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La Cinquième Victime (While the City Sleeps)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1956)

La Cinquième Victime (While the City Sleeps)

" La tonalité de ce film est peut-être un aperçu du film que je souhaite entreprendre maintenant, cette critique de notre vie contemporaine, où personne ne vit sa vie personnelle. Chacun est toujours soumis aux obligations de son travail qui sont très importantes pour lui. Après tout, l'argent c'est très important"

Cette citation de Fritz LANG extraite d'un entretien qu'il a accordé à propos de la "Cinquième victime" à Jean DOMARCHI et Jacques RIVETTE dans les Cahiers du cinéma donne effectivement le ton du premier volet de son ultime diptyque américain: ironique et sans pitié. "La cinquième victime" est une satire au vitriol d'un microcosme journalistique gangrené par l'arrivisme. A travers lui c'est l'obsession de la société américaine pour la réussite matérielle (c'est à dire l'argent et le pouvoir) qui est épinglée. Aucun personnage n'est épargné dans cette histoire, tous apparaissant comme des coquilles vides courant après des désirs mortifères:
- Le fils du patron Walter Kyle (Vincent PRICE) est un héritier aussi nul que dégénéré qui jouit de son pouvoir en inventant un petit jeu pervers: faire miroiter à trois de ses sous-chefs un poste pour lequel ils se boufferont le nez.
- Sa femme Dorothy (Rhonda FLEMING) le cocufie avec l'un des trois sous-chefs pour mieux assoir son propre petit pouvoir. Tout comme la chroniqueuse mondaine Mildred Donner (Ida LUPINO) elle est vénale et manipulatrice. Toutes deux ne se départissent jamais de leur masque à rictus sardonique tout au long du film. Mildred a seulement l'avantage sur Dorothy d'être très drôle avec un sens de la répartie qui rappelle la screwball comédie en milieu journalistique "La Dame du vendredi" (1940) de Howard HAWKS, tiré de la pièce de Ben HECHT, "The Front Page".
- Les trois chefs de service dévorés par l'ambition sont prêts à tout pour gagner la compétition. Chacun a sa technique pour l'emporter: sexe, argent, informations. Harry Kritzer (James CRAIG) espère arriver en se faisant recommander par Dorothy dont il est l'amant. Mark Loving (George SANDERS abonné aux rôles de salaud), séducteur/harceleur est prêt à lyncher sur la place publique un pauvre innocent qui était là au mauvais endroit au mauvais moment (thème langien par excellence) pour faire croire qu'il a résolu l'énigme du tueur au rouge à lèvres avant les autres. Seule la crainte d'être poursuivi en diffamation le fait reculer. Enfin Jon Griffith (Thomas MITCHELL) utilise la vedette du journal TV Edward Mobley (Dana ANDREWS) qui se sert de sa propre fiancée Nancy Liggett (Sally FORREST) comme appât pour attirer le tueur. Pas très joli-joli tout ça.
- Le tueur enfin (John BARRYMORE Jr.) est comme dans "M le Maudit" (1931) le symptôme de cette société malade. Avec une justesse visionnaire il est dépeint comme accro à la célébrité médiatique. Fritz LANG montre comment à chaque nouveau crime il prend de plus en plus de risques, laissant des indices permettant de le reconnaître. On pense notamment aux mises en scène sur les réseaux sociaux. Ironiquement, son "double" médiatique est Edward Mobley qui le provoque en direct à la TV et comprend tellement bien son fonctionnement qu'il ne peut être lui-même qu'une âme de serial killer en puissance. Car les médias sont dépeints comme des vampires assoiffés de sang, les tueurs leur fournissant le carburant dont ils ont besoin et vice versa.

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Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)

Publié le par Rosalie210

Hiromasa Yonebayashi (2014)

Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)
Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)


"Souvenirs de Marnie" est sans doute le film des studios Ghibli que je préfère avec "Si tu tends l'oreille" (1995) de Yoshifumi Kondo en dehors de la filmographie des deux monstres sacrés que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA. Le film a été assez sous-estimé lors de sa sortie parce qu'il a été jugé trop plan-plan comparativement aux fulgurances formelles des fondateurs du studios. Pourtant il s'agit d'une œuvre bien moins sage qu'elle ne le laisse paraître et qui se situe dans la continuité du studio (adaptation d'un classique de la littérature jeunesse britannique transposé au Japon, héroïnes et univers féminin). Le film se situe dans un entre-deux très inconfortable propice à l'ambiguïté. Celle-ci affecte l'espace-temps, l'intrigue se déroule entre deux rives et pendant les heures bleues, celles qui se situent entre chien et loup. Elle met en contact plusieurs niveaux de réalité, celle de l'instant présent et celle de la mémoire qui fait ressurgir les fantômes du passé dans le présent. Pendant une grande partie du film, une ambiguïté supplémentaire nous donne à croire que cette mémoire n'existe pas et qu'il ne s'agit que d'un simple rêve. Il faut attendre la découverte de vestiges du passé (le journal, le tableau) pour que cette piste se referme. Le film met en vedette deux adolescentes du même âge qui fonctionnent en miroir. L'adolescence est un âge marqué par l'instabilité, l'impermanence, y compris des sentiments. La relation entre les deux jeunes filles est donc particulièrement trouble d'autant que l'une, Anna est un garçon manqué et l'autre à l'inverse, une poupée blonde aux yeux bleus portant des anglaises et des robes à fanfreluches. Sans que nous nous en rendions compte d'emblée (puisque nous croyons au départ que les deux filles existent sur un même plan spatio-temporel) Anna réécrit en fait la vie de Marnie en se projetant en rivale de l'amoureux de cette dernière, Kazuhiko. Dans la scène du silo, lieu phallique par excellence qui s'oppose à la maison des marais plus féminine, elle se substitue même complètement à lui dans un dispositif qui fait en peu penser à celui de "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Une comparaison qui se renforce lorsqu'on découvre le lien filial qui unit Marnie et Anna, la grand-mère/la petite-fille et l'amoureux/l'amoureuse finissant par avoir le même visage.

Ce travail de brouillage des repères produit un effet paradoxal: il nous montre une histoire qui se répète et en même temps, il est porteur d'espoir. Marnie, Emily (le chaînon générationnel manquant) et Anna se transmettent les mêmes maux: abandon familial, manque d'amour, perte d'estime de soi, isolement, maladie/mort prématurée. Le retour de Marnie dans la vie d'Anna a un effet réparateur. Au Japon, monde "flottant", il n'y a pas de franche rupture entre le monde des morts et celui des vivants et les deux peuvent donc communiquer et mutuellement s'influencer. On peut imaginer Marnie enfin en paix et Anna allant de l'avant, même si la fin du film est un peu trop précipitée à mon goût.

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