Le Grand Détournement-La Classe américaine
Michel Hazanavicius et Dominique Mézerette (1993)
C'est dans le cadre d'une intervention consacrée à la carrière de Michel HAZANAVICIUS que j'ai découvert ses débuts à Canal plus dans "Les Nuls, l'émission" (l'homme que la caméra suivait de dos lors du générique de début, c'était lui!) Il y pratiquait déjà le détournement d'images préexistantes pour "Le Faux journal". Il a ensuite toujours pour Canal plus au début des années 90 réalisé une trilogie intitulée "Le Grand détournement". Celle-ci se composait de deux courts-métrages, "Derrick contre Superman" (1992) et "Ca détourne" et d'un long-métrage, "La Classe américaine" devenu depuis un film culte. Il s'agit en effet d'un authentique exploit: créer un film inédit à partir d'images d'archives piochées dans les films du catalogue Warner réalisés entre 1952 et 1980, le tout doublé par les voix françaises habituelles des principaux acteurs du studio, tous de grands noms du cinéma hollywoodien (John WAYNE, Burt LANCASTER, Paul NEWMAN, Henry FONDA, James STEWART, Robert REDFORD, Dean MARTIN, Dustin HOFFMAN etc.). Il faut dire que le film était à l'origine programmé pour fêter les cent ans du cinéma et les soixante-dix ans de la Warner qui avait autorisé Canal plus à utiliser les extraits de son catalogue. Néanmoins le résultat plutôt subversif n'a pas plu au studio qui n'a autorisé qu'une seule diffusion. Mais des copies ont aussitôt circulé sous le manteau, des projections ont eu lieu lors d'événements ponctuels et l'avènement d'internet a permis une diffusion plus large. Preuve de son succès, le film a été depuis restauré et ses dialogues, publiés en 2020 dans une édition pastiche des Classiques Larousse.
Que dire du film sinon que c'est soixante-dix minutes de bonheur cinéphile absolu? A partir de la trame de "Citizen Kane" (1940) revue et corrigée par leurs soins, Michel HAZANAVICIUS et Dominique MEZERETTE signent une oeuvre hilarante, au fort caractère méta (l'apparition de Orson WELLES hurlant au plagiat est un must!) où le jeu avec le spectateur est permanent. Par exemple on voit pas moins de quatre fois la scène de "Les Hommes du President" (1976) durant laquelle Robert REDFORD et Dustin HOFFMAN courent pour parler à leur boss joué par Jason ROBARDS qui s'apprête à prendre l'ascenseur, à chaque fois avec des lignes de dialogues différentes mais toujours parfaitement ajustées. Le film de Alan J. PAKULA est le fil rouge du récit puisque les journalistes (auxquels vient se rajouter Paul NEWMAN) enquêtent dans la version détournée sur la dernière phrase d'un défunt qui n'est autre que George Abitbol alias John WAYNE alias "l'homme le plus classe du monde". L'art du découpage et du montage, celui des dialogues (même complètement loufoques, ils sont écrits au cordeau) et enfin celui du doublage créé une illusion parfaite tout en se délectant de mettre en avant ce qui était interdit dans les films originaux, la majorité ayant été tournés sous le code Hays. L'homosexualité par exemple se taille la part du lion et ce d'autant plus que "La Classe américaine" en tant que mashup fait ressortir combien le cinéma hollywoodien laissait peu de place aux femmes. Deux seulement se fraient un chemin dans la version détournée: Angie DICKINSON et Lauren BACALL. On a donc un univers viril, magnifié notamment par le western et où parfois il n'en faut vraiment pas beaucoup pour qu'on y croit: Henry FONDA et James STEWART dans "Attaque au Cheyenne Club" (1970) peuvent par exemple tout à fait incarner les cow-boys vivant dans un ranch évoqués dans "Le Secret de Brokeback Mountain" (2005) et tout récemment dans "Strange way of life" (2023).
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