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Babylon

Publié le par Rosalie210

Damien Chazelle (2023)

Babylon

Le sens de la démesure et la caméra frénétique de Damien CHAZELLE n'avaient jusqu'à présent produit chez moi que du rejet. Il faut dire que son positionnement ambigu vis à vis de Fletcher, le "sergent-instructeur Hartman" du conservatoire (cherchez l'erreur, les vrais musiciens de jazz l'ont trouvé) de "Whiplash" (2014) et son choix de faire une comédie musicale avec des acteurs qui n'étaient ni chanteurs ni danseurs dans "La La Land" (2015) avaient fini par me faire croire qu'il avait un rapport complètement tordu avec le spectacle en général et la musique en particulier. Pourtant cette fois-ci, le "bullshit" derrière le glamour est mieux assumé, la bande-originale de Justin HURWITZ m'a emballée et je n'ai pas vu passer les 3h que dure le film. C'est un show qui semble surgir du visionnage final de "Chantons sous la pluie" (1952): derrière les rires que déclenche la séquence du "Spadassin royal" avec sa maîtrise approximative du sonore, la voix de crécelle de Lina Lamont/Jean HAGEN et le jeu outré de Don Lockwood/Gene KELLY qui répète "I love you" à x reprises, combien de sang et combien de larmes? L'histoire du cinéma est pavée de stars du muet qui ont tout perdu avec l'arrivée du parlant et ont sombré dans la déchéance quand elles ne se sont pas suicidées. Pour une Greta GARBO ou un Charles CHAPLIN qui s'en sont sortis, combien de Clara BOW (principale source d'inspiration du personnage de Nellie LaRoy jouée par Margot ROBBIE) ou de John GILBERT (la référence qui vient tout de suite à l'esprit pour le personnage de Jack Conrad joué par Brad PITT, Gilbert ayant également inspiré le personnage de George Valentin dans "The Artist") (2011)? Le film de Damien CHAZELLE retrace l'ascension et le succès fulgurant puis la chute inexorable de ces étoiles filantes dans une série de morceaux de bravoure qui se succèdent à un rythme trépidant sans que l'on ait jamais le temps de reprendre son souffle. La scène de la fête orgiaque virtuose qui sert d'introduction au film avec ses excès en tous genres donne le ton. Mi-fascinés, mi-dégoûtés (car Damien CHAZELLE à l'image de Ruben ÖSTLUND ne lésine pas sur les litres de déjections diverses et variées), on assiste à ce spectacle de l'extrême dont Conrad est le roi et dont Nellie devient la reine en forçant le destin. La débauche n'étant que le revers du puritanisme*, on comprend donc que Hollywood se nourrit de rêves tout en se gavant en coulisses de pouvoir et de fric sur le dos de milliers de petites mains exploitées jusqu'à la mort lors des tournages sans épargner ses anciennes gloires, jetées aux ordures après usage.

Si Jack et Nellie sont fictifs (bien qu'inspirés de personnes ayant réellement existé), beaucoup de personnes qui gravitent autour d'elles apparaissent sous leur véritable identité, notamment les producteurs, paparazzi, mafieux et magnats de la presse. Mais parmi les personnages secondaires, les plus intéressants sont ceux qui représentent les minorités. Manny le mexicain qui en tant que serviteur de Jack et chevalier servant de Nellie est un témoin privilégié de ce monde sans jamais en faire partie occupe la place du spectateur (comme Cecilia dans "La Rose pourpre du Caire") (1985). La chinoise lesbienne Lady Fay Zhu (elle aussi inspirée d'une personne ayant réellement existé) est réduite au rôle d'attraction alors que le destin tragique de son modèle aurait mérité d'être creusé (en tant que sino-américaine, elle ne trouva jamais sa place nulle part et passa l'essentiel de sa carrière à errer d'un pays à l'autre en quête de reconnaissance). Enfin la présence du trompettiste noir Sidney Palmer permet d'évoquer la ségrégation raciale qui régnait sur les plateaux et la pratique insultante du blackface.

* La scène où une jeune actrice qui divertissait sexuellement un homme obèse fait une overdose, mettant celui-ci en fâcheuse posture rappelle l'affaire Roscoe ARBUCKLE.

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