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Elle s'appelle Sabine

Publié le par Rosalie210

Sandrine Bonnaire (2007)

Elle s'appelle Sabine

"Elle s'appelle Sabine" est un film-choc qui ne peut laisser personne indifférent. Il est fondé sur un avant/après poignant et c'est d'ailleurs sa raison d'être. Si Sandrine BONNAIRE n'avait pas filmé sa sœur en pleine possession de ses moyens, elle n'aurait pu montrer ensuite avec une telle force les dégâts physiques et psychologiques causés par les cinq années d'hôpital psychiatrique dans lequel elle a été interné entre l'âge de 27 et de 32 ans. A travers ce portrait sensible et pudique, Sandrine BONNAIRE témoigne de la tragédie vécue par de nombreux autistes français et leurs familles:

- Une méconnaissance abyssale de l'autisme qui se prolonge d'ailleurs dans les nombreux articles consacrés au film que j'ai pu lire où l'on évoque celui-ci comme une "maladie" ce qu'il n'est certainement pas! Sabine n'a été diagnostiquée qu'à l'âge de 32 ans alors que si elle l'avait été précocement, elle aurait pu avoir une tout autre vie. Beaucoup d'autistes ont vécu ou vivent encore une "errance diagnostique" qui peut se prolonger durant des années voire des dizaines d'années.

- Une prise en charge inadaptée et nocive liée autant à l'ignorance qu'au manque de moyens. Face au comportement de plus en plus violent de Sabine lié à des changements brutaux dans sa vie particulièrement insupportable pour un autiste (départ de ses frères et sœurs, mort du frère aîné, déménagement), sa famille dépassée et mal conseillée, décide de la placer en hôpital psychiatrique qui la considérant "malade", la mettent sous camisole chimique, sa dégradation très rapide n'étant considérée que comme la progression de sa soi-disant "maladie". La belle jeune fille talentueuse et pleine de vie qui ressemble tant à sa sœur Sandrine hormis le regard un peu perdu dans le vide et le rictus d'angoisse au coin de la bouche (sans parler d'un passage où l'on dénote son incompréhension du second degré) ressort de cet endroit défigurée par la trentaine de kilos pris durant son internement et métamorphosée en débile mentale, criant, mordant, bavant et se faisant dessus, lobotomisée par les médocs comme Jack NICHOLSON dans "Vol au-dessus d un nid de coucou" (1975).*

- Une reconstruction lente et difficile dans une structure qui n'a pu ouvrir que grâce à l'aide d'un médecin et la notoriété de Sandrine BONNAIRE. Une façon de mesurer la gravité du problème est de se dire que si la propre sœur d'une célèbre actrice a été massacrée à ce point, qu'en est-il alors pour les autres?

* D'où la très grande similitude avec le sort de Janet Frame raconté par Jane CAMPION qui n'a été sauvée de la lobotomie que par la sortie de son premier livre. Sabine n'a pas eu cette chance car ses dons sont restés confidentiels et il est très douloureux de l'entendre jouer à la perfection un morceau de Bach dans les images d'archives puis laborieusement quand elle a 38 ans.

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Les Duellistes (The Duellists)

Publié le par Rosalie210

Ridley Scott (1977)

Les Duellistes (The Duellists)

Ridley SCOTT aime bien au soir de sa vie et de sa carrière revenir sur les traces de ses premiers films (à l'exception de "Gladiator" (1999), les plus marquants). Après "Alien Covenant" (2017), le voici en train de réaliser "The Last Duel" (sortie prévue en janvier 2021 en France) dont le trait d'union avec son premier film "Les Duellistes" ne se réduit pas au titre mais également dans le choix de tourner dans les mêmes paysages du sud-ouest de la France (plus précisément en Dordogne, près de Sarlat, j'ai d'ailleurs une amie qui a eu la chance d'y faire de la figuration lorsque l'équipe s'est posée le mois dernier à Monpazier classé parmi les plus beaux villages de France ^^). Un retour aux sources qui rappelle combien Ridley SCOTT est non seulement un grand directeur d'acteurs, mais également un grand metteur en scène qui accorde beaucoup d'importance au décor et à l'atmosphère qu'il dégage (j'ai eu moi-même la chance de me promener dans l'un de ceux qu'il a choisi pour "Blade Runner" (1982) lorsque je suis allée à Osaka).

Le scénario des "Duellistes", tiré d'une nouvelle de Joseph Conrad est volontairement énigmatique ce qui permet de multiples interprétations. On y voit sur une quinzaine d'années deux officiers napoléoniens prisonniers d'un étrange code d'honneur se confronter l'un à l'autre en marge de leur activité principale qui est de servir l'Empereur jusqu'au bout de sa folie guerrière. Néanmoins les deux hommes ne peuvent être confondus et ont même des caractères diamétralement opposés au point de finir pour l'un tout en blanc et pour l'autre tout en noir. Armand d'Hubert (Keith CARRADINE) est un homme placide, réfléchi, amoureux de la vie qui considère son métier comme un service. Cependant il se laisse entraîner dans une spirale mortifère dont il ne sort pas indemne comme le montre l'extraordinaire séquence des soldats gelés durant la campagne de Russie où il semble laisser une part de lui-même. Son antagoniste, Gabriel Féraud (Harvey KEITEL) est en revanche une tête brûlée belliqueuse et fanatiquement dévouée à Napoléon au point de se confondre avec lui. Animé par des pulsions de mort, il ne semble vivre que pour la guerre et la vengeance. C'est lui qui enclenche l'engrenage fatal du duel avec Armand d'Hubert pour un motif futile et ne cesse de le poursuivre par la suite avec acharnement. C'est pourquoi la fin est aussi magistrale. Tuer Féraud aurait été trop facile et au final, cela lui aurait rendu service. Le laisser vivre en le privant de son obsession existentielle est autrement plus cruel pour lui. Le voilà obligé (horreur!) de méditer du haut d'un panorama à couper le souffle sur une boucle de la Dordogne comme son idole, Napoléon exilé à Sainte-Hélène pendant que son rival enfin libéré retrouve sa femme enceinte.

Le film se singularise également par sa splendeur visuelle. Ridley SCOTT est de ce point de vue aussi formaliste que Stanley KUBRICK et "Les Duellistes" ressemble beaucoup plastiquement à "Barry Lyndon" (1975) avec de multiples références picturales: natures mortes qui évoquent l'usure progressive des protagonistes ainsi que les tableaux romantiques de ruines noyées dans la nature, utilisation éblouissante de la lumière et des paysages du sud-ouest. Bref c'est un régal pour les yeux et comme son illustre modèle, "Les Duellistes" est un film historique extrêmement vivant et vibrant sur lequel le temps n'a pas de prise.

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Le Moindre Geste

Publié le par Rosalie210

Fernand Deligny (1971)

Le Moindre Geste

La première expérience de Fernand Deligny avec le cinéma a lieu avec François TRUFFAUT qui était alors en train de tourner "Les Quatre cents coups" (1959). Embauché en tant que conseiller, Deligny suggère de supprimer la scène où une psychologue interroge Antoine Doinel (c'est finalement Truffaut lui-même qui s'en charge) et c'est Deligny qui a également l'idée de la fugue finale.

Rien que ce préambule permet de cerner Fernand Deligny. Un spécialiste de l'enfance difficile se plaçant délibérément en marge des institutions, révolté par le traitement que la société leur réserve. Il hait en particulier l'enfermement que ce soit pour les délinquants ou pour les autistes. D'ailleurs son film documentaire "Le moindre Geste" dans lequel son équipe accompagne le cheminement d'un jeune adulte autiste, Yves, commence par un gros plan sur un fait divers dans un journal intitulé "le bœuf libre" qui raconte comment un bœuf épris de liberté s'est échappé des abattoirs de la Villette pour déambuler dans les rues de Paris. Le ton est donné d'emblée. Car Deligny tout au long de sa vie fera en sorte de sortir des jeunes jugés irrécupérables, inéducables des institutions dans lesquelles ils sont enfermés pour les emmener avec lui et ses amis dans la nature (bois de Vincennes, Vercors ou ici, Cévennes) hors de tout cadre institué, sans financement, ni "éducateurs" ni "spécialistes"*. Les délinquants sont invités à partager la vie des habitants, retaper les maisons, cultiver la terre. Les autistes sont quant eux invités à "habiter l'espace" ce qui est après tout la quintessence du cinéma. "Le moindre geste" offre donc un espace de liberté à Yves, "fou à délier" ^^ que les experts ont traité de "débile profond". Sur la trame d'un vague canevas scénaristique tiré du fait divers du bœuf enfui de l'abattoir, tombé dans un trou puis retrouvé et ramené à la maison, il peut sortir de la case dans laquelle il était enfermé, arpenter le paysage, toucher, regarder, sentir et tenter d'agir sur le monde en répétant souvent les mêmes gestes, en alignant les objets, en lançant des cailloux. On observe d'ailleurs à cette occasion les difficultés psychomotrices des autistes, Yves ne parvenant pas à faire un nœud ni à attacher deux branches en croix malgré ses multiples tentatives ce qui finit par le mettre en rage. Sa voix hors-champ, enregistrée le soir sur un magnétophone et en décalage avec les images est également pataude, décousue, répétant souvent les mêmes mots, les mêmes phrases comme des mantras. Elle singe les discours des différentes autorités et crache sur l'expérience invivable de l'asile. Cette désynchronisation bien que d'origine technique contribue à accentuer la sensation de déconnexion des autistes d'avec le langage comme outil de communication. En revanche la bande-son est particulièrement riche et travaillée tout comme l'image qui met l'accent sur ces détails dont les autistes sont si friands (par exemple elle suit le trajet d'une fourmi).

La réalisation du film fut laborieuse, le tournage dura trois ans de 1962 à 1965 et s'arrêta faute d'argent. Il fallut attendre 1969-1970 pour que le film soit monté et en 1971 il fut projeté à Cannes où seules deux personnes ne quittèrent pas la salle.

* En cela le film est très proche de "Hors Normes" (2019) de Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE qui relate une expérience comparable en ce qu'elle se construit en dehors des cadres institutionnels et est basée sur l'intuition que le premier besoin des autistes est d'aller s'aérer.

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L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat

Publié le par Rosalie210

Auguste et Louis Lumière (1895)

L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat

"L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat" est l'un des films* les plus célèbres des frères Lumière au point de véhiculer sa propre légende selon laquelle les spectateurs auraient été effrayés par le train fonçant sur eux et auraient paniqués (selon d'autres versions, ils auraient simplement sursautés ^^)**. L'art de la composition photographique en mouvement est ici tellement éclatant qu'il génère involontairement les prémisses de la grammaire cinématographique dont s'empareront 15 ans plus tard les premiers grands cinéastes américains. Citons l'utilisation spectaculaire de la profondeur de champ qui fait une entrée fracassante dans l'histoire du cinéma par le choix d'un cadrage en diagonale avec un point de fuite vers la droite, mais aussi la succession de plans de plus en plus rapprochés liés au mouvement du train ainsi que l'utilisation du hors-champ puisque la locomotive finit par passer derrière la caméra (celle-ci restant fixe) sans parler des mouvements des voyageurs qui ne cessent d'entrer et de sortir du cadre tandis que les nuages de vapeur qui envahissent le cadre quelques instants renforcent l'effet réaliste. Comme le dit très justement un internaute sur Allociné " Bien qu'il ne dure que soixante secondes, ce film dure l'éternité, et oui car il y a là plus que la simple arrivée d'un train, il faut voir l’apparition d'un art. De notre art."

On peut également souligner l'intérêt documentaire du film qui nous montre l'un des symboles de la révolution industrielle incarnant la modernité et la vitesse alors que l'automobile et l'aviation n'en étaient encore qu'à leurs balbutiements.

* A cause de l'usure très rapide des négatifs de l'époque, le film existe en plusieurs versions.

** Selon les historiens du cinéma, le film ne fait pas partie des 10 qui furent projetés en décembre 1895, il l'aurait été le mois suivant donc en janvier 1896.

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Mary Reilly

Publié le par Rosalie210

Stephen Frears (1996)

Mary Reilly

Dans les années 90, il était à la mode de revisiter les grands mythes fantastiques sous un angle romantique. C'est ainsi qu'après le "Dracula" (1992) de Francis Ford COPPOLA, Stephen FREARS a proposé une nouvelle version de "L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde" de Robert Louis Stevenson. En fait comme pour son chef d'oeuvre "Les Liaisons dangereuses" (1988), il a fait un pas de côté en adaptant non pas directement l'œuvre originale mais une variation écrite par Valérie Martin et qui a pour particularité d'adopter le point de vue de sa servante, Mary Reilly. Il a d'ailleurs repris une bonne partie de l'équipe des "Liaisons dangereuses" de Christopher HAMPTON pour le scénario à John MALKOVICH pour le rôle du docteur.

L'idée du film que certains trouvent trop retenu, trop en demi-teinte est justement de laisser entrevoir ou de passer par la métaphore en accord avec une époque et un lieu nimbé de brumes masquant des gouffres insondables. Ainsi Mary Reilly apparaît comme l'âme sœur du docteur Jekyll, la seule capable de le comprendre et de percer ses secrets, quitte à aller fouiller au fond des siens. Le décor sert admirablement le propos du film, Mary étant obligé à chaque fois qu'elle se rapproche de l'âme du docteur de passer par le labyrinthe complexe de son laboratoire, séparé du reste de la maison par une cour intérieure et qui symbolise la personnalité scindée de Jekyll/Hyde. Mary elle-même a selon ses propres dires une ombre en elle, celle que lui a laissé son père sadique et incestueux et qu'elle porte comme une croix (d'où son dos toujours un peu voûté et ses cicatrices). Derrière son apparence conforme aux attentes vis à vis des femmes de ce temps et de ce milieu (soumission, effacement, discrétion etc.) se cache une âme tourmentée, attirée comme un aimant par Hyde qu'elle désire autant que Jekyll se consume pour elle. Les pulsions sexuelles non satisfaites étant dévastatrices, pas étonnant qu'elles se transmuent en pulsions mortifères, Mary côtoyant sans arrêt l'abîme du sexe et de la mort et entrevoyant des scènes de carnage derrière les portes quand ce n'est pas une anguille évocatrice qui se tortille entre ses mains. Si le jeu de Julia ROBERTS est un peu terne, celui de John MALKOVICH est étonnant de sobriété même dans le rôle de Hyde qu'il rend au final très proche de son modèle initial.

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