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Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (2009)

Mélodie pour orgue de barbarie (Melodiya dlya sharmanki)

Le film le plus récent et le plus accessible de Kira Mouratova que j'ai pu voir jusqu'ici est un drame social épousant la forme d'un conte de noël tiré du folklore russe mais qui ne cache pas ses références à "La petite fille aux allumettes" de Hans Christian Andersen, au "Un chant de Noël" de Dickens et à "Le Petit garçon à l'arbre de noël du Christ" de Dostoïevski. A ceci près que les deux orphelins en cavale n'ont plus le réconfort de l'au-delà qui était de mise dans les oeuvres d'un XIX° siècle beaucoup moins sécularisé que notre XXI° siècle matérialiste et consumériste. Autrement dit la magie de noël n'est plus qu'un décor de carton-pâte cachant une effroyable misère matérielle, morale et spirituelle, celle des sociétés post-soviétiques qui ressemblent à un cauchemar post-apocalyptique. On retrouve le même profond pessimisme sur la nature humaine que celui qui était exprimé dans "L'Accordeur" où un escroc profitait de la souffrance affective de deux vieilles femmes vulnérables pour les dépouiller. Là ce sont deux enfants de pères différents refusant d'être séparés à la mort de leur mère qui se retrouvent victimes des adultes et des autres enfants dans la même situation qu'eux. Kira Mouratova utilise la présence des enfants comme un miroir révélateur des travers de de l'Ukraine post-soviétique*. Leur quête pour retrouver leurs pères respectifs se heurte à des murs d'indifférence ou à une peur paranoïaque. Leurs demandes restent la plupart du temps sans réponses, ils sont chassés des endroits où ils cherchent à se réfugier, leurs maigres biens leur sont volés, les quelques miettes mises à leur portée sont dérobées avant qu'ils aient pu mettre la main dessus alors que lorsqu'ils cherchent à voler à leur tour, ils sont immédiatement repérés contrairement aux adultes qui eux peuvent s'en mettre plein les poches en toute impunité et pour certains, afficher des fortunes tapageuses (une façon détournée d'évoquer l'enrichissement des oligarques dans les Etats de l'ancienne URSS). Kira Mouratova dresse le portrait d'une société férocement individualiste dans laquelle chacun est enfermé en lui-même (la scène des portables à la gare), indifférente au malheur d'autrui ou bien le considérant comme une gêne ou un danger ou au contraire comme un objet à acheter. Ajoutons que l'esthétique du film est particulièrement soignée avec un contraste quasi-permanent entre le monde blanc et noir du dehors (neige et nuit) et celui, coloré des arbres de noël et des lieux censés représenter la chaleur du foyer mais qui sont affreusement dénaturés, ouverts à tous les vents, inadaptés aux enfants ou bien inaccessibles.

* Si je devais faire une rétrospective sur ce thème, je mettrai ce film aux côtés de "Nobody Knows" de Hirokazu Kore-Eda ou de "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton. La référence biblique du massacre des innocents qui ouvre le film est commune à tous ces films, reflets de sociétés en crise.

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