Splendide western dont l'atmosphère expressionniste digne d'un film noir s'accompagne d'une intrigue dépouillée à l'extrême qui tire l'histoire du côté de la fable ou du mythe.
Le scénariste a avoué s'être inspiré de "La tempête" de William Shakespeare dont on reconnaît le canevas. Prospero et sa fille Miranda sont incarnés par le vieux prospecteur et sa petite-fille surnommée "Mike" à cause de son comportement de garçon manqué. Coupés du monde, ils vivent au beau milieu du désert du Nevada, près d'une ville fantôme et en ruines, en harmonie avec les éléments naturels et les esprits (l'environnement et les indiens Apaches). Autour d'eux, une redoutable mer de sel, à priori infranchissable. Pourtant 6 "naufragés" s'échouent sur les marches du saloon, à demi-morts de soif après avoir réussi à franchir l'obstacle. Ces hommes, nous le savons depuis les premières images, sont des truands qui se sont enfuis dans le désert après avoir commis un braquage. L'épreuve terrible de la traversée-purgatoire a néanmoins permis de révéler une ligne de fracture derrière l'apparente unité du groupe. Tels Ariel et Caliban, il y a ceux qui sont dominés par des pulsions de vie, Stretch (qui donne à boire aux chevaux) et Half Pint (révolté par le meurtre gratuit d'un lézard) et ceux qui au contraire sont dominés par leurs pulsions de mort, Lengthy et Dude, vicieux et violents. Bull Run le petit jeune sentimental et Walrus nounours alcoolique et trouillard naviguent entre ces deux pôles.
Le huis clos de la ville fantôme et les attraits offerts par ses deux seuls habitants vont exacerber les tensions au sein du groupe jusqu'au point de non retour. Dude est obsédé par l'or découvert par le vieux prospecteur alors que la plupart des autres, Stretch et Lenghty en tête éprouvent un désir bestial pour Mike qui se traduit par ce qu'on pourrait qualifier aujourd'hui de harcèlement. Néanmoins, à force de se heurter lors de scènes musclées où parfois les rôles sont inversés (plan jubilatoire où l'on voit Stretch rendant les armes et arborant un drapeau blanc depuis l'intérieur du canon du fusil de Mike qui le tient en joue), on voit progressivement Stretch muer de primate à homme civilisé (comme dans "La guerre du feu", toutes proportions gardées) alors que Mike découvre sa féminité. Et Wellman d'en profiter pour fustiger la guerre (ici de Sécession) et ses ravages sur les âmes. Quant au désir de possession, il est montré dans son aspect le plus mortifère puisque ceux qui s'y accrochent sont (con)damnés alors que ceux qui y renoncent sont sauvés.
"La ville abandonnée" a eu entre autre une très forte influence sur Sergio Leone que ce soit sur le fond (la traversée du désert lui a inspiré celle du film "Le Bon, la Brute et le Truand") ou sur la forme (les visages des hors la loi captés les uns derrière les autres)
Aux Etats-Unis, l’expression « wooden nutmeg » (= noix de muscade en bois) désigne toute forme de fraude. Le terme vient d’une légende selon laquelle certains commerçants peu scrupuleux du Connecticut vendaient des noix de muscade en bois. Cela a même valu au Connecticut son surnom de « Nutmeg State ».
Dans ce court-métrage d'une bobine, Harold Lloyd et son comparse Snub Pollard sont deux petits escrocs qui arnaquent les "pigeons" d'un parc en leur vendant de faux bijoux qu'ils font passer pour des vrais. Les affaires marchent bien jusqu'au moment où Harold tombe sur Miss Goulash (Bebe Daniels), une fausse voyante qui en matière d'escroquerie en connaît un rayon. Tant et si bien qu'elle les dépouille avec une grande facilité. Harold et Snub se rendent dans son cabinet pour récupérer leur "bien" mais en vain car elle est plus forte qu'eux. Les tours de passe-passe entre les trois acteurs avec l'argent ainsi que les allées et venues vaudevillesques dans les différentes parties du cabinet sont assez virtuoses. Ce n'est pas la comédie la plus originale de Lloyd mais elle très divertissante.
Une prise de risque payante: 20 ans après ses débuts comme réalisateur, Dupontel confirme tout le bien que je pense de lui en réalisant un grand film, plus accessible, complexe et ambitieux que ses œuvres précédentes mais sans abdiquer une once de sa personnalité: chapeau!
"Au revoir là-haut" est d'abord un film historique précieux de par sa justesse, son caractère de film engagé et sa capacité à éclairer notre présent à l'aide du passé. Les premières minutes dans les tranchées sont saisissantes de réalisme (on les a comparées au début du soldat Ryan et elles feront date) tandis que l'anomie (perte des repères légaux et moraux) permise par les guerres permet d'identifier en pleine lumière la violence économique et sociale, plus sournoise en temps de paix. Dans la lignée des "Sentiers de la gloire" auquel on pense plus d'une fois, on voit des officiers aristocrates avides de gloire envoyer à la mort ou tuer eux-même la chair à canon de leur propre camp. Le personnage d'Henri d'Aulnay-Pradelle joué par Laurent Lafitte est en réalité un véritable dégénéré qui une fois la paix revenue fait son beurre sur le commerce de charognes (vraies ou fausses). Le tout avec la complicité hypocrite de l'Etat qui après avoir sacrifié 1,5 millions d'hommes pour un résultat nul prétend honorer leur mémoire. Trois victimes (une orpheline de guerre et deux vétérans, l'un traumatisé moralement, l'autre gueule cassée, tous deux victimes du dernier raid insensé de Pradelle et qui se sont sauvés l'un l'autre) vont unir leurs souffrances et se venger. Une vengeance à la "Robin des bois" typique de Dupontel qui n'est pourtant pas l'auteur de cette histoire, c'est dire si elle lui va comme un gant. Il est d'ailleurs à noter que si Louise, l'orpheline et Albert, le vétéran traumatisé joué par Dupontel sont issus des "branches basses" (jolie expression employée dans le film), Edouard est lui issu de la grande bourgeoisie mais c'est un artiste en révolte contre son père, grand banquier joué par Nils Arestrup dont le gendre n'est autre que... Pradelle. Le personnage de Madeleine (Emilie Dequenne) étant lui-même bien plus complexe et cynique que ce que sa façade de soeur éplorée laisse croire.
Mais le film n'est pas que cela. Il est profondément romanesque, comme chez Dumas ou chez Sue, avec des rebondissements qui nous tiennent en haleine. Il contient aussi des aspects burlesques, cartoonesques et poétiques, marque de fabrique de Dupontel qui s'harmonisent parfaitement avec le reste. La mort de Pradelle (mi ange de la mort, mi loup de Tex Avery) par exemple fait penser à celle de Lee Van Cleef dans "Le Bon, la Brute et le Truand" alors que les somptueux masques d'Edouard ne sont pas sans rappeler ceux des films de Franju ("Les yeux sans visage" pour le masque blanc, "Judex" pour le masque d'oiseau etc.)
Voici ce qu'écrivait Alice Miller à propos du processus de répression des émotions de l'enfance: 1. L'enfant subit des offenses qui ne sont pas considérées comme telles 2. La colère lui est interdite 3. On lui impose le devoir de gratitude ("c'est pour ton bien") 4. Il doit tout oublier 5. Les affects refoulés cherchent une issue. La violence éclate sur autrui ou se retourne contre soi.
Bien avant qu'elle ait retrouvé la mémoire et publié son livre, j'avais compris qu'il y avait quelque chose qui rongeait Flavie Flament de l'intérieur, parce que cela se voyait sur son visage. A l'époque où elle était présentatrice, j'avais été frappée par le fait qu'en dépit du maquillage, du sourire et des lumières, elle semblait toujours fatiguée et angoissée, pâle et les traits tirés. Aussi je n'ai pas été étonnée lorsqu'après le suicide de David Hamilton, elle a déclaré qu'il ne lui rendrait jamais toutes "ses nuits blanches".
Le processus décrit par Alice Miller est celui qu'a vécu Flavie Flament lorsqu'elle était mineure et des millions d'autres enfants abusés par les adultes à travers le monde. Il est même exemplaire. Et il a le mérite de nous plonger le nez dans les rapports de force qui régissent nos soi-disant sociétés évoluées et libérées. Le téléfilm glaçant réalisé par Magaly Richard-Serrano en est l'illustration. On y voit une gamine qui est d'abord victime de sa mère puis d'hommes pédophiles, la première fournissant les seconds en chair fraîche.
La mère (remarquablement jouée par Léa Drucker) est au cœur du drame vécu par sa fille. C'est une femme frustrée qui fuit le vide de son existence en voulant diriger l'avenir de sa fille sur laquelle elle reporte tous ses espoirs de réussite dans le show-business. De ce fait, elle nie son individualité et manipule ses sentiments filiaux pour obtenir d'elle ce qu'elle désire par toutes sortes de pressions et chantages. A force d'insultes et de dévalorisations, elle obtient de sa fille qu'elle maigrisse, adopte une apparence aguicheuse, "racole" sur les trottoirs des Champs-Elysées ou du Cap d'Agde et pour finir, elle la jette dans les griffes d'hommes puissants sans pouvoir ignorer leurs intentions. Le dernier quart d'heure, terrifiant, dissèque les fantasmes et la méthode de David Hamilton pour parvenir à ses fins. Tel un serial killer on le voit choisir sa proie, l'attirer dans son antre, installer son emprise sur elle puis commettre son crime. Lorsqu'il se présente à poil devant la mère et la fille (méthode utilisée par nombre de photographes si on en croit le témoignage récent de Diane Kruger pour signifier "tu vas coucher contre les photos"), on voit bien celles-ci vaciller un instant. Mais l'obsession de la mère et la soumission de la fille sont trop fortes conduisant la première à trahir la seconde et à laisser commettre l'irréparable.
Court-métrage léger et charmant réalisé par Jean-Luc GODARD et écrit par Eric Rohmer anticipant ce que sera la "Nouvelle Vague". Du premier, on reconnaît le style de son futur premier long-métrage "A bout de souffle": tournage en décors naturels, montage en jump-cuts, personnages jeunes, modernes, vifs, spontanés faisant souffler un vent de fraîcheur et de liberté, looks annonçant ceux de Jean Seberg et Bebel, multiplication des références et citations notamment au cinéma américain (par exemple James Dean et "La fureur de vivre" qui ici prend un caractère particulièrement frivole), miroirs et tableaux réfléchissant le visage féminin. Du second on reconnaît le goût pour le marivaudage en forme de théorème façon "L'Ami de mon amie" (sauf qu'au lieu d'échanger leurs copains, elles découvrent que c'est la même personne!). Les actrices manquent un peu de présence mais Jean-Claude Brialy dont c'était l'un des premiers rôles au cinéma est irrésistible dans son rôle de dragueur. A la fois drôle et charmant il fait un peu penser à Frédéric Lemaître-Pierre Brasseur dans "Les enfants du paradis".
"Rio Grande" est considéré comme légèrement plus faible que les deux autres films de la trilogie que Ford a consacré à la cavalerie. Ce qui est discutable car certains des reproches qui lui sont fait (le sentimentalisme, le scénario trop lâche) valent aussi pour "La Charge héroïque". "Rio Grande" est même sur la fin plus palpitant et tendu que son prédécesseur. L'autre reproche que l'on a fait à ce film est son apparent manichéisme car comme dans "La chevauchée fantastique", de pauvres civils sans défense, femmes et enfants, sont attaqués par de méchants indiens. Ces deux films ont d'ailleurs contribué à forger la réputation d'un Ford réac et raciste.
Mais cette image simpliste est -une fois de plus- un contresens. Comme dans les deux autres films de la trilogie, Ford montre que le peuple indien est pluriel, comme le sont tous les peuples. Il met au premier plan des indiens pillards et cruels mais il montre aussi des indiens se battant aux côtés de la cavalerie et ce dès les premières images. Quant aux longues scènes de massacres d'indiens, elles avaient en fait pour but de rallonger leurs jours de tournage afin de mieux les payer car ils étaient menacés par la famine.
Enfin les aspects sentimentaux du film, admirablement joués et mis en scène sont essentiels au propos. La mise en scène relie en effet intrinsèquement le collectif et l'individuel. Ainsi le film s'ouvre sur le régiment qui rentre au fort après une bataille, transportant ses blessés et ses morts sous les yeux angoissés des femmes qui cherchent leur proche. La fin du film reprend la scène à l'identique mais cette fois, le regard féminin s'est personnalisé sous les traits de Kathleen (Maureen O'hara) qui cherche son mari blessé, le colonel Kirby York (John Wayne). Entre ces deux scènes, le couple, séparé depuis 15 ans à cause des séquelles de la guerre de Sécession s'est retrouvé au fil de petites touches pleine de délicatesse (des regards qui se cherchent, une musique du passé qui émeut etc.)
Ajoutons que le travail sur la lumière est somptueux et les cadrages toujours aussi parfaits.
"La charge héroïque", il ne faut pas se le cacher, peut rebuter aujourd'hui à cause de personnages caricaturaux dans leur majorité et d'une intrigue mollassonne qui entraîne rapidement l'ennui. Pour comprendre son intérêt, il faut aller au delà de cette impression négative car si le film n'est pas spontanément passionnant, il le devient lorsqu'on l'analyse plus en profondeur.
Le titre français est un pur et simple contresens. Il annonce un film viril, guerrier, triomphant, conquérant, bref un film à la gloire des mâles blancs dominateurs à la fois racistes et macho (c'est quand même l'image dont souffre aujourd'hui le genre du western). Or il prend le contrepied de tout cela et je vais démontrer (une fois de plus) que John Ford et son alter ego à l'écran John Wayne ne correspondent pas à l'étiquette négative qui leur colle à la peau.
Le vrai titre du film c'est "She wore a yellow ribbon". Un titre au féminin qui annonce une intrigue sentimentale dans le milieu de la cavalerie. En fait il s'agit d'une sous-intrigue assez superficielle qui parcourt tout le film sous la forme d'un triangle amoureux entre Olivia (Joanne Dru), la nièce du commandant major de la garnison et deux lieutenants épris d'elle, Cohill (John Agar) et Penell (Harry Carey Jr) qui se disputent ses faveurs. Mais ce titre a une portée bien plus large et plus intéressante que cette seule sous-intrigue.
"She wore a yellow ribbon" approfondit le portrait du capitaine joué par John Wayne dans le premier volet de la trilogie "Le massacre de Fort Apache": un homme de terrain et un homme de paix très éloigné des poncifs entourant la masculinité des films de guerre que l'on en juge:
- C'est un "vieil homme" sur le point de prendre sa retraite (John Wayne a été vieilli de 20 ans pour l'occasion).
- Sa dernière mission consiste à accompagner deux femmes en lieu sûr et il finit par se retrouver à la tête d'un convoi comprenant également un blessé et deux enfants.
- Soucieux d'empêcher les effusions de sang, il fait des détours pour éviter les indiens à qui il donne le temps d'attaquer la garnison où ils doivent se rendre, provoquant l'échec de sa mission.
- Il ne peut se résoudre à prendre sa retraite sans avoir tenté d'empêcher la guerre entre le fort qu'il commande et les indiens. Après avoir rencontré un vieux chef tout aussi pacifiste et impuissant que lui, il imagine un raid qui désarmera les indiens en ne coûtant la vie de personne (magnifique scène des chevaux libérés qui en galopant s'interposent entre les fusils et les hommes).
- Lorsqu'il n'est pas en mission, on le voit se recueillir sur la tombe de sa femme et de ses filles ou longuement contempler leurs portraits avec une émotion palpable. Et lorsque son régiment lui offre une montre pour son départ à la retraite, il est ému aux larmes.
- L'évitement des affrontements en dépit d'un contexte de violence omniprésent (les indiens spoliés veulent récupérer leurs terres et se livrent pour cela à des exactions) rend le film profondément méditatif et contemplatif. Ford en fait une véritable œuvre picturale animée où chaque plan en technicolor du paysage de Monument Valley (de près, de loin, de jour, de nuit, sous le soleil au zénith, sous le soleil couchant, sous l'orage etc.) est à tomber par terre de beauté.
Plus abouti au niveau technique que le premier volet, mieux rythmé et encore plus jouissif, "Les valeurs de la famille Addams" est un jeu de massacre jubilatoire contre le conformisme et l'hypocrisie de la société américaine.
Dès le premier volet on s'attache à cette famille de prime abord étrange mais ultra attachante, ouverte à la différence (forcément!) et plutôt matriarcale. Les femmes s'y révèlent exceptionnellement fortes et charismatiques ce qui est logique quand on sait que la chasse aux sorcières de la Renaissance était en réalité une guerre contre les femmes trop émancipées, celles qui menaçaient l'ordre patriarcal. Or Morticia (Angelica Huston) et Mercredi (Christina Ricci) sont les héritières de ces femmes incontrôlables. Elles ont une relation sadomasochiste avec l'époux (pour la première) et le frère (pour la seconde) qui s'avère au final source de plaisir, d'équilibre et dans le cas du couple parental, de passion physique inépuisable.
Le deuxième volet va encore plus loin dans cette voie subversive. S'il met en sourdine les effusions du couple Gomez-Morticia il leur offre quand même une scène de tango "caliente" (au sens propre) mémorable. Il s'amuse aussi beaucoup avec la libido de l'oncle Fétide dont on découvre les penchants voyeuristes (il observe par le trou de la serrure les ébats de son frère et de Morticia) avant qu'il ne tombe sous la coupe d'une mante religieuse aux faux airs de Marilyn Monroe. L'immense pavillon de banlieue atrocement kitsch du couple est une caricature efficace du rêve américain.
Mais la palme du mauvais esprit est décrochée par Mercredi qui est la véritable vedette de cette suite. Mercredi a déclaré définitivement la guerre au politiquement correct. Avec son franc-parler, elle décoche quelques flèches bien senties. Par exemple, à une fillette qui déclare que les bébés naissent dans les choux elle répond que ses parents eux ont un sexe. En guerre avec le nouveau bébé de la famille qu'elle essaye d'expédier par 1001 moyens plus macabres les uns que les autres dans l'autre monde, elle est envoyée avec son frère dans un camp de vacances où sévit un conformisme et un racisme écoeurant. Tous les enfants qui ne répondent pas aux critères WASP (les minorités ethniques mais aussi les gros, les asthmatiques, les handicapés, les bras cassés, les brunes aux vêtements sombres qui n'affichent pas un sourire éclatant etc.) sont exclus des premiers rôles. Les plus récalcitrants sont punis et il n'est guère étonnant que Mercredi et son frère soient en tête de liste avec Joel qui a le tort d'être intello et juif (partenaire naturel de la sorcière dans le rôle du bouc-émissaire victime de lynchage). Mais la vengeance de Mercredi nous vaut une scène d'anthologie lorsque déguisée en Pocahontas elle rétablit la vérité historique malmenée par la pièce de théâtre de Thanksgiving pro-WASP jouée au camp. Avant que la petite musique ironique du générique ne retentisse au moment où elle s'apprête à faire frire sur le bûcher l'élève la plus insupportable du camp pendant que ses camarades parias ne fassent rôtir les animateurs et n'incendient le camp dans un retournement historique...croustillant.
La conclusion de ce film célèbre, le premier de la "trilogie de la cavalerie" de Ford, fait penser à la fameuse citation de "L'Homme qui tua Liberty Valance": "Quand la légende dépasse la vérité alors on imprime la légende."
Mais la vérité et la légende ne se trouvent pas forcément là où on les attend. Ford s'est inspiré d'un événement historique réel transformé en mythe national: la bataille de Little Big Horn en 1876 où le général Custer fut défait par les Sioux. Tout en réaffirmant la nécessité des mythes dans la construction d'une nation, Ford rétablit un certain nombre de vérités humaines qui font la richesse de son film, par ailleurs d'une beauté et d'une majesté à couper le souffle.
Il paraît que fasciné par Dickens, Ford aurait exigé que chaque personnage possède une biographie complète. Cela se ressent tant les portraits des principaux protagonistes sont fouillés. Et celui du général Custer (alias Owen Thursday dans le film) dynamite complètement l'image du héros national forgé par la mémoire collective. Thursday se rapproche plutôt des généraux des "Sentiers de la gloire" de Kubrick. Comme eux, c'est un psychorigide autoritariste qui n'écoute personne et envoie ses hommes à la mort autant par orgueil que par mépris de classe. Quant à l'adversaire indien, il éprouve à son égard un racisme qui justifie toutes les bassesses à leur égard. Henry Fonda n'a pas attendu Sergio Leone pour endosser un rôle qui est à la fois antipathique et pathétique: son "héroïsme" est autant fait de bêtise que d'inconscience et ressemble à un suicide collectif.
A l'opposé, le capitaine Kirby Roy, un sous-fifre de l'ombre, est montré comme un modèle d'humanisme et de pragmatisme, un homme de terrain, un homme ouvert, un homme respectueux et humble, un diplomate et un pacifiste plutôt qu'un homme d'action (ce qui lui vaut d'être traité de poltron, un grand classique de la manipulation psychologique devant le refus d'obéir aux ordres que l'on retrouve aussi dans les "Sentiers de la gloire"). Et c'est John Wayne qui endosse ce rôle de sage, un Wayne impeccable de sobriété dont l'aura ne cesse de grandir au fur et à mesure que le comportement individualiste et obtus de Thursday devient de plus en plus insupportable. Je ne cesse de clamer de film en film mon admiration pour ce grand acteur qui est à l'opposé des clichés forgés par ses (stupides) détracteurs.
Enfin les indiens sont anoblis par la caméra de Ford. Cochise et ses troupes apparaissent comme des hommes dignes dont les revendications sont légitimes et qui ne se battent que pour défendre leurs droits. Ford démontre de façon éclatante que la guerre se retourne toujours contre ceux qui l'ont provoquée alors qu'elle s'éteint d'elle-même face à ceux qui la refusent.
Loin des clichés qui ont forgé la réputation de ce cinéaste.
Comédie burlesque, plans et scènes cartoonesques, réalisation nerveuse en forme de trip hallucinogène, le tout oscillant entre réalité sociale et poésie urbaine, voilà le cocktail explosif concocté par Dupontel. A défaut d'être grand public, ce film brut de décoffrage explore plusieurs voies et offre de beaux moments.
L'hommage au burlesque muet est évident. Le héros est un SDF candide comme Chaplin mais son goût des cascades, notamment en hauteur le rapproche plutôt d'Harold Lloyd. Ces cascades prennent un caractère complètement déjanté qui fait penser aux cartoons, lesquels ne sont finalement qu'une extension du burlesque hors des limites physiques. Le héros s'en prend plein la figure et se relève presque sans une égratignure, certains gags prenant un caractère répétitif comme la dévastation de l'épicerie ou la collision avec le scooter. Enfin beaucoup de scènes drôles ou poétiques flirtent avec le surréalisme et l'absurde comme le commissariat improvisé dans le squat ou les petits spectacles de rue que Marie improvise pour sa fille séquestrée par ses grands-parents. Mais la plus belle idée provient des affiches publicitaires qui prennent vie sous substance psychotrope. Dupontel s'appuie sur la présence au casting de membres de deux troupes maniant cette forme d'humour, l'une française et l'autre britannique: les Deschiens (Yolande Moreau et Bruno Lochet) et les Monty Pythons (Terry Gilliam et Terry Jones).
Cet amalgame ne tourne pas à vide car il est trempé dans la rage. Celle de l'injustice sociale: le héros enfile un costume de policier et devient un justicier qui attaque les possédants pour venir en aide aux plus faibles. La rage du groupe Noir Désir également dont les morceaux ("En route pour la joie", "Seven minutes", "Oublié") innervent le film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.