Paris qui dort
René Clair (1925)
"Paris qui dort" est le premier film réalisé par René CLAIR même s'il n'est sorti faute de distributeur qu'après la diffusion de "Entr acte" (1924) au Théâtre des Champs-Elysées. Les deux films sont de toutes façons aujourd'hui réunis sur un même DVD ce qui est logique car ils ont de profondes affinités. Par ailleurs, les copies originales de "Paris qui dort" (il y aurait eu deux versions du film circulant conjointement, l'une française et l'autre anglaise) ayant été perdues, le DVD propose deux restitutions différentes. La plus réussie selon moi est la plus récente, celle de 2018 réalisée par la fondation Jérôme Seydoux-Pathé à partir de la copie anglaise du film conservée au British Film Institute. Il s'agit d'une version teintée qui offre des images d'une précision incomparable par rapport à l'autre version (dans laquelle les monuments semblent réduits à des silhouettes prises à contre-jour) et surtout qui ajoute des plans inédits (dont je vais reparler) sur la fin insufflant une puissance fantastique, poétique et cinématographique au métrage bien moins présente dans l'autre version.
"Paris qui dort" comme "Entr'acte" témoigne des deux sources d'inspiration majeures du cinéaste à ses débuts: l'avant-garde expérimentale et surréaliste (dans la lignée d'un Jean EPSTEIN par exemple) et le cinéma primitif, celui de Georges MÉLIÈS en particulier, les deux courants ayant l'onirisme pour trait commun. Un oeil dans le rétroviseur et l'autre tourné vers l'avenir en quelque sorte (ce qui s'accorde bien avec son pseudonyme "clairvoyant", son véritable nom étant René Chomette). S'y ajoute dans "Paris qui dort" une fascination pour la tour Eiffel et sa dentelle de métal aux formes géométriques que l'on retrouve dans son court-métrage ultérieur "La Tour" (1928) (que l'on peut voir en bonus sur le DVD ou gratuitement sur la plateforme de streaming de la Cinémathèque HENRI).
"Paris qui dort" n'est pas un film parfait (il y a quelques longueurs au milieu du film en dépit de sa courte durée), néanmoins c'est un film incontournable pour tous les amoureux du cinéma. Le début et la fin (grâce aux plans rajoutés dans la restauration la plus récente) sont d'une immense poésie rétrofuturiste. On y voit le gardien de la tour Eiffel qui en descendant de son perchoir découvre que toute la ville a été mystérieusement pétrifiée à 3h25 du matin. Le sous-titre du film "Le Rayon diabolique" nous laisse deviner par quoi et de fait, ce fameux rayon s'actionne dans un dispositif qui fait penser à celui de "Metropolis" (1927), film rétrofuturiste qui lui est contemporain. On a donc une assez saisissante définition visuelle de ce qu'est le cinéma: un art du mouvement dans l'espace et le temps qui est aussi l'enfermement dans un cadre et la suspension du temps. Le cinéma fabrique de l'éternité en capturant l'instant comme le fait la photographie mais recréé l'illusion du mouvement naturel ce que dissipe René Clair en créant des arrêts sur image à volonté à l'intérieur de son film ou bien au contraire en accélérant leur défilement. Très loin de l'image méprisante que plus tard la nouvelle vague a donné de lui (le fameux "cinéma de papa" destiné aux "vieilles dames" pour reprendre des expressions de François TRUFFAUT), René CLAIR s'avère avoir été un esprit pionnier et un poète de l'image aux visions pas si éloignées de celles d'un Terry GILLIAM (l'influence du rétrofuturisme et de Georges MÉLIÈS est très forte dans leurs deux univers).
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