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Vincent, François, Paul... et les autres

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1974)

Vincent, François, Paul... et les autres

"Garder le calme avant la dissonance". Les épitaphes des tombes de grands cinéastes peuvent parfois en un seul ou en quelques mots définir leur univers. Car les films de Claude Sautet qui était mélomane sont très influencés par la musique. Par exemple, l'un de ses films les plus personnels "Un Cœur en hiver" peut être comparé à un concerto pour deux luthiers et une violoniste. Et "Vincent, François, Paul… et les autres" est un film choral ponctué de "couacs", les fameuses dissonances évoquées dans l'épitaphe inscrite sur sa tombe. C'est le portrait d'une précision chirurgicale d'une génération d'hommes (celles des quinquagénaires des années 70) qui ont cru bâtir leur vie sur du béton, celui des 30 Glorieuses et découvrent que celui-ci était n'était que du sable lorsqu'éclate la récession*. Tous sont confrontés à des situations de crise qu'elle soit professionnelle (symbolisée par la PME en faillite de Vincent, alias Yves Montand), idéologique et créatrice (l'embourgeoisement de François joué par Michel Piccoli, la panne d'inspiration de Paul l'écrivain interprété par Serge Reggiani) ou encore personnelle. Sur ce dernier plan, on retrouve le type d'homme muré en lui-même typique du cinéma de Claude Sautet incarné par François que sa femme ne supporte plus et trompe à tout-va ainsi que par Vincent que sa petite amie Marie (Ludmila Mikaël) plaque entre autre parce qu'elle lui reproche son désintérêt pour elle et le reste du monde ainsi que son incapacité à communiquer. Cette explication et l'accumulation des difficultés d'argent (et de santé) de Vincent le poussent néanmoins à se confier à son ancienne femme Catherine (Stéphane Audran) qui est la seule à l'écouter, le comprendre et le soutenir. Car lorsqu'il a le plus besoin d'eux, ses potes font la sourde oreille ce qui d'ailleurs créé l'une de ces dissonances majeures dans l'affichage amical et convivial du titre**. Mais il est trop tard pour la récupérer et ce trop tard a la saveur amère des regrets. Saveur amère à laquelle Vincent refuse de goûter, préférant se réfugier dans l'illusion***.

* La jeune génération, incarnée par Jean (Gérard Depardieu) le contremaître de Vincent est incertaine quant à son avenir, plus pauvre que celle des quinquagénaires mais moins soucieuse du paraître social et donc plus heureuse dans l'espace d'intimité du foyer.

** Claude Sautet est moins le cinéaste du groupe que le cinéaste de la solitude au milieu du groupe, en réalité un agrégat de ratés égoïstes qui se raccrochent de façon pathétique à l'illusion de moments de bonheur partagé.

*** Au moins les épreuves ont donné à Vincent l'occasion de montrer sa vulnérabilité alors que François reste tout au long du film un mâle alpha odieux qui au lieu de tenter de comprendre pourquoi sa femme lui échappe cherche à la soumettre par la violence conjugale (coups et viols). Cercle vicieux qui ne fait qu'accroître son impuissance et sa frustration.

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L'Ange Bleu (Der blaue Engel)

Publié le par Rosalie210

Josef von Sternberg (1930)

L'Ange Bleu (Der blaue Engel)

"L'Ange bleu" est ce qu'on appelle un classique incontournable de la cinématographie mondiale parce que c'est le premier film parlant du cinéma allemand et qu'il a révélé l'une des plus grandes stars du XX° siècle, alias Marlène Dietrich. D'ailleurs l'aura du film est aujourd'hui davantage liée à cette dernière qu'à son statut d'héritier de la faste période muette expressionniste des années 20. A l'époque, Emil Jannings était la plus grande star allemande mais il n'est pas entré dans la mémoire collective mondiale. Non qu'il manquait de charisme mais il avait tendance à surjouer. Ce qui était naturel au temps du muet où il fallait exagérer l'expressivité a perdu de sa pertinence avec l'arrivée du parlant. Ensuite, les rôles endossés par Emil Jannings n'ont pas contribué à le faire passer à la postérité. Comme dans "Le Dernier des hommes" de Murnau, il joue un rôle qui se confond avec son habit social avant de connaître la déchéance (pour mémoire dans "Le Dernier des hommes " il finissait en monsieur pipi et dans "L'Ange bleu" en clown sur la tête duquel on casse des œufs alors qu'il était au départ respectivement portier et professeur). Cette fascination pour le costume prestigieux, le côté guindé/coincé qui va avec et ce masochisme ne sont plus ce qui traduit le mieux actuellement le déclassement social. Enfin la vie et la scène ne faisant qu'un, le fait que Emil Jannings se soit compromis avec Hitler (même s'il ne fut jamais membre du parti nazi) précipita la fin de sa carrière puisqu'il fut blacklisté par les alliés. A l'inverse de Emil Jannings, Marlène Dietrich qui avait déjà tourné mais qui était alors inconnue (elle fut imposée au forceps par Sternberg) fit les bons choix qui lui ouvrirent les portes d'Hollywood avec le succès que l'on sait. Et en dépit de l'âge du film, sa prestation pleine d'aplomb reste toujours aussi fascinante d'autant plus qu'elle est filmée d'une manière extrêmement érotique par Josef von Sternberg qui insiste particulièrement sur ses jambes (quand elle enlève ses bas, on pense à "Gilda"). C'est d'ailleurs la partie cabaret du film qui a le mieux passé les épreuves du temps, le film éponyme de Bob Fosse s'en étant fortement inspiré. Josef von Sternberg tire remarquablement parti des contraintes cinématographiques de l'époque et fait construire des décors qui reflètent la psyché malade du professeur, notamment les coulisses étriquées du cabaret que von Rath encombre, lui qui ne sait pas quoi faire de son corps et qui se fait ridiculiser (le clown triste qui colle à ses basques annonce son destin funeste) avant même de subir l'opprobre dans son prestigieux "gymnasium" pour s'être compromis avec une vulgaire chanteuse de cabaret. Un univers parfaitement reconstitué d'autant que von Sternberg venait d'un milieu populaire qui contraste avec la morgue hautaine du professeur. Mais dès les premières images, le faux-semblant domine sa vie avec un décalage total entre le costume et le titre dans lesquels il se pavane et sa chambre miteuse sous les toits ainsi que le manque de respect flagrant (et justifié) des élèves à son égard. Il en va de même de son attitude rigide et moralisatrice de père la pudeur qui tel un ballon de baudruche se dégonfle en quelques secondes lorsque Lola-Lola lui jette sa culotte à la figure (et oui, bien avant Madonna!) Enfin l'utilisation du son qui était alors une nouveauté est assez saisissante là aussi avec une alternance de passages silencieux hérités du muet et de passages bruyants dans le cabaret notamment, la transition de l'un à l'autre s'effectuant brutalement lorsque les portes se ferment derrière les artistes.

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César et Rosalie

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1972)

César et Rosalie

Avec les films de Claude Sautet des années 70, on commence toujours par se prendre un "choc culturel" dans les dents. C'était l'époque où on fumait comme des pompiers, où on roulait comme des dératés et où personne ne s'offusquait que Rosalie (Romy Schneider) soit reléguée dans le rôle de la potiche qui sert le café (dans l'atelier de David alias Samy Frey) ou les glaçons (chez César alias Yves Montand) pendant que ces messieurs créaient leurs bandes dessinées ou jouaient au poker "entre hommes". Mais Claude Sautet est également un orfèvre des sentiments qui échappe au temps, de même que ses personnages échappent aux stéréotypes datés. Rosalie a l'air d'une poupée décorative mais sa valse-hésitation amoureuse montre qu'elle se cherche à s'affirmer entre ces deux hommes aux tempéraments opposés mais au fond pas si différents puisqu'ils finissent par devenir copains comme cochons après s'être "virilement" frottés l'un à l'autre. César, le prolo parvenu (le sens du détail de Sautet fait aussi merveille dans le domaine social, que ce soit le prix d'un tableau sous-évalué ou des chaussures mal assorties) en fait des tonnes dans la jovialité sans parler de sa tendance au bluff qui cache (mal) ses angoisses (relatives à la taille de sa bistouquette ^^) et une impulsivité qui ne cesse de lui faire perdre le contrôle de lui-même au point de tout casser. David est à l'inverse aussi flegmatique que César est sanguin mais il est froid, taciturne et fuyant. Il allume des feux sans en assumer les conséquences ensuite comme l'atteste le fait qu'il a séduit Rosalie par le passé avant de la laisser à un autre homme. On comprend que celle-ci, tyrannisée par la possessivité anxieuse du premier et maintenue à distance par l'égoïsme du second ait envie de fuir. Mais on comprend aussi pourquoi elle hésite. César a la générosité (matérielle mais aussi du cœur) qui manque à David et sa vulnérabilité d'enfant perdu est désarmante. David a le recul, la tendresse et la douceur qui manquent à César. Les deux hommes sont complémentaires et leur apprivoisement réciproque (celles de leurs peurs) est peut-être la clé qui fera revenir Rosalie.

En bref, le banal triangle amoureux cache quelque chose de bien plus profond: une quête de soi, par-delà le rôle social qu'on attend de soi (rôle défini par le genre ou le statut social). C'est tout le talent de Sautet de dépeindre des scènes de groupes conviviales et en même temps de faire ressentir l'irréductible solitude de chacun au milieu de tous, le contexte d'une époque et ce qui reste quand tout le reste a disparu, la mélancolie sous la jovialité, la peur sous l'apparente assurance. 

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Whitney

Publié le par Rosalie210

Kevin MacDonald (2018)

Whitney

Les fans de Whitney Houston seront soit comblés, soit déçus par le documentaire de Kevin MacDonald qui mêle images d'archive et entretiens de ses proches face caméra. Ce sont en effet moins ses performances vocales qui sont au cœur du film que les raisons de son succès qui paradoxalement sont également celles de sa déchéance physique, professionnelle, matérielle et morale. En effet, ce qui ressort beaucoup, ce sont les problèmes affectifs et identitaires de la jeune femme, modelée très tôt par sa famille (le clan puis avec les dollars l'empire Houston) pour sortir du ghetto et plaire à l'Amérique WASP (d'où son rejet par une partie de l'Amérique noire qui l'avait renommée "Whitey"). Une famille toxique en dépit de nombre de membres talentueux mais restés dans l'ombre comme Cissy la mère de Whitney qui fut choriste d'Aretha Franklin ou ses cousines Dionne et Dee Dee Warwick également chanteuses. Du choix de son prénom (en référence au personnage d'une série mettant en scène la middle class blanche) à ses études dans une école privée catholique puis à une carrière orientée vers des tubes grand public, tout a été fait pour blanchir Whitney. Avec le succès que l'on sait mais au prix d'un déracinement, d'une perte d'identité et de repères qui l'a plongé dans le chaos et fait d'elle la marionnette de tous les appétits et névroses de son clan. Entre son père (et d'autres) qui l'ont exploité financièrement, sa mère et ses cousines qui ont pu profiter de son succès par procuration sans parler de celle qui l'a en plus abusé sexuellement, son demi-frère avec lequel elle a plongé dans la drogue jusqu'au cou, son mari jaloux d'avoir moins de succès qu'elle et qu'elle avait épousé tout en restant proche de sa directrice artistique Robyn Crawford avec laquelle elle avait eu une relation qui remontait à son adolescence, tout cela constituait une charge que n'a pas non plus supporté la fille de Whitney, Bobbi Kristina morte trois ans après sa mère dans les mêmes circonstances (overdose et noyade dans la baignoire). Le film effectue un parallèle non dénué de fondement avec Michael Jackson, lui aussi un afro-américain blanchi dressé et exploité par sa famille qui avait de gros problèmes d'identité. Néanmoins le manque de personnalité de Whitney Houston et le fait que les chanteuses à voix ne soient pas ma tasse de thé constituent des limites à mon intérêt pour ce documentaire.

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Gran Torino

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (2008)

Gran Torino

Les apparences sont trompeuses et les "Mein Kampf de l'ouest" (pour reprendre une expression employée à propos de "L'homme des hautes plaines") ne sont pas ceux que l'on croit. D'un côté de jeunes réalisateurs branchés peuvent faire passer leurs positions troubles comme une lettre à la poste. Je pense par exemple à "Whiplash" sur lequel j'ai eu tout récemment une discussion fort animée avec deux de ses ardents défenseurs. Pour mémoire dans le film, un jeune batteur jugé par son prof de musique trop tendre doit endurer toute une série de sévices physiques et psychologiques pour extirper la "tarlouze sodomite" qui est en lui et devenir le meilleur en son domaine ce qu'il finit par atteindre lors d'une scène finale en apothéose qui valide les idées et les méthodes de ce prof. Pourtant jamais "Whiplash" n'a été jugé fasciste ni même homophobe.

De l'autre il y a des réalisateurs qui parce qu'ils ont la tête de l'emploi, des positions politiques conservatrices et ont joué du flingue au cinéma ont subi durant tout ou partie de leur carrière des accusations réitérées de machisme, de fascisme et de nazisme. Evidemment Clint Eastwood est de ceux-là, sa personnalité ayant été assimilée à celle de l'homme sans nom des films de Léone et encore plus avec celle de l'inspecteur Harry. Or les films qu'il a réalisé plaident pour une tout autre version du bonhomme. Prenons l'exemple de "Gran Torino" qui est l'un des films de lui que je préfère.

Dans un premier temps, Clint Eastwood s'y moque de lui-même ou plus exactement de l'image réac que l'on a de lui. Il va donc l'exagérer en campant un vieux con misanthrope, aigri, chauvin, raciste et bas been qui passe plus ou moins son temps à cracher, astiquer sa Gran Torino et ses armes (deux symboles de l'Amérique conservatrice) et maugréer contre ses voisins asiatiques qu'il ne peut pas souffrir et traite de tous les noms. Ce sens de l'autodérision atteint son sommet lorsque l'un de ses fils vient lui proposer des objets pour personnes âgées et des brochures pour des maisons de retraites.

Dans un second temps, il va déconstruire cette image point par point. Il prend sous son aile Thao, le fils de ses voisins Hmong*, un adolescent peu sûr de lui et harcelé par ses cousins qui font partie d'un gang qui veut imposer sa loi à sa famille matriarcale. La transmission filiale est un thème cher au cinéaste, lui qui se situe dans une continuité certaine avec le classicisme hollywoodien tout en conservant une farouche indépendance d'esprit ce qui lui donne d'autant plus la liberté de tendre la main à des jeunes exclus du système. Ensuite, dans ce qui est un film avant tout testamentaire, il reprend tous les codes du vigilante movie auquel il a été si souvent associé pour mieux les déjouer lors d'un acte final sacrificiel rédempteur christique devenu culte. Le portrait de cet ancien combattant de la guerre de Corée ayant travaillé un demi-siècle chez Ford, bref celui de l'américain modèle travailleur et patriote aboutit paradoxalement à une vision désenchantée de l'Amérique: il est hanté par les crimes de guerre qu'il a commis, voit le quartier de Détroit où il a toujours vécu se transformer en ghetto, ne parvient pas à communiquer avec sa famille biologique et la religion chrétienne ne lui est d'aucun secours. Bref il ne peut s'appuyer sur aucune des institutions fondatrices de l'Amérique traditionnelle. En revanche il trouve du réconfort dans la convivialité de ses voisins et le chaman local parvient sans difficulté à le percer à jour ce qui le bouleverse. C'est à ce moment précis qu'il comprend qu'il a bien plus de choses en commun avec les Hmong qu'avec sa propre famille américaine. Enfin le personnage clé de Sue, la grande sœur de Thao reflète assez bien l'amour teinté d'estime voire d'admiration que le cinéaste porte aux femmes en total décalage là encore avec son image de macho. Des femmes fortes, déterminées à s'en sortir, pleine de perspicacité dont il prend toujours la défense et avec lesquelles il établit une relation de tendre complicité. Sue l'appelle presque aussitôt Wally en dépit de son comportement d'ours mal léché parce qu'elle est la première à le percer à jour, c'est d'ailleurs elle qui l'introduit dans sa famille, lui sert de médiatrice culturelle et de traductrice et enfin lui met Thao dans les jambes, persuadée qu'elle lui a trouvé le père idéal qui saura l'aider à s'intégrer et à trouver sa voie. Et pour cause puisque Walt se range aux côtés des femmes contre le gang qui dénie à Thao toute possibilité de libre-arbitre. La seule manière d'être un homme selon eux, c'est d'être avec eux. Quant aux femmes, ils les brisent comme le montre le sort qu'ils réservent à Sue qui pourtant est leur propre cousine. Vision terrifiante de la loi du plus fort contre laquelle se dresse le Gandhi le plus improbable qui soit.

En ayant revu le film, j'ai été également très sensible à la maîtrise du récit et à la précision de la mise en scène. Rien n'est en effet laissé au hasard, chaque scène, chaque détail compte, des premières jusqu'aux dernières images. Un simple briquet par exemple.

* Comme l'explique Sue à Walt, les Hmong sont les vietnamiens qui ont pris parti pour les américains pendant la guerre du Vietnam et ont dû ensuite quitter le pays pour trouver refuge ailleurs, notamment aux USA. L'équivalent en quelque sorte des harkis pendant la guerre d'Algérie.

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Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese, (1993)

Le Temps de l'Innocence (The Age of Innocence)

"Gosford Park"? "Downton Abbey"? "Chambre avec vue"? Il y a un peu de tout ça dans "Le Temps de l'innocence" avec sa description d'une passion interdite dans le milieu codifié de la grande bourgeoisie new-yorkaise de la seconde moitié du XIX°. C'est avec un œil d'entomologiste (d'où mon allusion au film de Robert Altman scénarisé par Julian Fellowes) que Martin Scorsese observe et dépeint ce milieu par le truchement d'une narratrice qui a un double rôle. Celui de nous expliquer le fonctionnement de ce monde centré sur les apparences, les convenances, les arrangements (matrimoniaux notamment) mais également empli de non-dits, d'hypocrisie et de ragots et où les hommes jouissent d'une liberté dont les femmes sont dépourvues. La narratrice est aussi le double de l'auteure du roman adapté par Scorsese, Edith Wharton qui fut la première femme à obtenir le prix Pulitzer du roman et faisait partie de cette haute société new-yorkaise. D'où sa connaissance approfondie des règles régissant son monde et en même temps un sensibilité féministe perceptible au travers du personnage de la comtesse Ellen Olenska (Michelle Pfeiffer) qui décide de vivre séparée de son mari quitte à faire scandale. Le sensible mais il faut le dire aussi très pusillanime Newland Archer (Daniel Day-Lewis aussi guindé que dans "Chambre avec vue" mais beaucoup moins ridicule) est attiré par la comtesse mais il la dissuade de divorcer par peur qu'elle ne soit définitivement mise au ban de la société. De même il s'avère incapable de remettre en question son mariage arrangé avec May (Winona Ryder) qui s'avère bien plus fine mouche qu'elle ne le paraît. Au final, son obsession du paraître social le conduit à creuser la tombe de son moi authentique au profit d'une vie de simulacre. Dans le fond, cela l'arrange car cette fuite lui permet de se réfugier dans la facilité de la rêverie nostalgique. La très belle scène dans laquelle il contemple de dos la comtesse en train d'observer un bateau croiser un phare définit assez bien sa conception de la vie: elle ne se retournera ou ne l'étreindra que dans son imaginaire et la dernière scène dans laquelle il est pourtant libéré de toute attache montre que c'est bien le rêve qu'il choisit au détriment du réel.

La beauté formelle du film éclate à chaque image qui est d'un grand raffinement (on sent l'influence de Visconti et aussi du duo formé par Michael Powell et Emeric Pressburger). Néanmoins j'ai trouvé la reconstitution et l'analyse du milieu social beaucoup plus convaincante que l'aspect intimiste de l'histoire. L'interprétation est certes brillante mais le film est très froid. Tout cela manque de passion, de sensibilité, de sensualité. Les quelques moments volés par Newland et la comtesse sont littéralement étouffés par le poids des conventions qui écrase le film. Cette comparaison peut sembler incongrue mais dans la catégorie du réalisateur le plus improbable de superbes mélodrames ce n'est pas Scorsese que j'élirais mais Bertrand Blier (pour "Beau-Père", "Trop Belle pour toi" et "Le Bruit des glaçons" qui racontent tous des histoires d'amour dérangeantes socialement avec une extrême sensibilité et un romantisme fulgurant).   

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Les Triplettes de Belleville

Publié le par Rosalie210

Sylvain Chomet (2003)

Les Triplettes de Belleville

Film d'animation brillant, "Les Triplettes de Belleville", le premier long-métrage de Sylvain Chomet commence par une séquence d'introduction ébouriffante à voir et à revoir sous le signe du music-hall et du cartoon des années 30 en noir et blanc* et se termine par un générique de fin en forme de jukebox nostalgique faisant se succéder trois styles différents: le swing à la Django Reinhardt (présent aussi dans l'introduction aux côtés de Fred Astaire, Joséphine Baker et Charles Trenet) accompagnant le thème principal des Triplettes "Rendez-vous", l'accordéon et enfin le rock and roll des années cinquante. Spectacle, musique, nostalgie. 

Comme dans son film suivant "L'Illusionniste", Sylvain Chomet s'est beaucoup inspiré de l'univers de Jacques Tati pour réaliser le film, plus particulièrement de "Jour de fête" dont on peut voir un extrait, la reprise de quelques gags (la girouette) et aussi son court-métrage associé "L'école des facteurs" dont est issue l'idée des cyclistes qui pédalent sur des vélos fixes.  L'affiche des "Vacances de M. Hulot" apparaît également. Il y a aussi le thème de la France éternelle, celle des cuisses de grenouilles, de l'accordéon d'Yvette Horner, du béret-pinard et de la petite reine du tour de France brusquement bousculée par la modernité des trente Glorieuses (le train, la TV) et "l'idée d'Amérique" laquelle s'invite par le biais de son cinéma. Celui des films noirs mais aussi au niveau du style graphique et de la palette de couleurs, celui des films Disney de la période Wolfgang Reitherman. Néanmoins par rapport à Tati, Chomet est beaucoup plus satirique, montrant avec une récurrence qui frise l'obsession l'obésité qui frappe une bonne part de la population du pays, son sens de la démesure (Belleville est un improbable mélange de Paris et de New-York) et ses à côtés sordides (l'immeuble de prostituées où les Triplettes logent). Enfin "Les Triplettes de Belleville" est un film où comme chez Tati les dialogues sont quasi absents mais où la bande son est extrêmement travaillée que ce soit au niveau des bruitages ou de la musique.

* Revival également perceptible dans le jeu vidéo avec le formidable Cuphead qui mêle le style des studios Fleischer (Betty Boop) et celui des premiers Disney (Mickey) avec la même imitation des imperfections d'une vieille pellicule rayée.

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Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Publié le par Rosalie210

Gisaburô Sugii et Arlen Tarlofsky (1985)

Train de nuit dans la voie lactée (Ginga-tetsudô no yoru)

Un titre aussi poétique que "Train de nuit dans la voie lactée" ne pouvait que me donner envie de découvrir le film, adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa de 1927, auteur également de Goshu le violoncelliste, récit connu pour son adaptation pré-Ghibli par Isao Takahata. Poétique, le film l'est assurément mais il est surtout métaphysique et une référence culturelle incontournable de la culture japonaise. "Train de nuit dans la voir lactée" est par exemple à l'origine de la saga SF rétro-futuriste et nostalgique de Leiji Matsumoto "Galaxy Express 999" et joue également un rôle important dans "L'île de Giovanni" de Mizuho Nishikubo. Elle a été également déclinée au théâtre et sous forme de conte musical.

Le film est d'essence contemplative (cela peut rebuter, il ne se passe pas grand-chose) et l'animation qui date des années 80 est certes minimaliste mais empreinte de visions surréalistes saisissantes. Le caractère philosophique du film est cependant porté par une histoire très simple*. Giovanni, un enfant ostracisé par ses camarades parce qu'il est pauvre, que son père est absent et sa mère malade prend un train dans lequel il retrouve son seul ami, Campanella. Le train a plus ou moins la même fonction que la barque des égyptiens de l'antiquité, elle convoie ses passagers dans l'au-delà. Chaque station est l'occasion d'une rencontre avec des voyageurs en transit (un homme aveugle, un chasseur de hérons qu'il transforme en biscuits, des passagers du Titanic) et d'une élévation spirituelle. On y évoque le ciel, la croix du sud ce qui se rapporte au christianisme (sans doute en relation avec le fait que les personnages ont des noms italiens) mais celui-ci est croisé avec une philosophie bouddhiste. Peu à peu, on comprend que Giovanni effectue ce voyage au pays des morts pour affronter la douloureuse épreuve d'un deuil qui le laissera tout à fait seul. Il est en effet le seul passager du train à disposer d'un billet aller-retour.

"Train de nuit pour la voie lactée" peut être considéré comme le film le plus triste de l'histoire de l'animation japonaise, à égalité avec "Le Tombeau des Lucioles". On peut aussi le voir comme un trip sous acide à cause de ses flashs visuels oniriques abstraits (des points, des sphères, des triangles lumineux dans l'espace) accompagné d'une musique assez hypnotique. Le fait que les enfants soient représentés sous la forme de chats anthropomorphes accentue cette tendance.

* De même que "Le Voyage de Chihiro" a été souvent comparé à "Alice au pays des merveilles", la parenté entre "Train de nuit dans la voie lactée" et "Le Petit Prince" semble assez évidente.

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Beau-Père

Publié le par Rosalie210

Bertrand Blier (1981)

Beau-Père

Le sujet de "Beau-Père" n'est contrairement aux apparences ni l'inceste, ni la pédophilie. Bertrand Blier évacue d'ailleurs tout jugement extérieur vis à vis de ces questions, non parce qu'il n'a pas d'avis dessus mais parce que ce n'est clairement pas son sujet. Il ne place pas le film à un niveau social mais à un niveau intime, au niveau du ressenti des personnages. Un ressenti transgressif par rapport aux normes sociales et morales mais aussi par rapport aux notions de bien et de mal. L'adulte qui a des rapports sexuels avec un enfant ou d'un adolescent commet un abus lié au différentiel d'âge, d'expérience, d'autorité et ce même si le jeune se dit consentant et même s'il lui fait des avances. Si en plus il a un rôle de filiation à endosser, qu'il soit biologique ou non c'est encore plus grave puisque l'on ne peut être à la fois père et amant au risque de détruire la chaîne de transmission générationnelle qui est l'un des fondements de l'humanité.

Mais comme je le disais plus haut, Bertrand Blier n'a pas réalisé un film-dossier, ce n'est pas son sujet. En revanche il capture de façon magistrale à partir de son propre roman l'instantané déchirant d'un grand malade, d'un paumé sublime ou encore d'un perdant magnifique. Ici comme dans plusieurs de ses derniers films, Patrick Dewaere est mis à nu et ce dès l'ouverture où il raconte sa vie de raté en jouant du piano, face caméra. Terminé les rôles solaires et extravagants du début de sa carrière (même si l'ombre n'y était jamais bien loin comme dans "La meilleure façon de marcher"). Privé de sa moustache virile, abattu, faible, dépressif, il apparaît au bout du rouleau, livide et diaphane comme le spectre qu'il n'allait pas tarder à devenir. Entre le personnage et l'acteur, la différence apparaît plus minime qu'une feuille de papier à cigarette. Pianiste raté dans le film, il a incarné dans la vraie vie la figure de l'artiste maudit qui n'a jamais obtenu la reconnaissance qu'il méritait ni de son vivant (comme Bernard Giraudeau, autre écorché vif qui a sabordé sa carrière, il a été plusieurs fois nominé mais n'a jamais reçu de récompense*) ni à titre posthume, définitivement écrasé par la figure de plus en plus ogresque de Depardieu. Comme son personnage également, Dewaere est passé à côté de son rôle de père en se suicidant alors que ses filles n'avaient que 8 et 3 ans après s'être séparé de leurs mères dans des conditions houleuses. La question de la bonne distance est d'ailleurs centrale dans "Beau-Père", Marion étant une adolescente trop proche de son beau-père mais également trop éloignée de son père biologique tout aussi immature et irresponsable Charly (Maurice Ronet qui était également malade au moment du tournage, pas très joyeux tout ça). Enfin le dernier aspect, le plus délicat réside dans le fait que Patrick Dewaere se confronte avec ce film aux démons de son enfance, marquée par l'inceste et la pédophilie. C'est le sens du renversement des rôles que propose le film où il apparaît comme un homme-enfant ayant besoin d'être materné qui succombe aux assauts de sa belle-fille plutôt que comme l'adulte qui profite de la situation. Dans la réalité, ce serait le cas. Un adulte défaillant reste un adulte et devrait rendre des comptes à la société sans parler des dégâts sur la jeune fille une fois devenue adulte ce dont le film ne parle pas et pour cause, l'état d'esprit de 1981 n'était pas celui de 2020**. Le film se déroule dans la profondeur des abysses de la psyché, c'est ce traumatisme profond qui rejaillit à la surface. D'ailleurs il est éloquent que Marion (Ariel Besse) aussi bien que Charlotte (Nathalie Baye) soient atteintes du syndrome de l'infirmière; "Je vais te faire oublier tous tes cafards, toutes tes misères", "Je vais te guérir tu vas voir, je vais te guérir". Une illusion devant laquelle toutes les femmes ayant voulu jouer le rôle de sauveur se sont cassés les dents.

* Dans un article que j'ai pu lire issu du journal "Le Monde" daté de 1981, l'auteur compare "Beau-Père" et "Passion d'amour" d'Ettore Scola où j'ai découvert la dualité de Bernard Giraudeau, l'âme tourmentée derrière la façade solaire. Et est-ce vraiment un hasard si dans le film qu'il a réalisé "Les Caprices d'un fleuve" il met en scène une histoire incestueuse entre le personnage qu'il interprète et sa fille adoptive?

** Le film se situe dans une époque où les violences sexuelles faisaient l'objet d'un déni ce qui n'est pas étranger à l'issue tragique de la vie de Patrick Dewaere. Avant 1968, l'idéologie dominante imprégnée de catholicisme pudibond faisait de la sexualité quelque chose de sale et de tabou dont on ne parlait pas et que l'on réprimait. Après 1968, une autre idéologie (naïve ce qui a lâché la bride aux cyniques individualistes tout comme aux pervers) s'est superposée voire substituée à la première faisant de la sexualité débridée tous azimuts le nec plus ultra de l'épanouissement personnel ce qui revenait à dénier sa part sombre c'est à dire son utilisation dans les rapports de pouvoir sous forme d'emprise ou de violences. Patrick Dewaere présente le même type de masculinité fragile et ravagée que le personnage de Swann Arlaud dans "Grâce à Dieu" de François Ozon alors que Marion a des points communs avec Vanessa Springora (l'âge, la précocité sexuelle, le modèle paternel défaillant, le désir pour un homme plus âgé, le "consentement" dont elle s'est aperçu des années plus tard de son iniquité pour une jeune fille n'ayant aucun point de comparaison).

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L'Ennemi intime

Publié le par Rosalie210

Florent Emilio Siri (2007)

L'Ennemi intime

Surnommé le "Platoon" français, "L'Ennemi intime" va pourtant chercher son titre et sa réflexion dans le documentaire de 2003 en deux parties de Patrick Rotman consacré à la guerre d'Algérie et plus précisément au processus par lequel de jeunes appelés français se sont transformés au sein de l'armée en bourreaux. Néanmoins la référence hollywoodienne est tout à fait pertinente et ce pour plusieurs raisons:

- Bien que catalogué film de guerre, tout dans ce film rappelle le western, au point d'ailleurs que la similitude avec "Fureur Apache" de Robert Aldrich m'a sauté aux yeux mais également avec d'autres westerns crépusculaires des années 1970 comme ceux de Sam Peckinpah. On peut aussi faire le rapprochement avec certains des derniers films de John Ford ("L'Homme qui tua Liberty Valance") et ceux de Sergio Léone. Le réalisateur Florent-Emilio Siri a travaillé à Hollywood et connaît donc bien son affaire.

- Ensuite parce que la parallèle effectué entre la guerre du Vietnam et celle d'Algérie est pertinent. Ce sont des conflits contemporains dont les causes sont différentes mais la nature similaire. C'est à dire des guerres asymétriques opposant une armée de métier (celle de la puissance impérialiste) à une guérilla (celle du pays occupé). Des guerres par ailleurs non assumées comme telles. Dans le cas du Vietnam, les soldats US étaient juste censés prêter main-forte à l'armée du Vietnam du sud contre celle du nord et surtout contre les communistes armés du sud (les Vietcongs). Une stratégie de l'endiguement datant de 1947 et se manifestant par des interventions indirectes. Dans le cas de l'Algérie comme le rappelle le film, le mot guerre n'est même pas employé car depuis 1848, l'Algérie a été annexée à la France. Celle-ci maintient donc dans son discours et en décalage total avec la réalité que l'Algérie est un morceau du territoire national qui relève du ministère de l'intérieur et que les soldats sont censés aller y maintenir l'ordre contre des terroristes et non y faire la guerre. Le même déni de langage touche d'ailleurs les armes employées ("bidons spéciaux" au lieu de napalm dont une scène montre les effets dévastateurs). Ce type de guerre est par ailleurs impossible à gagner pour la puissance occupante car la technologie s'avère inopérante face à un ennemi invisible qui a l'avantage du terrain et peut se fondre dans la population civile (le film montre à deux reprises combien cette confusion peut avoir des conséquences funestes). Par conséquent ces conflits lorsqu'ils ne trouvent pas de solution politique immédiate aboutissent à un enlisement (le fameux "bourbier"). Et c'est l'impuissance à identifier l'ennemi qui conduit à une montée paroxystique de la violence tels que des massacres de villages entiers, des séances de torture jusqu'à ce que mort s'ensuive ou l'emploi d'armes de destruction massive.

- Enfin la comparaison avec les films Hollywoodiens est également intéressante en ce qu'elle rappelle que les américains ont immédiatement regardé en face leur histoire avec une série de films importants traitant de la guerre du Vietnam dès les années 70 alors que la France s'est voilé la face et a imposé une chape de plomb sur le sujet pendant des décennies. Une attitude guère étonnante au vu de la censure ayant frappé "Les Sentiers de la gloire" (1957) qui critiquait l'Etat-major de l'armée française pendant la première guerre mondiale ou de la question sensible du régime de Vichy. "La Bataille d'Alger" (1966) de Gillo Pontecorvo a été interdit en France jusqu'en 2004 soit deux ans avant "Indigènes" et trois ans avant "L'Ennemi intime".

L'alliance d'un terreau documentaire solide* et d'un sens hollywoodien du spectacle aboutit donc à un film tout à fait remarquable, jalon essentiel du traitement de la guerre d'Algérie par la fiction en France au moment du paroxysme de sa cruauté c'est à dire en 1959 dans les maquis du FLN renommés par l'armée française "zones interdites" pour que les soldats puissent tirer sur tout ce qui bouge. L'extrême cruauté d'un conflit qui conduit d'anciens frères d'armes de la seconde guerre mondiale à choisir des camps opposés et à s'entretuer est soulignée de même que le processus de haine aveugle qui s'empare des recrues face aux atrocités commises par le FLN dont le film ne nous cache aucun détail tout comme il n'occulte rien de celles que les soldats français imposent aux locaux, pas seulement pour des raisons rationnelles (obtenir des renseignements) mais aussi pour se venger selon la loi du talion**. La descente aux enfers de l'idéaliste lieutenant Terrien (Benoît Magimel) s'oppose au cynisme désabusé du beaucoup plus expérimenté sergent Dougnac (Albert Dupontel) mais aboutit dans les deux cas à les briser en tant qu'être humain.

* Même si pour des raisons de lisibilité d'un conflit complexe, des simplifications ont été opérées. Par exemple les habitants du village de Teida massacrés au début du film sont présentés comme des harkis alors que cet épisode s'inspire du massacre du village de Melouza par le FLN en représailles contre le fait que ses habitants soutenaient un mouvement indépendantiste rival du FLN, le MNA dirigé par Messali Hadj.

** La manière dont la conscience individuelle est broyée par les mécanismes de la guerre est au cœur du film et explique comment d'anciens résistants qui avaient subi la torture ont pu l'infliger à leur tour, cette inversion des rôles conférant au FLN le statut de résistants.

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