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Gouttes d'eau sur pierres brûlantes

Publié le par Rosalie210

François Ozon (1999)

Gouttes d'eau sur pierres brûlantes

Le premier film marquant de François OZON est l'adaptation d'une pièce de théâtre de Rainer Werner FASSBINDER qu'il avait écrite dans sa jeunesse mais jamais publiée. Elle s'avère cependant très proche d'autres œuvres du cinéaste allemand telles que "Martha" (1973) et "Le Droit du plus fort" (1974). Toutes étudient en effet les rapports de domination et de soumission entre des personnages qui s'enferment dans un huis-clos oppressant. Un climat exacerbé dans "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" par le fait que l'intégralité du film se déroule dans un appartement dont les fenêtres ne s'ouvrent pas. Pour jouer Léopold, François OZON a la bonne idée de faire appel à Bernard GIRAUDEAU qui s'était alors spécialisé dans les rôles de psychopathes, prédateurs et autres pervers narcissiques ("Une Affaire de Goût" (1999) ou "Je suis un assassin") (2004). Son interprétation de Léopold est particulièrement intéressante car elle est riche et nuancée. Certes Léopold est un tortionnaire domestique (comme le terrifiant Helmut dans "Martha") (1973), un maquereau, un prédateur qui exploite ses victimes et s'amuse avec elles avant de les jeter après les avoir fracassées. Mais il est également atteint du syndrome de Peter Pan de par son côté immature, sa nostalgie de l'enfance (le jeu des petits chevaux, la danse, domaine où Bernard GIRAUDEAU, ancien danseur excelle), ses angoisses relatives à la vieillesse et à la mort ou encore son insatisfaction chronique. Autour de Léopold gravite un harem arc-en-ciel se composant d'un éventail varié de sexualités, de l'homosexualité représentée par son amant sous emprise Franz (Malik ZIDI) à l'hétérosexualité incarnée par Anna, l'ex petite amie de Franz (Ludivine SAGNIER cruche comme pas permis) en passant par la transsexualité avec le douloureux personnage de Vera (Anna LEVINE), l'ex brisée de Léopold. Malgré l'aspect tragique de l'histoire, le film ne manque pas d'humour et lorgne même vers la farce grotesque renforcée par le kitsch des décors et des costumes, le numéro de danse très "eurovision" sur "Tanze Samba mit mir" de Tony Holiday ainsi que la cucuterie (à tous les sens du terme) du personnage joué par Ludivine SAGNIER.

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Les Belles Années de miss Brodie (The Prime of Miss Jean Brodie)

Publié le par Rosalie210

Ronald Neame (1969)

Les Belles Années de miss Brodie (The Prime of Miss Jean Brodie)

Film méconnu en France, "Les belles années de Miss Brodie" est un film de la fin des années 60 adapté d'un roman de Muriel Spark publié en 1961. Il a souvent été rapproché du "Le Cercle des poètes disparus" (1989) et de "La Vague" (2008) en raison du fait qu'il s'interroge sur les dérives fascistoïdes de la relation entre un professeur et ses élèves. Il y a cependant deux différences notables avec les films pré cités: le professeur est une femme et le contexte est celui du début des années 30, donc il coïncide avec la montée du fascisme en Europe. Si la réalisation fait un peu trop théâtre filmé, la finesse d'écriture du scénario et la qualité de l'interprétation, dominée par une Maggie SMITH magistrale (elle a d'ailleurs reçu un oscar pour le rôle si complexe et délicat de Jean Brodie) méritent amplement le détour.

L'histoire se déroule à Edinbourgh dans une école huppée de jeunes filles, Marcia Blaine où une professeure anticonformiste, Jean Brodie suscite l'émoi, tant au sein du personnel que parmi les élèves. Son objectif, aider ses élèves à s'élever et s'épanouir, est louable mais ses méthodes pour y parvenir le sont beaucoup moins. Miss Brodie a en effet un ego surdimensionné. Le simple fait de se positionner en chantre de l'antisystème est problématique en soi mais très rapidement, Miss Brodie s'avère manipulatrice avec ses élèves, jouant sur la corde émotionnelle en leur racontant les détails malheureux de sa vie amoureuse pour illustrer la première guerre mondiale et surtout en sélectionnant un petit club de quatre jeunes filles qui répondent à ses attentes narcissiques et qu'elle souhaite façonner à son image. Elle les surnomme d'ailleurs les "Brodie girls" ou bien "la crème de la crème" puisque ces jeunes filles jugées supérieures reçoivent des privilèges tels que des pique-niques ou des invitations à boire le thé avec elle. On voit donc rapidement se dessiner toutes les dérives qu'une telle attitude de la part d'une personne charismatique faisant autorité peut engendrer. Outre le caractère discriminatoire du principe du "petit club fermé" formé de manière arbitraire, son existence donne des pouvoirs exhorbitants à celui qui l'a créé puisqu'il a un contrôle absolu sur ses membres là où tout le corps professoral ainsi que la direction se partagent l'autorité dans le reste de l'établissement*. Bien avant que Miss Brodie ne révèle dans la deuxième partie du film son admiration pour Mussolini et Franco (dont elle a par ailleurs une vision romantique consternante de naïveté) et ne bourre le crâne de ses élèves avec ses dangereuses idées de "beauté du sacrifice héroïque", son besoin pathologique d'exercer un pouvoir absolu est ainsi démontré dans toute sa splendeur. Miss Brodie est une control freak qui s'avère en réalité ne rien contrôler tant elle manque de repères, de maturité et de lucidité tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée (Robert STEPHENS qui était alors l'époux de Maggie SMITH joue le rôle de Teddy Lloyd, le professeur d'arts plastiques marié qui entretient une liaison à la fois avec Miss Brodie et l'une de ses élèves, Sandy jouée par Pamela FRANKLIN, la seule qui finit par se révolter contre sa professeure). Elle mélange d'ailleurs allègrement les deux, s'avérant aussi dangereuse qu'irresponsable. Les dégâts sur de jeunes esprits malléables n'en seront que plus grands.

* On peut dresser un parallèle intéressant avec le manga de Riyoko Ikeda "Oniisama E..." ("Très cher frère" en VF) adapté en animé dans les années 90 qui analyse exactement la même dérive du "club select" arbitraire mené par une personnalité tyrannique au sein d'un collège de jeunes filles.

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Gilbert Grape (What's eating Gilbert Grape?)

Publié le par Rosalie210

Lasse Hallström (1993)

Gilbert Grape (What's eating Gilbert Grape?)

"Gilbert Grape" est une chronique familiale sensible qui se déroule dans l'Amérique rurale profonde. Sa simplicité est un atout car elle met bien en valeur les conflits entre mobilité et sédentarité, légèreté et pesanteur qui traversent le film. Le personnage principal, Gilbert (joué par Johnny DEPP) est un jeune homme qui semble normal mais dont les ailes sont coupées. Il est par conséquent pétri de frustrations. Le titre en VO "What's eating Gilbert Grape?" s'entend d'ailleurs aussi bien au figuré qu'au propre car ce qui mine Gilbert de l'intérieur, c'est son enchaînement à des liens familiaux pesants qui le nourrissent tout en le bouffant de l'intérieur. Il est en effet le soutien d'une famille pauvre et dysfonctionnelle marquée par le suicide du père, le handicap physique de Bonnie (Darlene CATES), sa mère qui est tellement obèse qu'elle ne peut quasiment pas bouger et passe sa vie cloîtrée dans la maison et le handicap mental du jeune frère Arnie (Leonardo DiCAPRIO) qui rêve lui aussi de s'envoler (il passe son temps à grimper aux arbres ou sur le château d'eau du bled paumé où ils vivent) alors que sa dépendance le cloue au sol. A cause d'eux, Gilbert ne peut quitter le nid semble condamné à rester sur le bord de la route pendant que les caravanes passent. Arnie et Bonnie prennent tellement de place qu'il n'en reste plus guère pour les autres si bien qu'ils ont du mal à exister (Gilbert, ses deux sœurs et un autre frère qui a d'ailleurs fait le choix de partir et de les abandonner). C'est de ce mal être que parle le film, exacerbé par un moment de crise provoqué par l'arrêt inopiné d'une caravane en panne dans laquelle se trouve une jolie jeune femme Becky (Juliette LEWIS) qui ne laisse pas Gilbert indifférent. Celui-ci se retrouve plus que jamais écartelé entre ses devoirs familiaux et son désir de vivre pour lui au lieu de satisfaire les besoins des autres (il s'occupe de son frère, fait vivre la famille et est occasionnellement l'amant d'une femme mariée et elle aussi frustrée jouée par Mary STEENBURGEN). L'imaginaire américain est fondé sur la mobilité ce que symbolise la maison familiale en feu (c'était le point de départ de "La Balade sauvage" (1972) et c'est le dénouement de "Gilbert Grape")

Johnny DEPP est très bon dans la retenue (je le préfère d'ailleurs dans ce registre plutôt que dans celui de l'extravagance) mais celui qui attire le plus la lumière c'est Leonardo DiCAPRIO dont c'était un des premiers rôles à l'écran (il avait 19 ans mais en paraissait 14). Sa composition est tellement réaliste que beaucoup de gens ont cru qu'il était réellement handicapé. En même temps il apporte tellement de nuances à son rôle qu'il lui permet d'échapper à la caricature (il en va d'ailleurs de même pour la mère qui n'est jamais réduite au statut de "monstre de foire" que sa vision suscite dans la ville, l'actrice s'avérant hypersensible dans son jeu). Dommage qu'avec le temps Leonardo DiCAPRIO ait perdu cette anima qui illuminait son talent d'acteur de composition de l'intérieur comme s'il s'était fait bouffer de l'intérieur lui aussi.

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Sans toit ni loi

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1985)

Sans toit ni loi

"Sans toit ni loi" est le plus grand film de fiction de Agnès Varda avec "Cléo de 5 à 7". Plus de vingt ans les séparent soit une génération. Le second est beaucoup plus dur et âpre que le premier tant par le contexte social qu'il dépeint que par son interprétation (formidable Sandrine Bonnaire qui a 17 ans 1/2 endossait sans réserve le rôle désaffilié et mal aimable de Mona). Mais les deux films entretiennent des points communs. Il s'agit dans les deux cas d'une errance au féminin dont on connaît ou devine cependant dès l'introduction l'issue. Une errance doublée d'une quête d'identité. Mona la routarde SDF et Cléo la chanteuse en attente de diagnostic se cherchent dans des fragments de miroir, ceux que leur renvoient les personnes qui croisent leur chemin. Car Agnès Varda est une glaneuse et ses portraits (ceux de ses personnages de fiction comme le sien) sont à multiples entrées, des puzzles faits de bric et de broc, toujours incomplets. Si Cléo se dévoile à la fin en raison d'une rencontre décisive, ce n'est pas le cas de Mona qui reste un personnage opaque et contradictoire, antipathique et attachant à la fois (ou selon les points de vue, c'est aussi cela qui fait la richesse du film). Un personnage tragique aussi, ne trouvant sa place nulle part, soit parce qu'elle retrouve ailleurs et sous d'autres atours tout ce qui l'a poussé à fuir, soit parce qu'elle se fait rejeter des endroits où elle pourrait éventuellement se sentir bien. Les propos des uns et des autres en disent souvent plus sur eux même que sur elle, son caractère impénétrable servant aussi à réfléchir la lumière sur les témoins qui ont croisé sa route et qui sont issus d'un large spectre social: il y a entre autre l'ouvrier tunisien mutique, la bonne (Yolande Moreau) qui projette ses fantasmes romantiques sur Mona (elle n'est pas la seule d'ailleurs à envier sa liberté en oubliant la solitude qui l'accompagne), sa riche patronne (Marthe Jarnias), une vieille dame qui noue une complicité avec Mona, son neveu BCBG (Stéphane Freiss) ingénieur agronome au mode de vie petit bourgeois (étriqué) qui est profondément dérangé par Mona, sa collègue platanologue (Macha Méril) qui éprouve une profonde culpabilité à l'égard de Mona etc.

A travers "Sans toit ni loi" qui a conservé toute sa puissance en dépit du temps qui a passé, Agnès Varda dévoile une dialectique fondamentale de son cinéma à savoir le fait que son goût prononcé pour les autres (notamment les marginaux) est toujours lié à des interrogations sur elle-même. Comme Cléo, Agnès Varda est une artiste mais comme Mona, elle est en marge et isolée, traçant sa route de pionnière en solitaire. C'est cette dimension personnelle, introspective ainsi que la forme très recherchée qu'elle prend (là encore hybride, entre documentaire et fiction) qui permet à son film d'échapper aux stéréotypes du film social. Comme son héroïne, "Sans toit ni loi" est un film à multiples entrées qui possède aussi une indéniable dimension féministe. Mona refuse le monde hiérarchisé et patriarcal (celui du travail notamment) et apparaît également asociale (elle déteste les groupes) mais son vagabondage solitaire fait d'elle paradoxalement une proie facile pour les hommes. En dépit de son caractère rageur, de son apparence délabrée et de sa gangue de crasse, elle est régulièrement confrontée au viol et à la prostitution à laquelle elle n'échappe que pour finir dans le fossé. Elle n'a en effet aucun projet constructif à proposer, vivant de petits boulots et de chapardages, fuyant la réalité dans l'alcool et l'herbe. L'éleveur de chèvres qu'elle rejette à cause de son côté paternaliste a deviné l'impasse dans laquelle elle s'est fourrée et constate avec désolation que son attitude nihiliste sert les pires aspects du système qu'elle rejette.

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Stardust Memories

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (1980)

Stardust Memories

Film poétique et foisonnant mais difficile d'accès, "Stardust Memories" est néanmoins incontournable dans la filmographie de Woody ALLEN. Pour le comprendre il est indispensable de le resituer dans son contexte.

Woody ALLEN a commencé sa carrière comme créateur de gags et de sketches puis comme amuseur public de stand up. C'est en effet sur les planches qu'il a créé son personnage d'intellectuel névrosé et anxieux. Naturellement, ses premiers films se situent dans la continuité de ses sketches burlesques et satiriques dans lequel il fait figure d'ahuri maladroit. Un tournant intervient avec son premier grand film "Annie Hall" (1977) où l'écriture se fait plus délicate et bien plus personnelle. Mais bien que parfois mélancolique, il s'agit toujours d'une comédie. "Manhattan" (1979) se situe dans la même lignée avec en plus une esthétique éblouissante marquée par une superbe photographie de Gordon WILLIS et le classique et jazzy "Rhapsody in blue" de George GERSHWIN. Entre les deux films, Woody ALLEN a proposé cependant une rupture radicale avec le style qui avait fait jusqu'ici sa renommée: "Intérieurs" (1978) est son premier drame intimiste et le premier film où il révèle l'influence d'un grand maître, Ingmar BERGMAN. Mais le public américain, déconcerté ne suit pas.

"Stardust Memories" sonne à la fois comme une synthèse et un bilan de toute cette période. Woody ALLEN a d'ailleurs embauché de nouveau Gordon WILLIS pour le noir et blanc du film. Celui-ci reprend le principe de l'oeuvre sous influence sauf qu'ici ce n'est pas Ingmar BERGMAN qui est son modèle mais Federico FELLINI et plus précisément "Huit et demi" (1963). On peut même parler de pastiche (certains parlent même de plagiat mais il s'agit davantage d'un hommage) tant on retrouve d'éléments communs: le noir et blanc, l'artiste dépressif en panne d'inspiration, les lunettes noires, la satire du showbiz dépeint comme un poulailler grotesque (ça parle pour ne rien dire, ça s'agite, ça harcèle de sollicitations diverses le pauvre artiste qui ne sait plus où donner de la tête), les références au monde du cirque et de la magie, le mélange de rêves, de fantasmes, de cinéma et de réalité. Jusqu'à la scène d'ouverture qui est quasiment identique, la route ayant juste été remplacé par le rail (et une belle blonde muette de 22 ans alors inconnue, Sharon STONE). A travers ce dispositif, Woody ALLEN met en scène ses propres interrogations identitaires, aussi bien personnelles que professionnelles. La décoration de son appartement change d'ailleurs en fonction de ses humeurs, tantôt montrant Groucho MARX (l'un de ses grands maîtres, cité d'une façon ou d'une autre dans presque tous ses films) et tantôt ce qui semble être un cambodgien en train de se faire exécuter par un Khmer Rouge. Son personnage et double, Sandy Bates est écartelé entre trois femmes, une actrice brune, ténébreuse et bipolaire qui le hante (Charlotte RAMPLING qui est terriblement envoûtante et bergmanienne), une blonde plantureuse équilibrée et terre à terre (Marie-Christine BARRAULT) et une jeune violoniste névrosée (Jessica HARPER). Sur le plan professionnel, Sandy doit se confronter à des producteurs et à un public qui n'apprécient pas son évolution vers le cinéma sérieux et ne cessent de lui répéter qu'ils préféraient ses premiers films (Steven SPIELBERG qui a connu un peu la même trajectoire s'est d'ailleurs reconnu dans le personnage). On en arrive au paradoxe où Sandy défend ses choix en faisant du stand-up, provoquant l'hilarité de la salle comme s'il se retrouvait au point de départ. Chacun sait qu'il n'en est rien et que désormais, c'est la quête d'un équilibre entre les différentes facettes de sa personnalité qui constitue le fondement des films du réalisateur.

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The Lady in the Van

Publié le par Rosalie210

Nicholas Hytner (2015)

The Lady in the Van

"The Lady in the Van" n'est certainement pas un grand film. La mise en scène est platement illustrative, les personnages secondaires sont affreusement mal écrits, caricaturaux et ridicules et on a quand même du mal à éprouver de l'empathie pour les personnages principaux que ce soit Margaret (caractère irascible, hygiène déplorable) ou Alan Bennett son hébergeur (et biographe, le film étant l'adaptation du livre qu'il lui a consacré en 1999) froid, précieux et guindé. Il y a trop de distance entre eux, trop d'incommunicabilité, trop de barrières (à commencer par celui du dégoût qu'Alan ressent vis à vis de Margaret et de l'incompréhension totale que manifeste cette dernière, bigote et conservatrice à l'extrême vis à vis de l'identité de ce dernier) pour que l'on puisse parler d'union (de deux solitudes, de deux exclusions sociales). Tout au plus Alan ressent-il une certaine fascination-répulsion pour cette femme qui comme lui a des secrets et incarne une certaine dualité. Cette étanchéité entre eux et avec le spectateur a quelque chose de réfrigérant et de morne d'autant qu'il n'y a aucune progression dramatique dans le film (il ne s'y passe pas grand chose hormis quelques révélations sur le passé de Margaret et le seul horizon du film est celui de la fin de vie).

Reste tout de même que le propos se focalise sur une figure habituellement exclue des représentations à l'écran, celle de la "vieille dame indigne" qui combine grand âge et extrême pauvreté, deux tares rédhibitoires dans notre société. Les propos récurrents sur l'odeur d'eau croupie des pauvres font penser à ceux du tout récent film coréen palmé "Parasite" (2019) qui s'attaque lui aussi à la hiérarchie sociale et au racisme de classe. De plus, Margaret est incarnée par Maggie SMITH, une immense actrice dont la présence pallie le caractère repoussant (physiquement et moralement) de son personnage. La scène du piano à la fin du film est très forte et les quelques moments où elle manifeste de la joie ressemblent à des rayons de soleil. Dommage qu'elle évolue dans un décor d'opérette au milieu de fantômes ce qui émousse considérablement la charge sociale qu'aurait pu inspirer son parcours tortueux et torturé. Il y a un réel problème de registre, le film n'ayant pas su trancher ou louvoyer de façon convaincante entre le réalisme social et la fable.

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Le Village (The Village)

Publié le par Rosalie210

M. Night Shyamalan (2004)

Le Village (The Village)

"Le Village" est à l'image de M. Night SHYAMALAN, une sorte de melting-pot à la confluence du conte européen ("Le petit chaperon rouge", la comptine "Promenons-nous dans les bois"), de l'utopisme des pionniers américains et de l'épouvante asiatique.

"Le Village" est d'abord un film sur la peur. La peur primale de l'inconnu, du noir, du sauvage, de l'animal qui pousse les humains depuis les premiers temps de leur histoire à tracer une frontière entre leur monde (civilisé, domestiqué, organisé, pacifié) et celui de la nature incarné la plupart du temps par la forêt (interdite, comme dans "Harry Potter"). Une frontière fortifiée et surveillée. Ce qui est original dans le film de M. Night SHYAMALAN, c'est que l'on découvre à la fin du film qu'il y a en fait une double frontière qui représente dans un même espace deux époques différentes. Celle qui délimite le village du bois à l'aide de poteaux et de miradors en bois, ouvrages du passé et celle qui sépare la réserve naturelle du reste du monde à l'aide d'un mur d'enceinte en béton, ouvrage beaucoup plus récent de ce que l'écrivain François Terrasson appelle "l'Apartheid de la nature". Le monde des villes (au-delà de l'enceinte de béton) est en effet perçu par les habitants du village comme celui de la sauvagerie au même titre que celui des bois. Un rapprochement surprenant au premier abord mais logique au final car la ville est tentaculaire et ouverte, donc incontrôlable, au même titre que le bois. Les pulsions primitives peuvent donc s'y déployer sans entraves. D'où le leitmotiv du branchage qui à l'inverse du cercle ne peut pas être circonscrit (vous en coupez un, dix repoussent comme le montre l'exemple de l'hydre). C'est peut-être aussi l'une des explications du code couleur qui voit s'opposer le jaune et le rouge, le disque solaire protecteur et l'alerte rouge (et puis le sang est un fluide qui coule et s'infiltre).

Mais "Le Village" est aussi un film sur la manipulation de cette peur à des fins politiques. Car le conseil des Anciens a beau avoir fondé la communauté du village pour protéger l'innocence de ses membres, il ne l'est pas lui, innocent. D'abord parce que les membres fondateurs sont tous nés hors du village. Ils connaissent donc le monde tel qu'il est vraiment. De plus leur projet communautariste autarcique est né d'un traumatisme qui les a conduit à édifier autour d'eux une carapace protectrice à l'abri du monde. Le parallèle avec les pionniers américains partis d'Europe pour fonder une communauté idéale dans le nouveau monde est évident et on a beaucoup rapproché à juste titre "Le Village" des Mormons et des Amish. Le problème, c'est que ces Anciens qui connaissent la vérité sur le monde entretiennent les jeunes générations dans l'illusion du danger que représente le monde extérieur à coup de mensonges (avec mascarades et mises en scène autour des créatures maléfiques censées hanter les bois "ceux dont on ne parle pas" comme "Celui dont on ne doit pas prononcer le nom" dans Harry Potter). On pense beaucoup à Peter WEIR. Celui de "Witness" (1985) et celui de "The Truman Show" (1998). Sauf qu'il n'y a pas d'intrus dans "Le Village". Enfin si mais c'est un intrus "intérieur" qui invalide toute la stratégie du groupe et fait vaciller les certitudes de l'Ancien Edward Walker (William HURT). Et le pire, c'est que cet intrus est lui un authentique innocent qui aurait été déclaré irresponsable de ses crimes s'il avait été jugé par un tribunal moderne. Cet intrus c'est Noah Percy (Adrien BRODY), l'handicapé mental que sa possessivité pousse au meurtre. Et c'est lui qui suprême ironie endosse le costume des créatures maléfiques imaginaires que les Anciens avaient inventées pour terroriser les jeunes et les maintenir bien à l'intérieur du cercle. Comme les crimes de Noah visent la fille de Edward Walker, Ivy (Bryce Dallas HOWARD) et son fiancé Lucius (Joaquin PHOENIX), l'individualisme latent des immigrants américains se réveille et Edward décide sans consulter les autres de les sauver tous les deux en ouvrant une brèche dans le dispositif pour y faire entrer l'air, la lumière et la vérité. Enfin, très relativement étant donné que Lucius est dans le coma et Ivy est aveugle.

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Mission impossible: Protocole fantôme (Mission: Impossible – Ghost Protocol)

Publié le par Rosalie210

Brad Bird (2011)

Mission impossible: Protocole fantôme  (Mission: Impossible – Ghost Protocol)

Le quatrième long-métrage de la saga Mission Impossible est le premier que j'ai vu et l'un de ceux que je préfère. D'abord parce que Brad Bird est aux commandes et que ça se voit. C'était son premier film live après la réalisation de films d'animation de premier ordre comme "Le Géant de fer", "Les Indestructibles" et "Ratatouille" (les deux derniers pour les studios Pixar). Brad Bird est un surdoué des lignes de vitesse et du mouvement dans le cadre et nous concocte un spectacle absolument vertigineux avec de belles compositions géométriques et chromatiques servant d'écrin au film, festival visuel de verticalité, d'horizontalité, de diagonales pas si éloigné de l'animation (la célèbre scène de varappe, descente, course sur le Burj Khalifa, la plus haute tour du monde à Dubaï) et de circularité (la scène finale du parking). Ces scènes d'action, en plus d'être belles à voir sont parfaitement rythmées et mettent en lumière le meilleur de Tom Cruise qui est son engagement physique puisqu'il accomplit lui-même toutes ses cascades (certes il était câblé lors des pirouettes sur le Burj Khalifa mais sa performance reste impressionnante). Cette réalité physique, même considérablement retouchée par les effets numériques (l'explosion du Kremlin n'est d'ailleurs pas très crédible) permet d'introduire un jeu de distanciation bienvenue avec la technologie qui fait partie de l'ADN de la saga. Cela commence fort dès l'introduction où le signal sonore du téléphone lié à l'approche de la tueuse blonde Sabine Moreau (Léa Seydoux, deuxième française à jouer dans la saga) distrait un collaborateur de l'IMF et permet à cette dernière de le tuer. Puis cela continue avec une autre scène de téléphone, celle où Ethan Hunt doit détruire lui-même le message (censé s'autodétruire au bout de 5 secondes). Il y a ensuite le Kremlin avec la projection vidéo d'un couloir vide censé produire une illusion parfaite mais qui finit par se détraquer. Il en va de même des gants autoadhésifs sur la Burj Khalifa ou des masques qui sont abandonnés au profit d'un jeu de dupes et tour de passe-passe plus traditionnel parfaitement orchestré où l'utilisation de l'objet high-tech (une lentille photocopieuse) est d'ailleurs la seule chose qui fait dérailler la machine bien huilée. Car équipe il y a et c'est un autre point fort du film. Le fait que les personnages soient bâclés et l'intrigué téléphonée n'a que peu d'importance, ce qui compte c'est l'orchestration de leur complémentarité. A ce titre le duo du beau gosse charmeur Tom Cruise et du rigolo Simon Pegg, pleinement exploité fonctionne particulièrement bien et ce, dès la scène d'introduction, une belle chorégraphie en milieu carcéral sur l'air de "Ain't that a kick in the head" de Dean Martin. S'y ajoute un élément féminin, l'agent Carter joué par Paula Patton dont le rôle d'espionne assez passe-partout est tout de même mis en valeur lors de deux scènes: sa confrontation avec Sabine Moreau et la séduction à Mumbai du magnat Brij Nath (Anil Kapoor, célèbre dans le monde pour son rôle du présentateur de "Slumdog Millionnaire"), une séquence 100% bollywoodienne. Enfin un quatrième personnage intervient, l'agent Brandt (Jeremy Renner), assistant de Ethan Hunt dont la présence se justifie par le fait qu'il devait à l'origine devenir le nouveau héros de la saga. Comme on le sait, il n'en fut rien (ce qui en creux démontre l'emprise de Tom Cruise sur la saga) et c'est au contraire le personnage de Brandt qui finit par disparaître dans le sixième film. A noter également que c'est dans le quatrième film qu'intervient pour la première fois Christopher McQuarrie puisqu'il a réécrit  la fin film avant de se lancer dans la réalisation des volets suivants.

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Docteur Jerry et Mister Love (The Nutty Professor)

Publié le par Rosalie210

Jerry Lewis (1963)

Docteur Jerry et Mister Love (The Nutty Professor)

Cette variation comique autour du célèbre roman de Robert Louis Stevenson rend hommage aux adaptations cinématographiques qui l'ont précédée (avec notamment un clin d'œil à la version de Victor Fleming lors de la scène de la transformation) pour mieux s'en distinguer par la suite en explorant de nouvelles facettes du mythe, celui-ci étant plastique par essence.  Le génie comique étant fondé sur la subversion, l'originalité apportée par Jerry Lewis consiste à dissocier la monstruosité physique de la monstruosité morale. Le docteur Kelp, gentil mais timide, maladroit et complexé souffre d'une apparence disgracieuse et se fait humilier par tout le monde alors que son double maléfique, Buddy Love est un crooner gominé arrogant et macho (Dean Martin, sort de ce corps!*) qui a le dessus sur tous ses interlocuteurs et les humilie à son tour. Le beau et le bien ne se confondent plus et le discours final de Kelp (à teneur autobiographique*) a valeur de manifeste sur l'acceptation de soi quel que soit ce "soi". En effet -et c'est cela qui est très juste et échappe au discours convenu sur la question- il est précisé dans le scénario qu'il est finalement plus épanouissant d'investir le soi que l'on est au quotidien plutôt que de se dédoubler ce qui revient à parler des bienfaits de l'intégrité. La performance de Jerry Lewis dans le double rôle est digne des plus grands transformistes et le travelling génial révélant Buddy Love produit un effet de sidération qui provoque immanquablement le rire. L'autre singularité du film est son utilisation brillante de la couleur qui en fait une œuvre de pop art que l'on peut aussi bien rattacher à l'art de la BD qu'à celui du cartoon, genre auquel le film se réfère explicitement par exemple lorsque Kelp s'essaie à la musculation et que ses bras s'allongent démesurément. Enfin Stella Purdy, l'étudiante dont le professeur Kelp est amoureux est joué par Stella Stevens qui offre une prestation certes plus légère que dans "Too Late Blues" de John Cassavetes mais tout aussi magnétique sur un air de "viens petite fille dans mon comic strip, viens faire des bulles, viens faire des wip, des clic crap, des bang, des vlop et des zip ^^^^". Car il existe un point commun entre les deux films: la quête d'une authenticité par-delà les apparences. La dernière séquence du film rend d'ailleurs hommage à Charles Chaplin.

*Pour mieux comprendre le film, il faut rappeler que Jerry Lewis connut aux Etats-Unis dans les années 1955-1960 un grand succès en compagnie de Dean Martin au travers de nombreux films comiques. Ceux-ci proposaient un schéma identique. Au sein de leur duo, il jouait le rôle ingrat de l'ahuri (abruti) de service servant de faire-valoir à Dean Martin qui était le chanteur de charme à la voix de velours, irrésistible tombeur de ces dames. Il est naturel que Jerry Lewis en ait conçu quelque amertume. D'ailleurs le duo finit par se séparer. "Docteur Jerry et Mister Love" a donc un parfum de revanche pour lui.

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Chambre avec vue (A Room with a view)

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1985)

Chambre avec vue (A Room with a view)

Premier grand succès public et critique du trio magique et cosmopolite formé par James Ivory (réalisateur américain), Ruth Prawer Jhabvala (scénariste britannique) et Ismaël Marchant (producteur indien), "Chambre avec vue" est également leur première adaptation cinématographique du romancier britannique Edward Morgan Forster. Deux autres suivront: "Maurice" (ma préférée) en 1987 (mais sans Ruth Prawer Jhabvala) et "Retour à Howards End" en 1992. L'ensemble forme une trilogie remarquable à laquelle on peut rajouter un autre sommet, "Les Vestiges du jour" réalisé en 1993 d'après le roman de Kazuo Ishiguro.

Bien qu'un peu inégal dans son interprétation (Lucy et George joués respectivement par Helena Bonham Carter alors toute jeune et Julian Sands sont trop fades) et son scénario (la fin semble bâclée) , "Chambre avec vue" fait office de prélude à ce qui fait tout le prix de l'œuvre de ce cinéaste et lui permet d'échapper à l'académisme: le surgissement de la nature dans un milieu corseté qui la réprime avec violence. C'est de cette contradiction permanente que jaillit l'intérêt du film. Celui-ci oppose de manière assez évidente la sensualité et la passion latine au puritanisme anglais incarné par le snob et guindé Cecil Vyse (Daniel Day Lewis qui joue le parfait dandy proustien) et la prude vieille fille Charlotte Bartlett (Maggie Smith qui sait à merveille incarner les personnages collets montés). Mais contrairement à ce qui a été écrit ici et là, ni l'un ni l'autre ne sont caricaturaux. La sensualité de la bouche de Cecil/Daniel Day Lewis est en contradiction flagrante avec le reste de son apparence et trahit une sensualité refoulée (sans doute homosexuelle). Le comportement de Charlotte est rempli d'actes manqués, ses yeux sont mélancoliques et on apprend qu'elle a eu par le passé une aventure à laquelle elle n'a pas donné suite. Et ce qui vaut pour les personnages vaut aussi pour les situations. En Italie, Lucy est le témoin horrifié d'une rixe sanguinaire alors qu'en Angleterre, elle voit surgir des herbes hautes trois hommes nus sortant de l'eau dont son frère Freddy (Rupert Graves) et Georges. Cette scène très picturale a d'ailleurs valeur de manifeste tant les élans du corps des trois gaillards sont mis en valeur. Il est assez évident que ces scènes font surgir la vérité des désirs et des sentiments de Lucy, laquelle n'est pas prête à y faire face (elle tourne de l'œil ou interpose son ombrelle entre elle et la vision choquante). Avec une légèreté narquoise, les cartons qui parsèment le film et les dialogues insistent sur les mensonges qu'elle profère aux autres et à elle-même. Dommage que son évolution vers l'affirmation de soi soit si vite expédiée, il faudra attendre "Maurice" pour voir une version pleinement aboutie de ce cheminement vers la connaissance et l'affirmation de soi-même par le renversement des barrières sociales, culturelles et morales.

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