La Traversée
Florence Miailhe (2020)
Film d'animation aussi beau que prenant, "La Traversée" dépeint les pérégrinations de deux adolescents fuyant la guerre et les persécutions dans leur pays. Volontairement, celui-ci n'est pas identifiable, pas plus que le contexte historique afin de donner à l'histoire une résonance universelle. Mais la réalisatrice, Florence MIAILHE dont c'est le premier long-métrage y rend hommage à ses parents, obligés de fuir en zone libre pendant la seconde guerre mondiale et à ses arrières grands-parents ayant quitté l'Ukraine au début du siècle dernier pour fuir les pogroms. Elle effectue ainsi la jonction avec les migrations forcées d'aujourd'hui et ce avec brio - rien à voir par exemple avec le raté "Transit" (2018) de Christian PETZOLD. L'animation est évidemment un élément-clé dans la réussite de l'entreprise, donnant à l'histoire des allures de conte. On oublie trop souvent combien les contes initiatiques peuvent être cruels. Or les épreuves que traversent Kyona et son petit frère Adriel coïncident avec leur passage de l'enfance à l'adolescence et de l'adolescence à l'âge adulte, celui-ci étant accéléré par les événements. Très tôt séparés du reste de leur famille qui ne réapparaîtra pas, Kyona et Adriel s'engagent dans une périlleuse aventure peuplée d'obstacles qui révèlent leurs caractères et leur capacité de survie: la première par la rébellion et le dessin, le second par des capacités d'adaptation qui ne sont pas sans faire penser au "Zelig" (1983) de Woody ALLEN. Les personnages qu'ils rencontrent sont tous extrêmement intéressants. A l'exception de Jon, le trafiquant, tous sont à l'image du conseil donné par l'un d'entre eux à Kyona, celui d'apprendre à voir le monde en gris plutôt qu'en noir et blanc. Ce sont des tueurs, des exploiteurs, des combinards, des mouchards, des gens rudes vivant à la dure mais ces mêmes personnes peuvent aussi abriter, protéger, aider, aimer. Cette palette élargie se retrouve dans l'animation qui est superbe. La mère de Florence MIAILHE était peintre et la réalisatrice a mis au point une technique d'animation originale consistant à peindre sur une plaque de verre directement sous la caméra, prendre le cliché, effacer et recommencer, le mouvement se construisant ainsi au fil de l'eau, sans filet. Le style qui a été comparé à celui de Chagall oscille entre fauvisme et abstraction. Les couleurs flamboient d'autant plus qu'elles s'inscrivent dans un univers sombre et gris. Jamais le film ne cède au misérabilisme ou au pathos. L'image de la pie voleuse qui symbolise impertinence et liberté vient toujours à point nommé désamorcer les situations les plus tendues sans pour autant les édulcorer.
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