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Yurt

Publié le par Rosalie210

Nehir Tuna (2023)

Yurt

L'affrontement idéologique entre islamisme et laïcité auprès de la jeunesse des pays déchirés entre plusieurs identités a quitté depuis peu les reportages d'actualité et les documentaires pour s'inviter dans la fiction. Pas vraiment en France où pourtant ce sont les contradictions entre les injonctions familiales et communautaires d'un côté et celles de l'école laïque de l'autre qui sont à l'origine des "pétages de plomb" de jeunes radicalisés comme l'a démontré dans ses livres et conférences la politologue Anne-Clémentine Larroque. Mais la Belgique a offert un éclairage saisissant avec "Amal, Un esprit libre" (2023) et également la Turquie à travers "Yurt" qui évoque la situation du pays à la fin des années 90 tiraillé entre l'héritage laïc du kémalisme et l'islamisme d'Erdogan. Le film est centré sur Ahmet, un adolescent de 14 ans issu d'un milieu privilégié. Il est inscrit dans un lycée privé mixte, élitiste et nationaliste dans lequel il apprend l'anglais et les chants à la gloire d'Atatürk mais son père, récemment converti à un islam rigoriste l'a mis en pension dans un Yurt c'est à dire un pensionnat religieux fréquenté par des garçons d'origine modeste. La propagande ne s'y limite pas aux discours mais passe par toutes sortes de brimades dont Ahmet fait les frais parce qu'il apparaît comme un intrus: riche parmi les pauvres et rebelle parmi les soumis. Il est victime de brimades aussi dans son lycée friqué, pas très bienveillant envers sa double vie. C'est ainsi que le film enrichit son approche. Il ne se contente pas de placer Ahmet au coeur d'un affrontement idéologique, il se retrouve également pris insidieusement dans une lutte des classes qui recoupe ses propres questionnements identitaires. En effet, Ahmet est avant tout un adolescent en construction dont la quête d'émancipation se heurte à l'autoritarisme du père et à l'obscurantisme du Yurt. Mais aucune répression ne peut empêcher la puberté et ses manifestations physiques alors que Ahmet connaît ses premiers émois amoureux et sexuels auprès d'une fille de sa classe du lycée privé mais aussi auprès de Hakan, l'un des pensionnaires du Yurt. Cette partition est un peu trop systématique et schématique (c'est peut-être le résultat d'un premier film plein comme un oeuf), néanmoins le moment où le film bascule du noir et blanc à la couleur quand Ahmet semble enfin prendre la tangente pour suivre ses propres désirs au lieu de ceux du père et de la société est superbe: une bouffée de liberté qui n'est pas sans rappeler "Mommy" (2014) de Xavier DOLAN.

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