Film de Claude Pinoteau (le réalisateur de la Boum!), Les palmes de M. Schutz est un titre assez trompeur. Le fameux M. Schutz (joué par Philippe Noiret) est en effet une sorte de M. Loyal au service des véritables héros de l'histoire que sont Pierre et Marie Curie (joués par Charles Berling et Isabelle Huppert). L'histoire de la découverte des propriétés de l'uranium puis du radium est assez romancée mais elle a le mérite d'être pédagogique, permettant de comprendre le principe de la démarche expérimentale. Quant au film lui-même, il ressemble à du théâtre filmé (et pour cause, il s'agit de l'adaptation d'une pièce de théâtre) et est donc assez figé et académique dans sa mise en scène. Mais le scénario plutôt subtil et l'interprétation, remarquable relèvent l'ensemble.
Chaque personnage a en effet une approche différente de la science. Pierre Curie est un puriste et un idéaliste. Il envisage son travail comme un sacerdoce, refusant la richesse, les honneurs, le mariage, la vie de famille. Même après sa rencontre avec Marie Curie qui est son gémeau, il a bien du mal à s'accommoder des contraintes terrestres. Son collaborateur Gustave Bémont est tout son contraire. Son approche est pragmatique, il s'intéresse avant tout aux applications industrielles de la science et n'oublie jamais de faire breveter son travail. D'autre part comme il l'explique à Pierre Curie il est d'origine modeste et ressent le besoin de gagner de l'argent. Enfin c'est un charmeur qui drague les femmes (son attitude vis à vis de Marie pousse d'ailleurs Pierre Curie à sortir du bois pour ne pas se faire doubler). Marie aussi flamboyante que Pierre est réservé ressemble néanmoins à son mari dans sa passion jusqu'au-boutiste à laquelle elle sacrifie tout: sa santé, sa vie de famille, ses finances. Elle est également marquée par ses origines polonaises et le désir d'aider ses compatriotes à s'émanciper de la tutelle russe. Enfin son statut de femme de sciences à une époque où la femme est infériorisée fait d'elle un être à part. Schutz, le directeur de l'école où travaillent les 3 scientifiques est comme le titre l'indique obsédé par la reconnaissance de ses pairs, la gloire et les honneurs. Ce qui ne l'empêche pas de prendre des risques pour protéger ceux en qui il a reconnu des génies.
Comme la plupart des Moretti, Mia Madre est un film qui pense trop. Un film très cérébral, plein d'interrogations intéressantes mais qui en oublie de vivre. Résultat en dépit de l'interprétation loufoque de John Turturro, l'ensemble apparaît bien triste et bien terne. Il faut dire que le film ne fait pas dans la légèreté puisque ses thèmes sont la maladie, la mort, le deuil, la difficulté à communiquer, la peur de perdre son travail, les conflits sociaux. Concernant ce dernier sujet, il s'agit heureusement d'un film dans le film dont Moretti dresse en plus une satire très juste. Il montre en effet tous les artifices de ce soi-disant cinéma vérité. Il n'en reste pas moins que l'usine est le décor le moins cinégénique qui soit. Quant aux personnages principaux (une réalisatrice et son frère joué par Nanni Moretti) ils arborent en permanence des airs de chien battus qui finissent par être pénibles à regarder. Moretti ayant perdu sa mère pendant le tournage de son précédent film a sans doute voulu faire une autofiction. Mais celle-ci est d'humeur manifestement trop dépressive. Il y a cependant quelques beaux moments abolissant la frontière entre rêve et réalité qui nous font ressentir le manque, l'absence et la tristesse du deuil par exemple celui qui montre l'appartement de l'héroïne inondé pendant la nuit (de toutes ses émotions contenues le jour) ou toutes les affaires de la mère (des livres principalement) emballées dans des cartons ou cette même mère quittant l'hôpital en chemise de nuit.
Ce film limpide grâce à son parti pris radical et rigoureux (un lieu, un personnage, pas de dialogues, pas d'explications, juste l'immersion dans le présent) ramène l'humain à ce qu'il est: une poussière dans l'univers. L'univers ici est l'immensité de l'océan, indifférent aux malheurs successifs du héros qui lutte de façon acharnée pour sa survie dans une situation toujours plus précaire, utilisant toutes les ressources de son intelligence et de son savoir-faire avant de s'avouer vaincu et de lâcher prise. Scène énigmatique à dimension mystique car la main tendue au moment où tout semble perdu ressemble à la grâce divine. Un des plus grands rôles de Robert Redford dont la retenue émotionnelle impressionne autant que son acceptation de la vieillesse vis à vis du regard de la caméra (qui le filme au plus près).
La deuxième partie de la grande fresque du bicentenaire, beaucoup plus sombre que la première bénéficie d'un changement de réalisateur appréciable. Richard T Heffron est plus inspiré que Robert Enrico dans sa mise en scène, plus affranchie, plus lyrique, plus fluide, plus subtile, plus nerveuse. Il bénéficie également d'un matériau plus riche, digne d'une tragédie de Shakespeare. La guillotine, de plus en plus ensanglantée au fil du temps devient le centre de gravité d'une longue marche funèbre où les maîtres/bourreaux d'un jour deviennent les victimes du lendemain, où les anciens frères d'armes se trahissent et s'entre tuent dans leur lutte fratricide pour le pouvoir. D'autre part la surenchère de Marat qui réclame "10 mille têtes" à la fin du premier film et "100 mille têtes" au début du deuxième montre que l'on est passé à l'ère du crime de masse.
Le film n'est pas objectif pour autant. La famille royale est victimisée à l'excès ce qui n'empêche pas Jean-François Balmer de briller une nouvelle fois en Louis XVI notamment dans la scène émouvante où il écoute accablé les membres de l'assemblée voter un par un son arrêt de mort. De même Danton (formidable Klaus Maria Brandauer ultra charismatique) et Desmoulins (François Cluzet très convaincant) sont présentés sous un jour si favorable que l'on en oublierait presque qu'ils ne sont pas des agneaux innocents conduits à l'abattoir mais des politiques qui paient "cash" leur engagement en eaux troubles. La folie de Robespierre est en revanche soulignée et même si le film ne montre pas toute l'étendue de ses crimes, le film analyse avec justesse la psychologie d'un dictateur génocidaire obsédé par la vertu et la pureté qui détruit tout autour de lui tout en se détruisant. Comme Hitler, on est en effet frappé par la dégradation physique du personnage au fur et à mesure qu'il s'approche de sa mort. Andrzej Seweryn est immense dans le rôle.
Le film est une reconstitution historique fastueuse mais assez académique enchaînant avec un bonheur inégal les scènes de bravoure. Si la prise de la Bastille est habilement menée avec un contraste entre l'atmosphère feutrée de la salle à manger du gouverneur et l'effervescence au-dehors, beaucoup d'autres sont traitées comme de simples tableaux figés (par exemple les Etats Généraux, le serment du Jeu de Paume ou encore la fête de la Fédération).
Le point fort du film vient du casting 3 étoiles excellemment dirigé. Les acteurs sont tous formidables, donnant vie et caractère à leurs personnages. Mention spéciale à Jean-François Balmer, génial en Louis XVI pusillanime et dépassé par les événements, Jane SEYMOUR, belle et retorse à souhait dans le rôle de la reine, Andrzej Seweryn plus que parfait en Robespierre, Peter Ustinov savoureux en Mirabeau, Klaus Maria Brandauer composant un Danton particulièrement roublard ou François Cluzet campant un Desmoulins fougueux et irrésistible. Les seconds rôles ne sont pas en reste et on se souviendra longtemps de Dominique PINON en Drouet démasquant Louis XVI d'un "Bonsoir...Sire" ou des regards consternés de Raymond Gérôme en Necker à chaque fois que le roi s'enferme dans le refus des réformes.
Murnau a porté le muet à un tel degré de perfection que le parlant paraît souvent bien fade à côté. Pourquoi faut-il voir Le dernier des hommes? - Pour la prouesse d'une narration entièrement visuelle. Murnau se passe d'intertitres hormis deux cartons au début et à la fin. Il prouve que l'image peut se substituer aux mots et devenir un langage à part entière. - Pour la fluidité de la caméra qui évolue librement dans l'espace et place le spectateur en immersion. - Pour la reconstruction d'une ville en studio avec de fausses perspectives et de multiples trucages pour un résultat étonnant de vie et de réalisme. - Pour la performance d'Emil Jannings. Grand acteur expressionniste, il parvient à traduire par les postures de son corps et les expressions de son visage tous les états par lesquels il passe. On est frappé en particulier par le contraste saisissant entre sa droiture lorsqu'il arbore fièrement sa livrée de portier et son dos courbé lorsqu'il doit enfiler piteusement sa tenue de "Monsieur pipi". -Pour la puissance métaphorique de l'utilisation des décors et des objets. Une porte-tambour qui symbolise la roue du destin, des portes battantes qui ouvrent sur une volée de marches descendantes jusqu'au sous-sol qui symbolisent la déchéance, des toilettes cellules-soupirail, une livrée chromée comme un uniforme de général etc.
"Sans attache, ni passé, l'homme autant que la société sont voués à disparaître." On pourrait ajouter "sans spiritualité". C'est exactement ce que nous découvrons au début du film. La famille de Chihiro est tellement occidentalisée qu'elle semble complètement hors-sol dans la campagne japonaise. Le comportement sacrilège des parents de Chihiro qui dévorent la nourriture destinée aux esprits en pensant qu'il leur suffira de la payer pour être quitte le confirme. C'est d'ailleurs parce qu'ils ont oublié les règles les plus élémentaires de leur civilisation qu'ils sont transformés en cochons (comme Marco Pago dans Porco Rosso qui a perdu son humanité à la guerre). Durant tout le film, divers indices confirment les dégâts du capitalisme sur l'identité profonde du Japon. Le parc à thème construit sans vergogne sur un lieu religieux sans doute pendant une bulle spéculative puis abandonné par la crise l'illustre. La séquence de l'esprit de la rivière devenu putride à la suite de sa pollution et dont le nettoyage dantesque fait apparaître une montagne de déchets et de boue le confirme. De même le sans visage est une métaphore de l'homme capitaliste. Un homme dangereux et pathétique, sans identité, dont le vide intérieur ne peut jamais être comblé malgré une consommation intensive consistant à tout dévorer sur son passage en échange de pépites d'or. Des pépites dont la fausse valeur se révèle lorsqu'elles pourrissent. Enfin Haku est l'esprit d'une rivière qui a oublié son identité à la suite de son drainage par les promoteurs immobiliers à la recherche de nouveaux terrains à construire.
Mais Miyazaki n'est ni manichéen, ni passéiste. Il ne sépare jamais l'univers des humains et celui des esprits, contaminés les uns par les autres. Ainsi Yubaba la sorcière directrice de la maison des bains (Onsen) vit dans le luxe et règne sur un tas d'or alors que son gigantesque bébé joufflu incarne l'enfant-roi gâté et surprotégé des sociétés développées. Les employés du Onsen sont tout aussi obsédés par l'or. A contrario Chihiro qui est humaine se comporte de façon désintéressée lorsqu'elle purifie le Dieu de la rivière ou sauve Haku. Miyazaki démontre une fois de plus l'unité foncière du monde et cherche à renouer des liens entre ses différentes dimensions. Une différence fondamentale avec les aventures d'Alice de Lewis Caroll dont Miyazaki s'inspire aussi bien pour Totoro que pour Chihiro.
Le film est d'une beauté époustouflante soulignant l'hybridité qui l'anime. Le bâtiment des bains est un grandiose mélange d'éléments orientaux et occidentaux. Mais la séquence la plus sublime est celle où Chihiro se rend dans un symbole de la révolution industrielle jusqu'au coeur de ce qui représente le fin fond des âges (et les peurs les plus primitives) pour rencontrer Zeniba, la soeur jumelle de Yubaba. Le train glissant sans bruit sur l'eau puis le réverbère unijambiste guidant les voyageurs jusqu'au coeur de la forêt font écho à la séquence de l'arrêt de bus de Totoro et constituent un sommet de zénitude et de plénitude.
Le succès international du film et les prestigieux prix glanés à travers le monde (notamment en Europe et aux USA) démontrent à quel point derrière son caractère japonais le voyage de Chihiro est universel.
Un film très bien ficelé sur le plan de la tension dramatique. Les séquences s'enchaînent toutes plus claustrophobiques et angoissantes les unes que les autres. Citons l'exemple de la voiture de la famille Ferrier prise d'assaut par les réfugiés, le naufrage du Ferry renversé par un tripode ou encore la très longue et brillante scène de "cache-cache" dans la cave où Spielberg joue avec nos nerfs. Les effets spéciaux sont également grandioses et spectaculaires.
Sur le plan humain, le film est désespéré et glaçant. Trop à mon goût mais pas selon des critiques français qui ont toujours reproché à Spielberg sa "naïveté" et sont ravis de le voir sombrer dans la misanthropie. On finit même par se demander si l'homme n'est pas l'élément en trop entre le microcosme et le macrocosme. Spielberg ouvre et ferme son film en reliant les microbes qui condamnent la vie des extra-terrestres à la surface de la terre aux confins de l'univers d'où sont venus ces mêmes extra-terrestres. Entre les deux, les humains vivent dans la loi de la jungle c'est à dire en prédateurs ou en victimes. Impossible de s'abriter: toutes les maisons sont pulvérisées et les caves elles-mêmes - une obsession américaine (voir Take Shelter de Jeffs Nichols)- sont pénétrées par les tentacules des tripodes et retournées du sol au plafond. La plupart des hommes fuient, quelques-uns attaquent mais dans tous les cas, l'individualisme et la déshumanisation de cet univers saute aux yeux. La famille américaine est la principale cible de cette apocalypse, elle est tout simplement désintégrée. On pense au desperados Ogilvy joué par Tim Robbins qui a perdu toute sa famille et menace la fille de Ray Ferrier (Tom Cruise) qui est tout ce qui lui reste. Mais on est terrifié par la bestialité du meurtre qu'il commet. Le fait qu'il soit commis hors-champ y compris pour sa fille est un traumatisme supplémentaire. De toutes façons sa famille était déjà bien abîmée avant même l'attaque des tripodes: divorce d'avec sa femme, conflit avec son fils qui l'accuse d'impuissance et veut jouer les héros, incapacité à se comporter en père etc. La fin montre des retrouvailles en trompe-l'oeil. Les surfaces vitrées omniprésentes font barrière aux échanges ou sont brisées par la violence. On peut d'ailleurs se demander si le miroir dans lequel se regarde l'oeil d'une tentacule et derrière lequel se cache Ray, Ogilvy et Rachel n'est pas le reflet véritable de l'homme mécanisé.
Plusieurs critiques ont souligné les points communs entre la guerre des mondes et la Shoah (les vêtements des personnes "parties en fumée" qui volent de tout côtés, les flots de sang sortis du tripode et "pulvérisés" sur le sol comme de l'engrais, le train de la mort en flammes) ce qui n'est pas étonnant (Spielberg est le réalisateur de la liste de Schindler). La chute du Boeing fait quant à elle penser au 11 septembre ("Est-ce que sont les terroristes?" dit d'ailleurs la petite Rachel). Mais on pense fortement aussi à l'extermination des indiens d'Amérique dont l'une des principales causes est le choc microbien, repris par H.G Wells en "version positive" pour expliquer l'anéantissement des tripodes dans le livre adapté par Spielberg.
Après le triomphe des Parapluies de Cherbourg, Demy a pu réaliser son rêve de transposition d'un musical de Broadway en France et en décors réels. Le générique du film qui montre les forains dansant sur un pont transbordeur illustre le passage d'un monde à l'autre pendant que la musique égrène les thèmes majeurs du films. Les références cinématographiques abondent (Les hommes préfèrent les blondes, un américain à Paris, Un jour à New-York, West Side Story... Et les Enfants du Paradis qui n'est pas une comédie musicale mais se situe dans le monde du spectacle, de rue notamment) Quant à la présence de stars du genre au casting (George CHAKIRIS et surtout Gene Kelly) elle ajoute encore du piment à ce mélange des genres.
Les Demoiselles de Rochefort peut être considéré comme la mélodie du bonheur de Jacques Demy. C'est un spectacle total, festival de poésie, de chansons, de musiques entraînantes, de couleurs éclatantes et de mouvements gracieux. La ville portuaire de Rochefort repeinte pour l'occasion dans les tons pastels a d'ailleurs été choisie parce qu'elle offre une architecture et un urbanisme militaire propice au déploiement de la géométrie des ballets.
Si tout est fait pour que le film enchante et rende euphorique, il n'en reste pas moins qu'il est tenaillé par des émotions contradictoires. Les personnages de l'histoire sont tous à la recherche du bonheur et rêvent tous de partir ailleurs (à Paris pour les soeurs Garnier, sur la côte ouest des USA pour leur mère, au Mexique pour Simon...). Mais ils sont comme retenus par un fil invisible à l'image du café entièrement vitré d'Yvonne Garnier qui s'y sent séquestrée comme dans un aquarium (un hommage à l'Aurore de Murnau où l'on retrouve ce même café.) En effet ils craignent de passer à côté de leur vie et de rater le grand amour. Demy orchestre durant tout le film de multiples chassés-croisés où les personnages se frôlent et se ratent sous les yeux d'un spectateur tenu en haleine jusqu'à la fin. Demy a d'ailleurs beaucoup hésité sur cette fin (un grand classique chez lui). Devait-il terminer sur un happy-end à l'image de l'emballage chatoyant du film ou bien sur une tragédie collant à ses angoisses profondes? Il a opté pour le happy-end et une solution intermédiaire pour le couple Maxence-Delphine. Maxence ne se fait plus écraser sous le camion mais il rencontre Delphine en hors-champ dans ce même camion.
L'amour, le film le décline de toutes les façons possible qu'il soit idéalisé et romantique (Maxence et Delphine), lié à un coup de foudre (Solange et Andy), fondé sur la séparation et les regrets (Yvonne et Simon), frivole (Etienne, Bill et leurs copines), matérialiste et cynique (Guillaume Lancien et Delphine), passionnel et criminel (Subtil Dutroux et Lola-Lola) etc.
Les Demoiselles de Rochefort est devenu un film-phare du cinéma français pour toute une génération de réalisateurs qui ont tenté (sans jamais y parvenir) de retrouver la formule magique forme aérienne/sujet grave. Ducastel/Martineau (Jeanne et le garçon formidable avec Mathieu Demy le fils de Jacques Demy), Donzelli (La guerre est déclarée), Honoré (Les chansons d'amour avec Chiara Mastroianni la fille de Deneuve), Ozon (8 femmes avec Deneuve et Darrieux deux des stars des Demoiselles...)
D.W Griffith en quête de rédemption après Naissance d'une nation choisit de réaliser dès l'année suivante une superproduction encore plus pharaonique et ambitieuse avec quatre récits d'époques différentes s'entrecroisant autour du thème de l'intolérance combattue par l'amour. Bien que reliés par un leitmotiv, celui de la mère (Lilian Gish) au chevet du berceau de l'humanité, les quatre récits forment un ensemble assez disparate.
Les trois récits historiques (Chute de Babylone, trahison et crucifixion de Jésus et la Saint Barthélémy) traitent tous trois d'intolérance religieuse mais la primauté est donnée au premier récit en raison de son aspect spectaculaire. La reconstitution de la cour du palais du roi de Babylone avec ses 3000 figurants est grandiose. D'autre part aussi bien dans ce récit que dans celui de la Saint-Barthélémy, Griffith mêle la grande et la petite histoire de façon à accrocher l'intérêt du spectateur. La fille des Montagnes, un garçon manqué amoureuse du roi de Babylone qui l'a affranchie sert de fil conducteur au récit. Pour le 16° siècle c'est une fille protestante aux yeux bruns fiancée à un catholique qui a cette fonction. Les extraits des Evangiles en revanche servent juste à souligner tel ou tel aspect des autres récits.
Le quatrième récit, contemporain du film est très différent. Il n'évoque pas l'intolérance religieuse mais la lutte des classes (c'est à dire l'intolérance sociale). Il critique de façon virulente la morale bourgeoise et dénonce l'utilisation de la charité. Il montre que l'argent des bonnes oeuvres est pris sur les salaires des ouvriers, que les grèves sont réprimées dans le sang, que les chômeurs réduits à la misère des bas-fonds sont traités en criminels et que leur réinsertion est impossible. Là encore, Griffith illustre son propos en prenant un couple en exemple. L'homme qui a déjà purgé une peine de prison est condamné à mort pour un meurtre qu'il n'a pas commis, la femme est contrainte de confier son enfant aux dames des "bonnes oeuvres" qui jugent qu'elle n'est pas capable de l'élever. C'est le seul des quatre récits où l'amour triomphe de l'intolérance annonçant la fin et son message pacifiste alors que l'Europe était plongée en pleine guerre mondiale.
On retrouve toutes les qualités de ce réalisateur, par exemple l'utilisation brillante du montage alterné pour faire monter le suspens, particulièrement à la fin, du gros plan pour souligner l'expressivité ou un leitmotiv (les yeux bruns) ou encore une utilisation magistrale de l'espace, des décors, des figurants et des acteurs.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.