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Bigamie (The Bigamist)

Publié le par Rosalie210

Ida Lupino (1953)

Bigamie (The Bigamist)

Ida LUPINO est un énième exemple illustrant le livre de Titiou Lecoq sur l'effacement des femmes dans l'histoire. En effet il y a toujours eu des créatrices dans tous les domaines artistiques qui ont souvent oeuvré au coeur même de l'industrie du divertissement ou des institutions culturelles de leur pays, rencontrant même le succès mais elles ont été ensuite oubliées. Le mot "patrimoine" est lourd de sens puisqu'il est genré de manière a en exclure les femmes. La transmission des oeuvres d'art s'est donc effectuée durant des siècles de façon discriminante, celles des femmes étant effacées à de rare exceptions près, jusqu'à ce qu'une époque prête à faire plus de place aux femmes ne redécouvre leur héritage. C'est ce qu'il se passe depuis quelques années dans le domaine du cinéma. Après Alice GUY, Lois WEBER et d'autres pionnières comme Germaine DULAC, après Yumiko TANAKA, seule cinéaste de l'âge d'or des studios japonais dont l'intégrale est désormais visible en France, c'est au tour de Ida LUPINO, la seule cinéaste à avoir réalisé des films hollywoodiens dans les années 50 d'être mise à l'honneur par Arte jusqu'en juillet.

"Bigamie", son avant-dernier film résume parfaitement son cinéma. Le décorum hollywoodien y apparaît pour ce qu'il est, un mirage, lorsque les personnages visitent Beverly Hills dans un bus touristique et que le chauffeur égrène les noms des stars vivant dans les luxueuses demeures. Ida LUPINO préfère faire un pas de côté vis à vis de tout ce cirque afin de raconter les existences de gens ordinaires souvent meurtris incarnés par des acteurs peu connus (à l'exception d'elle-même et de Joan FONTAINE qui à l'image du film se sont partagées le même homme). De même, elle utilise les codes du film noir (secret, enquête, flashback, confession) pour raconter le drame d'un homme déchiré entre deux femmes qu'il aime profondément, au point de se mettre hors-la-loi en leur donnant le même statut marital (ce qui d'ailleurs est souligné dans le film: un adultère n'aurait eu aucune conséquence pénale alors que la bigamie met en péril le mariage, pilier de la société américaine). Au-delà de la l'aspect social et juridique, son film est surtout intimiste. Les portraits des trois personnages sont tellement fouillés qu'il devient impossible de les juger (d'ailleurs la sentence du tribunal à la fin du procès est occultée). La détresse de Harry face au mur que sa femme a dressé devant lui suite à la découverte de sa stérilité, leur fuite en avant dans le travail, la solitude et l'errance qui en résultent, la rencontre de Harry avec Phyllis, une femme fière mais aussi égarée que lui, l'éclosion de leur amour, tout cela est raconté avec beaucoup de sensibilité et d'empathie. Ida LUPINO prend le temps de développer les personnages et de nous faire partager ce qu'ils vivent de façon à nous faire ressentir la profondeur de leur tragédie étant donné que c'est leur sincérité dans leurs sentiments qui les met dans cette situation inextricable.

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