Flee (Flugt)
Jonas Poher Rasmussen (2020)
"Flee" (et heureusement) n'est pas un énième film d'animation sur l'oppression du régime des Talibans en Afghanistan. Ces derniers n'occupent qu'une place périphérique dans le récit, même s'ils sont à l'origine de l'exil d'Amin et d'une partie de sa famille. En matière de violation des droits de l'homme et de traitements inhumains et dégradants, presque tout le monde est renvoyé dos à dos: le régime communiste de Kaboul à l'origine de l'arrestation et de la disparition du père d'Amin ainsi que de l'exil de son grand frère (pour échapper à l'enrôlement dans la guerre qui l'opposait aux moudjahidines soutenus par les USA); la police russe post-soviétique totalement corrompue qui harcèle Amin et sa famille à cause de sa situation irrégulière dans le pays; les passeurs qui les font traverser dans des conditions qui mettent leur vie en danger; les occidentaux qui regardent ces migrants comme des attractions touristiques, les enferment en centre de rétention et les traitent comme des parias; les procédures de demande d'asile qui obligent à trafiquer les faits etc.
Toutes ces péripéties proviennent du récit d'Amin, brillant universitaire d'origine afghane réfugié au Danemark que le réalisateur a rencontré lorsqu'il est arrivé dans son village alors âgé de 16 ans et avec lequel il est devenu ami. 20 ans plus tard, Jonas Poher Rasmussen a l'idée de le faire parler et de transformer ce témoignage en film d'animation, ponctué d'images d'archives live fournissant des repères historiques. L'animation elle-même est de deux sortes: réaliste dans les moments calmes, elle se transforme en esquisse lorsqu'on touche à la mémoire traumatique d'Amin, c'est à dire aux épisodes de fuite et d'arrestation (en cela, j'ai pensé à un autre récit de réfugiés de guerre transposé en animation "Josep") (2020) et aussi bien sûr à "Valse avec Bachir" (2007) pour la confession d'un traumatisme qui remonte peu à peu à la surface). Peu à peu, Amin est amené à se défaire de la version officielle de sa vie, telle qu'il l'a donnée à son arrivée au Danemark en tant que réfugié mineur isolé et telle qu'il nous la donne au début du film. En effet, même une fois à l'abri, on découvre que celui-ci est resté prisonnier de son passé qu'il a tenu secret et que celui-ci l'empêche de se projeter dans l'avenir. Hormis dans le domaine de sa carrière, Amin a tellement peur d'être trahi (comme il l'a été à plusieurs reprises) qu'il est devenu paranoïaque et répugne à s'engager. Ce réflexe de dissimulation recouvre une autre dimension de la personnalité d'Amin, son homosexualité, taboue en Afghanistan, qui colore son ressenti mais qu'il ne peut ouvertement exprimer qu'à son arrivée au Danemark. Enfin, le film est une réflexion sur le poids des liens familiaux: l'entraide s'avère être un facteur décisif dans la réussite de l'entreprise mais la séparation également. Quant à l'intégration, on voit bien comment elle est entravée par ces mêmes liens qui font passer la famille (et sa survie) avant tout autre engagement sans parler du sentiment de dette que Amin ressent envers ceux qui se sont sacrifiés pour lui.
Commenter cet article