Court-métrage inédit de Agnès VARDA mis en ligne par l'American Cinematheque, "La petite histoire de Gwen la bretonne" s'ajoute à ceux, courts et longs qu'elle a réalisé à Los Angeles où elle a vécu à deux reprises, d'abord à la fin des années soixante ("Oncle Yanco" (1967), "Black Panthers" (1968) et "Lions Love") (1969) puis au début des années quatre-vingt ("Mur, murs" (1980) et "Documenteur") (1981).
"La petite histoire de Gwen la bretonne" a été réalisé en marge du tournage de "Les Plages d'Agnès" (2007). En effet Agnès VARDA a retrouvé à Los Angeles une amie, Gwen Deglise qu'elle avait connu à Paris en 1996 et dont elle retrace le parcours en forme de "success story". Gwen était venu vendre des livres au domicile de Agnès Varda rue Daguerre pour financer son voyage outre-Atlantique où vivait son petit ami de l'époque. Bien qu'ayant rompu avec lui, elle est resté et a "fait son trou" dans le milieu du cinéma avec bonheur puisqu'en 2008, elle est devenue la directrice de l'une des salles de la cinémathèque américaine. Son histoire se mêle à celle de Agnès VARDA qui reconstitue des souvenirs de son second séjour à Los Angeles au début des années 80 selon la technique du film-collage qu'elle affectionne. Gwen lui rappelle en effet une autre jeune française fauchée qui tentait alors sa chance à Los Angeles, Patricia MAZUY. Agnès Varda et Patricia Mazuy s'étaient liées d'amitié en se partageant la même salle de montage et cette dernière a par la suite assuré celui de "Sans toit ni loi" (1985) avant de devenir réalisatrice à son tour. Agnès Varda réussit ainsi par un jeu de va et vient temporel à dresser un portrait d'un Los Angeles intimiste à travers le portrait de trois femmes de générations différentes réunies par une expérience commune car si la France est le berceau du cinéma, Los Angeles est sa "Mecque".
"La Saveur des Ramen" est un film de commande dont le scénario, simple voire convenu est rehaussé et même transcendé par la façon dont il est accommodé. L'histoire comme je le disais est des plus basique avec pour héros un jeune homme, Masato, issu d'une union mixte qui à la mort de son père japonais découvre le journal intime de sa mère et part en pèlerinage à Singapour sur les traces de son enfance et de sa famille maternelle. Pour nouer des liens avec cette part de son identité quelque peu oubliée/refoulée, la cuisine joue un rôle essentiel. Tous les personnages de l'histoire qu'ils soient singapouriens ou japonais sont restaurateurs ce qui constitue leur langage commun. Les émotions sont traitées par le biais des sens et en particulier du goût (même si la vue des plats met également en appétit). De ce point de vue, on ne peut s'empêcher de penser au film "Les Délices de Tokyo" (2015) qui racontait également une histoire de filiation et de transmission par le biais d'une recette de cuisine. Mais les saveurs sont aussi, comme la petite madeleine de Proust, vectrices de mémoire. Par-delà les réminiscences de Masato et de sa famille maternelle (traitées en flashbacks), le film effectue aussi un rappel historique sur les relations complexes entre le Japon et ses voisins asiatiques faites de traumatismes (le poids de la seconde guerre mondiale durant laquelle le Japon a occupé et martyrisé une grande partie de l'Asie du sud-est) mais aussi d'influences culturelles (on découvre en particulier l'origine chinoise des ramens japonais* et le titre en VO "Ramen Teh" est la recette que Masato expérimente pour sa grand-mère qui mélange les ramens et le Bak Kut Teh, le plat national singapourien). Les personnages sont brossés avec une délicatesse toute asiatique qui compense ce que le film peut avoir par moment d'ouvertement sentimental. Si bien que l'alliage final est réussi comme quoi on peut surprendre, charmer, ouvrir l'appétit et faire réfléchir à partir d'éléments a priori peu ragoûtants ^^^^.
* Ils ont été apportés au Japon par des commerçants chinois à la fin du XIXème siècle et jusque dans les années 1950, on ne parlait pas de ramens mais de « shina soba », soit les « soba chinois.
On a déjà beaucoup écrit sur "Grâce à Dieu", qui est effectivement remarquable et qui restera sans doute l'un des sommets de la filmographie de François OZON. Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce film, c'est la manière dont le réalisateur transforme des faits réels en matière fictionnelle en réussissant à donner beaucoup de relief à des personnages reliés les uns aux autres par le même traumatisme, celui d'avoir été abusé dans leur enfance par un prêtre pédophile mais néanmoins très différents dans leur mode de vie, leur caractère etc. La réussite de ce film réside selon moi dans cette confrontation du "même" et de "l'autre" qui fait que d'une part une action collective peut se mettre en place mais que de l'autre chacun reste un individu irréductible aux autres. La façon dont François (Denis MÉNOCHET) dont la colère nourrit l'outrance iconoclaste envers l'Eglise s'oppose à Alexandre (Melvil POUPAUD) pas moins déterminé que lui mais plus policé, plus fuyant aussi car essayant de concilier la vérité avec sa foi quitte à se faire manipuler enrichit la connaissance que nous avons de ces deux personnages tout comme la découverte surprenante qu'en dépit de leurs milieux sociaux et de leurs couples diamétralement opposés, Emmanuel (Swann ARLAUD) et Alexandre ont des compagnes qui partagent le même traumatisme qu'eux. Les familles des trois personnages principaux illustrent également trois réponses différentes face au crime commis sur leur enfant. Celle d'Alexandre est dans le déni et retourne la charge de la culpabilité sur le mauvais fils accusé de "remuer la merde" (on comprend mieux pourquoi ce pauvre Alexandre s'échine à vivre en bon catholique pour "se faire pardonner" de vouloir protéger ses enfants de la reproduction de ce qu'il a lui-même subi). Celle de François au contraire l'a soutenu depuis le départ en écrivant des lettres de protestation qui serviront ensuite de preuves à charge. Enfin, celle, dysfonctionnelle d'Emmanuel se compose d'un père sourd et aveugle aux souffrances de son fils et d'une mère au contraire très empathique (remarquable Josiane BALASKO).
A travers ces trois portraits tous aussi remarquables les uns que les autres, le caractère intimiste du film de François OZON saute aux yeux. Et son originalité également. A l'opposé d'un film-dossier désincarné, ce qu'il nous livre ici c'est la vérité d'une autre masculinité que celle des oppresseurs. En effet les débats post Me Too ont tendance à le faire oublier mais les femmes ne sont pas les seules victimes de la phallocratie et du patriarcat dont l'institution de l'Eglise catholique est l'une des incarnations. Les enfants le sont encore davantage qu'ils soient filles ou garçons. La violence des dominants s'exerce sur des dominés, peu importe leur identité sexuelle comme l'ont montré les systèmes esclavagistes, coloniaux ou génocidaires. Si certains garçons abusés dans leur enfance (comme le père Preynat lui-même) ont ensuite rejoint une fois adulte le clan des hommes de pouvoir en commettant des agressions en toute impunité pendant des décennies pendant que d'autres, brisés à jamais se détruisaient, les personnages du film de Ozon refusent de reproduire cette dualité dominant/dominé, violeur/violé, bourreau/victime et décident de restaurer leur dignité et de reconstruire leur identité en assumant leurs blessures. C'est en cela que ces hommes fragiles et blessés sont objectivement des alliés des femmes et que le féminisme contrairement à ce que ses ennemis veulent faire croire ("diviser pour mieux régner") s'étend à toute l'humanité et pas seulement à l'un ou l'autre des deux sexes.
Trois femmes très différentes se souviennent d'un homme insaisissable qu'elles ont aimé mais qui leur a filé entre les doigts avant de se fracasser quelque part sur une route vers la Normandie. Cette adaptation de la nouvelle éponyme de Paul Morand par Jean EPSTEIN ressemble à un puzzle. Elle épouse l'aspect fragmentaire d'un récit reposant sur trois témoignages rétrospectifs forcément parcellaires car d'une part intimement liés à la perception de celle qui le donne et d'autre part retravaillés par leur mémoire à la lumière du temps passé et des événements dramatiques survenus depuis. Néanmoins ce qui ressort c'est le caractère évanescent et fuyant du jeune homme dont on n'apprend pas grand-chose au final sinon qu'il préfère la liberté (laquelle se confond pour lui avec la vitesse) plutôt que l'engagement avec une femme. Chaque témoignage se conclue en effet invariablement par un mot de rupture écrit par le jeune homme qui qualifie sa première conquête, une bourgeoise anglaise prénommée Pearl de "démodée", la seconde, une artiste prénommée Athalia à l'inverse le perd en cours de route (au sens figuré!) et pour la troisième, une ouvrière calme et mélancolique prénommée Lucie, il prétend avoir une urgence. Ce n'est pas le seul point commun des trois récits, la présence d'un confident qui recueille le témoignage fait également le lien ainsi que des "flashs" étranges sur des lignes électriques et des oiseaux posés dessus ainsi qu'un bolide sortant d'un parking et filant à toute allure, flashs qui ne prennent tout leur sens qu'à la fin quand les trois récits se rejoignent autour du même drame, filmé comme s'il y avait un passager dans la voiture. J'aime beaucoup la façon dont le rythme du film s'emballe en même temps que l'ivresse du jeune homme avec des travellings et un montage de plus en plus nerveux avec des inserts sur des panneaux annonçant le danger. Bref c'est immersif et diablement efficace (on savait déjà l'être en 1927, Nicolas WINDING REFN n'a rien inventé avec son "Drive") (2011)! Et la dernière image en surimpression évoquant un fantôme vu à travers un prisme (les "trois faces" du titre) avant de s'évanouir pour toujours est très évocatrice de l'ensemble du film.
Poème cinématographique inspiré de deux nouvelles de Edgard Allan Poe ("La chute de la maison Usher" et "Le Portrait ovale") regroupées dans ses "Nouvelles histoires extraordinaires" traduites par Charles Baudelaire, "La chute de la maison Usher" distille une atmosphère étrange et envoûtante qui m'a un peu fait penser à "La Belle et la Bête" (1945) de Jean COCTEAU. Le décor gothique du manoir et les nombreux ralentis y sont pour quelque chose. Le début quant à lui ressemble beaucoup à celui de "Nosferatu le vampire" (1922) avec son étranger qui cherche un moyen de transport pour se rendre dans un endroit visiblement maudit/hanté puisqu'il suscite l'effroi autour de lui. Mais le parallèle avec le film de Friedrich Wilhelm MURNAU ne s'arrête pas là car "La chute de la maison Usher" est une grande histoire de vampirisme qui peut faire penser aussi à "Le Portrait de Dorian Gray" (1944). Le couple Usher qui vit reclus dans un manoir incarne l'aristocratie moribonde. Le mari, Roderick qui est une sorte de mort-vivant halluciné s'acharne à perpétrer la tradition familiale qui consiste à peindre sa femme, laquelle épuise ses forces dans ces interminables séances de pose ou plutôt de transfusion de la vie vers la mort. Pourtant dans une sorte de renversement de situation celle-ci ne semble pas avoir le dernier mot puisque l'épouse prétendument défunte revient à la vie au milieu d'un déchaînement des forces de la nature pour sauver son mari et l'emporter loin de la maudite demeure qui s'écroule alors d'elle-même*.
Jean EPSTEIN créé une oeuvre éminemment atmosphérique et onirique grâce notamment à de nombreux effets visuels poétiques expérimentaux avant-gardiste (les ralentis donc qui sont incroyablement beaux mais aussi des surimpressions, des travellings et un montage qui fonctionne sur un système de rimes) et il s'écarte sensiblement de Poe quant au sens de l'histoire qu'il raconte. Bien que morbide dans sa tonalité, le film narre le miracle d'une résurrection en lien étroit avec les forces de la nature, lesquelles renversent les "châteaux de cartes" emprisonnant les hommes dans leurs griffes mortifères là où Poe au contraire narre la fin d'un monde rongé par l'endogamie voire l'inceste.
* Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Rebecca (1939), son château gothique et son portrait maudit qui doivent périr pour que leurs occupants aient un avenir.
"Sweetie" est le décapant et déstabilisant premier long-métrage de Jane CAMPION. Celle-ci n'était cependant pas une débutante et avait déjà construit un univers très singulier, ses courts-métrages en particulier fournissant une clé de compréhension essentielle de ses futurs films. Ainsi le palmé "Peel, exercice de discipline" (1982) repose sur les mêmes principes fondamentaux que "Sweetie": huis-clos familial étouffant, névroses, contraste entre le contenant/enveloppe/écorce (civilisation, culture, contrôle) et le contenu/substrat/terreau (nature, inconscient) etc.
"Sweetie" qui bénéficie d'un style fait pour susciter le malaise (par exemple des cadrages étranges, souvent décentrés et/ou en plongée qui ne laissent voir qu'une partie du corps) raconte l'histoire de deux sœurs aux tempéraments opposés mais qui ne sont en réalité que deux facettes de la même névrose familiale. La première, Kay (Karen Colson), pâle et maigre, est neurasthénique et frigide, elle a une peur bleue de la vie et en particulier de ce qui grouille sous le sol, autre façon de dire qu'elle est affreusement mal dans sa peau. Elle est particulièrement angoissée par les crevasses et les trous c'est à dire par toutes les fissures à travers lesquelles l'incontrôlé qui la terrifie pourrait jaillir (en cela elle est semblable dans sa peur de la sexualité à l'héroïne de "Répulsion" (1965)). Autrement dit c'est une personne parfaitement stérile qui s'est enfermée dans une cour intérieure bétonnée entourée de palissades pour survivre. Toute excroissance, tout jaillissement lui sont insupportables: elle arrache l'arbrisseau planté par son petit ami à qui elle se refuse et sa sœur doit casser un carreau pour entrer par effraction chez elle. Cette sœur, Dawn, surnommée Sweetie (Geneviève LEMON) est aussi ronde et exubérante que Kay est maigre et effacée. Maniaco-dépressive, capricieuse, obscène (Sweetie est tout aussi obsédée par les orifices que Kay mais au lieu de les éviter, elle les utilise avec une fureur orgiaque), infantile, elle détruit tout sur son passage telle une tornade et se comporte comme un gros bébé hystérique ne supportant pas la frustration. Elle vit dans un délire façonné par son père selon laquelle elle est une princesse et un génie promise à la gloire, délire matérialisé par une cabane dans les arbres, l'équivalent de la cour de Kay puisqu'il s'agit d'un univers tout aussi clos en plus d'être "perché". Sweetie ne survivra pas d'ailleurs à son "retour sur terre" alors que Kay au terme d'un road trip apprendra à vivre un peu plus en harmonie avec elle-même.
Stéphan Archinard et François Prévôt-Leygonie (2018)
Lorsque j'avais vu la bande-annonce, je craignais que le syndrome d'Asperger ne serve de prétexte à un mélo sirupeux d'autant que certaines répliques telles que "avouez que vous l'aimez ce gosse" allaient dans ce sens. Mais finalement, après l'avoir visionné, je trouve que le film est tout à fait honorable sans être transcendant non plus. Le scénario, prévisible n'est pas exempt de maladresses telles que la manière téléphonée dont Vincent et Léo sont amenés à se rencontrer et à cohabiter ainsi que le personnage de la médiatrice pédagogue, Mathilde (Alice DAVID) qui est peu vraisemblable et lourd (les citations à la guimauve, c'est elle). J'ai trouvé également un peu dommage que le milieu dépeint soit si bling-bling (château et grande maison sur l'île de Ré) et ne reflète pas davantage la vie d'une immense majorité de français, y compris Asperger. Enfin, je me répète mais il faudrait sortir du stéréotype de l'autiste savant "génie des maths" tout droit sorti de "Rain Man" (1988) dont le talent "justifie" que la société fasse des efforts pour l'intégrer. Cela ne reflète en rien la réalité puisque si les aspies ne souffrent ni de déficience intellectuelle ni de retard de langage, beaucoup ont une intelligence dans la moyenne, loin des "prouesses" consistant par exemple à réciter par cœur les centaines de chiffres du nombre Pi. Et d'autres ont beaucoup plus d'appétence pour les lettres que pour les chiffres auxquels ils n'entendent rien.
Ceci posé, le jeune Max BAISSETTE de MALGLAIVE fait une composition assez remarquable et la manière cérébrale dont Léo appréhende le football si elle n'est sans doute pas réaliste a le mérite de montrer comment fonctionne une intelligence différente. Quant à Arnaud DUCRET, il s'en sort plutôt bien dans un rôle plus dramatique et plus intéressant que ceux auxquels il est habitué. Si Léo est un handicapé social, Vincent est un handicapé des sentiments fuyant toute forme d'attachement qui est amené à s'engager malgré lui dans un lien affectif. Son immaturité le place au même niveau que Léo (il souffre d'ailleurs même d'un complexe d'infériorité, celui du "gros connard de footballeur" face à une machine à calculer vivante qui a réponse à tout, d'où le titre du film) et le fait qu'il ne soit pas très empathique (ni très sympathique d'ailleurs) et rejette avec une certaine brutalité les liens familiaux (dans un pays où ceux-ci sont assez sacralisés) déjoue le sentimentalisme que l'on pouvait craindre et entraîne une certaine authenticité dans la relation entre les deux personnages.
Attention! Une histoire peut en cacher une autre. "Shutter Island" fait partie de ces thrillers paranoïaques en forme de films gigogne* reposant sur une mise en abyme (une mise en scène au sein de la fiction qui redouble celle du film lui-même) ce qui nécessite de le voir au moins deux fois pour l'apprécier pleinement. La première fois, on est guidé par le point de vue du personnage principal, Teddy Daniels (Leonardo DiCAPRIO très présent à cette époque dans les films en forme de labyrinthe mentaux) alors que la deuxième, on suit davantage celui du "chef d'orchestre" qu'est le Dr. Cawley (Ben KINGSLEY).
Même si à mon goût "Shutter Island" est un peu trop cérébral (je veux dire par là froid, désincarné), la virtuosité de la mise en scène ne peut que susciter l'admiration. La maîtrise de l'espace en particulier est remarquable. Comme le titre l'indique, le film est un huis-clos sur une île où le sentiment d'enfermement est omniprésent dès le départ avec une atmosphère oppressante (brouillard, tempête) et un système de clôture qui assimile d'emblée l'hôpital psychiatrique à un camp de concentration dans l'esprit de Teddy (on comprendra pourquoi plus tard). Néanmoins et c'est cela qui est remarquable, plus le film avance, plus le sentiment de claustrophobie du spectateur augmente au fur et à mesure que Teddy progresse dans une enquête qui à première vue est policière (disparition mystérieuse et indices laissant entendre que des expériences interdites ont lieu sur les patients de l'île) mais qui est en réalité psychanalytique (il progresse dans ses propres abysses ponctués de rêves qui nous permettent de reconstituer le puzzle de son passé traumatique). Les clés du mystère sont symbolisées par des forteresses a priori inexpugnables (le bâtiment C, le phare) qu'il parvient néanmoins à investir et dans lesquelles il fait des découvertes majeures. La question que la fin ouverte laisse en suspens est la suivante: va-t-il pouvoir supporter la vérité?
A cette double couche (policière et psychanalytique) s'en ajoute une troisième qui est historique. l'intrigue se déroule en pleine guerre froide, plus précisément dans les années cinquante où la paranoïa anticommuniste faisait rage aux USA avec le maccarthysme. Au nom de la doctrine de l'endiguement (du communisme), les USA ont commis des crimes d'Etat aussi bien à l'intérieur (chasse aux sorcières contre les présumés ennemis de l'intérieur) qu'à l'extérieur (coups d'Etat, assassinats pour conserver ou augmenter leur influence). Et dans la course à l'innovation technologique qui les opposait à l'URSS, ils ont "recyclé" dans le cadre de l'opération Paperclip plus de 1500 scientifiques nazis symbolisés dans le film par le docteur Naehring (Max von SYDOW) que Teddy assimile implicitement au docteur Mengele (réfugié en Amérique latine mais celle-ci n'était-elle pas la chasse gardée des USA?). Le traumatisme de Teddy a donc un double sens, individuel et collectif. Il symbolise la mauvaise conscience d'un pays qui n'a pas levé le petit doigt pour arrêter le génocide pendant la guerre et qui a ensuite offert un asile aux bourreaux afin de s'en servir dans ses objectifs de puissance. Tout comme "La Liste de Schindler" (1993), les victimes sont symbolisées par une petite fille qui ne cesse de dire à travers les réminiscences de Teddy "Pourquoi ne m'as-tu pas sauvée?"
* "Usual suspects" (1995) ou "Sixième sens" (1999) sont d'autres exemples de films célèbres où le spectateur suit une fausse piste avant qu'un retournement final ne lui donne les clés de la manipulation dont il a fait l'objet.
"Neuilly sa mère" est en surface une sympathique comédie familiale pseudo-consensuelle à la réalisation impersonnelle qui repose sur le scénario éculé du rapprochement de deux mondes que tout oppose: les jeunes des cités de banlieue et la grande bourgeoisie… de banlieue (mais ce n'est pas la même banlieue ^^^) à coups de gros clichés: fils à papa BCBG odieux et filles de bonne famille rebelles contre (gentilles) "racailles" avec pour point de rencontre un scénario hautement improbable (les secondes noces de Stanislas de Chazelle avec une algérienne dont la sœur vit dans une cité difficile, on y croit hum, hum…) Je ne suis pas sûre que le film soit aussi neutre qu'il le prétend car le scénario inverse (un fils de bonne famille cherchant à s'intégrer dans une cité de banlieue en subissant quotidiennement la violence du milieu sans broncher ou en implorant son "pardon" au moindre écart) n'aurait pas été présenté comme une "success story" et n'aurait sûrement pas rencontré la même adhésion (ça aurait même plutôt fait grincer des dents). Et même si la majorité des gens en France ne passent pas leur temps à écouter du Mozart ou à lire du Hugo cela reste les références de la culture dominante alors que celle qui est générée par la banlieue est largement méprisée comme le montrent les sketches tout sauf neutres mais très populaires d'un Laurent Gerra.
Malgré ces réserves, le film bénéficie de deux atouts incontestables qui l'ont fait sortir du tout-venant: une excellente interprétation, en particulier; des deux adolescents jouant Sami et Charles et des punchlines bien trouvées tirées des meilleurs slogans sarkozystes dont Charles est un inconditionnel du genre "Ma chambre tu l'aimes ou tu la quittes" ou "Etudier plus pour réussir plus".
J'avais beaucoup aimé cette version cinématographique du "Bossu" adaptée du roman-feuilleton de Paul Féval à sa sortie et le revoir m'a procuré tout autant de plaisir. Bien sûr, il s'agit d'un film qui n'a d'autre prétention que de divertir et pour cause, le roman, modèle du genre "cape et épée" est lui-même truffé de péripéties rocambolesques savoureuses mais complètement invraisemblables sur un (vague) fond historique. Mais Philippe de BROCA qui était alors au creux de la vague réalise un film bien rythmé qui a permis au public de redécouvrir son savoir-faire dans le domaine de la superproduction bondissante. La mise en scène est soignée (beauté des décors qu'ils soient naturels ou reconstitués, chorégraphies précises des combats) et les acteurs sont particulièrement inspirés (ou bien dirigés). Outre le clin d'œil à "Que la fête commence" (1975) avec un Philippe NOIRET qui reprend son rôle du régent 20 ans après le film de Bertrand TAVERNIER, Vincent PEREZ qui était alors le jeune premier à la mode dans le genre s'en sort bien dans le rôle du Duc de Nevers. Mais les deux stars sont sans conteste Daniel AUTEUIL dans le rôle du chevalier de Lagardère et Fabrice LUCHINI dans celui de Philippe de Gonzague. Certes, Daniel Auteuil est clairement trop âgé pour un rôle aussi physique qui est aussi un rôle de séducteur (mais à cette époque comme plus tard les romances entre quadra-quinqua et jeunettes à l'écran étaient quasiment la norme) mais il fait merveille dans celui du bossu, double fantasmatique de Lagardère. Car le bossu est une projection de sa psyché, lui qui se voit comme le vilain petit canard parvenu dans le monde de la haute société qu'il est amené à fréquenter. Quant à Luchini, il compose un Gonzague aussi inquiétant qu'hilarant. C'est avec ce film que j'ai changé d'avis sur cet acteur que je n'appréciais pas jusque là car je pensais à tort qu'il était incapable d'autodérision.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.