Stavisky
Alain Resnais (1974)
Alain RESNAIS s'est penché sur la personnalité complexe de Alexandre Stavisky, escroc à l'origine de l'un des plus grands scandales politico-financiers du XX° siècle retrouvé "suicidé d'une balle tirée à bout portant" (selon l'un des titres de presse de l'époque). Stavisky avait si bien infiltré l'appareil d'Etat de la III° République, le corrompant à tous les étages qu'il faillit bien faire vaciller le régime le 6 février 1934. Même si beaucoup d'historiens s'accordent à dire aujourd'hui que les unes de la presse, notamment de gauche sur "le coup d'Etat fasciste qui avait échoué" étaient exagérées, Alain RESNAIS reconstitue une atmosphère fin de siècle, clinquante en façade, putride et mortifère en réalité. Les fleurs blanches dont Stavisky inonde les femmes qu'il veut séduire ressemblent à des couronnes mortuaires plantées sur un corbillard ou posées devant un cimetière, quand lui-même ne s'allonge pas sur une tombe dans la pose d'un gisant. L'environnement mondain, affairiste et luxueux de Stavisky semble irréel tout comme sa femme Arlette (Anny DUPEREY) qui semble échappée des pages d'une revue de mode rétro. L'ami de Stavisky, le maurassien baron Raoul (Charles BOYER) prononce des paroles (écrites comme l'ensemble du scénario par Jorge SEMPRÚN) qui s'avèrent prophétiques "Stavisky nous annonçait la mort. Pas seulement la sienne, pas seulement celle des journées de février, mais la mort d’une époque." Epoque dont on ne cesse de percevoir les échos fétides: la crise économique et sociale, la crise politique, la montée de la xénophobie et de l'antisémitisme, les prémisses de la guerre civile espagnole, l'émigration des juifs allemands fuyant le nazisme et des communistes fuyant le stalinisme (à travers le séjour en France de Trotski), les allusions au fascisme de Mussolini.
Mais le véritable sujet du film est Stavisky lui-même. Pour tenter de cerner le mystère de cet homme, symbolisé par les nombreux plans dans lesquels on s'enfonce dans les arbres feuillus (comme dans d'autres films de Alain RESNAIS) celui-ci utilise les témoignages de ceux qui l'ont connu et le procédé du flashback. Défilent donc à la barre de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur "l'affaire Stavisky" tout le gratin du cinéma français. Outre les personnages déjà cités, on voit apparaître le médecin de Stavisky (Michael LONSDALE), l'homme de confiance de Stavisky (François PÉRIER) ou encore l'inspecteur qui a tenté de le coincer pour en tirer un profit personnel (Claude RICH). Il y a aussi dans un coin de l'image une jeune juive allemande à qui Stavisky donne la réplique dans une scène de répétition théâtrale qui est une évidente mise en abyme de l'identité que Stavisky cherche à dissimuler (à savoir qu'il est lui-même juif et émigré) au travers de ses multiples patronymes. Tous soulèvent un coin du voile, apportent leur pièce au puzzle sans que Alain RESNAIS ne cherche à tout expliquer, laissant le spectateur faire lui-même ses déductions.
Et Jean-Paul BELMONDO dans tout ça? Il est peut-être un peu léger pour le rôle. Tout l'aspect baratineur, charmeur, tapageur et avide de gloire "du beau Sacha" lui va comme un gant. En revanche lorsqu'il lui faut exprimer ses névroses (sa mégalomanie, sa paranoïa) il est nettement moins convaincant. Si l'on ajoute quelques effets appuyés de mauvais goût et un sujet méconnu du grand public (et traité d'une façon pas spécialement pédagogique), on comprend qu'il n'ait pas figuré parmi les succès de Alain RESNAIS et qu'il soit aujourd'hui un peu oublié.
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