"The Immigrant" a beaucoup de qualités (mise en scène, photo, une partie de l'interprétation) mais il ne m'a cependant pas complètement convaincue. Cela tient au fait d'avoir à mon avis hésité (et au final mélangé) deux histoires qui sont incompatibles entre elles: le réalisme documentaire et la fable romantique et mystique. D'une part James GRAY a voulu réaliser un film historique très documenté sur le triste sort des jeunes immigrées célibataires venues aux USA dans l'espoir d'un avenir meilleur. Des proies idéales pour les besoins inavouables d'une société mercantile et puritaine hypocrite. Le film décrit très bien l'envers de "l'American dream" qui va de la corruption qui gangrène Ellis Island aux cabarets servant de couverture à la débauche en pleine Prohibition. Il y a d'ailleurs dans le film une critique fort pertinente du machisme et du patriarcat puisque avant d'avoir fait quoi que ce soit, Ewa (Marion COTILLARD) est taxée dès la douane de "femme de petite vertu" juste parce qu'elle n'est cornaquée par aucun homme et n'a pas soi-disant de point de chute valable (un aspect du film que j'ai trouvé confus, le traitement d'un bout à l'autre de l'oncle et de tante d'Ewa ne m'a pas paru crédible). L'ennui, c'est que James GRAY n'est pas le Federico FELLINI de "La Strada (1954)" et que sa fable sur la grâce, la damnation et la rédemption a beaucoup moins de force. Car "The Immigrant" fait penser au chef d'oeuvre du réalisateur italien avec Ewa dans le rôle de Gelsomina, Bruno dans celui de Zampano et Orlando dans celui du Fou. Mais sans la magie et la poésie. Ewa n'est pas une innocente comme Gelsomina, le personnage d'Orlando est particulièrement fade et celui de Bruno, bien qu'interprété avec beaucoup d'intensité par Joaquin PHOENIX accrédite le mensonge selon lequel on peut aimer et humilier alors que le respect est indissociable de l'amour. Nombre de parents maltraitants mentent ainsi à leurs enfants (c'est le sujet du livre de Alice Miller "C'est pour ton bien") qui, une fois devenus adultes, confondent ainsi amour et attachement toxique. Or l'erreur dans l'écriture du personnage de Bruno consiste à penser qu'amour et exploitation peuvent être compatibles. Encore un problème de choix non résolu et c'est cela qui détruit la cohérence du personnage qui exploite mais qui en même temps est jaloux et possessif et finit par se sacrifier. La scène du confessionnal (la plus belle du film avec le plan des destins inversés des personnages montré dans le même cadre) où Joaquin PHOENIX est bouleversant aurait été touchée par la grâce si elle avait été précédée d'un comportement crapuleux clair et net alors que dès le début, le personnage est ambigu. Or il n'y a pas d'ambiguïté possible dans ce domaine et lorsqu'on se hait, désolé mais on hait les autres.
"Vénus beauté institut", le plus grand succès critique et public de Tonie MARSHALL récemment disparue repose sur une mise en abyme. Il y a la bulle rose bonbon de l'institut, sorte de cocon dans lequel les femmes (mais aussi quelques hommes) déposent leur armure au vestiaire et se laissent aller aux confidences auprès des esthéticiennes-thérapeutes. Et puis il y a la vraie vie, nettement moins rose. La majorité des personnages, nous ne les verrons qu'à travers la vitre de l'institut qui rappelle l'écran du cinéma. Nous ne saurons jamais qui ils sont de l'autre côté du miroir. C'est le cas par exemple de la patronne, Nadine (Bulle OGIER) qui tient son rôle de vendeuse de beauté ou de Marie (Audrey TAUTOU alors débutante) jeune esthéticienne (faussement) ingénue qui n'est vue que par le prisme de son capital séduction. Il y a d'ailleurs une scène qui résume tout le film, c'est celle où Angèle (Nathalie BAYE) et Antoine (Samuel LE BIHAN) placés dans la position du spectateur regardent cachés dans le jardin Maris céder aux avances d'un de ses clients (Robert HOSSEIN) qui l'a invitée chez lui (mais le salon a de larges baies vitrées idéales pour jouer les voyeurs). Ils ne peuvent alors s'empêcher d'emboîter le pas sur le champ aux deux amants tant ils sont électrisés par le spectacle.
Cependant si la relation entre Marie et son vieux beau est motivée par l'argent et le sexe, ce n'est pas le cas de celle qui éclot entre Angèle et Antoine. Tous deux sont bien trop romantiques pour cela et vivent un pied dans le réel et un autre dans l'univers enchanté de l'institut. Ce n'est pas par hasard que l'on a souvent comparé le film à ceux de Jacques DEMY. Parce que la légèreté du sujet ("ici on ne vend que ça, des apparences") n'est qu'une façade cachant des tourments bien plus profonds. Comme nombre de ses clientes qu'elle s'attache à soigner avec beaucoup de délicatesse et d'empathie, Angèle est une femme de quarante ans meurtrie par les déceptions amoureuses et qui a peur de la vieillesse et de l'abandon. Elle s'enferre dans des relations sans lendemain qui l'aigrissent toujours davantage (son ex la décrit même comme "desséchée") alors qu'elle rêve en réalité du grand amour comme le révèle une des premières scènes du film lorsque derrière le mec de passage qui se fiche d'elle apparaît le prince charmant transi d'amour qui à la fin du film lui offre une magnifique robe de princesse toute droit sortie de "Peau d'âne" (1970) derrière des étincelles qui rappellent la baguette magique de la fée des lilas (la sonnette de la porte émet d'ailleurs un bruit féérique). Mais Angèle n'a rien de mièvre, elle est complexe, revêche et tendre, toute en contradictions (comme l'était Jacques Demy lui-même!), ne cessant de repousser celui qui l'aime par peur de souffrir puis de tenter maladroitement de recoller les morceaux par envie d'y croire. C'est l'un des plus beaux rôles de Nathalie BAYE et Samuel LE BIHAN en gros nounours est très touchant aussi. Le passage où il avoue que cet amour ne s'ajoute pas à celui qu'il avait pour sa fiancée (Hélène FILLIÈRES) mais le balaye m'a fait penser à "Le Bonheur" (1965) de Agnès VARDA qui reposait justement sur le faux-semblants de "bonheurs amoureux qui s'ajoutent".
J'aime beaucoup le titre du film "Ce gamin, là" parce qu'il résume tout le projet de Fernand Deligny, éducateur spécialisé révolté par le sort réservé aux "enfants difficiles" en France qu'ils soient délinquants ou handicapés: l'enfermement et la stigmatisation. "Ce gamin-là", celui que les "normaux" désignent avec mépris et que filme Renaud VICTOR devient "ce gamin, là", c'est à dire dans le lieu de vie créé par Deligny dans les années soixante à Monoblet dans les Cévennes pour accueillir un réseau d'enfants autistes et parmi eux, Janmari, recueilli à l'âge de 12 ans dont les amis de Deligny cartographient les "lignes d'erre" (les déplacements dénués de but apparent) que Deligny compare ensuite les unes aux autres. Une phrase revient dans sa bouche comme un mantra durant tout le film, épousant les rituels, routines et autres stéréotypies de Janmari (tourner en rond les mains dans le dos, se balancer) "Ce gamin, là, in-curable, in-supportable, in-vivable et aussi in-visible" se révèle dans le cadre de la communauté créée par Deligny et ses amis vif, adroit, actif. On le voit couper du bois, pétrir la pâte, trouver des sources d'eau (là où il tourne sur lui-même) et tout cela sans un mot puisque Janmari ne parle pas. Ce mutisme pousse Deligny à s'interroger sur le langage et ses fonctions (ce qui est aussi le sens du titre). Deligny ne cherche pas à "rééduquer" ces enfants pas plus qu'il ne prétend définir ce qu'est l'autisme mais leur fonctionnement "étrange" l'interroge et à travers lui interroge notre société. En ce sens, il retrouve la fonction première de la carte qui consiste à explorer un territoire inconnu et non à chercher à dominer son milieu.
Si le cinéma (et toutes les productions visuelles) parlant (d'hier et d'aujourd'hui) s'inspire beaucoup plus qu'on ne le pense du cinéma muet, le cinéma muet s'est quant à lui beaucoup inspiré de la littérature classique ou folklorique. "Les Trois lumières", réalisé en 1921 par Fritz LANG puise ses origines dans les contes de Grimm et plus précisément deux d'entre eux: "Le joueur de flûte de Hamelin" pour le conseil municipal qui accueille par cupidité la Mort en son sein (elle lui cède un terrain contre une forte somme d'argent dans le film alors que dans le conte c'est le refus de payer le joueur de flûte qui entraîne la disparition de tous les enfants ce qui équivaut à un arrêt de mort) et "La Mort marraine", moins connu qui raconte l'histoire d'un homme qui après avoir tenté de déjouer la Mort se retrouve dans une grotte souterraine dans laquelle chaque vie est représentée par un cierge, la longueur du cierge indiquant la durée du temps qui reste à vivre. La Mort explique à l'homme effrayé par sa mort imminente qu'elle ne peut allumer une nouvelle vie qu'en échange d'une autre qui s'éteint. L'homme tente une fois de plus de gruger la Mort mais il est évidemment vaincu.
Fritz LANG approfondit la morale du conte avec une trame qui rappelle le mythe d'origine gréco-latine devenu transversal à tous les arts de la jeune fille et de la Mort. L'intrigue superpose en effet le caractère implacable de la Mort (elle n'est pas représentée en grande faucheuse mais elle frappe de manière tout aussi indistincte) et le déni humain face à elle, personnifié par une jeune fille qui refuse d'admettre la mort de son fiancé. Afin de lui prouver que l'amour ne peut avoir raison de la mort, il lui propose trois chances de le sauver (ce sont les trois lumières du titre): à Bagdad au IX° siècle, à Venise au XVII° et à la cour de l'empereur de Chine*. A chaque fois la jeune fille y occupe de hautes fonctions ou possède des pouvoirs magiques et pourtant elle ne parvient pas à déjouer la mort. Celle-ci lui propose alors comme dans le conte de Grimm d'échanger la vie de son fiancé contre une autre mais personne ne veut se sacrifier on s'en doute et la jeune fille ne peut pas commettre l'acte contre-nature qui consiste à tuer un nouveau-né pour rendre la vie à l'homme qu'elle aime. Comme elle refuse catégoriquement d'accepter la mort de son fiancé, elle choisit la seule option humaine qui lui reste: se suicider pour le rejoindre. Exactement le même choix que celui de Elisabeth dans "L'Amour à mort" (1984) de Alain RESNAIS. A méditer. Bien entendu, on pense également au film de Ingmar BERGMAN, "Le Septième sceau" (1957). On y pense d'autant plus en ce moment en méditant ces paroles extraites du film de Fritz Lang " Les gens n'imaginent pas à quel point ils sont proches de la mort. Ils se croient éternels alors qu'ils ne survivront même pas aux roses qu'ils ont cueilli".
* Visuellement, c'est l'épisode le plus impressionnant avec notamment des effets spéciaux remarquables pour l'époque jouant sur les échelles qui font penser notamment à l'armée de terre cuite de l'empereur Qin. Une autre idée visuellement marquante réside dans la représentation du domaine de la mort, intérieurement semblable au conte de Grimm (grotte et cierges) mais extérieurement semblable à un immense mur d'enceinte sans porte ni fenêtre (sauf pour les spectres et la jeune fille qui se met avec sa potion entre la vie et la mort).
"Le cabinet des figures de cire" est un film expressionniste allemand qui se situe dans la mouvance du célèbre film de Robert WIENE, "Le Cabinet du docteur Caligari (1919). Selon les historiens du cinéma il en constitue même le point final. Et ils n'ont pas que la fête foraine, Werner KRAUSS, Conrad VEIDT* ou leur "cabinet" ^^ en commun. Ils ont aussi leurs décors incroyables aux perspectives faussées qui dans le film de Paul LENI et Leo BIRINSKY ont en plus l'avantage de la variété puisqu'il se compose de trois histoires se situant dans trois lieux différents: le Bagdad des mille et une nuits, la Russie d'Ivan le Terrible et le Londres de Jack l'Eventreur. Des contes et des légendes aux tonalités merveilleuses (dans le premier cas) ou fantastiques (dans le deuxième et troisième)** qui se prêtent bien à un traitement expressionniste***. Quant à la structure de l'intrigue, elle est empruntée à un autre film important de cette époque, "Les Trois lumières" (1921) de Fritz LANG. Pas seulement parce qu'il y a trois histoires mais parce que les personnages principaux s'y projettent. Nul doute que ces films ont été une source d'inspiration majeure pour Michel OCELOT dont le "Princes et Princesses" (1998) et les "Les Contes de la nuit 3D" (2011) reposent sur les mêmes principes. En mode (très) mineur, le principe des statues de cire qui prennent vie fait également penser à "La Nuit au musée" (2006) et ses suites.
* La troisième figure de cire du film étant interprétée par un autre acteur majeur de ce courant, Emil JANNINGS.
** Pour mémoire le merveilleux se déroule dans un univers où la magie est la norme alors que le fantastique voit surgir le surnaturel dans un monde réaliste, même si les trois personnages ont réellement existé.
*** Si la première histoire est bouffonne, elle repose beaucoup sur la sensualité de l'actrice qui rend fous les hommes autour d'elle. Et les autres reposent sur la folie du personnage principal qui entraîne ses victimes dans un véritable cauchemar éveillé.
Avec "Le Port du désir", Jean GABIN qui revenait alors sur le devant de la scène ajoute une escale de plus à sa filmographie portuaire qui s'étend du Havre à Alger et de Barcelone à Brest. "Le Port du désir" est un polar marseillais des années cinquante rempli de figures archétypales en apparence (les truands, le vieux loup de mer, les filles à matelot) mais qui est plus original qu'il n'y paraît. Il offre une belle immersion dans les entrailles de la ville (la photographie est de Henri ALEKAN), son histoire rappelle par certains aspects le réalisme poétique des films de Marcel CARNÉ (le scénariste, Jacques VIOT est l'un de ses anciens collaborateurs) et de belles séquences sous-marines (filmées par Louis MALLE) révèlent combien les personnages du film nagent en eaux troubles. Le personnage de Jean GABIN est une figure paternelle et protectrice classique qui doit partager l'affiche avec un couple de jeunes premiers (joués par Andrée DEBAR et Henri VIDAL) que la fréquentation des bas-fonds marseillais met en danger. Ce qui est plus intéressant, c'est que les femmes se comportent de manière audacieuse, n'hésitant pas à affirmer leurs désirs que ce soit Martine qui ouvre la porte de sa chambre à l'homme qui lui plaît, Lola (!) la strip-teaseuse provocante ou la tenancière d'âge mûr de l'Ancre marine (jouée par la première femme de Gabin!) qui emballe un jeune black qui s'avère être un policier ce qui n'était pas habituel dans le cinéma de l'époque! Dommage que la bagarre finale soit ridicule car le reste est assez classieux et prenant.
"La villa solitaire" est le plus ancien film conservé de D.W. GRIFFITH dans lequel apparaît Mary PICKFORD* (en réalité elle avait déjà tourné cette année là au moins une dizaine de fois pour lui et une cinquantaine de films pour la Biograph Company soit un par semaine dans des rôles très variés de premier comme de second plan). C'est aussi l'un de ceux dans lequel il expérimente le procédé du montage parallèle qu'il portera à la perfection dans ses longs-métrages quelques années plus tard. "The Lonely Villa" ressemble à un brouillon quelque peu confus de "Suspense" (1913), le film de Lois WEBER qui reprend la même intrigue de base (un malfaiteur qui s'introduit dans une maison où se trouve une femme pendant que le mari est à l'extérieur, le suspense procédant du fait que la femme l'avertit par téléphone et qu'il tente de revenir à temps pour la sauver) et le même procédé de montage faisant monter le suspense dans l'action avec en plus l'ajout du split screen, absent chez Griffith.
* Elle était alors âgée de 17 ans et allait épouser plus tard en premières noces Owen Moore qui joue l'un des malfaiteurs du film.
Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE aiment mettre des coups de projecteur sur les passerelles qui font communiquer des mondes a priori étanches les uns aux autres mais qui partagent une expérience commune de l'exclusion.
"Samba", réalisé trois ans après "Intouchables" (2011) n'est pas aussi immédiatement séduisant mais ce qu'il perd en efficacité, il le gagne en subtilités et en nuances. Le plan séquence remarquable d'ouverture a une valeur programmatique. Il part d'une soirée mondaine pour nous entraîner ensuite jusqu'au coin le plus reculé des coulisses, c'est à dire à la plonge où officie Samba (Omar SY) un sénégalais en situation irrégulière vivant en France depuis dix ans grâce à de petits boulots et à l'aide de son oncle*. On ne peut mieux dire cinématographiquement à quel point la société française a besoin pour fonctionner de ces travailleurs de l'ombre auxquels elle n'accorde pourtant pas de place. C'est pourquoi Samba survit dans les interstices et doit toujours se cacher, fuir et mentir sur son identité à l'aide de "papiers d'emprunt" au point de ne plus savoir qui il est. Ce manque de repères est également moral. Samba n'est pas un modèle de droiture. Le personnage de Jonas (Issaka SAWADOGO) sert à révéler la part sombre de lui-même. Sa part lumineuse est incarnée quant à elle par le joyeux "Wilson" (Tahar RAHIM) qui a compris que pour mieux se faire accepter il valait mieux se faire passer pour brésilien plutôt qu'algérien (un appariement récurrent dans le cinéma français, dans "Le Nom des gens" (2010), l'héroïne passait son temps à répéter que son prénom Bahia n'était pas brésilien mais algérien).
Au cours de l'un de ses moments de galère, Samba rencontre Alice (Charlotte GAINSBOURG) au sein d'une association qui vient en aide aux sans-papiers. Elle ne s'appelle peut-être pas ainsi par hasard étant donné que Alice est quand même un prénom que l'on associe à la traversée du miroir (pas vraiment de pays des merveilles ici ^^). Alice dont l'apparence et le comportement trahissent son appartenance à la bourgeoisie est complètement incongrue dans cet endroit. Elle est même tellement perdue qu'elle fait tout de travers. En résumé, elle aussi a un gros problème de place et d'identité. Samba comprend tout de suite qu'il a affaire à quelqu'un de "spécial" c'est à dire qui sort de la norme. Au cours d'un échange intimiste en pleine nuit dans une station-service qui fait penser à une séquence similaire de "Intouchables" (2011) elle lui confie qu'elle est en congé maladie depuis qu'elle a agressé un collègue dans l'entreprise où elle travaillait en tant que DRH après des années sous tension et que depuis elle ne parvient plus à reprendre pied. Mise sur la touche, elle tente de reprendre le contrôle de sa vie à travers des activités très simples et très concrètes. Son personnage à fleur de peau semble rencontrer des problèmes dérisoires comparés à ceux de Samba mais il n'y a aucun problème dérisoire à partir du moment où ils vous rongent de l'intérieur. Le burn-out est une pathologie de nos sociétés modernes productivistes qui touche particulièrement ceux qui ont des postes à responsabilité. C'est ainsi qu'en mettant face à face les deux extrémités du spectre d'un monde du travail malade, les réalisateurs font ressortir les similitudes de Samba et d'Alice, en particulier leur solitude et leur mal-être que seul leur rapprochement peut soulager.
* On reconnaît la trame de leur film suivant, "Le Sens de la fête" (2016)
Le célèbre documentaire de Laura POITRAS aurait pu s'intituler "Les huit jours qui ébranlèrent le monde". Ceux qui firent entrer Edward Snowden dans l'histoire. Pour mémoire ce jeune (il avait alors 29 ans) ingénieur informaticien qui avait travaillé pour les renseignements américains (CIA puis NSA) décida de rendre public le gigantesque système de surveillance mondial post-11 septembre mis en place à l'insu des citoyens par l'Etat américain (et ses alliés anglo-saxons) grâce à sa main mise sur les NTIC* avec la complicité des géants du net que l'on appelle aussi les GAFAM**. Comme le dit Snowden, "À l'heure actuelle, sachez que chaque frontière que vous traversez, chaque achat que vous faites, chaque numéro que vous composez, chaque antenne relai que vous passez, chaque ami que vous contactez, chaque site que vous consultez et mot que vous tapez dans les moteurs de recherche est entre les mains d'un système dont la portée est illimitée mais dont les barrières n'existent pas".
Pendant huit jours, il rencontra la documentariste*** qu'il avait contacté sous son nom de code "Citizenfour" et des journalistes d'investigation du Guardian dans un hôtel à Hong-Kong pour leur confier les documents top secret qui prouvaient ses dires. A partir de ce moment-là, Edward Snowden devint à la fois l'un des hommes les plus recherchés de la planète et l'un des principaux symboles de la défense des libertés individuelles et de l'altermondialisme. Car les lanceurs d'alerte sont en quelque sorte les résistants d'un système aussi invisible que redoutable qui s'insinue dans tous les aspects de la vie publique et privée par le biais de pratiques de traçage, de profilage et de récupération de "données", les moyens de leur échapper s'amenuisant au fur et à mesure que les citoyens sont encouragés voire contraints (faute de supports matériels lesquels tendent à disparaître) de virtualiser l'ensemble de leurs pratiques et centres d'intérêts (culturels, commerciaux, financiers etc.)
* Nouvelles technologies de l'information et de la communication.
** Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et leurs satellites, les NATU, Netflix, Airbnb, Tesla, Uber.
*** Qui pu ainsi boucler une édifiante trilogie sur les conséquences délétères de la GWOT alias la "Global War On Terrorism" (après la guerre d'Irak et Guantanamo).
"True Heart Susie" est une œuvre méconnue (et mineure) de D.W. GRIFFITH dont la principale faiblesse réside dans un scénario mélodramatique usant de grosses ficelles et qui a en plus très mal vieilli. Grosso modo un homme un peu benêt il faut bien le dire épouse une citadine (forcément) frivole, en quête de plaisirs faciles, "poudrée et maquillée" alors qu'il a sous les yeux la perle rare en la personne de Susie, brave fille de la campagne qui a toutes les qualités de la parfaite épouse: elle est simple, dévouée, stoïque, discrète et fait en plus très bien la cuisine ^^. Son sens du sacrifice envers l'homme qu'elle aime est christique: elle dilapide son héritage pour lui permettre de faire des études (sans le lui dire) et s'efface lorsqu'il lui préfère la première pimbêche venue. Mieux encore, elle couvre les frasques de cette dernière. Bref, elle incarne la parfaite petite sainte nitouche alors que Bettina est la pécheresse punie pour ses méfaits. Une dichotomie issue des représentations patriarcales et machistes qui traverse toute la culture occidentale et qui est très prégnante dans le cinéma muet (c'est celle que l'on retrouve au début de "L'Aurore" (1927) sauf que celui-ci dépasse ce stade mortifère pour nous emmener jusqu'aux cimes de la félicité ^^).
Le film ne vaut donc que pour la mise en scène de D.W. GRIFFITH, la photographie et le jeu des acteurs. Lillian GISH à elle seule vaut le détour et on ne se lasse pas des mille et une nuances des expressions de son visage filmé en gros plan. Mais son partenaire de jeu, tragiquement disparu peu après Robert HARRON est également remarquable, notamment dans sa capacité à incarner de façon crédible un personnage à différents âges de sa vie.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.