Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)
Im Kwon-Taek (2002)
Avec un titre pareil, on pouvait s'attendre à un film épicurien célébrant la joie de vivre et de créer. Or c'est l'inverse, au point que je me demande s'il ne s'agit pas d'une antiphrase. La création telle qu'elle est montrée dans le film s'effectue dans la souffrance, l'ascétisme, la solitude et l'errance. Dans la révolte aussi. Comme la biographie du peintre de la fin du XIX° siècle dont IM Kwon-taek, le plus vénérable des cinéastes coréens* retrace l'existence est lacunaire, il la remplit avec ses propres projections et parmi celles-ci, c'est le refus d'entrer dans les cases et le désir de liberté qui prédomine. Ohwon (le nom artistique de Janh Seung-up) est en effet montré comme un peintre hors-norme, par son talent, son exigence artistique mais aussi par ses origines sociales roturières et son caractère fondamentalement rebelle. Tout au long du film qui adopte une narration linéaire mais fragmentée car faites de petites "touches de vie", on le voit résister ou subvertir toutes les tentatives visant à l'enfermer (dans la peinture officielle de cour par exemple) ou à le faire plier devant les autorités. Il préfère y laisser la santé voire la peau. Cette intranquillité se retrouve dans sa peinture dont il semble n'être jamais satisfait. On le voit beaucoup détruire ses ébauches voire des oeuvres que d'autres estiment achevées ou bien en créer à l'intention de petites gens voire de mendiants qui pourront en tirer un bon prix et ainsi, sortir de leur misère.
Ohwon apparaît donc comme un homme tourmenté secret, parfois sujet à des crises de rage. Son rapport au carburant dont il a besoin pour créer (l'alcool et les femmes de petite vertu, prostituées interchangeables dans la plupart des cas) est somme toute assez triste, limite masochiste. Il semble cassé, vieilli avant l'âge dès le départ. Jamais on ne le voit sourire ou sembler profiter des plaisirs de la vie. Si le film de IM Kwon-taek est ultra-esthétique, il est également assez aride, d'autant qu'il s'inscrit dans un contexte historique nébuleux pour un occidental. Il est également un peu trop théorique et appliqué pour traduire vraiment la folie intérieure de l'artiste. On retrouve la contradiction entre la promesse dionysiaque du titre et son contenu neurasthénique. Lorsque CHOI Min-sik avec son perpétuel air de chien battu clame qu'il ne peut pas peindre sans bander, ça sonne complètement faux!
* Au sens de plus ancien. "Ivre de femmes et de peinture" est en effet son 98° film et celui qui lui a valu la reconnaissance en occident avec le prix de la mise en scène à Cannes.
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