La Crise
Coline Serreau (2001)
C'était un bonheur de revoir ce film absolument jouissif. Comme dans "Chaos" (2001), Coline SERREAU ne s'embarrasse pas de préliminaires, elle entre directement dans le vif du sujet en nous plongeant en même temps que son personnage (joué encore une fois par Vincent LINDON) dans un maelstrom de bruit et de fureur. Aussi égocentrique que son avatar de "Chaos" (2001), Victor reçoit coup sur coup deux grosses claques: bim, il est largué par sa femme, bam, il est mis à la porte de son boulot. N'étant pas du genre introspectif, Victor se met en mode "geignard" sauf que personne ne l'écoute. Il serait presque à plaindre si lui aussi ne se fichait pas comme d'une guigne des problèmes des autres. Coline SERREAU s'amuse alors à porter à ébullition son dispositif cacophonique où tout le monde parle et où personne ne s'écoute, le tout sur fond d'instabilité généralisée, tant dans la vie professionnelle que familiale. Son sens de la mise en scène fait merveille, notamment au coeur d'une famille se recomposant sous nos yeux où on se perd malgré les vaillants efforts de Michele LAROQUE. Dans un formidable numéro de "Mme Loyal", elle tente d'expliquer à Victor (vite dépassé tout comme nous) qui est avec qui, qui est l'enfant de qui et qui est le demi-frère ou la semi-soeur de qui. Bon courage pour y comprendre quelque chose! Mais le clou du spectacle, c'est bien sûr le moment d'anthologie où la mère de Victor (jouée par Maria PACOME) annonce à sa famille qu'elle se barre avec un homme plus jeune. Sous chaque mot perce la jubilation de la ménagère qui ayant atteint 50 ans estime qu'elle a assez donné, rien reçu en retour et qu'il est temps d'arrêter les frais et de commencer à vivre pour soi. La soeur de Victor (jouée par Zabou BREITMAN) s'en inspirera pour défendre son indépendance par rapport à un homme qui tente de l'envahir sans son consentement.
Cette satire énergique des travers de la société moderne aborde donc le féminisme sous l'angle du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes mais aussi donc les ravages de l'individualisme et également les rapports de classe et le racisme d'une manière qui frappe aujourd'hui par sa pertinence. En effet Victor qui appartient à la bourgeoisie se retrouve flanqué d'un partenaire prolo (Patrick TIMSIT) qu'il méprise. Seulement voilà, Michou est chômeur, lui aussi. Et sans filtre. Lorsque les bourgeois chez qui il s'est invité sont choqués de l'entendre dire qu'il est raciste (non pas parce qu'ils ne le sont pas eux aussi mais parce que ce n'est pas politiquement correct de le dire), il leur rétorque que c'est tellement plus facile d'être contre le racisme quand on habite Neuilly que quand on habite Saint-Denis! Et ce n'est pas la sociologie du vote RN qui dira le contraire! On le voit, Coline SERREAU n'a pas le verbe dans sa poche et sait user de dialogues percutants. Couplé à une mise en scène pleine de vivacité mais jamais brouillonne, son film rappelle la screwball comédie à l'américaine, sauf que le conflit y dépasse celui des sexes pour toucher toutes les fractures de nos sociétés (elle aborde également le conflit entre les générations au travers de la malbouffe, les médecines alternatives etc.) Des comédies de cette trempe, on en redemande!
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