"La parole est d'argent, le silence est d'or". C'était par peur de se dévaluer, de se diluer dans la médiocrité que Chaplin a résisté au parlant plus de dix ans après sa généralisation dans la production cinématographique. C'est pourquoi son premier film parlant est une si formidable réflexion sur la parole en politique en même temps qu'un acte engagé d'un incroyable courage. On ne mesure peut-être pas aujourd'hui en effet le courage qu'il a fallu à Chaplin pour réaliser ce film, quasiment seul contre tous. En 1939-40 les USA avaient alors un positionnement isolationniste vis à vis de l'Europe et donc une attitude de neutralité vis à vis de l'Allemagne nazie. Cette neutralité voulue par la majorité de l'opinion publique était aussi un moyen pour de nombreuses entreprises (y compris à Hollywood) de faire de bonnes affaires avec les nazis. C'est pourquoi Chaplin subit toutes sortes de pressions et de menaces pour qu'il renonce à son projet d'alerter les USA et le reste du monde sur le danger du nazisme. Seule son indépendance artistique et financière acquise depuis 1919 lui permit d'aller jusqu'au bout.
Dans le Dictateur, Chaplin ouvre donc la bouche pour la première fois mais c'est pour prendre ses responsabilités. Face à un leader charismatique ayant mis le peuple allemand à sa botte et aveuglé le reste du monde, Chaplin joue à fond son rôle de miroir réfléchissant. Tout le monde a souligné la ressemblance entre Hitler et le réalisateur-acteur de l'année de naissance jusqu'à la fameuse petite moustache. Mais on a pas assez souligné la responsabilité du deuxième en tant que guide du peuple. Depuis l'affaire Dreyfus à la fin du XIX°, les intellectuels et les artistes ont un rôle à jouer dans la sphère publique, celui de mettre leur intelligence, leur talent et leur culture au service du plus grand nombre. C'est exactement ce que fait Chaplin dans le Dictateur. Tout en soulignant la ressemblance entre le barbier juif et Hynkel (traduction: tous les hommes sont de la même espèce et le racisme est une absurdité), il oppose deux manières de s'exprimer, deux manières de prendre la parole. Hynkel se caractérise par un sabir proche de l'éructation et de l'aboiement et dont la traduction fait ressortir l'absolue vacuité. Hynkel parle pour ne rien dire. L'homme en lui a capitulé et laissé la place à une bête assoiffée de haine et de désir de vengeance, capable de susciter les réactions pavloviennes de la foule hypnotisée et de ses collaborateurs aux noms évocateurs (Herring-Hareng pour Göring et Garbitsch-Ordure pour Goebbels). Par contraste le petit barbier juif amnésique a très peu de dialogues. La plupart du temps il se tait ou s'exprime très discrètement. Sauf à la fin lorsqu'il doit prendre la place de Hynkel (= ses responsabilités) et parler au peuple pour lui redonner de l'espoir. Son discours de six minutes d'un vibrant humanisme, les yeux dans les yeux de son public (et surtout par delà l'écran avec les spectateurs de chaque nouvelle génération qui découvrent le film) est si fort qu'il reste d'actualité près de 80 ans plus tard à l'heure du retour en force des nationalismes et de l'échec visible des progrès techniques à rapprocher les hommes.
Biopic du début des années 80 sur la vie de Golda Meir dont le destin se confond avec l'histoire de l'Etat d'Israël et du sionisme. Ce téléfilm en deux parties d'une durée totale de plus de trois heures offre deux intérêts principaux.
Tout d'abord ce fut le dernier rôle d'une actrice de légende: Ingrid Bergman. Celle-ci était déjà malade au moment du tournage et disparut quatre mois après à l'âge de 67 ans. Néanmoins elle offre une interprétation marquante de ce personnage dont elle nous fait ressentir la force de caractère inébranlable. Golda Meir a en effet été une femme d'une envergure politique exceptionnelle qui avant Margaret Thatcher a été surnommée "la dame de fer". Dans le reste du casting on peut souligner la présence de Judy Davis âgée de seulement 27 ans dans le rôle de Golda jeune et de Léonard Nimoy (M. Spock) dans le rôle du mari de Golda, Morris.
Le deuxième intérêt du téléfilm est son aspect didactique. Il retrace en effet toute l'histoire contemporaine du peuple juif en Palestine de la déclaration Balfour de 1917 jusqu'à l'assassinat d'Anouar El Sadate au début des années 80. Il rappelle que l'origine du sionisme réside dans les pogroms subis par les juifs d'Europe centrale et orientale (Golda Meir née en 1898 est d'origine russe et a émigré avec sa famille aux USA). Après la disparition de l'Empire ottoman en 1918, il montre les tensions entre juifs et arabes dans l'entre-deux-guerres dans la Palestine sous mandat britannique. Golda et son mari vivent alors dans un kibboutz et celle-ci fait déjà figure de frondeuse. Puis après la seconde guerre mondiale alors qu'ils ont déménagé à Jérusalem, Golda se lance dans des négociations pour permettre aux enfants d'immigrants juifs d'entrer en Palestine alors que les britanniques, craignant une guerre civile ne les laissaient entrer qu'au compte-goutte. Elle rencontre ensuite dans des conditions rocambolesques le roi de Jordanie pour le convaincre de ne pas prêter main-forte à la ligue arabe qui veut attaquer Israël dès le jour de sa création. En vain, mais elle réussit à faire lever des fonds pour l'achat d'armes auprès de la communauté juive américaine. Par la suite alors que son mariage se défait et qu'elle s'éloigne de ses enfants on voit Golda gravir les échelons, devenir ministre du travail, des affaires étrangères puis premier ministre sans renoncer pour autant à son idéal de paix avec les pays arabes voisins. Mais la question palestinienne est à peine abordée dans le téléfilm alors que c'est le principal problème qui empêche la pacification de la région. Lorsque Golda meurt en 1978, rien n'est en réalité réglé.
La plupart des grands cinéastes ont commencé par des courts-métrages qui nous donnent les bases de leur style et de leurs thèmes de prédilection. The Lift est un film de fin d'études, réalisé à l'université de Los Angeles (l'USC) alors que Robert Zemeckis n'avait que 19 ans. En dépit de son aspect expérimental (et donc un peu aride, noir et blanc et sans paroles) on reconnaît parfaitement la marque de fabrique de ce cinéaste:
- Un scénario écrit au cordeau et le montage incisif qui en découle (Zemeckis est avant tout un brillant scénariste).
- Le thème du temps routinier qui emprisonne dans une mécanique deshumanisante avec des gros plans répétitifs sur des réveils, des tableaux de bord et des cadrans (comme dans Retour vers le futur). L'absurdité de cette mécanique a quelque chose de kafkaïen.
- Un homme seul face à un monde d'objets (comme dans Seul au monde).
- La mécanisation du quotidien dans ses aspects les plus triviaux (les machines du petit déjeuner annoncent celles de Retour vers le futur) et des moyens de transport sous toutes leurs formes (Retour vers le futur, Pôle Express, Contact...)
- Une touche de fantastique dans le quotidien avec un ascenseur capricieux qui semble obéir à sa propre logique. La notion d'aléa, de hasard et de destin est au cœur de l'œuvre de Zemeckis ("La vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur lequel on va tomber" dit Forrest Gump.)
- Et pour finir encore le temps mais non plus le temps cyclique de la routine mais le temps linéaire de la vie, le temps qui passe et mène à la mort.
Ce que la soif du mal dynamite dans le célébrissime plan-séquence de 3 minutes qui ouvre le film c'est la notion de frontière. Tout n'est que passage, porosité et contamination en tache d'huile dans ce film baroque et tourmenté à l'image de son esthétique expressionniste (angles obliques, plongées et contre-plongées, clair-obscur...).
Entre les USA et le Mexique tout d'abord. Le gang des Grandi ignore la frontière comme le découvre à ses dépends Susan qui se croyait en sécurité dans son motel du côté américain (Janet Leigh dans des séquences qui préfigurent Psychose tourné deux ans après). Susan justement forme un couple mixte avec Vargas, un policier mexicain joué par un Charlton Heston bluffant. Tous deux viennent de se marier et eux aussi ignorent les frontières, au grand dam de Quinlan (Orson Welles, gargantuesque à souhait), un flic américain qui n'aime pas que l'on empiète sur son territoire et dont le corps et l'âme sont profondément gangrenés par le mal. A touch of evil, le titre en VO est beaucoup plus juste que le titre en VF car il fait allusion à une tache morale qui lorsqu'elle touche un individu ne cesse de s'étendre à la manière d'une maladie. L'intégrité de Quinlan a été touchée lorsque sa femme a été assassinée par un métis qui a échappé à la justice. Cet épisode est à l'origine de la déchéance physique et morale de Quinlan. Alcoolique, boulimique, bouffi, monstrueusement obèse, Quinlan est devenu un monstre pour qui la frontière entre la justice et la vengeance, le bien et le mal s'est évanouie depuis longtemps. On découvre qu'il fabrique de fausses preuves pour piéger ceux qu'il veut coincer. Pour se convaincre de leur culpabilité, il ne s'appuie que sur son intuition concentrée dans une jambe malade qui le fait boîter. Encore une atteinte à son intégrité puisque sa jambe a été blessée par une balle qui était destinée à son adjoint Menzies qui lui voue depuis une dévotion aveugle. Enfin il poursuit Vargas de sa haine raciste vraisemblablement parce qu'il lui rappelle l'assassin de sa femme. Son objectif est de le contaminer ce qui explique son alliance avec Grandi qui lui aussi veut se venger de Vargas (qui l'a fait arrêter). Tous deux choisissent d'atteindre Vargas en s'en prenant à sa femme qu'ils veulent salir. Le suspens de La soif du mal est donc surtout moral. Le moment où Vargas se bagarre dans le cabaret des Grandi, prêt à commettre l'irréparable pour retrouver sa femme participe de cette contamination générale du bien par le mal. Mais le temps de Quinlan est compté car en s'en prenant à Vargas, il brûle ses dernières cartouches comme le lui rappelle Tanya (Marlène Dietrich), diseuse de bonne aventure qui lui offre un refuge bien dérisoire.
"On ne s'évade jamais vraiment. On est tous pris à notre propre piège." Celui de l'enfermement dans la prison mentale de la névrose ou de la psychose. Tout souligne cet enfermement: les stries du générique, les lattes des stores, les lignes blanches de la route, la pluie dense, les cercles des phares et des lunettes du policier, le trou dans le mur permettant au regard voyeur de s'immiscer, le pommeau de douche et ses lames d'eau, le siphon et l'œil mort qui fixe la caméra. Tout souligne la névrose et la psychose. La musique de Bernard Herrmann hachée, syncopée comme autant de coups de poignard évoque la pulsion irrépressible avant de se changer en fuite en avant lyrique et angoissée. Celle de Marion (Janet Leigh) qui sur un coup de tête s'enfuit avec de l'argent volé poursuivie par les tourments de la culpabilité. Celle de Norman surtout (Antony Perkins) qui dès qu'il désire une femme est saisi de pulsions meurtrières car il a ingéré sa mère castratrice. Le Bates Motel est une métaphore de la psyché torturée de Norman. Le manoir sur(plombant) est son surmoi, le motel est son moi alors que le cloaque du marais représente son ça. Même étagement dans le manoir avec la chambre de la mère en surmoi, celle de Norman en moi et le cellier en ça. Norman qui vit à l'écart du monde et dont le développement s'est arrêté au stade du petit garçon. Norman qui a figé le temps, muséifié les lieux et momifié sa mère pour rejouer éternellement leur relation dévoratrice. Antony Perkins a d'ailleurs été bouffé par un rôle qu'il a vécu de l'intérieur, qui l'a hanté au point qu'il l'a poursuivi toute sa vie. Il n'est pas le seul tant Psychose hante le cinéma mondial depuis 1960 de Brian de Palma à Gus van Sant. Ajoutons qu'Hitchcock ne joue pas seulement avec nos attentes, nos peurs et nos nerfs mais aussi avec la censure américaine. La scène de la douche réussit le tour de force de ne rien montrer tout en donnant l'illusion de tout voir.
C'est un film qui m'avait transportée à sa sortie au cinéma en 1998. Force est de constater que près de 20 ans après, je n'ai pas ressenti la même ferveur en le revoyant. L'histoire m'est apparue trop convenue, les rebondissements trop prévisibles et la fin, bien conventionnelle (chacun retourne chez soi et les vaches seront bien gardées). Le livre de Nicholas Evans dont est tiré le film était nettement moins politiquement correct. Reste la splendeur des paysages du Montana, la qualité de l'interprétation de Kristin Scott Thomas (Annie) et de Scarlett Johansson (Grace) alors toute jeune mais dont on sent le potentiel et une philosophie qui prend le contrepied du modèle dominant en faisant l'éloge de la lenteur, de la patience et du lâcher-prise. Voir l'homme se faire tout petit dans la nature, entrer dans un dialogue thérapeutique avec un animal traumatisé (et par extension sa propriétaire) en lui laissant son libre-arbitre au lieu de chercher à le dominer et à le dresser a quelque chose de revigorant. De même que la capacité d'Annie à sentir d'instinct la connexion entre sa fille et son cheval, à refuser la facilité (l'euthanasie de l'animal et l'abandon moral de Grace) et à tout lâcher pour tenter de les sauver tous les deux.
Ang Lee est un cinéaste d'une grande délicatesse qui filme avec finesse les non-dits, les hésitations, les élans contrariés, les regards éloquents bref les frémissements de l'âme qui s'impriment à travers le corps. Brokeback mountain a déghettoïsé l'amour homosexuel en le rendant universel. Cette approche y est pour beaucoup. L'histoire tirée d'une nouvelle d'une quarantaine de pages également. Elle prend en effet le contrepied des clichés. Les deux protagonistes principaux échappent aux catégorisations. Ce sont les circonstances qui vont les rapprocher. Isolés durant des semaines au coeur de la montagne pour la transhumance des moutons de leur patron, il est facile de comprendre en quoi la solitude et la promiscuité attisent leur désir sexuel et leurs besoins affectifs, l'éloignement des carcans sociaux favorisant le passage à l'acte. On trouve une analyse très semblable chez Frison-Roche (La grande crevasse, Retour à la montagne) sauf que le grand amour vécu dans la haute montagne et contrarié par la société y unit un guide d'origine paysanne et une bourgeoise. La grandeur de la nature fait écho à celle des sentiments et s'oppose à l'aliénation du quotidien. Enfin l'interprétation contribue également à renverser les barrières. On ne le dira jamais assez mais la mort d'Heath Ledger nous a privé d'un grand acteur. Il est absolument bouleversant dans le rôle d'Ennis, cet homme muré en lui-même dont les mots peinent à franchir ses mâchoires serrées. Cet homme profondément seul, triste, accablé, semant la désolation autour de lui à force de faux-fuyants, incapable d'affronter l'homophobie et le lynchage. Jusqu'au moment où il réalise le courage de son amant Jack Twist (joué par l'excellent Jake Gyllenhaal) qui a préféré mourir plutôt que de continuer à se laisser détruire à petit feu. Soulignons également l'excellence des seconds rôles. Les familles de Jack et d'Ennis ne sont pas sacrifiées dans le scénario et Lee pose un regard tout aussi sensible sur les épouses, l'une souffrant en silence (Alma jouée par Michelle Williams) , l'autre murée dans l'indifférence (Lureen jouée par Anne Hathaway), l'incapacité à communiquer étant leur dénominateur commun. Lee observe des familles qui se défond, des hommes précarisés et mis à l'écart par des patriarches castrateurs et odieux, des murs de silence et d'incompréhension et quelques moments de bonheur volés chèrement payés. Un portrait bien sombre d'une Amérique qui écrase ses enfants lorsqu'ils refusent d'entrer dans le moule étroit de leurs parents. Et que les paysages, somptueux mais glacés ne peuvent ni réchauffer, ni consoler.
Aucun film de Cassavetes n'est particulièrement aimable au premier abord. Husbands ne déroge pas à la règle et la pousse même dans ses derniers retranchements. L'errance pathétique de trois hommes en goguette dont le comportement oscille entre le chahut puéril et la goujaterie a de quoi rebuter. Sauf que le voir ainsi, c'est passer à côté de ce qui fait le prix de ce film: son exceptionnelle substance humaine comme tous les films de ce réalisateur dont le style se rapproche du néoréalisme et de la nouvelle vague.
Tout est affaire de mise en abyme. Au premier degré, oui Husbands est un film "moche" avec une succession de scènes de délires éthyliques étirées au maximum suivies de sas de décompensation dépressifs dans les toilettes, le métro ou de tristes chambres d'hôtels. Mais à l'arrière-plan, Cassavetes nous crie son besoin de cinéma viscéral, un cinéma du coeur et des tripes. C'est comme cela qu'il faut prendre la scène largement improvisée du concours de chant bien arrosée où apparemment sans raison un des trois larrons Harry (Ben Gazzara) se met à crier sur l'une des chanteuses "Faux! Faux! Sans passion! Mets-y de l'âme! Ça doit sortir du coeur!" La différence entre le cinéma et la vie se réduit d'autant plus que l'actrice (non prévenue) apparaît aussi déstabilisée que son personnage. Tout le film travaille ainsi les acteurs au corps au plus près de leurs émotions jusqu'à en sortir la vérité des êtres. La bouleversante mise à nu des âmes fait que l'on passe outre les caractères peu reluisants de ces hommes en pleine crise existentielle.
Ils étaient quatre au départ, quatre quadragénaires immatures que leur amitié empêchait de sombrer. Mais quand Stuart meurt, un gouffre s'ouvre aux pieds de Harry, Gus (Cassavetes) et Archie (Peter Falk) confrontés au vide de leur existence, à la perspective de la vieillesse et de la mort. Husbands est non seulement le premier film en couleur de Cassavetes et le premier film où il se met en scène mais c'est aussi le film fondateur de sa collaboration avec Peter Falk et Ben Gazzara. Ces deux derniers avaient déjà une solide expérience au cinéma et à la TV (dont un célèbre inspecteur qu'on ne présente plus). Mais l'aventure cassavetienne était d'une autre nature. Une relation entre 3 fils d'immigrés (italiens pour Gazzara, grecs pour Cassavetes, juifs d'Europe centrale pour Falk) d'une puissance hors du commun, gémellaire à la ville comme à la scène (dans le film les trois hommes arborent des costumes identiques), trois hommes que l'on sent liés à la vie à la mort. Le film analyse différentes facettes de cette relation, l'amitié, la fraternité, la complicité et même l'amour avec sa composante homosexuelle (une belle critique précise qu'ils "chahutent comme des garnements et s'étreignent comme des amants"). L'acteur qui incarne le quatrième poteau Stuart (que l'on ne voie qu'en photo) ne fait qu'enfoncer le clou du brouillage des frontières des identités, de la vie et du cinéma. Il s'agit de David Rowlands, le frère de Gena, épouse de Cassavetes. Enfin pour comprendre le sens profond de la démarche de ce cinéaste il suffit de traquer le passage où apparaît une femme âgée (ici c'est Delores Delmar en rombière de casino) prête à tout pour obtenir quelques miettes d'amour d'hommes plus jeunes et ne pas sombrer.
La citation de Jules Michelet qui ouvre le film "Chaque époque rêve à celle qui va lui succéder" donne à penser que le Metropolis de la dream team japonaise Rintarô (pour la réalisation) Otomo (pour la scénario) et Tezuka (pour l'œuvre originale) est une œuvre de SF classique. En fait il s'agit de ce que l'on peut voir de plus abouti en matière de rétrofuturisme. Il y a le mariage heureux de l'animation traditionnelle sur celluloïd et de l'image numérique en 3D, du graphisme daté des personnages d'Osamu Tezuka et des décors ultra-modernes, de la musique jazz-soul et du bruit de machines ultra-perfectionnées. Le tout au service d'une histoire prenante aux enjeux humains particulièrement forts, l'œuvre de Tezuka prenant souvent des accents shakespeariens.
Osamu Tezuka est le père du manga et de l'anime japonais. Il a dessiné le manga Metropolis à la fin des années 40 en s'inspirant d'une photo du film de Fritz Lang (qu'il n'avait pas vu). Cependant il y a une vraie communauté d'esprit entre les deux œuvres et le film de 2001 en tient compte en les combinant harmonieusement. On retrouve donc une cité futuriste, remplie de gratte-ciels, de routes suspendues et de ballons dirigeables divisée en castes se partageant l'espace selon une logique verticale. Les riches et les puissants vivent dans la tour centrale nommée "Ziggourat" en référence à la tour de Babel de Lang, lancée vers le ciel comme un défi à Dieu. Les pauvres s'entassent dans les souterrains du premier niveau. Contrairement au film de Lang qui se situait dans les années triomphantes du tayloro-fordisme, le film de Rintarô plus contemporain évoque le chômage de masse lié à la robotisation des tâches d'exécution. Car la société est désormais tripartite, les robots esclaves-instruments se situant tout en bas de la hiérarchie. Et tout au fond de la cité également, dans la centrale nucléaire du niveau -2 et la station d'épuration du niveau -3. Certains ont le droit de venir travailler à la surface mais une organisation paramilitaire, les Marduk veille arme à la main à ce qu'aucun robot non autorisé ne se promène "hors zone". Ses méthodes brutales et sanguinaires sont calquées sur celles des milices fascistes et nazies. Leur chef Rock est le fils adoptif du Duc Rouge qui règne sur la cité.
Rejeté par le duc, Rock découvre que celui-ci manipule un scientifique hors-la-loi, le professeur Laughton, pour construire un robot d'une espèce nouvelle, un être surhumain qui permettra au duc d'obtenir un pouvoir éternel. Un insupportable rival pour Rock d'autant plus qu'il a été fabriqué à l'image de la petite soeur décédée du Duc Rouge, Tima (une reine de Mésopotamie). Là encore, les ressemblances avec le film de Lang sont frappantes. Rock détruit le laboratoire, tue le professeur Laughton et traque Tima avec acharnement pour la détruire.
La composition tripartite de la société explique que la révolte ouvrière ne soit évoquée qu'en arrière-plan du film avec un chef, Atlas qui évoque à la fois Hugo et Delacroix. Mais c'est moins la liberté que la fureur qui guide le peuple lorsque qu'il met en pièces ceux qui sont encore plus déshérités qu'eux. Car la question de l'humanité des robots occupe le premier plan du film. L'évolution de Tima est de ce point de vue éloquente. Robot "nouveau-né" qui n'a pas conscience de son identité, elle tombe d'abord entre de bonnes mains, celles du jeune Kenichi dont l'oncle enquête sur le professeur Laughton. Traitée avec amour, elle se sent humaine et conserve son innocence au point d'être comparée à un ange. Mais lorsqu'elle est capturée par le Duc et touchée en plein cœur par la balle de Rock, elle se transforme en arme de destruction massive, échappant à tout contrôle. Le robot est en effet ce que nous en faisons: un être de lumière ou un puits de ténèbres.
Avanti est l'un des films de Billy Wilder que j'aime le moins. Non qu'il soit mauvais. On y trouve les qualités d'écriture habituelle de Wilder et Diamond avec de multiples allusions ironiques au contexte international de l'époque, l'atmosphère enchanteresse du sud de l'Italie en été et son invitation à la flânerie, un mélange de comédie et de sourde mélancolie, des acteurs toujours aussi bien dirigés... Mais le choc des cultures entre les USA et l'Italie est dépeint de façon vraiment trop caricaturale. D'un côté un homme d'affaires overbooké et puritain, de l'autre une micro-société où règne le fameux déjeuner latin qui dure trois heures, où les tracasseries administratives n'en finissent plus et où l'hédonisme est roi. Si l'on rajoute pour le pittoresque quelques mafieux et une sicilienne vengeresse et moustachue on a une belle enfilade de clichés dont l'effet comique paraît forcé. A cela on peut rajouter quelques longueurs (le film dure 2h20!) et un aspect vaudeville issu de la pièce de théâtre d'origine que Wilder ne parvient pas tout à fait à gommer.
Mais ce qui m'a le plus dérangé lorsque je l'ai vu pour la première fois c'est l'aspect néo-conservateur et fataliste du film. Au point d'ailleurs de ne pas reconnaître le Wilder subversif de Certains l'aiment chaud ou de la Garçonnière. Le site DVD classik a d'ailleurs bien résumé ce sentiment "Le personnage de Wendell Ambruster (joué par Jack Lemmon) pourrait être le CC Baxter de la Garçonnière dix ans après s'il avait vendu son âme à Sheldrake." Le couple Wendell-Pamela découvre en effet le plaisir de vivre en reproduisant à la virgule près le modèle des parents fait de double vie donc de mensonges et de secrets. 11 mois de convenances sociales pour un mois de bonheur loin de la réalité. Le mode de vie du bourgeois qui une fois par semaine va s'encanailler. Et un bonheur très formaté lui aussi puisque se résumant en des vacances de luxe au soleil avec une petite touche libertaire inoffensive due à l'époque de sortie du film (le début des années 70). Wilder lui-même considérait son film de cette manière "La révélation aurait été beaucoup plus audacieuse et dramatique si le fils avait découvert que son défunt père passait ses vacances en Italie non pas parce qu'il avait une maîtresse mais parce qu'il était homosexuel. Alors le film aurait vraiment été courageux. Tel quel, il est tout simplement trop pépère, trop sage, trop vieux."
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.