et les autres" est un film choral ponctué de "couacs", les fameuses dissonances évoquées dans l'épitaphe inscrite sur sa tombe. C'est le portrait d'une précision chirurgicale d'une génération d'hommes (celles des quinquagénaires des années 70) qui ont cru bâtir leur vie sur du béton, celui des 30 Glorieuses et découvrent que celui-ci était n'était que du sable lorsqu'éclate la récession*. Tous sont confrontés à des situations de crise qu'elle soit professionnelle (symbolisée par la PME en faillite de Vincent, alias Yves Montand), idéologique et créatrice (l'embourgeoisement de François joué par Michel Piccoli, la panne d'inspiration de Paul l'écrivain interprété par Serge Reggiani) ou encore personnelle. Sur ce dernier plan, on retrouve le type d'homme muré en lui-même typique du cinéma de Claude Sautet incarné par François que sa femme ne supporte plus et trompe à tout-va ainsi que par Vincent que sa petite amie Marie (Ludmila Mikaël) plaque entre autre parce qu'elle lui reproche son désintérêt pour elle et le reste du monde ainsi que son incapacité à communiquer. Cette explication et l'accumulation des difficultés d'argent (et de santé) de Vincent le poussent néanmoins à se confier à son ancienne femme Catherine (Stéphane Audran) qui est la seule à l'écouter, le comprendre et le soutenir. Car lorsqu'il a le plus besoin d'eux, ses potes font la sourde oreille ce qui d'ailleurs créé l'une de ces dissonances majeures dans l'affichage amical et convivial du titre**. Mais il est trop tard pour la récupérer et ce trop tard a la saveur amère des regrets. Saveur amère à laquelle Vincent refuse de goûter, préférant se réfugier dans l'illusion***.
* La jeune génération, incarnée par Jean (Gérard Depardieu) le contremaître de Vincent est incertaine quant à son avenir, plus pauvre que celle des quinquagénaires mais moins soucieuse du paraître social et donc plus heureuse dans l'espace d'intimité du foyer.
** Claude Sautet est moins le cinéaste du groupe que le cinéaste de la solitude au milieu du groupe, en réalité un agrégat de ratés égoïstes qui se raccrochent de façon pathétique à l'illusion de moments de bonheur partagé.
*** Au moins les épreuves ont donné à Vincent l'occasion de montrer sa vulnérabilité alors que François reste tout au long du film un mâle alpha odieux qui au lieu de tenter de comprendre pourquoi sa femme lui échappe cherche à la soumettre par la violence conjugale (coups et viols). Cercle vicieux qui ne fait qu'accroître son impuissance et sa frustration.