Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Gentlemen & Miss Lupino

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2021)

Gentlemen & Miss Lupino

Deuxième documentaire des soeurs Kuperberg que je découvre après "Hannibal Hopkins et Sir Anthony" (2020), "Gentlemen & Miss Lupino" s'avère tout aussi passionnant. Le titre fait référence aux assemblées générales de la Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs de cinéma qui commençaient par la formule "Gentlemen and Miss Lupino" parce que sur les 1300 membres de l'organisation, elle était la seule femme. La raison de cette exception à la règle est très bien expliquée au début du documentaire. Lorsque le cinéma hollywoodien est devenu une industrie puissante au début des années 20 en se structurant au sein des grands studios les femmes qui étaient jusque-là nombreuses dans tous les types de poste ont été exclues de la production et de la réalisation des films, c'est à dire des postes de pouvoir. Le syndicat qui représentait les intérêts de l'industrie hollywoodienne a beaucoup fait pour en faire un club exclusivement masculin. Si Ida LUPINO a pu intégrer l'organisation en 1950, c'est en raison du succès de ses premiers films, réalisés de façon indépendante grâce à la fondation de son propre studio avec son mari de l'époque, Collier YOUNG. A l'origine, Ida Lupino ne souhaitait être que scénariste et productrice mais la défaillance cardiaque de Elmer CLIFTON sur le tournage de "Avant de t aimer" (1949) lui fit sauter le pas de la réalisation. En tant qu'actrice, elle était déjà une rebelle qui se faisait régulièrement suspendre parce qu'elle refusait de se plier aux diktat des studios. Le documentaire analyse ensuite ses films, en rupture avec le classicisme hollywoodien et qui par bien des aspects annoncent la nouvelle vague du cinéma français et indépendant US (la parenté avec John CASSAVETES m'a frappé, particulièrement dans "Le Voyage de la peur") (1953). Les thèmes traités, tabous pour l'époque sont également un défi posé à une Amérique alors au sommet de son modèle social conservateur dans lequel la femme ne peut exister que dans le rôle d'épouse et de mère au foyer. Le viol, la maladie, la grossesse non désirée, l'adultère viennent bousculer le conformisme ambiant. Enfin, le documentaire explique les raisons pour lesquelles Ida Lupino n'a réalisé que sept longs-métrages de cinéma, sa société ayant fait faillite prématurément suite à de mauvais choix de ses associés. Si elle a pu se reconvertir avec succès dans la réalisation d'épisodes de séries pour la télévision, son identité s'y est retrouvée noyée dans la masse et son travail pour le cinéma est sombré dans l'oubli, la réalisatrice n'ayant pas en dépit de son succès suscité d'intérêt auprès des médias et des spécialistes. Dernier point à souligner, outre les intervenants extérieurs qui apportent des éclairages sur ses films et son parcours, le documentaire est parsemé d'extraits de l'autobiographie (non traduite) de Ida Lupino, "Beyond the Camera" dans laquelle elle explique que pour se faire respecter du milieu masculin dans lequel elle travaillait, elle endossait le rôle de "Mother of all of us" (Notre mère à tous) qui était écrit en lieu et place de son nom sur son fauteuil de réalisatrice. Et elle pratiquait l'art de la suggestion plutôt que celui de l'injonction.

Commenter cet article