Neverland (Finding Neverland)
Marc Forster (2004)
Les écrivains à succès sont une manne inépuisable pour le cinéma qui non content d'avoir adapté leurs œuvres les plus connues depuis les origines tente depuis une trentaine d'années d'expliquer leur genèse au travers d'éléments biographiques plus ou moins romancés. Le résultat est le plus souvent assez lisse et académique et ce "Neverland" s'il constitue un spectacle familial de bonne facture ne s'élève guère au-delà. Il avait cependant le potentiel pour aller (beaucoup) plus loin mais s'il était entré de plain-pied dans la personnalité tourmentée de James Barrie, il aurait sans doute perdu les enfants en route. Au moins on a pas droit à la sempiternelle histoire d'amour à l'origine de l'inspiration du chef d'œuvre du siècle. Avec les problèmes de virilité de James Barrie qui le maintenaient dans une zone grise d'homme-enfant pré-pubère, cela ne pouvait pas fonctionner. Donc ce n'est pas une histoire d'amour qui est à l'origine de "Peter Pan" mais une histoire de deuil. Ou plutôt un double deuil: celui du frère aîné de James et celui du père de Peter, l'un des fils Llewelyn Davies qui lui ont inspiré les personnages de sa célèbre pièce puis du roman "Peter et Wendy" devenu ensuite "Peter Pan"*. James a trouvé une solution en s'évadant dans un monde parallèle sur lequel il règne en maître comme son héros Peter Pan alors que Peter refuse de continuer à rêver et se comporte en adulte avant l'âge. Le principal intérêt du film réside dans les échanges des deux personnages qui de plus sont interprétés par Johnny Depp et Freedie Highmore qui rejoueront peu après la même histoire d'homme-enfant et d'enfant-homme dans "Charlie et la chocolaterie" de Tim Burton. Autre aspect intéressant, la double lecture possible du parcours de James Barrie dont les centres d'intérêt peu conventionnels et la capacité à réenchanter le monde poussiéreux du théâtre au début du XX° siècle est aussi vu par la bonne société comme un comportement déplacé voire dangereux. Même si le mot pédophilie n'est pas prononcé, il est suggéré et on pense forcément à la fascination de Michael Jackson pour le personnage de fiction créé par James Barrie dont rien ne rappelle dans le film à quel point il est démoniaque**. Et pour cause car le rappeler, ce serait revenir aux troubles sexuels de James Barrie que le film évite le plus possible d'évoquer.
* La mère des quatre fils Llewelyn Davies, Sylvia n'est autre que la tante de Daphné du Maurier. Elle meurt à son tour d'un cancer en 1910. Kate Winslet qui l'interprète apparaît trop bien portante quand on la compare aux photos d'époque de la véritable Sylvia.
** Peter Pan dépeint en réalité un univers mortifère (Neverland est construit sur une négation ce que ne retranscrit pas la traduction française) qui a pour maître un démon castrateur qui inverse l'ordre des générations (c'est lui qui offre la main du capitaine Crochet en pâture au crocodile qui symboliquement a "avalé le temps") et se constitue un gynécée idolâtre dont il excite les rivalités tout en restant inaccessible. Quant aux enfants, influençables, il lui servent de faire-valoir.
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