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Fargo

Publié le par Rosalie210

Joel Coen (1996)

Fargo

J'ai suivi fidèlement les frères Coen au cinéma jusqu'à leur cinquième film, "Le Grand saut" (1994). Mais celui-ci m'a tant déçu que j'ai ensuite complètement laisser tomber (jusqu'à récemment) leur filmographie. Résultat, je suis passée à côté d'un de leurs meilleurs films, mon préféré à ce jour qui mérite son statut de film culte.

Entre autres défauts, "Le Grand Saut" était un film assez impersonnel, un mélange désincarné et peu harmonieux de références cinématographiques faisant pourtant partie pour certaines de mes films préférés (de "L Extravagant Mr. Deeds" (1935) de Frank CAPRA à "Brazil" (1985) de Terry GILLIAM). Tirant la conclusion du relatif échec du film, les frères Coen ont décidé de faire l'inverse et de proposer avec "Fargo" un film extrêmement personnel mais qui, contrairement à certains de leurs films ultérieurs parvient à toucher à l'universel.

Film personnel en effet puisque l'action se déroule dans les plaines enneigées du Minnesota, région natale des deux frères au peuplement d'origine scandinave (si l'on en juge par les patronymes très nordiques de la plupart des personnages) et que le ton est complètement décalé. Le générique annonce un drame épique dans un désert blanc avec une musique grandiose (en référence à la mythologie de la conquête de l'ouest ou plutôt du middle ouest) mais la première scène désamorce complètement cette approche et donne à voir un autre visage, peu glorieux, de l'Amérique: on se retrouve dans un ploucland paumé peuplé de personnages minables, dont le niveau de bêtise n'a d'égal que l'inhumanité. Un club de dégénérés sans coeur, sans âme et sans cervelle qu'on imagine bien parmi les foules idôlatres du Führer durant le III° Reich. Mais l'histoire se déroulant aux USA à l'époque du tournage du film, le totem de ces glandus dont le vide intérieur est à la mesure de celui de leur environnement est le rêve américain, autrement dit la réussite par l'argent. Pour l'atteindre, ils imaginent un plan complètement foireux dont l'exécution tourne au jeu de massacre. Leur incapacité à communiquer dû à la pauvreté de leur vocabulaire doublé d'un état d'esprit férocement individualiste (chacun tente d'escroquer l'autre en dissimulant la majeure partie du magot et l'autre réagit bien évidemment par une violence aveugle) joue un rôle déterminant dans la tournure catastrophique que prennent les événements.

Si les trois pieds nickelés de l'histoire (Jerry, le commanditaire pleutre et ses deux hommes de main sanguinaires, l'un mutique et inexpressif, l'autre volubile et agité) sont bien évidemment risibles, leurs actes n'en sont pas moins terrifiants et ouvrent la voie à un vertige proprement métaphysique illustré par le désert glacé dans lequel ils vivent et qui facilite leurs sinistres desseins (le couple d'automobilistes aurait pu leur échapper s'il y avait eu un endroit où se cacher. Mais rien de tel dans ces espaces de plaines arides et monotones). Ce n'est pas un hasard si la policière enceinte jouée par Frances McDORMAND parvient à les confondre. Le fait même qu'elle incarne la fertilité au sein de ce paysage stérile dans lequel aucun lien humain ne semble pouvoir se nouer (les dialogues révèlent la déconnexion totale de Jerry d'avec sa famille et son insensibilité quant à leur sort bien qu'il cherche à sauver les apparences) explique la portée de la célèbre scène dans laquelle elle s'interroge devant l'absurdité tragique des agissements des truands, eux qui ont commis un massacre pour un argent qui en plus leur restera inaccessible. Le regard songeur de Marge devant l'aspect insondable du mal (Pourquoi tant de sang pour quelque chose d'aussi dérisoire?) nous poursuit longtemps.

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