C'est un voyage en eaux troubles. Celles du trou de mémoire d'un vétéran israëlien de la guerre du Liban qui part à la reconquête de ses souvenirs. Les camarades de son ancien régiment qu'il interroge ne se contentent pas de lui raconter cliniquement ce qu'ils ont vécu. Lui racontent-ils d'ailleurs vraiment ce qu'ils ont vécu? "La mémoire est dynamique, vivante, il manque des détails, il y a des trous remplis de choses qui ne sont jamais arrivées". Ce qu'ils font remonter à la surface, ce sont des sensations, des impressions (ici une odeur de patchouli, là un tube des années 80...), des rêves aussi. Et peu à peu dans la tête de l'ex-soldat Ari, une image émerge du brouillard, une seule, toujours la même celle de lui-même et ses camarades sortant nus de la mer sous les tirs de fusées éclairantes. Une image ambiguë tant la scène est irréelle. Peu à peu, Ari réussit à retrouver le souvenir traumatique qui se cache derrière cette image. Les eaux troubles, ce sont aussi celles des pulsions humaines d'ordinaire les mieux enfouies et qui dans un contexte de guerre, éclatent au grand jour. La scène irréelle d'un soldat qui danse sous les balles en tirant en rafales devant un portrait de Bachir Gemayel, le président chrétien de la République libanaise qui vient d'être assassiné l'exprime parfaitement. En effet c'est la soif de venger cet assassinat (et la fascination érotique que suscite Gemayel chez ses partisans) qui pousse les milices chrétiennes phalangistes à faire une orgie de sang dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982. Le tout avec la complicité de l'armée israélienne qui tire des fusées éclairantes pour permettre aux phalangistes de continuer leur sale besogne pendant la nuit. Ce massacre des innocents est le point d'orgue d'une rage de destruction qui touche toutes les formes de vie (la scène "prémonitoire" du massacre des chiens puis des pur sangs arabes de l'hippodrome de Beyrouth).
Valse avec Bachir qui est largement autobiographique est donc à la fois un film historique, un film sur la mémoire, un film-enquête et un film-thérapie. Comme L'image manquante de Rithy Panh, la reconstitution du passé retravaillé par la mémoire passe par l'animation qui fait la part belle à l'imaginaire (et lui donne paradoxalement sa vérité). Seule la séquence de fin recourt aux archives documentaires qui témoignent mais ne retranscrivent pas l'expérience subjective de l'individu.
Je ne vais pas répéter ce qui a été déjà très bien analysé dans les avis antérieurs mais plutôt apporter quelques compléments sur la portée mythologico-religieuse, politique et artistique de ce monument du cinéma mondial.
Metropolis est une œuvre matrice dont la postérité est impressionnante tant en ce qui concerne son esthétique qu'en ce qui concerne les thèmes abordés. On sait que Fritz Lang s'est inspiré de l'architecture new-yorkaise pour imaginer sa cité futuriste. Mais il a également rapporté dans ses bagages le tayloro-fordisme, les gestes standardisés et absurdes d'une armée d'ouvriers au service d'un Dieu-machine dans une technostructure démesurée. Juste retour des choses, les Temps modernes réalisé une dizaine d'années plus tard par Chaplin emprunte beaucoup d'éléments architecturaux et technologiques à Metropolis (exemple: l'écran de visioconférence) ainsi que sa vision du travail (gestes répétitifs et aliénants, dévoration par la machine, soumission à la technologie). Autre œuvre qui reprend la thématique molochienne de Metropolis: The Wall d'Alan Parker fondé sur le double album des Pink Floyd.
Car la relation entre l'homme et la machine n'est qu'un avatar de la relation de l'homme à Dieu, centrale dans Metropolis. Le Dieu qui dévore ses créatures, le Dieu-idole (les danses lascives de la fausse Maria au Yoshiwara s'apparentent à un culte païen), le Dieu-sauveur (la vraie Maria prêchant dans les catacombes comme au temps des premiers chrétiens) mais également les créatures qui veulent se faire l'égale de Dieu. Le savant fou Rotwang puise ses racines dans le mythe prométhéen pour donner la vie à une créature inanimée. Il n'est d'ailleurs pas le premier à le faire. Le docteur Frankenstein, premier "Prométhée moderne" l'avait précédé sur cette voie. L'originalité de Metropolis est liée au fait que la créature est une intelligence artificielle, une androïde clonée à partir d'une femme de chair et d'os. La postérité des IA, humanoïdes ou non dans les œuvres de science-fiction donne le tournis. Il y a les références évidentes comme Hal 9000 dans 2001 l'Odyssée de l'espace, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? de Philip K. Dick et son adaptation cinématographique Blade Runner de Ridley Scott qui a fait date. Il y a les films de George Lucas: C3PO n'est-il pas lui-même un clone de Maria? Et ceux de Spielberg comme A.I., intelligence artificielle. Les Terminator et les Aliens de Cameron. Les Matrix des frères Wachowski. Et puis il y a la prolifique SF japonaise tant en manga qu'en anime où cyborgs et androïdes se taillent la part du lion (Ghost in the shell étant sans doute la référence absolue du genre). Une SF dérivée comme toute la production manga de l'œuvre d'Osamu Tezuka et plus précisément d'Astro boy. Tezuka qui a créé sa propre version manga de Metropolis adaptée par la suite en animé par Rintarô.
Enfin impossible de passer sous silence le caractère politique de Metropolis. Comme dans nombre de ses œuvres, Fritz Lang nous montre les ravages de la manipulation des masses, l'homme en troupeau livré à ses plus bas instincts, les déchaînements de violence aveugle qui finissent par se retourner contre ceux qui s'y livrent. D'autre part face au risque de révolution prolétarienne lié à la division-hiérarchisation verticale du travail, le film utilise la métaphore organique du coeur jouant les médiateurs entre le cerveau et la main. Les médiateurs c'est le couple Maria (venue d'en bas) et Freder (venu d'en haut), le cerveau c'est le père de Freder, Joh Fredersen, maître de la cité et la main, c'est l'armée de prolétaires vivant dans les soubassements de la ville. Fritz Lang ne croyait pas à cette issue heureuse qu'il trouvait artificielle. En effet cette idée venait en réalité de son épouse, Théa von Harbou qui écrivit le roman dont le film est issu. Une idée qui séduisit Hitler et les nazis parce qu'ils cherchaient à supprimer (idéologiquement) les divisions de classe au profit de la communauté de sang. Lorsqu'il instaura sa dictature totalitaire, Hitler supprima les syndicats au profit d'une organisation unique "Le Front du travail" également appelée "Organisation du cerveau et de la main" en hommage direct à Metropolis. Un hommage dont Fritz Lang se serait bien passé, lui qui préféra fuir le nazisme plutôt qu'être récupéré par lui. Théa von Harbou en revanche s'en accommoda fort bien.
Une comédie douce-amère qui sort des sentiers battus avec un Thierry LHERMITTE à contre-emploi tout en retenue. Paul a offert à sa fille dont il s'est éloigné une montre à double cadran. Elle indique l'heure de la ville méridionale où ils vivaient ensemble et l'heure de la ville du grand nord où lui vit à présent avec sa nouvelle famille. Après l'accident d'ascenseur dont il a réchappé mais qui a coûté la vie à sa fille, il porte cette montre au poignet. Une montre cassée. Le temps pour lui s'est arrêté. Il évolue comme un étranger dans ce qui lui a tenu lieu de "vie" jusqu'ici. Il pose un regard détaché et décalé sur ce qui l'entoure, un monde cynique, froidement matérialiste, obsédé par l'argent et la compétition. A commencer par sa famille qualifiée de "société anonyme" tant elle incarne les pires travers du rêve américain. Sa femme carriériste et intéressée (jouée par Géraldine Pailhas) le presse de faire un procès pour toucher des dommages et intérêts qui permettraient à leurs fils déjà formatés d'entrer à Harvard. Le monde des cadres supérieurs "à haut potentiel", des avocats aux dents longues, du business mortuaire et des concours de chiens de race apparaît comme une infâme exploitation de "ce qui n'a pas de prix". Le tout dans de vastes décors géométriques deshumanisants ou de grands paysages désolés qui font ressortir la solitude du personnage principal et son errance. La vie passée de Paul lui apparaît vide de sens, ce que l'on veut de lui présentement lui apparaît obscène. Il doit en plus se débattre avec son traumatisme qui l'a rendu agoraphobe et claustrophobe sans parler de la culpabilité qui l'écrase. Mais aussi atteint qu'il soit, Paul n'est pas neurasthénique. Il cherche une autre voie, à la marge du monde et avec d'autres règles que celles qu'on lui dicte depuis toujours. Ce qui donne des scènes tantôt émouvantes, tantôt cocasses. L'un des moments parmi les plus réjouissants est celui où Paul qui s'est reconverti en promeneur de chiens et ramasseur de crottes croise sa femme et l'amant de celle-ci sortants du bureau et inflige à cette dernière une suprême mortification. On le voit résister aux pressions, aux tentatives d'enfermement et à la psychiatrisation. Son cheminement tortueux et douloureux n'a qu'un but: retrouver sa fille tout en haut de la pente qu'ils ont dévalé un jour ensemble.
Il y a plusieurs façons d'aborder Amen. En tant que film historique, on peut le trouver simpliste, inexact, partial voire provocateur à l'image de son affiche polémique qui assimile la croix chrétienne et la croix gammée. De fait il y a des erreurs dans le film. Par exemple le Zyklon B est le seul gaz utilisé pour tous les camps alors qu'en réalité seul Auschwitz-Birkenau l'employait, les autres ayant recours au monoxyde de carbone. D'autre part Le film s'inspire du "Vicaire", une pièce de théâtre pamphlétaire des années 60 qui prenait des libertés avec la vérité historique. Le film a suscité un certain nombre de débats sur l'attitude du Vatican pendant la seconde guerre mondiale vis à vis de l'Allemagne nazie et vis à vis des juifs. Le fait est qu'aucune prise de position officielle claire n'a été prise mais qu'il y a eu des manœuvres en coulisses. Des manœuvres qui ont peut-être permis de cacher ponctuellement des juifs mais certainement pas de contrecarrer la Shoah en Europe ni même en Italie. Et le film rappelle aussi la collusion bien réelle entre certains nazis et certains ecclésiastiques au plus haut niveau qui a permis leur exfiltration en Amérique latine.
Ces réserves ne doivent pas occulter que le film soulève des questions pertinentes et montre certains rouages de la Shoah avec justesse. La dimension implacablement technique et administrative du massacre est bien démontrée à travers la circulation des dossiers ou les plans des chambres à gaz. La logique inhumaine des diplomaties d'Etat s'oppose aux efforts d'individus isolés qui finissent broyés par le système. Enfin, l'attitude à géométrie variable des Eglises catholiques et protestantes selon la nature des victimes de l'épuration raciale est remarquablement soulignée. Ainsi, il est rappelé que même si les nazis étaient antichrétiens et ont tout essayé pour diminuer l'influence des églises, ils avaient peur de leur opinion publique. Aussi lorsque les églises ont protesté contre le programme T4 d'euthanasie des handicapés, Hitler a dû faire arrêter la procédure ou du moins la rendre plus discrète. En revanche aucune autorité politique ou religieuse ne s'est opposée publiquement à l'extermination des juifs alors que la plupart des chancelleries étaient informées du massacre. C'est ce grand silence politique que Costa-Gavras dénonce, les petits calculs, l'indifférence, la lâcheté face à l'innommable, l'indicible.
Si la mise en scène très didactique s'efface parfois derrière son sujet, l'interprétation est globalement remarquable. On retrouve le brillant trio de la "Vie des autres", Ulrich Tukur dans le rôle du SS Kurt Gerstein, personnage réel dont le comportement de Juste ne sera reconnu que 20 ans après sa mort, Ulrich Mühe dans le rôle d'un médecin nazi particulièrement pervers (inspiré de Mengele) et enfin Sébastian Koch dans un rôle de SS plus mineur. Quant au jésuite Ricardo Fontana, il est joué avec sensibilité par Kassovitz mais son personnage pâtit de son manque d'approfondissement.
Stalag 17 fut un grand succès à sa sortie en 1953 mais est un peu oublié aujourd'hui. C'est dommage car c'est un excellent cru. Wilder, spécialiste du mélange des genres réussit à panacher avec brio la comédie et le film de guerre, le tragique et l'humour, le huis-clos de la pièce de théâtre d'origine et le grand cinéma populaire, le documentaire historique sur les conditions des vie des prisonniers de guerre et une enquête policière haletante. Une autre caractéristique du cinéma wildérien est particulièrement bien traitée ici: il s'agit des apparences trompeuses. Une taupe se dissimule dans la baraque 4 du stalag 17 (situé sur les bords du Danube) où sont enfermés des prisonniers de guerre américains en 1944. Leurs paroles compromettantes, leurs tentatives d'évasion, leurs cachettes clandestines sont systématiquement dénoncées au sergent Schultz (un faux débonnaire jouant double jeu) ou au commandant Von Scherbach (joué par Otto Preminger parce qu'il avait la réputation d'être aussi sadique que son personnage). Elles se soldent ainsi par des confiscations, exécutions et arrestations. Tous les regards accusateurs se tournent vers le sergent Sefton (William Holden) qui fait figure de coupable idéal. D'une part parce qu'il est farouchement individualiste, se tenant à l'écart des autres et ne leur faisant pas de cadeaux. D'autre part parce que sa moralité est plus que douteuse. Sefton est opportuniste et combinard, n'hésitant pas à extorquer les quelques biens que reçoivent ses camarades pour faire du marché noir avec les allemands et ainsi se payer toutes sortes de petits privilèges. Pourtant Wilder parvient à travers lui à condamner l'arbitraire, la justice sommaire et le lynchage. Plus le film avance, plus le personnage de Sefton gagne en intérêt et en complexité. Ses motivations à démasquer le vrai coupable et à sauver l'une de ses victimes restent ambigües (on peut penser qu'il n'agit que pour pouvoir s'enrichir, ce personnage ayant soif de revanche sociale). Mais il n'en reste pas moins qu'il agit avec sang-froid, clairvoyance et courage et que ses actions servent le "bien". William Holden remarquablement dirigé a reçu un oscar du meilleur acteur pleinement mérité.
Malgré le sérieux du sujet, le film n'a rien de pesant car la vie des soldats prisonniers parfois montrée de façon réaliste est aussi l'occasion de scènes de comédie pure comme celle où toute la baraque se déguise en Hitler pour parodier un rassemblement nazi et la lecture de Mein Kampf!
Le comique de transposition est devenu une spécialité de Chaplin dès sa période Keystone. 9 ans avant la chaussure bouillie et les lacets spaghettis de La ruée vers l'or, le voilà qui prend un réveil pour une boîte de conserves. Il l'incise avec un ouvre-boîte, en hume l'odeur, en sort les éléments comme si tout cela était parfaitement naturel. Cette séquence est la plus célèbre du film Charlot et l'usurier qui fait également étalage de ses talents de danseur et d'acrobate.
Néanmoins l'ensemble est en deçà de ses meilleurs films à la Mutual. Il y a des séquences slapstick répétitives, le personnage d'Edna Purviance est assez inutile et certains passages sentent le réchauffé. Par exemple celle où il se dispute avec son collègue en lui lançant de la pâte à pain au visage ou en arborant un boudin de pâte autour du cou fait penser à un copier-coller de Charlot Mitron.
Charlot machiniste, 7eme film pour la Mutual se situe dans la continuité de plusieurs films tournés pour la Keystone deux ans plus tôt: A film Johnnie (Charlot fait du cinéma) et Charlot grande coquette (The masquerader) pour la mise en abyme du monde du cinéma et Charlot Mitron (Dough and dynamite) pour les ouvriers qui se mettent en grève et veulent faire sauter à la dynamite leur lieu de travail. Sauf que cette continuité est en trompe-l'oeil: Chaplin s'amuse en réalité à parodier les films stéréotypés de la Keystone et notamment les fameux lancer de tarte à la crème dans une scène particulièrement effrénée. Il joue également beaucoup au jeu du "passer à la trappe". Il multiplie les détournements visuels du réel avec son jeu sur les objets. En empilant les chaises, il se transforme en porc-épic géant, en nettoyant une peau d'ours il se transforme en coiffeur. En soulevant d'une main ou d'un doigt des objets lourds (piano, statue, colonne) il en souligne le côté factice. Enfin il joue sur l'ambiguïté sexuelle des protagonistes. En embrassant Edna Purviance travestie, il provoque chez Eric Campbell un comportement efféminé qui évoque l'homosexualité ce qui constituait une provocation vis à vis du puritanisme anglo-saxon.
Toy Story 3 élève encore le niveau d'un cran par rapport au film précédent qui était déjà un chef-d'oeuvre. Tout en ménageant quelques moments hilarants (Buzz en latin lover et Ken en fashion victim sont deux moments cultes à ne rater sous aucun prétexte), le 3° film entre dans une dimension crépusculaire aux confins du tragique qui préfigure le magnifique Vice Versa réalisé 5 ans plus tard. Ces deux films évoquent la difficulté inhérente au fait de grandir, une mue qui ne peut se faire qu'au prix de la perte et du deuil ("grandir, c'est mourir un peu"). La force de Toy story 3 résidant dans le fait de pouvoir nous identifier aux jouets mais aussi dans un final qui prend littéralement à la gorge, à Andy au seuil de sa vie d'adulte. Quel chemin parcouru depuis le premier opus où les humains n'étaient que de vagues silhouettes en arrière-plan!
A la fin de Toy Story 2, Woody avait fait un choix, celui de rester un jouet vivant auprès d'Andy, acceptant de ce fait d'être tôt ou tard cassé, oublié, abandonné. 10 ans ont passé et les angoisses des jouets semblent devenues une triste réalité "On est finis, has been, on nous abandonne." Entassés pêle-mêle dans un coffre et plongés dans le noir depuis des années, les jouets attendent que leur sort soit scellé par l'entrée d'Andy à l'université. Sa mère lui a en effet ordonné de vider sa chambre et de trier ses affaires, lui donnant des boîtes en carton pour le grenier et des sacs poubelle pour les objets à jeter. Prenant les devants, les soldats de plastique décident de prendre la poudre d'escampette "Andy a grandi. Mission accomplie. Face aux sacs poubelles, on n'a aucune chance. On lève le camp." Pour les autres, rescapés de tris antérieurs (dont notamment Siffli, le télécran et la bergère ont fait les frais), deux choix s'offrent à eux ce qui les rend exactement semblables aux humains. Ou comme Woody rester fidèle à Andy en gardant l'espoir qu'il conserve ses jouets pour les transmettre à ses propres enfants. Ce qui implique une foi en sa capacité à ne pas oublier ses émotions d'enfance et donc à accorder une valeur plus grande à ses jouets que celle d'objet périssable. Ou cyniquement, espérer "se vendre" au plus offrant "allons voir ce que l'on vaut sur internet" lance ainsi Bayonne le cochon-tirelire qui en connaît un rayon sur les lois du capitalisme et de l'objet de consommation jetable. Le choix est d'autant moins facile à faire qu'Andy ne semble plus tenir à ses jouets sauf à Woody qu'il décide de prendre avec lui à l'université. Le moral au plus bas à cause d'un quiproquo qui a failli les faire terminer dans la benne à ordures, les compagnons de Woody décident de tenter l'aventure de la crèche "Sunnyside" où ils espèrent trouver un foyer pérenne. Au lieu de quoi ils se retrouvent dans un "lieu de ruine et de désespoir régi par un ours maléfique parfumé à la fraise" qui sous l'apparence d'une peluche rose bonbon se révèle être un monstre. Ce personnage tyrannique et mafieux, entourée d'une garde rapprochée soumise par la corruption ou par la force, condamnant à mort les nouveaux jouets (perçus comme des rivaux potentiels) en les donnant en pâture aux touts petits s'avère être d'une noirceur absolue. Aucune rédemption ne lui est accordée ce qui fait de lui un personnage résolument tragique. Il illustre les pires choix que l'on peut faire à partir d'une même histoire traumatique (lui aussi a été abandonné et oublié). Même en regardant la mort en face, Woody et ses amis se donnent la main. Et c'est encore Woody qui souffle à Andy le bon choix à faire. Celui-ci se résout difficilement à se séparer de lui pour le transmettre en même temps que ses amis à un autre enfant, digne de cet héritage. Tellement digne même qu'il possède un Totoro chez lui (bel hommage à Miyazaki en passant). Et pour marquer ce rite de passage, Andy joue une dernière fois avec ses jouets avant de les quitter définitivement.
Toy Story 3 comporte quelques scènes vraiment grandioses: l'ouverture épique dans les grands espaces du Far West magnifie les personnages dans des proportions jamais vues jusque là; la crèche transformée en forteresse-prison est le théâtre d'une scène d'évasion spectaculaire (avec clins d'oeils à Mission Impossible, à la Grande Evasion etc.). Enfin l'incinérateur de la déchetterie prend la dimension d'un gouffre apocalyptique menaçant pour de bon d'anéantir définitivement les personnages.
Le deuxième volet de la saga Toy Story surpasse le premier opus à tous les niveaux. L'animation en images de synthèse a fait des progrès considérables en quelques années permettant à des humains comme Al le collectionneur cupide d'occuper une place importante dans l'histoire. L'univers s'élargit dès la superbe scène d'ouverture intergalactique qui fait de Buzz un virtuel ranger de l'espace avec plein de petits clins d'œil jubilatoires à Star Wars et 2001 l'odyssée de l'espace. Clins d'oeils prolongés avec la scène ou Buzz et sa Némésis Zurg rejouent le "je suis ton père" "Aaaaaaah!" Plusieurs scènes d'action haletantes mettent les jouets en relation avec des espaces démesurés pour eux (tour de 23 étages, immenses rayonnages de la ferme aux jouets, route à traverser, aéroport). Mais ce sont surtout les caractères des personnages et les thèmes du film qui gagnent en profondeur. Woody est confronté à un véritable dilemme existentiel qui dépasse de loin son statut de jouet pour toucher à l'universalité de la condition humaine. D'une part il découvre ses origines et son glorieux passé. Il est l'un des multiples produits dérivés d'une série TV de la fin des années 50, "Woody's Roundup" dont il était la vedette. Il s'agit d'un hommage nostalgique à l'émission pour enfants américaine "Howdy Doody" qui connut un grand succès entre 1947 et 1960 avant d'être éclipsée par la conquête spatiale. D'autre part il doit choisir son avenir entre deux voies possibles. Un destin d'objet de collection de musée vitrifié pour l'éternité ou un destin de sujet qui se sent vivant car l'enfant qui joue avec lui le voit ainsi "la vie ne vaut d'être vécue que si l'on est aimé". Mais choisir d'être vivant et aimé implique aussi l'acceptation du vieillissement ("si vous jouez avec, il ne durera pas"; "Les jouets ne sont pas éternels"), de la perte, de l'abandon et de l'oubli sous un lit, sur une étagère, dans un vide-grenier... ("on n'oublie pas des enfants comme Emily ou Andy, ce sont eux qui nous oublient"; "Crois-tu qu'Andy t'emmènera avec lui à l'université ou en lune de miel?") et enfin la mort (Woody rêve qu'il est jeté à la poubelle et englouti, Jessie qui a été mise dans un carton et donnée à une œuvre de charité a peur de retourner dans le noir etc.) C'est ce questionnement qui donne tout son relief psychologique au personnage du "méchant", le chercheur d'or, Papy Pépite qui vit depuis son premier jour dans une boîte que personne n'a jamais ouvert. Jaloux et aigri de n'avoir jamais été acheté (choisi et aimé par un enfant), il déteste "les jouets frimeurs" et de ce fait est prêt à tout pour forcer Woody à entrer au musée avec lui. En guise de punition, il devra apprendre "la vraie vie d'un jouet" entendez, devenir mortel.
La sortie du premier Toy Story en 1995 a fait date dans l'histoire du cinéma d'animation au même titre que la sortie de Blanche-Neige en 1937. Pour trois raisons:
- Premier long-métrage d'animation entièrement en images de synthèse. - Premier long-métrage des studios Pixar. - Premier film d'une série culte (trois films à ce jour, un quatrième en préparation).
Bien sûr ce rôle de précurseur explique que certains aspects du film aient aujourd'hui vieilli (l'animation des humains et du chien Scud). Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est que ce film pose aussi bien les bases de l'univers Toy Story que celui des studios Pixar. Dès cet opus, ceux-ci se démarquent des studios Disney (les seconds n'avait pas encore racheté les premiers mais John Lasseter avait travaillé pour Disney comme animateur au début des années 80 et Toy Story a été le fruit de la collaboration des deux studios).
Le postulat de Toy Story repose sur des jouets qui prennent vie dès que les humains leur tournent le dos. Des jouets attachants dotés d'une véritable complexité humaine. En dépit de leur apparence colorée, ils se comportent comme les employés consciencieux d'une entreprise soucieuse d'accomplir sa mission: se mettre au service de leur petit propriétaire, Andy. Leur plus grande peur est d'être oubliés, remplacés, jetés au rebut. Une angoisse d'anéantissement qui traverse toute la série Toy story. Dans le premier, le pic d'angoisse a lieu lors des anniversaires et des noël d'Andy. Chaque jouet est à l'affût de celui qui pourrait le détrôner et tout particulièrement Woody le cow-boy, jouet préféré d'Andy et qui de ce fait est celui qui a le plus à perdre. L'arrivée de Buzz l'éclair provoque la jalousie de Woody qui rêve de se débarrasser de l'intrus. Non sans l'avoir auparavant remis à sa place car Buzz est persuadé d'être un véritable ranger de l'espace et non un simple jouet. Ce qui donne lieu à un dialogue parmi les plus brillants du film " Tu viens d'où? Singapour? Hong-Kong?", "De Gamma 4", "Moi de Playschool", "Moi de Mattel ou plutôt de la petite société qu'ils ont absorbé." Mais son conflit avec Buzz va l'entraîner "du côté obscur" incarné par Sid, un gamin sadique qui fait exploser ses jouets ou les transforme en mutants hybrides.
Derrière l'univers enfantin, on voit poindre toute une série de thèmes traités de façon adulte: peur de l'abandon et de ne plus être aimé, maltraitance, préjugés, perte des illusions et de l'innocence etc. Le tout est emballé dans des décors et scènes plus réussis les uns que les autres: l'inquiétante maison de Sid et sa moquette sortie de Shining, la pizzéria "Pizza planet" et ses petits extra-terrestres fatalistes attendant d'être choisis par le grappin magique, la course-poursuite finale qui fait penser à Indiana Jones (tout comme le globe terrestre qui roule sur Buzz), le raid militaire des soldats en plastique... Quant à Woody et Buzz, ils instaurent le "buddy movie" au sein du cinéma d'animation grâce à leurs caractères complémentaires (cool pour le souple Woody et inflexible et déterminé pour le rigide Buzz) qui regardent dans la même direction: celle de la frontière à repousser. Comme les studios Pixar: vers l'infini et au-delà!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.