Le Redoutable
Michel Hazanavicius (2016)
En regardant "Le Redoutable", j'ai réalisé queMichel HAZANAVICIUS aimait prendre pour héros des personnages détestables, reflétant souvent leur époque, époque sur le point de connaître un basculement. C'est George Valentin, star du muet foudroyé par l'arrivée du parlant ou OSS 117, coincé dans la France de René Coty et dépassé par les mutations politiques, économiques et sociales des 30 Glorieuses (décolonisation, émancipation des femmes, mouvement hippie etc.) "Le Redoutable" qui d'ailleurs fait allusion au premier sous-marin nucléaire français (pièce indispensable du puzzle de la grandeur de la France voulue par De Gaulle) n'échappe pas à ce prisme. On y voit un des réalisateurs majeurs de la nouvelle vague (que l'on aime ou pas Jean-Luc GODARD, on ne peut lui enlever son génie créatif et tout ce qu'il a apporté au cinéma hexagonal et mondial) chercher à surfer en 1967-1968 sur une vague contestataire qu'il finit par se prendre de plein fouet ("le plus con des suisses pro-chinois"). Si l'homme a été avant-gardiste dans le domaine du cinéma, le temps l'a rattrapé et il s'est pris les pieds dans d'insurmontables contradictions concernant la politique et les rapports avec ses semblables. Bien sûr, il faut bien avoir en tête que le portrait du cinéaste qui nous est offert est tout sauf objectif puisqu'il est le fruit de l'adaptation du roman de son ex-femme, la comédienne Anne WIAZEMSKY "Un an après". Celle-ci semble régler son compte à un homme décrit comme péremptoire (il s'exprime à coup de slogans), donneur de leçons, méprisant, condescendant, rabat-joie, jaloux et misogyne. Mais le film de Michel HAZANAVICIUS et l'interprétation convaincante de Louis GARREL apportent des nuances. Sans édulcorer ce que l'homme pouvait avoir d'odieux, Godard apparaît aussi comme un personnage burlesque (le running gag des lunettes) ce qui souligne son inadaptation croissante au monde qui l'entoure. Un homme tourmenté, insatisfait, qui ne supporte pas de se voir vieillir (et de ne plus être donc à l'avant-garde) et préfère pratiquer la politique de la terre brûlée plutôt que de devenir "un con de bourgeois has-been". Michel Hazanavicius ne se contente pas de reconstituer l'époque et l'esthétique des films de Godard avec le savoir-faire pasticheur qu'on lui connaît*, il met sa mise en scène au service de ce récit de disparition programmée. Ainsi l'une des premières scènes du film montre Godard, sa femme Anne (jouée par Stacy MARTIN que j'ai trouvé un peu monolithique) et un couple d'amis manger joyeusement dans un restaurant chinois dont le nom est "au pays du sourire". Plus tard dans le film, Anne et Godard croisent ce même couple avec lequel Godard s'est fâché (comme il s'applique à le faire avec tous ses amis) devant ce même restaurant. Après quelques mots de convenance teintés de compassion pour Anne, ils se séparent et c'est seulement alors que la caméra filme la devanture du restaurant et nous fait mesurer le gâchis humain qu'a provoqué l'attitude de Godard.
* Sa reconstitution de mai 68 est d'ailleurs bien meilleure que celle, figée et superficielle de Wes ANDERSON dans "The French Dispatch" (2020).
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