Le meilleur film de Bruce Lee, le plus emblématique en tout cas. C'est LO Wei qui dirige le film (il joue également un rôle, celui de l'inspecteur de police) avec beaucoup plus de moyens que pour le film précédent "Big Boss (1971)" et une technique (découpage, ralentis) qui met en valeur la précision des chorégraphies de Bruce LEE. Ce dernier concentre en lui une énergie phénoménale qui lorsqu'elle explose dévaste tout sur son passage. Si la "La Fureur de vaincre" est culte c'est d'abord en tant que symbole de résistance à l'oppression (avec une forte connotation nationaliste). Le film se déroule à l'époque de l'occupation japonaise de la concession internationale de Shanghai durant la seconde guerre mondiale. Bruce LEE revêt la défroque de Chen Zhen, un personnage ayant réellement existé, disciple d'un célèbre maître de kung fu, Huo Yuanjia (1869-1910) mort empoisonné à l'issue d'une ultime victoire contre l'école japonaise. Les actes d'insoumission de Chen Zhen pour venger son maître restaurent la fierté humiliée de tout un peuple. Chen Zhen est un bloc de rage tout entier tourné vers la vengeance même s'il s'offre une pause romantique et quelques passages comiques où il revêt divers déguisements (ridicules) pour mieux espionner ou neutraliser ses adversaires. Il y a le passage culte où il affronte et vainc un dojo tout entier au cri de "non, les chinois ne sont pas les malades de l'Asie orientale" avant de faire manger des morceaux de l'insulte calligraphiée à deux de leurs auteurs . Il y a la scène où il détruit une pancarte interdisant aux chinois et aux chiens de se promener dans un parc (une telle pancarte n'a jamais existé mais il y a une assimilation un peu forcée entre le sort des chinois et celui des juifs pendant la guerre). Et puis il y a le célébrissime arrêt sur image qui clôt le film, ce cri de fureur et cet élan héroïque qui refuse de retomber devant le peloton d'exécution. Car c'est l'autre raison qui explique le statut iconique du film. Le mythe Bruce Lee, l'intensité et la brièveté de son parcours ainsi que sa mort tragique et prématurée est contenu tout entier dans ce plan.
Les historiens du cinéma ont tendance à estimer que la carrière de Buster KEATON a périclité à partir du moment où il a signé à la MGM et perdu le contrôle de ses films. C'est inexact. "Le Caméraman/L Opérateur" (1928) est un chef-d'oeuvre et le film suivant "Le Figurant" (1929) est tout aussi excellent. Le réalisateur officiel a beau être Edward SEDGWICK, la patte de Buster KEATON est parfaitement reconnaissable que ce soit par la réflexion sur le cinéma dans "Le Caméraman" ou l'utilisation de l'espace du bateau dans "Le Figurant". En même temps il bénéficie de moyens techniques supérieurs à ses autres films, notamment en ce qui concerne la photographie vraiment superbe de Reggie LANNING qui donne un cachet années trente à ces deux comédies à la fois dramatiques et burlesques. L'utilisation d'effets sonores (superflus) dans "Le Figurant" est aussi un important marqueur temporel car il nous rappelle son avènement imminent, avènement qui sera fatal à Buster KEATON.
La trame du "Figurant" est plus subtile qu'il n'y paraît. D'ailleurs ce n'est pas le qualificatif qui convient le mieux à Elmer, le personnage joué par Buster KEATON. Celui-ci est davantage un remplaçant ou une doublure qu'un figurant. J'irai même plus loin, c'est une ombre (au sens de l'inconscient), il représente l'autre côté du miroir. Je pense en particulier à la manière dont Buster KEATON revisite "Carolina", la pièce de théâtre sur la guerre de Sécession dans laquelle joue l'actrice dont il est fou amoureux, Trilby Drew (Dorothy SEBASTIAN). Avant son intervention, c'est un mélodrame larmoyant et manichéen taillé pour le bellâtre dont Trilby est amoureuse, Lionel Benmore (Edward EARLE). La participation d'Elmer qui multiplie les gaffes dynamite la pièce (au sens figuré et au sens propre) qui devient alors hautement comique. Trilby est elle-même duale selon qu'elle est dans son état normal ou bien en proie à l'ivresse. Elle fait penser au personnage du millionnaire du film de Charles CHAPLIN, "Les Lumières de la ville" (1931) qui est snob lorsqu'il est sobre et généreux quand il a bu. Trilby dans son état normal n'aurait jamais regardé Elmer et ne l'aurait jamais épousé. La jalousie lui fait commettre des actes irrationnels. C'est lorsqu'elle est dans un état second (dans la pièce "Carolina" comme en dehors) que Elmer peut l'approcher de très près comme dans une très belle scène où il la couche inconsciente sous l'effet de l'alcool dans son lit et veut la déshabiller mais ne sait pas comment s'y prendre. Ce sont leurs retrouvailles à bord d'un bateau et les épreuves de vérité qu'ils devront y affronter qui leur permettront de se rejoindre.
A la fin du film, Shukishi Hirayama (Chishû RYû) offre à sa belle-fille Noriko (Setsuko HARA) la montre de sa femme Tomi (Chieko HIGASHIYAMA) qui vient de décéder. Pour la remercier de son accueil envers eux durant leur séjour à Tokyo, il lui enjoint de reprendre le cours de sa vie, de faire le deuil de leur fils (son époux tué à la guerre huit ans auparavant) et d'accepter de les "trahir" en se remariant. Avec la montre, il lui offre le temps, ce temps auquel nul n'échappe, qui confronte les humains à la douleur de la perte et à la mélancolie. Mais se soustraire au temps c'est en quelque sorte passer à côté de sa vie.
"Voyage à Tokyo", le film qui a fait connaître le cinéma humaniste de Yasujiro OZU en France est une œuvre délicate, bouleversante et profonde sur les changements que le temps fait subir aux relations entre les parents qui vieillissent et leurs enfants qui grandissent et s'éloignent. La modernisation du Japon dans le cadre du deuxième miracle économique durant les années 50 et 60 contribue également à agrandir la distance entre les générations. C'est ainsi que par petites touches discrètes et en étant au plus près de ses personnages grâce à son regard caméra particulier, Yasujiro OZU dépeint la mise à l'écart des parents par leurs propres enfants qui n'ont plus de temps à leur consacrer, leur énergie étant entièrement dévolue à construire l'avenir économique du pays. Il y a une dimension certainement critique dans la description de cette modernité pour laquelle on sacrifie les relations humaines pour s'élever socialement et s'enrichir, la fille aînée se montrant de surcroît pingre et mesquine au point de ne penser qu'à récupérer les affaires de sa mère une fois celle-ci morte. Néanmoins Ozu est tout sauf manichéen et rappelle que couper le cordon et manifester un certain égoïsme est le prix à payer pour assumer une vie propre. Noriko qui vit dans le passé et pour qui en quelque sorte le temps s'est arrêté n'est pas heureuse. Si elle se sent si proche de ses beaux-parents c'est parce que comme eux elle se sent mise à l'écart et abandonnée. Mais elle est encore jeune si bien que cette attitude passive, ce refus d'évoluer a quelque chose d'infantile et de mortifère. C'est par amour pour elle que son beau-père lui enjoint de rejoindre le flux de ceux qui vivent même si cela signifie s'éloigner de lui "Quand on perd ses enfants, on est malheureux. Mais quand ils vivent, ils deviennent lointains. Il n'y a pas de solution au problème."
Au premier visionnage en 2012, je n'avais pas aimé ce film tout en reconnaissant sa virtuosité technique. Le personnage d'Anders (Anders Danielsen LIE) m'avait paru être un gosse de riches plaintif, un intellectuel "fin de siècle" se regardant le nombril et se complaisant dans sa vacuité. La découverte des origines de "Oslo 31 août" à savoir "Le Feu Follet" de Drieu la Rochelle adapté au cinéma par Louis MALLE en 1963 m'a aidé à mieux l'apprécier.
Parmi les scènes remarquables du film, on peut citer un jeu d'échos particulièrement subtil entre trois scènes:
- La scène d'ouverture qui rend hommage au matériau littéraire d'origine avec une adaptation des fragments du "Je me souviens" de Georges Perec. On entend des voix d'hommes et de femmes évoquer des souvenirs d'un Oslo à visage humain qui n'est plus (les habitations ayant été remplacées par des bureaux ou des parkings).
- La scène du café où Anders écoute les conversations autour de lui sans y participer comme s'il ne faisait déjà plus partie de ce monde. On pense à une référence aux "Les Ailes du désir" (1987) sauf qu'au lieu d'être un ange qui aspire à l'humanité, Anders est un humain qui aspire à rejoindre le monde des anges. A un moment donné, il entend une fille faire une longue listes de désirs un peu sur le mode du jeu de cartes de Lynn Gordon "52 choses à faire dans sa vie avant de mourir". Or le drame de Anders est justement de ne plus rien ressentir, comme s'il était déjà mort intérieurement.
-La scène de fin, une succession de plans à rebours des lieux visités par Anders tout au long du film. Des plans désormais vides de présence humaine qui soulignent cruellement l'absence du protagoniste principal. Mais avant d'en arriver à cet effacement total, on remarque tout au long du film combien Anders a fait le vide autour de lui entre sa copine qui ne répond pas au téléphone, sa soeur qui refuse de le voir, ses parents partis en voyage et qui ont vendu la maison ou son ami Thomas (Hans Olav BRENNER) qui l'invite à une soirée où lui-même ne vient pas.
Ultime remarque, la première tentative de suicide de Anders dans le lac fait penser à "L'Intendant Sanshô" (1954) de Kenji MIZOGUCHI.
"Aucun des quelques films interprétés par Bruce LEE n’est un chef-d’œuvre, mais Bruce LEE est un chef-d’œuvre dans chacun de ses films" disait Olivier Père sur le site d'Arte en 2010. Ce qui est vrai pour des films comme "La Fureur du Dragon" (1972) ou "Le Jeu de la Mort" (1978) où il n'y a que les combats du petit dragon à sauver l'est à un degré moindre pour celui-ci. Il est plus réussi dans son ensemble mais sans sa tête d'affiche il aurait été oublié depuis longtemps. Surtout c'est celui qui a fait de Bruce LEE une star en occident, hélas à titre posthume puisque celui-ci était déjà décédé quand le film est sorti.
"Opération dragon" est la première collaboration cinématographique entre les USA et la Chine. C'est une évolution dans la manière dont l'industrie hollywoodienne traite les minorités, teintée d'opportunisme devant le succès de Bruce LEE à Hong-Kong. En effet bien que né à San Francisco, Bruce LEE s'est heurté durant les années 60 au rejet raciste de l'industrie hollywoodienne et de la télévision qui comme pour les afro-américains préférait embaucher des acteurs blancs et les grimer qu'employer d'authentiques asiatiques. Cependant au début des années 70, les mouvements contestataires de jeunesse et pour les droits civiques ont quelque peu changé la donne. Il n'est d'ailleurs pas innocent qu'un acteur de la blaxploitation, Jim KELLY joue aux côtés de Bruce LEE dans le film. Quitte à élargir le public, autant faire d'une pierre deux coups!
"Opération dragon" est ainsi une tentative réussie de mélange d'influences occidentales et orientales. Bruce Lee endosse un rôle à la James Bond avec île mystérieuse et base secrète à infiltrer et méchant à la Dr. No à neutraliser. Sauf que l'ambiance est orientalisante et que le kung-fu remplace les flingues. Bruce LEE a en effet obtenu carte blanche pour orchestrer les combats et chorégraphies du film et ses mouvements félins et ultra-rapides ont été magnifiés par les plans larges du réalisateur Robert CLOUSE. Ultime coup de génie, la scène finale, tournée dans une pièce dotée de 8000 miroirs qui démultiplie à l'infini l'image du petit dragon fait penser à "La Dame de Shanghai" (1947) de Orson WELLES.
Les films dits mineurs de Buster KEATON comme "Ma vache et moi" (1925), "Sportif par amour / Campus (1927)" ou ici "Le dernier round" sont certes beaucoup moins sophistiqués que ses chefs-d'œuvre mais ce sont de véritables petites pépites dans le domaine de l'étude de caractère et son incarnation corporelle. Buster KEATON joue le rôle d'un milliardaire, Alfred Butler, que son père envoie camper en pleine nature pour qu'il "apprenne la vie". Mais en parfait cousin du Rollo de "La Croisière du Navigator" (1923), Alfred est trop habitué à se faire servir par son majordome (Snitz EDWARDS) pour agir sur quoi que ce soit (comme le montre l'hilarante scène de chasse où les animaux folâtrent autour de lui mais il n'a pas l'idée d'en abattre un seul). Du moins jusqu'à ce qu'il ne tombe amoureux d'une fille des montagnes (Sally O NEIL) dont les frères exigent que l'époux soit un homme, un vrai. Par une heureuse (?) coïncidence, Alfred Butler a un homonyme (Francis McDONALD) et c'est un redoutable boxeur. Ne reste plus qu'à usurper son identité et le tour est joué, enfin presque car tôt ou tard survient le moment de vérité. Dans ce film inégal, c'est un moment particulièrement fort. Contrairement à "Charlot boxeur" (1915), Buster KEATON joue la carte du réalisme et de l'âpreté et le résultat est intense. Il encaisse, encaisse, encaisse et puis vient le moment où le trop-plein accumulé se transforme en révolte et en rage et où il rend tous les coups qu'il a reçu. Comme le disent les Inrockuptibles " Le règlement de comptes entre Keaton et le champion est montré dans toute sa laideur : corps qui tressaute, distorsion et froissement de la peau sous les coups, haine qui apparaît sur le visage. Dans Battling Butler, l'aspect burlesque s'efface clairement devant la dimension documentaire. Une constante chez Keaton, dont le point de départ des films (et parfois le déroulement entier) est toujours réaliste (…) Jamais, avant Battling Butler, on n'avait montré de manière aussi crue et réaliste la violence de la boxe et l'impact des coups de poings." Alors même si "Le dernier round" ne comporte pas de séquences spectaculaires, il n'en a pas moins une dimension physique saisissante, cette vérité du corps qui fait que même les films mineurs de Buster KEATON restent imprimés dans notre mémoire.
La culture japonaise n'est pas la seule à produire des images de mondes flottants, il y a également celles de Gus Van SANT lorsqu'il cherche à traduire les états d'âme de ses personnages adolescents. En 2007, il offrait un prolongement à sa trilogie de la mort avec son magnifique "Paranoïd Park". Une plongée sensorielle dans le psychisme d'un adolescent dissocié qui peu à peu parvenait à retrouver prise sur ce qui l'entourait.
Un événement traumatique dont on découvre la nature à la moitié du film coupe en effet le personnage principal, Alex (Gabe NEVINS) en deux et le fait s'absenter de lui-même. D'un côté son enveloppe vide continue comme si de rien n'était à vivre sa vie quotidienne de lycéen, sauf que la communication avec l'entourage est coupée. Elle l'était déjà sans doute avant. Les parents (séparés) sont flous et lointains, les amis restent à la surface et la petite amie, une pomp-pom girl égocentrique utilise son corps comme un objet sans se préoccuper de ce qu'il y a (ou pas) dedans. De l'autre son esprit flotte en apesanteur à bonne distance de son corps ce qui est un état finalement très proche de la mort. Alex rêve de "prendre un train", de partir, de s'envoler car il est persuadé qu'il y a "autre chose en dehors de la vie normale" mais les séquences au skatepark montrent qu'il reste collé la plupart du temps au sol avec sa planche à regarder les autres s'élancer. Ces séquences oniriques tournées en super 8, au ralenti et en grand angle avec une bande-sonore expérimentale sont de toute beauté. Elles donnent corps (c'est le cas de le dire) à la vision esthétique que GVS a de l'adolescent. Comme ceux de ses autres films, Alex a une gueule d'ange, son visage faisant penser de façon troublante à celui du peintre Raphaël. A partir de cette impression, le cinéaste ne se prive pas de travailler la question de l'innocence et de la culpabilité. Ainsi lorsque Alex se douche, il accomplit un rituel de purification censé le nettoyer de la souillure du crime qu'il a involontairement commis. Mais Gus Van SANT jette un doute sur son efficacité réelle en filmant la scène comme celle de "Psychose" (1960) (dont il a fait par ailleurs un remake). Finalement, c'est en rétablissant un contact avec la terre ferme grâce à une amie plus attentive que les autres, Macy (Lauren McKINNEY) que Alex reprend pied, notamment en rompant avec sa petite amie factice et en libérant sur le papier le poids de sa conscience, symboliquement transformé par la suite en volutes de fumées s'élevant vers le ciel.
Le deuxième long-métrage de Buster KEATON est aussi l'un de ses tout meilleurs. Car il repose sur les même processus que "Le Dictateur" (1940) de Charles CHAPLIN: transformer la tragédie en comédie en faisant ressortir l'absurdité et le grotesque des comportements destructeurs. C'est le code d'honneur des sudistes au XIX° siècle qui constitue la cible du film de Buster KEATON et plus précisément leur obsession pour la vendetta. Après un prologue dramatique prenant qui pose les enjeux du film, Buster KEATON apparaît dans le rôle d'un homme candide et innocent qui revient dans son village natal à bord d'un incroyable tortillard, réplique de la première locomotive anglaise de 1830 (on connaît la passion de Buster KEATON pour les trains et ce film ne fait pas exception à la règle). Innocent mais coupable aux yeux des hommes de la famille Canfield d'être le fils de la famille rivale. Sans le connaître, alors qu'il n'est pas armé et qu'il ne manifeste aucune intention belliqueuse à leur égard, ceux-ci n'ont de cesse de le poursuivre pour le tuer. J'ai fini par être prise d'un fou rire nerveux devant ces trois gros bêta (le père Canfield et ses deux rejetons), dégainant leur flingue (leur fierté virile à restaurer) au moindre geste que fait Willie McKay (Buster KEATON) pour sortir de leur maison. Car le comble de l'absurde est atteint lorsqu'on apprend qu'ils ne peuvent lui faire du mal tant qu'il est sous leur toit, au nom des "lois de l'hospitalité", c'est à dire des traditions. C'est en se jetant dans la gueule du loup qu'il est le mieux protégé! La suite ne dément pas ce principe. Car c'est en se retrouvant au cœur d'une nature dangereuse que par un enchaînements de hasards, Willie McKay va réussir à se sauver et à sauver sa relation amoureuse avec la fille des Canfield (Natalie TALMADGE) compromise par la hargne bête et méchante du clan. Une séquence finale époustouflante comme les aime Buster KEATON où il effectue des cascades spectaculaires en prenant d'énormes risques. Il a failli y perdre la vie et ce n'était pas du cinéma.
"La fête à Henriette" est un exercice de style ludique et original pour l'époque puisqu'il s'agit de montrer le film de la création d'un film. Cette mise en abyme permet de jouer sur deux niveaux: celui des créateurs (les deux scénaristes) et celui de leur créature (le film en train de se faire avec des ratures, diverses pistes scénaristiques, divers styles etc.) "La fête à Henriette" est surtout un bel hommage au cinéma. Beaucoup de critiques pensent que les deux scénaristes au tempérament opposé représentent Julien DUVIVIER et son scénariste Henri JEANSON avec lequel il était souvent en conflit. Mais ils pourraient tout aussi bien représenter deux facettes du même homme (le réalisateur ou le scénariste), l'une légère, joyeuse et réaliste, l'autre plus portée sur le rocambolesque et le drame. Leur confrontation permet au work in progress de passer facilement d'un genre à un autre. Tantôt on navigue au beau milieu d'un film de René CLAIR (le bal du 14 juillet), tantôt on est chez Marcel CARNÉ et Jacques PRÉVERT (avec le personnage du voyant aveugle), tantôt on se retrouve chez Jean RENOIR (avec deux acteurs de "La Règle du jeu" (1939), Paulette DUBOST et Julien CARETTE), tantôt on bascule dans le film noir avec une foultitude de cadres penchés qui ne sont pas sans rappeler les films de Orson WELLES et une ambiance de thriller très hitchcockienne. Julien DUVIVIER s'amuse à faire lire à son double les faits divers d'un journal en quête d'une idée de scénario. Peu clairvoyant, il repousse tour à tour le pitch du "Voleur de bicyclette" (1948) et du "Petit monde de Don Camillo (1952).
Reste que ce genre d'exercice trouve ses limites dans le fait que le procédé s'il est amusant au début finit par tourner à la mécanique répétitive un peu vaine. Car l'histoire racontée est au final d'une grande vacuité. Les remakes volontaires ou non du film tels que "Deux têtes folles" (1963) ou "Melinda et Melinda" (2005) souffrent d'ailleurs du même défaut. Enfin pour l'anecdote, l'un des personnages principaux, Robert est joué par Michel ROUX alors tout jeune mais dont la célèbre voix (celle de Tony CURTIS notamment en VF dans la série "Amicalement vôtre (1971)") est parfaitement reconnaissable.
Il s'agit du dernier des trois films d'espionnage adaptés des romans de Len Deighton réalisés dans les années 1960 dans lesquels Michael Caine incarne Harry Palmer après "Ipcress - Danger immédiat" (1965) et "Mes funérailles à Berlin" (1966). Il s'agit également du dernier film tourné par Françoise DORLÉAC morte peu avant la sortie du film dans un accident de voiture. Son personnage d'espionne jouant un double jeu (voire se jouant de tous) est intéressant mais trop peu exploité.
Ce troisième volet est aux antipodes du deuxième qui était presque trop sobre. Celui-là après un début assez classique en Finlande vire à la comédie burlesque complètement déjantée. Il y a du "Docteur Folamour" (1963) dans ce "Cerveau de un milliards de dollars" avec son général texan fou à lier pour qui tout communiste ou ami des communistes est une cible à abattre, Harry Palmer étant à deux doigts de se faire tirer dessus comme un lapin parce qu'il a été pris en photo avec un espion russe. S'ensuit un épisode délirant où une armée entière (dont les emblèmes rappellent plus le nazisme que le pays de l'oncle Sam) part en croisade pour "crucifier les communistes" avant de terminer au fond d'un lac gelé. Tout cela est très divertissant mais on perd au passage ce qui faisait la spécificité de l'univers dans lequel évoluait le personnage d'Harry Palmer, à savoir la volonté de réalisme, l'inscription du métier d'espion dans une certaine quotidienneté routinière et bureaucratique, les difficultés matérielles du héros. C'est peut-être cet éloignement avec l'état d'esprit originel qui explique l'abandon de la série (du moins jusqu'aux années 1990 où Michael CAINE reprendra son personnage fétiche pour deux nouveaux épisodes).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.