Tout film antimilitariste et pacifiste est bon à prendre mais celui-ci est d'une part trop pétri de bons sentiments et d'autre part trop scolaire. Tel un élève appliqué, le réalisateur choisit d'alterner du début à la fin de manière assez mécanique trois points de vue: celui des français, celui des écossais et celui des allemands. Cela donne trois salles de classes, trois tranchées, trois chefs (deux lieutenants et un prêtre anglican), trois remontages de bretelles de la hiérarchie. Le résultat est assez lourd et les seconds rôles comiques ne remontent pas le niveau, Dany Boon en tête. De plus, les scènes de fraternisation semblent se dérouler dans un décor factice (le rôle du cinéma est quand même de faire illusion ou de la briser en l'assumant, ce n'est pas le cas ici) et le personnage de la soprano est totalement improbable dans ce contexte.
Il n'en reste pas moins que ce film a des vertus pédagogiques certaines. Tout d'abord il nous rappelle des faits méconnus mais réels ayant d'ailleurs eu lieu durant toute la durée du conflit et pas seulement lors du réveillon de noël 1914. Ensuite il montre la propagande patriotique dont sont gavés les enfants pour les préparer à devenir soldats (en France notamment avec la "revanche" contre les allemands qui avaient gagné la guerre de 1870 et pris l'Alsace-Moselle à la France, régions coloriées en noir sur toutes les cartes de géographie). Enfin il montre ce qu'il faut bien appeler des actes de désobéissance civique d'individus que leur terrible expérience des tranchées rapprochent par delà les frontières et les antagonismes. Ce qui fait dire d'ailleurs au lieutenant joué par Guillaume Canet qu'il s'est senti plus proche des Boches de la tranchée d'en face que des dirigeants de son propre camp. Ce discours là rejoint celui de Kubrick pour qui la véritable frontière était sociale entre généraux et simples soldats. On pense aussi au film de Lubitsch "L'homme que j'ai tué" devant le cynisme de l'évêque qui condamne l'attitude du prêtre et fait un sermon belliqueux, montrant la facilité avec laquelle les textes religieux peuvent être manipulés pour des raisons politiques. Comment ne pas faire le rapprochement avec l'islamisme d'aujourd'hui?
"Eve" est un film remarquablement construit et terriblement prenant. Il ne se contente pas de se prendre lui-même pour sujet (car le monde du théâtre n'est qu'un paravent, le vrai sujet du film ce sont les coulisses du cinéma et leurs remugles fétides), il constitue une analyse brillante des ressorts qui mènent à la réussite. C'est pourquoi il a servi de modèle à tant de films ultérieurs.
La scène de remise de prix par laquelle s'ouvre le film est une introduction remarquable au drame qui va nous être raconté. Alors qu'il s'agit du couronnement de la réussite d'Eve, les plans successifs sur les visages du critique DeWitt, de Karen la femme de l'auteur de la pièce et de Margo l'actrice éclipsée font surgir un début de malaise. Ils ne participent pas à la liesse générale et fixent Eve d'un regard plein de mépris. Leurs récits rétrospectifs entrecroisés qui constituent l'essentiel du film ont pour but de démystifier l'ascension d'Eve qui s'est faite sur des mensonges et des trahisons ainsi que son personnage dont l'angélisme apparent cache une âme de vampire. Comme le disent Margo et DeWitt, elle a un trou à la place du cœur qu'elle a comblé en s'appropriant la gloire de l'actrice vieillissante. Bette Davis n'était pas le premier choix de Mankiewicz pour interpréter Margo (il avait d'abord été attribué à Claudette Colbert) mais force est de constater que le rôle lui va comme un gant. D'ailleurs à 40 ans passés, elle avait pu goûter à l'amertume d'être oubliée par les studios lui préférant des actrices plus jeunes.
Cependant, derrière la peinture des caractères c'est aussi un système vicié qui est dépeint. Margo apparaît comme une star jalouse et capricieuse qui en fait voir de toutes les couleurs à son entourage. Mais elle a la sagesse de progressivement se détacher du milieu du spectacle ce qui lui permet de trouver la paix. Karen apparaît avant tout comme une femme frustrée (de n'être que "la femme de") qui vit par procuration. Soi-disant la meilleure amie de Margo, elle introduit en réalité le vers dans le fruit et contribue à son succès. Ce qui se retourne contre elle puisque Eve réussit à séduire son mari (alors qu'elle a échoué avec le fiancé de Margo). Enfin Eve est certes une prédatrice mais en se jouant des autres pour parvenir à ses fins, elle devient au final une esclave du système. La terrible scène où DeWitt la démasque et la remet à sa place en témoigne: elle est désormais enchaînée à lui qui a le pouvoir de faire et de défaire les carrières.
"Celebrity" est un remake new-yorkais de la "Dolce Vita" de Federico Fellini, l'un des maîtres de Woody Allen. Un journaliste-écrivain en panne (Woody Allen dans le corps de Kenneth Branagh) décide de relancer sa vie et sa carrière en se rendant disponible (c'est à dire en divorçant de sa femme enseignante bien peu glamour), en achetant une Aston Martin et en approchant le monde des paillettes et ses stars clinquantes (Melanie Griffith et Charlize Theron vampent, Leonardo DiCaprio casse tout, se drogue et fait des parties fines entre deux avions etc.) Il n'avait cependant pas prévu que son ex-femme (Judy Davis) allait mieux réussir que lui sans même l'avoir cherché. Elle a en effet l'occasion d'entrer dans le monde de la télévision et approche même un certain Donald Trump (on est en 1998) qui lui annonce qu'il va "acheter la cathédrale St-Patrick, la raser et construire un immeuble à la place"!
Ce n'est pas un grand Woody Allen. Sa satire du showbiz est divertissante avec quelques passages amusants comme celui-ci: "Papadakis le réalisateur est un artiste prétentieux, un de ces connards qui ne filment qu'en noir et blanc, un cliché après l'autre. Tom Dale, une grande star tourne une adaptation de la suite d'un remake. Voici un grand critique, il détestait tout, il a épousé une jeune plantureuse et il adore tout." Cependant ce dézingage des milieux intellos et people tourne rapidement à vide d'autant que l'intrigue principale sent le recyclage à plein nez (de "Maris et femmes" surtout). Les personnages principaux (un velléitaire qui ne sait pas ce qu'il veut et une hystérique qui rencontre un prince charmant qui accepte tous ses caprices)sont peu sympathiques. Le fait qu'il ne joue pas lui-même est également une faiblesse. Kenneth Branagh a été choisi sans doute parce qu'il est à la fois devant et derrière la caméra comme Woody Allen tout en étant plus jeune que Woody Allen. Mais il n'a visiblement pas le droit de faire autre chose que du Woody Allen. Résultat, cela sonne faux.
"Harold chez les pirates" est l'un des tous premiers films de deux bobines d'Harold Lloyd. Ayant plus de moyens, il dispose également de plus de comédiens et de figurants. Par conséquent le film est plus ambitieux. Il est construit autour d'une inversion des rapports de classe et de sexe. Harold qui appartient à la haute société oisive voit son projet de mariage capoter à la suite d'une soirée trop arrosée. Ce n'est pas sa fiancée qui souhaite rompre le mariage mais la mère de celle-ci. Harold se retrouve alors soudain naufragé puis prisonnier d'un équipage de femmes pirates qui l'obligent à travailler à leur service. Et comme par hasard leur chef n'est autre que la terrible belle-mère castratrice qui pourchasse Harold, l'empêche de fricoter avec la séduisante pirate Bebe et ne rêve que le voir sauter du navire. Heureusement (pour Harold) ce matriarcat oppressif n'était qu'un cauchemar et l'ordre patriarcal peut reprendre ses droits, ouf.
C'est également l'un de ses derniers films avec Bebe Daniels. Après une longue et fructueuse collaboration de près de 140 films avec Lloyd celle-ci y mit un terme pour travailler avec Cécil B. DeMille.
Cette deuxième adaptation d'une pièce de Shakespeare par Kenneth Branagh après le drame historique "Henry V" est aussi joyeuse, rayonnante et légère que la première est sombre et torturée. On en sort euphorique, avec l'impression que le soleil de Toscane a réussi à traverser l'écran pour nous englober dans son rayonnement. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression. En 1993, lorsque j'ai vu le film pour la première fois au cinéma, j'y suis allé avec une terrible migraine que ce film a réussi à guérir comme par enchantement. Et un film qui guérit les migraines, ce n'est pas si fréquent!
Il y a quand même quelques traces résiduelles du Shakespeare sombre et torturé, celui du "Conte d'hiver" au milieu de cet enchantement dionysiaque à base de jeux amoureux, de fêtes, d'agapes, d'ivresse. C'est le personnage luciférien de Don Juan (Keanu Reeves) jaloux et malfaisant qui en porte la plus large part. Refusant la main tendue de son demi-frère Don Pedro (Denzel Washington) qui est le prince légitime alors que lui n'est qu'un bâtard, il choisit de de se venger en semant la désolation autour de lui. Il est bien aidé par la crédulité (pour ne pas dire la bêtise) de Don Pedro et de son acolyte Claudio (Robert Sean Leonard, le minet benêt de service). Il suffit qu'il lui montre une scène de fornication au balcon de la chambre de celle qu'il doit épouser pour qu'il soit persuadé de la trahison de sa promise Hero (Kate Beckinsale alors encore étudiante et tout aussi lisse que son partenaire). Shakespeare nous livre alors l'une de ces scènes de violence passionnelle et destructrice dont il a le secret et qui font jaillir l'enfer au cœur du paradis. Claudio ruine son mariage avec la même violence aveugle que celle qui s'empare du roi Léonte dans "Le Conte d'hiver" et lui fait répudier sa femme et sa fille, hurlant que celle-ci "est de la graine de Polixène" (son pourtant meilleur ami).
Heureusement tout comme "Le Conte d'hiver", "Beaucoup de bruit pour rien" est une comédie où le mal peut être réparé après que le coupable ait éprouvé la souffrance du remords (et que les méchants responsables de la conspiration aient été punis. C'est le rôle du truculent Dogberry joué par un Michael Keaton directement échappé de "Sacré Graal" et ses chevaux fantômes). Et surtout, même au moment le plus critique, la joie ne s'éclipse pas. Elle est portée par l'autre couple vedette du film devant et derrière la caméra, Benedict et Beatrice alias Kenneth Branagh et Emma Thompson dont l'union faisait alors étinceler le talent (ce n'est pas pour rien que l'on parlait à leur égard de "couple doré"). Ceux-ci réussissent à introduire la screwball comedie d'Howard Hawks dans l'univers shakespearien. La modernité de ces personnages était déjà dans la pièce qui mettait en parallèle un couple romantique (Claudio et Hero) et un couple comique (Benedict et Beatrice). Beatrice regrette de ne pas être un homme alors que Benedict est le seul protagoniste masculin qui prend le parti des femmes (en dépit de sa misogynie de façade qui s'effondre d'une pichenette) De plus leurs chamailleries permanentes les placent dans une relation d'égalité (soulignée également par leurs prénoms similaires et leurs initiales identiques). Il n'y a pas une mais deux mégères à apprivoiser. D'où les hilarantes scènes parallèles où leurs amis leur tendent un piège pour les faire tomber amoureux l'un de l'autre. Branagh approfondit cette thématique en inversant les codes de genre: Beatrice parle d'une voix grave, a la peau brûlée par le soleil et est aussi décidée et intrépide qu'un garçon alors que Benedict est pâle, minaude devant la glace et est doté d'une voix qui part dans les aigus.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.