"Leaving Las Vegas" est l'un des films qui fait le mieux ressentir ce qu'est le "blues" et au-delà les abysses de la dépression. C'est un film que certaines critiques (français) méprisent alors qu'il est d'une justesse terrible. Peut-être d'ailleurs ce mépris est-il lié justement à cette justesse terrible, viscérale, crue. L'auteur du roman qui a inspiré le film, John O'Brien était comme Ben, son personnage, un scénariste alcoolique et autodestructeur (il s'est suicidé deux semaines après la vente des droits d'adaptation de son livre) et la manière dont il décrit la déchéance de Ben s'en ressent. C'est viscéral. On est au plus près du corps, de l'esprit et du cœur d'un homme dont la santé comme la vie part en lambeaux. Et ce sans aucune complaisance. Car comme dans "Le Feu follet" (1963) et son remake "Oslo, 31 Août" (2011), Ben a choisi de mourir et sa résolution est irrévocable. Nulle mièvrerie, nulle pleurnicherie. Et Nicolas CAGE traduit tout cela de façon remarquable. Il y a du naturalisme dans son jeu, au point que l'on peut rapprocher "Leaving Las Vegas" de "L'Assommoir" pour la façon dont est dépeinte la progression de la maladie (les crises de manque ou les bouffées de violence par exemple) et la descente aux enfers qui va avec. Mais il y a aussi la palpable souffrance de l'âme qui l'accompagne dans sa dérive solitaire en raison du dégoût que celui-ci suscite autour de lui.
En effet le film est également puissant dans le jeu de miroirs qui se tisse entre Ben et son environnement. L'atmosphère décadente de Las Vegas dans laquelle il part se noyer dans l'alcool s'oppose à celle de Los Angeles où il a perdu tous ses cadres (travail, famille, amis). Et puis il y a son "alter ego", Sera (Elisabeth SHUE). Leur relation est au coeur du film. Elle est d'une logique implacable cette relation tant les personnes qui ont une faible estime d'elle-même sont attirées par celles qui leur ressemblent ou qui semblent être encore dans un état pire que le leur. Sera comme Ben est une solitaire, une âme errante, une fille perdue qui est rejetée de partout. Les nombreuses scènes où elle se fait chasser des lieux qu'elle occupe sont glaçantes, cette violence sociale étant aussi insoutenable que celles qu'elle subit dans sa chair en raison de sa condition de prostituée subissant la tyrannie masculine. C'est parce que Ben n'est pas en état de la dominer qu'elle envisage de vivre avec lui, juste pour "se tenir chaud", sans rien exiger en retour. Mais en dépit de la tendresse et de la compréhension mutuelle qui imprègnent leurs rapports, leur vie commune est sans issue et leur sexualité longtemps empêchée s'accomplit dans l'urgence du désespoir (ne parlons même pas de la vie sociale marquée par la stigmatisation, l'exclusion et l'errance). On est quelque part entre "Une journée particulière" (1977) et "Head-on" (2004). La superbe bande-son interprétée par Sting participe pleinement du climat poisseux et mélancolique qui imprègne le film.
J'avais adoré ce film à sa sortie et le revoir plus de 20 ans après m'a confirmé qu'il n'avait pas pris une ride. "L.A. Confidential" est un somptueux néo-noir qui se situe dans la tradition des grands classiques du genre qui ont contribué à alimenter l'âge d'or du cinéma hollywoodien dans les années 40 et 50. D'ailleurs l'action du film de Curtis HANSON se déroule justement dans les années 50 et il est adapté d'un roman de James Ellroy qui n'a rien à envier question intrigue alambiquée à ceux de Raymond Chandler (on l'a souvent comparé à "Le Grand sommeil" (1946) même si je trouve tout de même que "L.A. Confidential" est plus facile à comprendre et à suivre).
L'un des aspects du film que je trouve admirables réside dans la caractérisation d'un trio d'enquêteurs qui dès les premières secondes suscitent l'intérêt tant ils sont croqués et interprétés avec précision et justesse. Aucun n'est particulièrement sympathique. Jack Vincennes (Kevin SPACEY) est une diva combinarde qui alimente en scoop un journal de presse à scandale dirigé par Sid Hudgens (Danny DeVITO) en faisant sa publicité au passage. Bud White (Russell CROWE alors inconnu) est une brute épaisse qui ne sait s'exprimer que par des coups. Ed Exley (Guy PEARCE également inconnu à l'époque) est un froid technocrate dont les dents rayent le parquet ^^. Bud et Ed se détestent d'ailleurs cordialement. Mais aucun n'est univoque non plus. Ed est intègre, idéaliste et courageux puisqu'au nom de ses convictions il n'hésite pas à se mettre ses collègues à dos. Bud est sensible, ses déchaînements de violence ayant pour déclencheur son besoin de défendre les femmes battues. Ed et Bud finissent donc logiquement par "se trouver" car chacun défend au final une vision de la justice qui plonge ses racines dans une histoire personnelle similaire. Cela n'empêche pas l'un d'être capable de tuer de sang-froid et l'autre de cogner méchamment. Quant à Jack, sa crapulerie est contrebalancée par son profond désenchantement et une sourde envie de se racheter dont il va payer le prix en renonçant à la notoriété à laquelle il aspirait puisqu'il disparaît avant la fin du récit au profit de Ed et de Bud.
Ce trio de personnages principaux particulièrement forts ne doit pas masquer le fait que les personnages secondaires sont tout aussi remarquablement écrits. Deux sont particulièrement emblématiques de la dualité à l'œuvre dans le film. Lynn (Kim BASINGER) est une prostituée grimée en Veronica Lake selon le fantasme de l'époque qui consistait à se payer des sosies de stars faute de pouvoir les approcher en chair et en os. Et Dudley Smith (James CROMWELL), est le "double" chef, chef de la police de Los Angeles et chef de la pègre après l'arrestation du mafieux Mickey Cohen. Ces deux personnages révèlent l'envers peu reluisant du rêve hollywoodien, gangrené par la corruption du sexe et de l'argent. La frontière entre l'image glamour et la réalité sordide est d'ailleurs très poreuse comme le montre la scène où Ed prend Lana Turner pour une pute de luxe.
L'ensemble du film est à l'image de la caractérisation des personnages. C'est un travail d'orfèvre, une mécanique de précision où chaque détail compte que ce soit dans le scénario ou dans la reconstitution historique particulièrement soignée, donnant au film une densité, une maîtrise du rythme et des enjeux et une classe lui permettant de se hisser au niveau des chefs d'œuvres qui l'ont précédé tant dans le noir que dans le néo-noir (on peut le comparer par exemple à "Chinatown") (1974).
Cette version de "Orgueil et préjugés" qui est la plus connue à l'international est moins convaincante à mes yeux que celle de Simon LANGTON pour la BBC. Et ce n'est pas une question de format car la scénariste du film de Joe WRIGHT réussit plutôt habilement à condenser le roman de Jane Austen. L'autre aspect que je trouve réussi dans le film, c'est son atmosphère. Il y a un vrai travail impressionniste sur le climat et la lumière qui se ressent dans plusieurs scènes-clés comme la première déclaration de Darcy sous la pluie et la deuxième où il émerge de la brume matinale avant que le soleil ne se lève sur les amoureux. Le lac qui borde la maison des Bennett est particulièrement photogénique.
Mais que ce soit dû à l'écriture des personnages ou à l'interprétation des acteurs, le film ne retranscrit pas suffisamment l'esprit du roman et arrondit tous les angles. Le caractère incisif du personnage d'Elizabeth (Keira KNIGHTLEY) par rapport à la société de son époque n'est pas vraiment mis en valeur, pas plus que les divisons qui traversent la famille Bennet. Dans le film, celle-ci s'entend bien avec sa mère et n'est pas plus choquée que cela par le comportement de ses sœurs ce qui jure avec le texte de Jane Austen. Le caractère frondeur de Elizabeth est souligné en mode individualiste pour en faire une jeune fille moderne je suppose à laquelle les spectatrices peuvent s'identifier. Les inégalités de classe et de sexe qui sont au cœur de la machinerie sociale dans laquelle elle est plongée ne sont montrés que d'une manière superficielle alors qu'ils sont au cœur du roman qui est d'abord une satire sociale avant d'être une rêverie romantique. Mais l'interprétation la plus problématique est celle de Matthew MacFADYEN qui ne retranscrit pas du tout la morgue aristocratique de Darcy. Celui-ci apparaît seulement timide, emprunté voire dépressif, bref c'est "the boy next door" même s'il vit dans un grand château ^^^^. Décontextualiser à ce point l'œuvre de Jane Austen c'est donner corps aux préjugés de tous ceux qui pensent que c'est juste de la littérature Harlequin pour les filles en mal de romantisme de gare et c'est vraiment dommage
Je vais tout de suite parler du principal problème que pose aujourd'hui "Judex": son scénario "abracadabrantesque". Nous ne sommes plus habitués aux romans feuilleton qui faisaient les choux gras de la presse au XIX° siècle et qui pour tenir en haleine le public ne lésinaient pas sur les péripéties sensationnelles, les rebondissements, un suspense haletant et les grands sentiments pour donner envie de lire l'épisode suivant. "Le Comte de Monte-Cristo" qui est pourtant devenu un classique use des mêmes ficelles que "Judex". La trame de base est celle d'une vengeance ou plutôt d'une "justice personnelle" où le héros doté de pouvoirs quasi surnaturels devient un deus ex machina qui peut manipuler ses ennemis grâce à ses super déguisements, les séquestrer et même les faire passer pour mort. Il y a toujours un moment également où pour donner du piment à l'histoire, le (super)héros ou bien l'un de ses proches tombe amoureux de la fille de l'ennemi, une blanche colombe par opposition au "vilain" qu'il combat. Si le "vilain" est une "vilaine" elle portera alors un masque et des collants noirs, diablesse certes mais terriblement sexy!
Tout cela pour dire que "Judex" qui date de 1963 est un formidable film-passeur qui fait le lien entre la culture populaire écrite puis cinématographiée des origines et celle d'aujourd'hui. "Judex" est en effet un hommage aux serial de Louis FEUILLADE, l'un des pionniers du cinéma muet qui a adapté pour le septième art au début du XX° siècle le concept du roman feuilleton qui paraissait dans la presse. Parmi ses sérials les plus célèbres, Fantômas, "Les Vampires" (1915) et Judex dont le film homonyme de Georges FRANJU est le remake. Si l'intrigue est rocambolesque c'est à dire invraisemblable avec des personnages archétypaux (parfois très mal interprétés) qui semblent surgir de nulle part et agir selon des motifs pas toujours clairs, la poésie visuelle du film est tellement fulgurante qu'elle a eu des répercussions dans le cinéma contemporain. La filiation entre les héros masqués et capés des serial et les super-héros des comics saute aux yeux et si Judex peut préfigurer Batman, il est encore plus évident que MUSIDORA et son avatar chez Franju, Diana Monti interprétée par Francine BERGÉ est l'ancêtre de Catwoman. D'autre part la séquence anthologique du bal costumé avec des masques en forme de têtes d'oiseaux a inspiré à la fois Stanley KUBRICK pour son dernier film "Eyes wide shut" (1999) et la costumière de "Au revoir là-haut" (2016) de Albert DUPONTEL.
"Speed" est l'un des meilleurs films d'action de la fin du XX° siècle avec "Piège de cristal" (1988). Un film haletant, sans temps morts où la gestion intelligente de l'espace-temps et des rebondissements ne fait jamais retomber la tension. Il faut dire que les deux films sont des huis-clos plus propices au suspense qu'à l'action proprement dite qui se déploie dans de grands espaces. Les interactions entre les otages enfermés à l'intérieur des lieux clos jouent un rôle aussi important que les tentatives extérieures pour les délivrer. Le héros est lui-même enfermé avec les otages tout en étant distinct d'eux car il a plus de marge de manœuvre. Néanmoins il est faillible et ne peut s'en sortir seul ni physiquement, ni psychiquement. Dans "Piège de cristal" (1988), le soutien téléphonique du sergent Powell et les pieds nus ensanglantés du héros symbolisaient cette vulnérabilité. Dans "Speed", Jack (Keanu REEVES) échoue dans sa tentative de désamorcer la bombe placée sous le bus, n'est ramené à l'intérieur que grâce à l'aide des passagers avant de craquer lorsqu'il apprend la mort de son coéquipier. Il ne reprend le dessus que par le soutien psychologique de la passagère devenue conductrice Annie (Sandra BULLOCK qui a été révélée par le film). Car, d'une autre manière que dans le film de John McTIERNAN, "Speed" remet en cause les canons de la virilité de l'époque, l'invincibilité, l'appât du gain (principale motivation de terroristes très charismatiques, Dennis HOPPER étant un habitué des rôles de psychopathes), le goût du pouvoir, la tour phallique carcérale étant remplacée par une vitesse devenue piège mortel. Dans cette nouvelle donne, la femme se trouve une nouvelle place aux côtés du héros et non à sa remorque pour l'épauler et non subir sa loi. Enfin les deux films soulignent le rôle délétère que peuvent jouer les médias dans les situations de crise bien que Jack parvienne à les retourner à son avantage.
Franco ZEFFIRELLI n'est pas en soi un très bon réalisateur mais sa version de "Roméo et Juliette" est une merveille d'esthétisme mise au service d'un grand texte. Les décors, les costumes, la photographie restent plus d'un demi-siècle après un régal pour les yeux. La musique de Nino ROTA (le compositeur du film "Le Parrain (1972) et de nombreux Fellini) est merveilleuse. Autre point fort, le choix des acteurs et en particulier du couple vedette qui avait à peu près alors l'âge des personnages imaginés par William Shakespeare. Roméo et Juliette sont des adolescents, fougueux, passionnés mais également irréfléchis et puérils. Seule l'extrême jeunesse peut amener à aimer d'une façon aussi foudroyante et absolue et à braver les interdits sans se soucier des conséquences pourtant terribles que cet amour entraînera sur leurs deux familles rivales. En plus de cela Leonard WHITING et Olivia HUSSEY souvent filmés en gros plans sont beaux comme des dieux* et font penser à des peintures de la Renaissance. Il en va de même de la plupart des autres acteurs, je pense en particulier à Tybalt (Michael YORK) et à la nourrice (Pat HEYWOOD). En plus de cela la mise en scène est particulièrement dynamique avec de belles scènes de danse et des combats impeccablement chorégraphiés.
* Ils ont quelque chose d'angélique dans le visage et leurs costumes de couleur opposée (bleu pour les Montaigu, rouge pour les Capulet) m'ont fait penser à ceux que portent Catherine DENEUVE et Jacques PERRIN dans le film féérique de Jacques DEMY "Peau d'âne" (1970) qui est contemporain du film de Franco ZEFFIRELLI et qui utilise le même "code couleur".
Le film de fin d'études de Otar IOSSELIANI est le "Mon oncle" (1957) soviétique. Les ressemblances avec le film de Jacques TATI qui lui est contemporain sont nombreuses. Trois en particulier sautent aux yeux:
- La mutation des paysages et des habitats du taudis rural vers une supposée "modernité" urbaine aussi aseptisée qu'aliénante.
- Le traitement par petites saynètes burlesques jouant sur la compartimentation des espaces dans lesquels les bruitages émis par les objets remplacent la parole humaine devenue inaudible. La musique (notamment traditionnelle) joue également un rôle important et s'accompagne d'une chorégraphie qui règle les déplacements des personnages.
- La critique de la société de consommation et de son inflation d'objets inutiles, envahissants et chronophages.
Cependant là où Tati joue avec l'architecture bourgeoise minimaliste d'un pavillon, Iosseliani situe son histoire dans une barre d'immeuble où habitent des gens du peuple et dans lequel les appartements d'abord vides finissent par tellement se remplir d'objets qu'il n'y a plus de place pour la circulation tant des corps que des sentiments. L'amour du couple qui produit naturellement une énergie gratuite finit par s'éteindre, leur communication se réduisant à des disputes et leurs gestes deviennent de plus en plus machinaux, commandés par la seule nécessité de dépoussiérer, nettoyer et ranger les monceaux d'objets qui ont envahi leur appartement. De même, alors qu'au début leur porte est grande ouverte, ils finissent par la fermer avec plusieurs cadenas, le verrouillage accompagnant le désir compulsif de possession. Les seuls occupants de l'immeuble capables de résister à cette frénésie de consommation sont les artistes mais leur créativité est perturbée par le bruit que font leurs voisins.
Evidemment un tel film satirique envers le supposé progrès, célébrant la résistance des amoureux et des artistes et pas très tendre avec les mouvements de masse ne pouvait pas plaire aux autorités soviétiques qui le censurèrent jusqu'au début des années 1970.
Parfois il vaut mieux ne pas écouter les critiques et suivre son intuition. La réalisatrice du superbe "Wadjda" (2013) ne pouvait pas, même dans le cadre formaté des studios hollywoodiens, avoir totalement perdu son talent. Et de fait, ce "Mary Shelley" tout en respectant les conventions du biopic moderne (histoire d'amour, œuvre expliquée par la vie etc.) est d'une âpreté inhabituelle pour un film de ce genre. Pour parvenir à écrire "Frankenstein", Mary Shelley (Elle FANNING) va devoir s'écarter du droit chemin et traverser "la vallée des ombres". En effet, Charlotte Brontë dans "Jane Eyre" explique très bien en quoi les horizons limités dans lesquels évoluaient les femmes de l'époque victorienne entravaient leurs capacités créatrices. Mary ne fait pas exception à la règle. Sa passion pour les romans gothiques ne parvient pas à se transmuer en une œuvre originale parce que celle-ci qui n'a que 16 ans au début du film manque de vécu. Néanmoins elle trouve une source d'inspiration dans la vie tumultueuse de sa mère, une ardente féministe morte peu de temps après l'avoir mise au monde. Comme le reste de sa famille est plutôt insignifiant (les idées libérales du père ont inspiré Percy Shelley mais en tant que père, il est transparent) à l'exception de sa demi-soeur Claire qui va suivre ses traces, Mary ne va pas avoir beaucoup de difficultés à s'en échapper. Mais il n'en reste pas moins que les issues (tant psychiques que matérielles) passent par la dépendance vis à vis d'un homme (c'est d'ailleurs la même chose pour "Jane Eyre"). C'est dans l'analyse de la relation entre Mary et Percy ainsi que l'étude de leur environnement que le film est le plus intéressant. En effet après avoir commencé de façon idéalisée à l'image des romans que lit Mary, leur histoire prend une tournure de plus en plus amère lorsqu'elle doit partager le mode de vie chaotique et dissolu de Percy qui passe le plus clair de son temps à fuir les créanciers, à boire et à séduire. Son entourage, à l'image de Lord Byron (qui a fortement inspiré Rochester, personnage typiquement byronien) n'arrange pas les choses. Haifaa AL MANSOUR insiste sur la difficulté pour les femmes à se faire une place parmi ces écrivains narcissiques, décadents et immatures même si Percy Shelley tout comme dans un autre domaine Pierre Curie ont joué un rôle essentiel pour que l'œuvre de leurs compagnes soit reconnue publiquement. Le confinement et les contraintes pesant sur les femmes victoriennes ne sont finalement pas si éloignés de ceux que subissent les femmes saoudiennes et on observe que dans les deux cas ce sont les hommes qui fixent les règles du jeu dans la vie de couple en ignorant ce que peut ressentir leur femme. Bref, sous ses airs classiques voire académique, le film donne à réfléchir et est plus pertinent et audacieux qu'il n'y paraît.
"Le Tempestaire" est l'avant-dernier film de Jean EPSTEIN. Réalisé dans l'après-guerre, il fait partie de son œuvre consacrée à la Bretagne et plus précisément à ses îles. Bien que n'étant pas originaire de cette région, Jean EPSTEIN y a trouvé matière à nourrir son cinéma, poétique et avant-gardiste. Une poésie ne se basant plus sur des œuvres littéraires écrites mais sur des légendes orales et un avant-gardisme géographique et non plus formaliste puisque les îles bretonnes forment l'archipel de la "Finis Terrae". "Le Tempestaire" fait la part belle aux forces de la nature avec un enregistrement direct du bruit des vagues et du souffle du vent qui ne cessent de gagner en intensité au fur et à mesure que la tempête se déchaîne. Il illustre également la profondeur du lien entre ces lieux sauvages et les hommes qui l'habitent, accomplissant ainsi un travail ethnographique permettant de capturer "l'essence bretonne" et ses croyances celtiques animistes profondément enracinées. Le Tempestaire est un chamane* qui à la demande d'une jeune fille de sa communauté s'emploie à calmer la tempête c'est à dire à apaiser les esprits déchaînés.
* Contrairement à une idée reçue, le chamanisme n'est pas une pratique spécifiquement orientale. Elle se retrouve dans toutes les cultures vivant en symbiose avec leur environnement.
Voilà un western unique en son "genre". Pas seulement parce qu'il inverse les rôles sexués ce qui a valu à son passage le plus célèbre, celui du "remariage" d'être cité aussi bien par André TÉCHINÉ (dans "Barocco") (1976) que par Pedro ALMODÓVAR (dans "Femmes au bord de la crise de nerfs") (1988). Mais aussi parce qu'il transpire l'ambiance de chasse aux sorcières qui régnait alors aux USA, plongés en plein maccarthysme, le western jouant le rôle d'un simple décor en trompe l'oeil pour dissimuler la guerre civile larvée qui se jouait alors dans le pays. Comme le dit le scénariste du film, Philip YORDAN, "Johnny Guitar" est un film d'amour tourné avec des protagonistes qui se haïssaient. Une atmosphère de haine due au moins en partie à la chasse aux communistes qui sévissait alors à Hollywood et qui traversait les membres de l'équipe du film.
"Johnny Guitare" est un film tendu comme un arc, divisé en deux camps ennemis mais où règne à l'intérieur de chacun d'entre eux une atmosphère délétère. Presque tous les personnages ressemblent à des fauves sur le point de sauter à la gorge de leur adversaire (est-ce cette atmosphère de primitive animalité qui explique que dans la scène précédant le lynchage, Joan CRAWFORD se détache sur un décor de caverne?) ce qui rend particulièrement incongrus (et ironiques) les surnoms "Johnny Guitare" (Sterling HAYDEN) et "Dancing Kid" (Scott BRADY) pour qualifier des hommes armés et potentiellement violents. Potentiellement, car si leurs échanges verbaux sont lourds de menaces sous-jacente, ils sont obligés de réfréner leurs ardeurs guerrières sous l'emprise de Vienna (Joan CRAWFORD) la maîtresse-femme qu'ils désirent tous deux mais dont le caractère libre et indépendant attise la rivalité. Vienna est un personnage qui me fait un peu penser à Jackie Brown. Une femme de tête, une meneuse fière, "dure à cuire" qui assume son passé de "femme de mauvaise vie" (aux yeux des hommes) passé qui lui a permis justement de "s'en passer" mais qui souhaite dans son for intérieur s'ouvrir de nouveau aux sentiments. Dans l'autre camp, c'est également une femme qui mène le jeu, la propriétaire terrienne Emma Small (Mercedes McCAMBRIDGE) une furie psychorigide qui a transféré sa frustration sexuelle en folie vengeresse (et meurtrière) et mène en laisse une meute de chiens (les autres éleveurs du coin) qu'elle est prête à lâcher sur son adversaire. De ce point de vue-là encore, la première scène dans le casino-saloon de Vienna est surréaliste avec ces deux femmes opposées (énième variation hystérique de la sainte et de la putain) qui s'affrontent, l'une dominant l'autre (ce qui sera le fil conducteur du film) pendant que les hommes sont relégués dans les coulisses ou dans la position de spectateurs. Des termes qui conviennent bien à la théâtralité d'un film baroque aux couleurs aussi flamboyantes que symboliques (le rouge de la passion et le blanc de la renaissance de la pureté du sentiment pour Vienna, le noir du deuil et de la colère pour Emma) qui est basé sur la parole dans des espaces confinés.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.