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Je ne suis pas votre nègre (I am not your negro)

Publié le par Rosalie210

Raoul Peck (2017)

Je ne suis pas votre nègre (I am not your negro)

"Je ne suis pas votre nègre" est un film fort et d'une implacable lucidité sur les racines du racisme américain. Le réalisateur, Raoul PECK a eu l'idée d'exhumer un manuscrit inachevé de l'écrivain afro-américain James Baldwin écrit en 1979 et d'en faire la colonne vertébrale du film. Cet écrit incisif, lu par Samuel L. JACKSON en VO et par JOEY STARR en VF a pour but d'ouvrir les yeux de l'Amérique sur elle-même, sur ce qu'elle est vraiment. Sa portée dépasse en effet la seule question du racisme qui est montré pour ce qu'il est, le symptôme d'une civilisation malade de ses origines et qui plutôt que de changer son pacte fondateur préfère continue à détourner les yeux et à vivre dans le déni, pour le malheur de tous. Si le combat pour les droits civiques dont James Baldwin a été le témoin est longuement évoqué au travers notamment de l'assassinat de trois de ses figures emblématiques dont il était proche, Medgar Evers (membre du NAACP, la national association for the advancement of the colored people), Malcom X et Martin Luther King, le film sonde en profondeur l'imaginaire de l'Amérique à travers sa culture dominante. En ressort une continuité glaçante autant qu'éclairante sur son racisme systémique et la manière dont l'Amérique se représente elle-même. Etonnement, "Naissance d'une nation" (1915) n'est pas évoqué alors que ses thèmes eux le sont. La diabolisation des noirs et métis comme justification des massacres commis par les "preux" chevaliers du KKK n'est que l'avatar de la conquête de l'ouest par les héros WASP sur les sauvages indiens (la figure de John WAYNE est évoquée à plusieurs reprises, sans nuances d'ailleurs) et l'idée d'une remigration était même évoquée dans une première version du film de D.W. GRIFFITH ("l'Amérique ne sait pas quoi faire de sa population noire" dit James Baldwin sous-entendu, depuis que le système esclavagiste n'a plus de raison d'être). Par contre, ce qui est longuement souligné dans le film, c'est l'invisibilisation de la communauté noire et de son histoire. L'imaginaire dominant est fondé sur un mensonge, celui d'une Amérique pure, innocente qui doit se refléter dans la blancheur et la blondeur de ses ressortissants. Si le choix de Gary COOPER dans le film "Ariane" (1957) ne me paraît pas très heureux (Billy WILDER était très critique vis à vis de la société américaine, mieux aurait valu un western avec Gary Cooper), celui de Doris DAY est absolument parfait, l'équivalent cinématographique des publicités pour l'American way of life peuplé de familles aryennes dignes de la propagande nazie pour la pureté raciale. Le prix à payer pour un tel déni est lourd, celui d'une société dévitalisée dont la névrose se manifeste dans l'accumulation de biens matériels. Face au présentateur Dick Cavett qui demande à James Baldwin en 1968 sur un ton condescendant pourquoi il n'est pas plus optimiste pour la communauté noire à qui aurait été soi-disant accordé l'égalité des chances, celui-ci lui cloue le bec "je n'ai pas beaucoup d'espoir à vrai dire tant que les gens parleront de cette manière" ainsi qu'à un autre invité de l'émission avec son acuité caractéristique: "Je ne suis pas dans la tête des blancs, je ne me fonde que sur l'état de leurs institutions. J'ignore si les chrétiens blancs haïssent les blancs mais nous avons une église blanche et une église noire. Comme Malcom X l'a dit, la ségrégation américaine est à son paroxysme le dimanche à midi. Cela en dit long d'après moi sur une nation chrétienne". Et pan sur le bec! Et le film de se terminer sur ces propos en forme d'appel à la prise de conscience " Il ne tient qu'au peuple américain et à ses représentants de décider ou non de regarder la vérité en face. (...) Les blancs doivent comprendre dans leur coeur pourquoi la figure du nègre leur était nécessaire. Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Je suis un nègre car vous en avez besoin. (...) Si je ne suis pas un nègre et si vous l'avez inventé, vous devez comprendre pourquoi. L'avenir de ce pays repose sur votre volonté d'y réfléchir."

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