La Maman et la Putain
Jean Eustache (1973)
Le film le plus célébré par la critique pro-nouvelle vague (il était n°1 du classement des 100 meilleurs films français des Inrockuptibles) avait également une autre vertu: il était introuvable puisque le fils de Jean EUSTACHE avait bloqué les droits de diffusion (il s'est ravisé en 2022 ce qui explique sa ressortie au cinéma en version restaurée). Il était donc de bon ton de faire partie des "happy few" qui avaient pu en voir une copie sous le manteau et de le citer en référence (comme le fait par exemple Christophe HONORÉ au début du film 100% néo-nouvelle vague qu'est "Les Chansons d amour") (2007).
Si la possibilité de voir le film-phare de Jean EUSTACHE met un point final à cette manifestation de snobisme, le film n'est pas facilement accessible pour autant. Sa durée déjà est hors-norme (3h40), il a une forte identité germanopratine (intello parisien rive gauche), son contenu, provocateur en 1973 le reste aujourd'hui, en paroles (des descriptions intimes et organiques à la "Rien sur Robert") (1999) et en situation (le ménage à trois formé par Alexandre, Marie la brune et Veronika la blonde). Il faut également supporter la logorrhée verbale, le film étant constitué de longs monologues qui forment de véritables blocs de mise en scène. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un exercice narcissique complaisant, plutôt d'une dissection sans complaisance des rapports amoureux à forte résonance autobiographique. Alexandre (Jean-Pierre LÉAUD aussi charismatique que chez François TRUFFAUT) est un jeune homme oisif qui se fait entretenir par une femme, Marie (Bernadette LAFONT, elle aussi échappée de chez François TRUFFAUT) tout en rêvant à une autre. Il finit par tomber sur la douloureuse, mélancolique mais aussi très franche Véronika (Françoise LEBRUN), une infirmière d'origine polonaise avec laquelle il entame une liaison. Au travers de leurs dialogues (ainsi que ceux avec sa précédente petite amie Gilberte), on découvre la stratégie d'évitement d'Alexandre qui monopolise la parole mais pour ne rien dire ou plutôt pour s'écouter parler (parfois avec beaucoup d'humour d'ailleurs) et empêcher l'autre d'exister jusqu'à ce que Veronika finisse par lui clouer le bec et fasse voler en éclats tous les faux-semblants lors d'un monologue puissant et poignant. Maurice PIALAT qui admirait le film (qui n'est pas sans faire penser à son cinéma, mélange de fiction et de réalité âpre) disait qu'il s'agissait d'un "Nous ne vieillirons pas ensemble réussi". Pas faux, d'autant que Véronika qui n'est pas du même milieu social qu'Alexandre et Marie fait également voler le cadre du film au profit de la vérité des sentiments.
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