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La vie et rien d'autre

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1989)

La vie et rien d'autre

La Vie et rien d’autre qui se déroule entre 1920 et 1922 est sans doute l'un des plus grands films qui ait été fait non sur la guerre elle-même mais sur l’après-guerre c’est-à-dire sur la reconstruction. Bien que la guerre soit terminée depuis deux ans, les stigmates sont partout. Les terres et les bâtiments sont ravagés, les chairs sont mutilées, les mémoires sont traumatisées. Les privations sont encore nombreuses et rien ne fonctionne normalement. Par exemple les hommes pourtant démobilisés portent encore l’uniforme et de nombreux lieux (théâtres, usines, chapelles) servent provisoirement d’hôtels, d’hôpitaux, de cabarets ou de bureaux. On est dans une situation d'entre-deux.

C'est dans ce contexte post-apocalyptique de ruines et de désolation où les morts rendent l’air irrespirable que quatre histoires s’entremêlent.

Deux servent de toile de fond. Tout d’abord celle de la politique mémorielle de l’Etat qui décide de faire d’un soldat inconnu (après s’être assuré qu’il est bien français) un symbole national de la guerre en lieu et place des millions de vies brisées (deux millions de morts liés à la guerre, 350 mille disparus, 7 millions de mutilés.) Une manière d’évacuer la réalité du massacre et les responsabilités politiques et militaires qui se cachent derrière alors que la désinformation de la propagande bat son plein.

Ensuite celle d’Alice (Pascale Vignal), une jeune femme issue d’un milieu populaire à la recherche de son fiancé disparu pendant la guerre. Alice illustre le statut des femmes qui ont remplacé les hommes pendant la guerre mais qui celle-ci finie sont renvoyées dans leurs foyers. Elle croise le destin de l’héroïne de l’histoire, une autre femme à la recherche de son époux disparu, Irène de Courtil (Sabine Azéma). Alice et Irène finissent par atterrir dans le bureau de recherche et d’identification des militaires tués ou disparus dirigé par le héros du film, l'obstiné et bourru commandant Dellaplane (Philippe Noiret).

Le coeur du film est l'histoire d'amour qui se développe entre Irène et le commandant. Au début, les relations "de l'ours et de l'antilope" sont tendues et teintées de préjugés. Le commandant refuse de donner la priorité au mari d’Irène qui est issue d’un milieu privilégié et influent. Irène considère les militaires comme des rustres vulgaires qui excluent les femmes parce qu’elles leur font peur. Mais très vite, une attirance mutuelle se développe, magnifiquement soulignée par la mise en scène (chacun observe l’autre à travers un miroir ou une fenêtre à la manière des films de John Ford auxquels on pense souvent). Irène qui était neurasthénique au point de ne plus manger ni dormir reprend goût à la vie sous le regard plein de désir du commandant. Ce dernier ressent une passion ardente comme en témoigne un malentendu à partir duquel il laisse éclater sa jalousie ou bien un moment ou ayant trop bu, il entre dans la pièce qui sert de chambre à Irène. Mais en même temps il refuse de s’y abandonner car il est effrayé par l'intensité de ses sentiments. Se croyant trop vieux pour aimer, il aura besoin de temps pour réapprendre. Comme il le dit lui-même « J’étais en panne, de tout. »

La Vie et rien d’autre est donc à la fois un film historique d’une grande justesse et un grand film d’amour. Ce qui est logique car l’Eros est d’autant plus ardent que Thanatos est omniprésent. La lettre de Dellaplane qui clôt le film (une séquence tournée dans le domaine que possédait Philippe Noiret) est d’ailleurs considérée à juste titre comme l’une des plus belles déclarations d’amour du cinéma. Philippe Noiret a reçu un césar pour ce rôle magnifique qu'il interprète de façon exceptionnelle.

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Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1933)

Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Le testament du Docteur Mabuse se situe à de nombreux carrefours. Il est le deuxième d'une trilogie consacrée au "génie du mal" après Docteur Mabuse le joueur (film muet situé pendant la crise d'après-guerre marquée par une forte inflation) et avant Le diabolique Docteur Mabuse, le dernier film de Lang réalisé en 1960. Il forme un dyptique avec M. Le Maudit réalisé l'année précédente car il reprend le même contexte, la même esthétique et le personnage (et acteur) emblématique du commissaire Lohmann. Enfin il existe deux versions du film, une allemande (dont il est question ici) et une française réalisées simultanément.

De façon encore plus explicite que dans M. Le Maudit, Lang analyse la profonde crise économique et sociale de son pays qui pousse les chômeurs à adhérer par désespoir au crime organisé. Un crime organisé qui prend l'allure d'une entreprise totalitaire. Mabuse, un méchant issu de la littérature populaire (souvent comparé à Fantômas créé à la même époque) devient dans le film le grand manitou qui dirige son organisation criminelle à distance depuis l'asile où il est enfermé. Pour cela il prend possession de l'esprit du directeur de l'asile, le docteur Baum qui devient sa marionnette. Mabuse meurt au cours du film mais il a laissé un testament écrit à l'asile qui est en fait son plan de prise du pouvoir par ce qu'il appelle "L'Empire du crime" ainsi qu'un fidèle serviteur pour l'exécuter. Bien entendu, impossible de ne pas faire le rapprochement avec Hitler en prison écrivant son livre-programme Mein Kampf. Goebbels (le ministre de la propagande d'Hitler) a d'ailleurs fait interdire le film et la version allemande dont nous disposons aujourd'hui n'est pas tout à fait complète (Lang n'avait pu s'enfuir qu'avec une copie de la version française).

On est bluffé par la lecture du testament et la description des méthodes employées par Mabuse-Baum pour tenir son organisation tant elles font penser non seulement au totalitarisme orwellien mais également au terrorisme de Daech. Le recours aux attentats sur les lieux stratégiques pour désorganiser l'Etat et démoraliser la population est systématiquement préconisé "Le chaos doit devenir la loi suprême"; "Etat d'incertitude et d'anarchie"; "Les crimes n'ont pour but que que répandre la peur" pour détruire la société allemande et préparer l'avènement des criminels au pouvoir. D'autre part Mabuse-Baum comme Big Brother utilise le dernier cri en matière d'invention technologique pour donner une impression d'omnipotence. Son visage n'apparaît jamais à ceux qu'il dirige, seule sa voix enregistrée et donc déformée mécaniquement donne des ordres (dissimulée derrière une porte ou un rideau). La déshumanisation via la machine est totale. Enfin la désobéissance et la trahison sont punies de mort "Une fois dans l'organisation, on n'en sort pas vivant, il n'y a pas de retour." Ce qui semble sceller le sort de Tom Kent, ex-chômeur et ex-taulard devenu membre de l'organisation mais qui refuse d'embrasser ses méthodes. Il se voit offrir la possibilité d'une rédemption grâce à une employée, Lilli mais tous deux sont aussitôt condamnés à mort par Mabuse. La salle piégée, murée de tous côtés et qui se remplit d'eau est un sommet de suspens et de claustrophobie!

Le testament du docteur Mabuse, deuxième film parlant de Fritz Lang après M Le Maudit est lui aussi très marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première scène du film est d'ailleurs dénuée de paroles bien que sonorisée pour faire la transition avec le premier Mabuse qui était muet. Les plans les plus fantastiques liés à la folie de Mabuse sont d'ailleurs traités à la manière du Cabinet du docteur Caligari que Lang avait refusé de réaliser.

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Le labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens)

Publié le par Rosalie210

Giulio Ricciarelli (2014)

Le labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens)

En 1958, la spécificité du sort des juifs pendant la seconde guerre mondiale n'est pas reconnue et leur parole est étouffée. Le mot d'ordre général est de tourner la page et de se consacrer à l'ennemi du moment qui est communiste dans les Etats de l'ouest. En RFA, la restauration de la fierté nationale se traduit notamment par la réintégration de la plupart des anciens nazis dans la société, et une amnésie collective qui plonge la jeune génération dans l'ignorance de son passé.

Le film raconte l'histoire de l'enquête qui aboutit au procès de Francfort. Celui-ci se tint entre 1963 et 1965 et pour la première fois obligea l'Allemagne a regarder en face la réalité des crimes commis pendant la guerre. Concomitant du procès Eichmann (dont le film révèle que l'arrestation est également lié à l'enquête de Francfort), il s'est appuyé sur les témoignages des victimes dont la parole s'est enfin libérée. Il souligne aussi les limites du procès: 22 anciens SS d'Auschwitz jugés alors que le camp en a compté plus de 6000, une partie d'entre eux seulement condamnés à de lourdes peines. Quant aux plus gros poissons, ils ont bénéficié de complicités nombreuses et hauts placées qui leur ont permis d'échapper à la justice comme on peut le voir avec Mengele qui a pu revenir plusieurs fois en Allemagne sans être inquiété.

Le film traite son sujet à la manière d'un thriller sobre et efficace. Aux côtés des figures historiques que sont le procureur Fritz Bauer et le journaliste Thomas Gnielka, le scénario ajoute un héros fictif, le jeune procureur Johann Radmann (dans la réalité ils étaient trois). Hélas, le parcours du personnage est écrit de façon bien maladroite. On passe très (trop) vite du jeune homme ambitieux propre sur lui qui demande naïvement: "Auschwitz? C'est quoi? Un camp de détention préventive?" à l'alcoolique hanté aux yeux cernés sur le point de tout plaquer: " QUOI? Papa aussi! Tous pourris, tous nazis, vous me dégoûtez tous." Sans même parler de sa petite amie qui joue les potiches.

Malgré ce manque de subtilité dans l'écriture de ses personnages fictifs ce film s'avère être une oeuvre salutaire pour le devoir de mémoire.

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1941

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (1979)

1941

1941 est le quatrième film de Spielberg et l'un des premiers scénarios du tandem Zemeckis-Gale adapté au cinéma. Ceux-ci venaient en effet tout juste de quitter l'université. Film maudit devenu culte avec le temps, 1941 est une comédie burlesque anarchisante qui comme les premiers films des Marx Brothers met en pièce le décor et tourne en dérision l'armée et la famille (au grand dam de John WAYNE qui traitera le film "d'anti-patriotique"). 1941 fait ressortir les thèmes et motifs favoris du duo de scénaristes qui sont alors dans la provocation: antimilitarisme, goût pour la subversion, attirance pour les personnages complètement cinglés, allusions sexuelles permanentes (mention spéciale à l'actrice des "Dents de la mer" embrochée non cette fois par un requin mais par un périscope sans parler de la nymphomane obsédée par l'idée de s'envoyer en l'air à bord d'un B-17). L'intérêt de Zemeckis pour l'histoire apparaît également car le film est vaguement inspiré de faits réels. C'est assez jubilatoire de voir le d'ordinaire si sérieux Spielberg s'adonner à cette nuit de folie joyeuse et libre. Bon d'accord, 2h30 d'hystérie en roue libre (sans jeu de mots puisque la grande roue quitte réellement son axe dans le film!) c'est too much mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre!

A noter que comme Comme Zemeckis et Gale, Spielberg est un inconditionnel du Docteur Folamour. C'est pourquoi il a embauché Slim Pickens (le mythique major Kong du film de Kubrick) pour lui faire rejouer dans 1941 certaines scènes cultes aux côtés d'une brochette d'acteurs hauts en couleurs dont le regretté John Belushi (en frappadingue capitaine Kelso). La musique parodique de John Williams est un régal.

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Une chambre en ville

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1982)

Une chambre en ville

" Il y a peu de films que j'ai voulu comme celui-là. Peu de films que j'ai rêvé comme celui-là" (Jacques Demy)

Une chambre en ville traverse en effet toute l'oeuvre créatrice de Jacques Demy. Au début des années cinquante, il pense en faire un roman dont il écrit les premiers chapitres. Dans les années soixante-dix, il tente d'en faire un film mais des désaccords avec les acteurs puis des difficultés de production bloquent le projet. Le film sort finalement en 1982 après la victoire de François Mitterrand car c'est sa belle-soeur (Christine Gouze-Raynal) qui le produit.

Une chambre en ville porte en lui toutes les caractéristiques de ses prédécesseurs. Pour la deuxième fois après Lola, Jacques Demy tourne l'intégralité du film à Nantes, sa ville d'origine. Comme dans les Parapluies de Cherbourg il s'agit d'un opéra entièrement chanté. Comme dans les Demoiselles de Rochefort, on retrouve Danielle DARRIEUX interprétant ses propres chansons et Michel Piccoli. Comme dans Peau d'Ane, Edith est recouverte d'un manteau de fourrure. Enfin comme dans Lady Oscar, l'émeute se substitue à la fête, l'héroïne (une aristocrate qui tombe amoureuse d'un ouvrier gréviste) découvre la nécessité de la révolte, apprend à assumer sa nudité et la réalité physique de l'amour tandis que le destin des amants débouche sur la mort.

Mais dans Une chambre en ville, la blancheur de Lola et les pastels des Parapluies et des Demoiselles ont définitivement viré au rouge sang et au verdâtre glauque. Le générique (un soleil au-dessus du pont transbordeur qui change progressivement de couleur) l'annonce clairement. En dépit de son caractère flamboyant, le film représente surtout la part souterraine et "serpentine" de l'oeuvre de Jacques Demy (tout comme son film suivant, Parking, beaucoup moins réussi). Celui-ci y expose en particulier de façon crue les affres d'une sexualité tourmentée et mortifère. A la douce Violette s'oppose ainsi la sulfureuse Edith, racolant les passants nue sous son manteau de fourrure. D'un côté le bonheur paisible, sans surprise et familial, de l'autre la passion qui consume et dévore, imprévisible et jamais satisfaite, promise à l'anéantissement et à la mort. Quant à Edmond (joué par Michel Piccoli), le mari d'Edith c'est un psychopathe qui cumule les tares: impuissance, jalousie, avarice, perversité (Il surnomme Edith qui dépend de lui financièrement "ma jolie pute" tout en la traitant de "petite fille", encore une ambivalence bien malsaine). Son magasin de télés du passage Pommeraye ressemble à un aquarium verdâtre rempli de vase.

La mise en pièces de l'univers acidulé des années 60 (qui était en fait un cache-sexe) a déconcerté le public. Certains de ses collaborateurs également. Ainsi Michel Legrand, compositeur de la plupart des films de Demy a refusé de faire celle d'Une chambre en ville en lui disant "ce n'est pas toi", un comble quand on sait ce que signifie cette oeuvre pour son créateur!! Et aujourd'hui encore, Legrand reste braqué et obtus, dénigrant systématiquement un film dont le seul tort est de déranger l'image lisse et rassurante que le public veut avoir de Jacques Demy. Le film a donc été un échec commercial dont il ne s'est jamais remis: " Le rendez-vous manqué du public fut une blessure profonde et marqua une cassure dans sa vie d'artiste." (Rosalie Varda)

Fort heureusement ce que la musique composée par Michel Colombier perd en swing, elle le gagne en puissance et en lyrisme. Les combats de rue de 1955 entre grévistes des chantiers navals de Nantes et CRS donnent lieu en particulier à des choeurs assez ébouriffants. Pour peu que l'on accepte la part sombre de Jacques Demy et les conventions si particulières de son cinéma, Une chambre en ville mérite d'être réhabilité (c'est déjà le cas auprès d'une grande part de la critique). C'est le diamant noir de sa filmographie.

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Lincoln

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2012)

Lincoln

En dépit de son titre, le film de Spielberg est moins un biopic sur Lincoln qu’un film sur l’histoire du vote du 13eme amendement qui entraîna l’abolition de l’esclavage aux USA. Ce choix reflète la question très actuelle de l’intégration des minorités. Ainsi le scénariste du film n’est autre que Tony Kuschner, l’auteur marxiste, gay et juif d’Angels in America. N’oublions pas également que Spielberg s’était déjà intéressé à l’esclavage dans un précédent film, Amistad.
Lincoln remarquablement interprété par Daniel Day Lewis nous est dépeint comme un Républicain modéré friant de récits, boutades et métaphores qui navigue entre realpolitik, grands principes et sens de l’histoire. Son objectif est de parvenir à faire voter l’amendement avant la fin de la guerre qui en réintégrant les Etats du sud rendrait ce vote impossible. Sa fermeté inébranlable vis-à-vis de cet objectif s’explique avant tout par le fait qu’il est persuadé que c’est l’intérêt profond du pays (pour son rayonnement dans le monde, son économie, sa cohésion et sa cohérence, y compris vis-à-vis de ses valeurs fondatrices). De plus seul ce vote peut donner un sens à la mort des soldats de l’union (la guerre de Secession a été la plus meurtrière qu’ait connue les USA loin devant les deux guerres mondiales). Pour cela, il n’hésite pas à s’arranger avec la vérité en retardant les négociations de paix avec le Sud. De même la tambouille politicienne à base de corruption pour arracher des votes cruciaux constitue une part essentielle du film. Le Républicain radical Stevens joué par Tommy Lee Jones finit par suivre la même voie pragmatique que celle de Lincoln en mettant en sourdine les véritables motifs de son combat abolitionniste (l’égalité raciale liée à sa situation personnelle) au profit d’un discours plus consensuel (l’égalité devant la loi). Ce qui n’empêche pas le vote à la chambre des représentants d’être un grand moment épique car l’adoption de l’amendement dépend d’un certain nombre d’indécis qui jusqu’au bout font planer le suspens.

Spielberg a donc réalisé un film à la fois didactique et prenant qui fait réfléchir à ce qu’est un homme d’Etat placé dans une situation exceptionnelle tout en nous faisant comprendre certains des rouages de la vie politique américaine. En revanche les passages sur la vie privée du président sont plus convenus. L’épouse névrosée nous apparaît surtout opaque et le fils qui cherche à sortir de l’ombre de son père en se couvrant de gloire patriotique fait furieusement penser à la Guerre des mondes…

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M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1931)

M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

M Le Maudit est à la fois l'instantané d'une société dont Lang prophétise le basculement imminent dans le nazisme et un film qui analyse l'être humain dans toute sa complexité. D'un côté les institutions légales sont mises à mal par leur incapacité à capturer le criminel. Elles finissent par se faire doubler par une société parallèle clandestine venue des bas-fonds, celle de la pègre tout aussi organisée et dont les méthodes musclées sont couronnées de succès. Comment ne pas voir dans ce parallélisme (souligné par le montage alterné) un reflet de la faiblesse de la République de Weimar minée par la crise et menacée par la montée des extrêmes? Le chef de la pègre Stränker a d'ailleurs l'allure d'un milicien SA ou SS. Les signes de la crise sont partout: les bureaux éventrés, les usines désaffectées, le poids de la pègre, les inégalités sociales qui se creusent (la mère de la petite Elsie victime du meurtrier ne peut pas aller la chercher à l'école) et enfin la montée de la violence populaire.

Parallèlement Lang analyse en effet le mal à l'échelle d'un individu et d'une foule. Il choisit un pédophile comme personnage principal, l'une des formes de criminalité qui déchaîne les plus bas instincts. Son but est de montrer le populisme dans ce qu'il a de plus abject: la chasse à l'homme, le lynchage, la délation. L'humanité du meurtrier est niée "Nous devons le traiter comme un chien enragé, écrasez-le!" "Tuez la bête" révélant que cette bête est tapie en chacun de nous et qu'au lieu de la reconnaître, on la rejette sur un autrui qui sert de bouc-émissaire. Belle analyse au passage de l'idéologie nazie (une purification ethnique au détriment d'un peuple jugé porteur de tous les maux). Le meurtrier s'avère être en effet également une victime de lui-même autant que de ceux qui le traquent, un malade schizophrène démuni face à des actes qu'il n'arrive pas à contrôler. Les signes abondent d'ailleurs en ce sens (la figure spiralaire hypnotique en image et en musique avec l'air de Grieg, la figure phallique avec la flèche qui monte et descend...) Comme le dit son avocat une société civilisée doit soigner un tel homme et non le livrer au bourreau. Car traiter le mal par la vengeance ne fait que le faire grandir.

Premier film parlant de Fritz Lang, M n'en est pas moins fortement marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première séquence du film est un modèle en la matière avec les images signifiant la mort de la petite fille (images de lieux vides et d'objets abandonnés) ou la célèbre scène de la colonne Morris avec l'ombre du tueur qui couvre puis révèle le mot "meurtrier". De même le jeu de Peter Lorre est très corporel et poussé à l'extrême.

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La Machine à explorer le temps (The Time Machine)

Publié le par Rosalie210

George Pal (1960)

La Machine à explorer le temps (The Time Machine)

Oeuvre de jeunesse plusieurs fois réécrite entre 1888 et 1924, la Machine à explorer le temps de H.G Wells est une satire de la société capitaliste dont les inégalités poussées à l'extrême finissent par donner naissance à deux clans de dégénérés (les Elois à la surface et les Morlocks dans les souterrains) au comportement barbare et inculte, les anciens esclaves se nourrissant de leurs anciens maîtres réduits à des sortes de pantins décérébrés. Fritz Lang a d'ailleurs repris l'idée de l'étagement des classes sociales dans son film Metropolis en l'inversant (les maîtres occupent les étages supérieurs et les esclaves les étages inférieurs.)

L'adaptation cinématographique de George Pal a été réalisé en 1960. Si le film reprend fidèlement la trame du livre de H.G Wells, il porte la marque du contexte dans lequel il a été réalisé. Ainsi au lieu de filer tout droit vers l'an 802 701, le scientifique (qui s'appelle désormais George en référence à Wells alors qu'il n'avait pas de nom dans le livre) fait plusieurs arrêts, tous liés aux guerres du XX° siècle. En pleine période de guerre froide, le film extrapole même une attaque nucléaire qui engloutit la surface de Londres sous une couche de lave, obligeant les survivants à se réfugier sous terre (une obsession de l'époque: La Jetée, Docteur Folamour etc.) La fin est également différente.

Le film de Pal est devenu une référence pour les cinéastes traitant du voyage dans le temps. Meyer a repris la première séquence quasiment à l'identique pour son film de 1979 C'était demain dont Wells est également le héros. De même Zemeckis s'est inspiré du générique du film pour celui du premier Retour vers le futur et les trois couleurs des lampes de la machine à voyager dans le temps (jaune, rouge, verte) sont devenues celles du tableau de bord de la Deloréan. Enfin un remake du film de Pal a été réalisé en 2002 avec pour réalisateur l'arrière-petit fils de H.G Wells.

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L'Enfant sauvage

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1970)

L'Enfant sauvage

Inspiré d'une histoire vraie, le film de Truffaut n'en est pas moins très personnel. Le fait qu'il soit dédié à Jean-Pierre Léaud et en noir et blanc le situe dans la lignée des 400 coups. Sauf que Truffaut se met en scène lui-même dans le rôle de l'éducateur d'un enfant différent au lieu de seulement s'identifier à cet enfant et de rester hors-champ comme il le faisait jusque là. Comme Antoine Doinel (et comme Truffaut lui-même) Victor est un enfant non désiré. Encombrant au point d'avoir été abandonné dans la forêt après avoir été laissé pour mort. Il a été privé d'éducation, de socialisation et d'affection pendant de nombreuses années. Les 10 premières minutes du film montrent le "résultat" de ce traitement: un enfant réduit à l'état animal (tour à tour singe, chat, oiseau, renard, serpent...) qui grogne et marche à 4 pattes mais dont certains comportements évoquent également l'humain autiste (les balancements). Volontairement, Truffaut montre que la rencontre de Victor et du monde humain s'effectue d'abord dans le chaos, la violence et le rejet. La bande-son n'offre pas de sons articulés au contraire elle est saturée par les aboiements des chiens lancés à ses trousses alors que le langage utilisé par les chasseurs (le patois) est incompréhensible pour le spectateur. Plus tard, Victor échoue dans un institut de sourds et muets où ces enfants déshérités s'acharnent sur lui car ils ont trouvé encore plus misérable qu'eux. Quant aux adultes, ils l'exhibent comme un phénomène de foire. Seul un paysan empathique montre de la compassion pour l'enfant qui en retour se laisse approcher et humaniser (la scène symbolique où il lui lave la figure). Ce paysan préfigure à un degré primitif le docteur Itard.

L'apparition du docteur Itard marque l'irruption de la culture et du langage articulé dans ce monde inintelligible. Il révèle également le regard empathique et le désir de communication (voire de réparation) que Truffaut porte en lui vis à vis de l'altérité blessée. Seul contre tous, il affirme que l'enfant n'est pas idiot et peut être éduqué. Le reste du film montre les étapes de cette difficile et incertaine éducation, présentée comme un accouchement (elle dure 9 mois!) qui si elle n'atteint pas son objectif premier (permettre à l'enfant de parler) réussit quand même à l'humaniser. Un lien affectif se créé entre l'enfant et ses parents de substitution (le docteur Itard et sa gouvernante), il reçoit un prénom, fait toutes sortes d'acquisitions (marche debout, repas à la cuillère, notions d'hygiène, port de vêtements et de chaussures, inventions, manifestations émotionnelles comme les sourires et les pleurs, marques de tendresse, acquisition du sens de la justice etc.) et c'est de lui-même qu'il revient à la fin après une fugue (le film se termine par son regard à lui, un regard de "sujet" au lieu d'être toujours "objet.") Cette fin, plus optimiste que dans la réalité s'explique notamment par le fait que Truffaut a été sauvé d'un sinistre destin par son accès à la culture permis par le critique André Bazin (dont le rôle auprès de lui a été déterminant).

Il n'en reste pas moins que le docteur Itard s'interroge sans cesse sur le bien fondé de ce qu'il fait. Quant à Victor, s'il évolue considérablement, il n'acquiert pas le langage et reste donc en quelque sorte coincé quelque part entre les deux mondes, celui de la nature dont il a la nostalgie mais qu'il ne peut plus réintégrer comme le lui prouve sa fugue à la fin du film et le monde de la civilisation dans lequel il fera toujours figure de corps étranger. La fenêtre de la maison d'Itard devant laquelle se tient Victor incarne cette position ambivalente (dedans/dehors, nature/culture).

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Les parapluies de Cherbourg

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1964)

Les parapluies de Cherbourg

"En musique, en couleurs et en chanté", l'accroche de l'affiche déroule les partis pris d'art total qui caractérisent le film idéal que Jacques Demy a enfin les moyens de réaliser. Celui-ci est conçu en effet comme un opéra en trois actes ("le départ", "l'absence" et "le retour") sans récitatifs: tous les dialogues sont chantés y compris les plus triviaux ce qui créé un effet de distorsion qui divisa à sa sortie (et divise toujours aujourd'hui). La musique signée Michel Legrand mélange thèmes jazzy et classique avec le bonheur que l'on connaît. D'autre part c'est le premier film en couleurs de Demy dont l'utilisation est tout aussi symphonique que la musique. Bien que typé années 60, le décor, assorti aux costumes et variant selon les états d'âme des personnages a un caractère indémodable car son raffinement est un ravissement pour les yeux. Le sens de l'harmonie et de la géométrie de Demy fait que nombre de scènes ressemblent à des tableaux.

Tout ce dispositif se marie parfaitement à l'histoire qui en dépit de ses apparences lumineuses est une tragédie hantée par la mort et l'absence de couleurs à laquelle on l'associe en occident: le noir. Un film où comme le dit Guy "Le soleil et la mort marchent ensemble". Les parapluies noirs qui succèdent à ceux de couleur à la fin du générique, Roland Cassard vêtu de noir tel un oiseau de mauvais augure qui vient tourner autour de l'univers pastel de Geneviève, le client qui s'entend répondre par la mère de Geneviève que "le marchand de couleurs, c'est la porte à côté" tout concourt à prendre au pied de la lettre la célébrissime chanson où Geneviève s'exclame " je ne pourrai jamais vivre sans toi, je ne pourrai pas, ne pars pas, j'en mourrai." Effectivement la séparation des amants est fatale à Geneviève. Certes elle ne meurt pas physiquement mais son mariage arrangé avec Roland Cassard signe sa mort intérieure. Roland qui depuis le premier film de Demy a tiré les leçons de son échec amoureux avec Lola et est devenu diamantaire. Guy est également transformé à jamais par cette expérience. La dernière demi-heure du film méconnue et poignante le montre de retour d'Algérie, blessé, amer, révolté, incapable de se réadapter à sa vie d'avant et à deux doigts de sombrer avant d'être sauvé par la soumise et jusque là invisible Madeleine. Le rouge sang puis l'orange remplacent alors les couleurs pastels.

A travers cette histoire, Demy dénonce l'hypocrisie des moeurs bourgeoises et les ravages de la guerre. Deux thèmes que l'on retrouve dans plusieurs de ses films. Le "Demy-monde" est rempli d'exclus ou de marginaux: fille-mère, bohémiens, transgenres... quant à la guerre, elle brise les vies et les destins (l'exemple le plus achevé étant Model Shop). L'irréalisme de la forme est donc au service d'un contenu très politique. C'est encore aujourd'hui l'une des forces du film.

Comme son film suivant, Les Demoiselles de Rochefort, les Parapluies de Cherbourg est devenu un film de référence pour les jeunes réalisateurs français sans que pour autant ils ne parviennent à en retrouver la magie. Citons l'exemple du célèbre plan où Guy et Geneviève glissent comme par magie sans toucher le sol (une citation du célèbre film de Murnau l'Aurore qui est une référence majeure de Demy) et qui est reprise quasi telle quelle dans Les chansons d'amour d'Honoré.

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